Copenhague, capitale mondiale du cyclisme ? Analyse d’une politique durable
Dans son édition 2013, le « World Happiness Report » de l’Université de Columbia est venu considérer le Danemark comme le pays ayant les habitants les plus heureux au monde. À Copenhague, le Conseil municipal s’est donné pour mission de faire de la capitale danoise la ville la plus agréable à vivre au monde. Régulièrement donc, le Danemark se distingue par une politique qui promeut une société « agréable à vivre » plutôt qu’une société basée sur la seule croissance économique. Avec près de 30 % de sa population utilisant régulièrement la bicyclette, Copenhague se classe dans les premiers rangs mondiaux en ce qui concerne le taux d’utilisateurs de « la petite reine ». D’où viens cet engouement pour le vélo et s’inscrit-il dans une politique plus vaste ? Quels sont les enjeux, défis et conséquences sur la capitale danoise ? Classe internationale a décidé de se pencher sur Copenhague « la ville des cyclistes ».
UN LOBBY CYCLISTE DANOIS HISTORIQUEMENT INFLUENT
Historiquement Copenhague est une ville pionnière en matière de vélo, dès le début du XXe siècle on se déplaçait soit en tramway soit en bicyclette. Ainsi, il existait près de 50 kilomètres de piste cyclable en 1912 dans la capitale danoise. Ce sont les années 1950 qui apportent leur lot de nouveautés. Suivant l’apparition massive de l’automobile, périphéries et infrastructures routières sont construites à Copenhague au détriment des cyclistes. Conséquence directe : les cyclistes se font plus rares. Pour autant, on assiste à un abandon de cette politique « tout-automobile » après Mai 1968 et le choc pétrolier de 1973. En effet, un lobby cycliste en faveur d’une société autre qu’automobile émerge tandis que la pratique du vélo se redéveloppe par l’action de la fédération cycliste danoise1. Les années 1980 voient la consécration politique de ce lobby pro-cycliste. En 1981 est adopté le premier « Plan piste cyclable » qui vise à modifier les routes existantes non adaptées à la bicyclette. De même en 1983, le parlement danois vote le Road Traffic Act après de grandesmanifestations en face de ce dernier. Cette loi correspond à la reconnaissance légale du principe de « prise en compte de tout type d’utilisateur d’infrastructure routière » (automobilistes, piétons et cyclistes).
À la fin des années 1980, les résultats sont tangibles et la pratique du vélo a augmenté de près de 50 % par rapport au pourcentage dans les années 19702. Ainsi, fort d’un engagement citoyen pour la bicyclette, la municipalité de Copenhague conduit une politique ambitieuse depuis plus de vingt ans. Un Bicycle report est publié depuis 1995 afin d’analyser la pratique cycliste de la ville tandis qu’en 2002 fut adopté un premier plan décennal pour son développement. Le plan actuel, baptisé : Good, Better, Best : The city of Copenhagen’s Bicycle strategy 2011-2025 est une réactualisation des objectifs et des indicateurs de la précédente politique. Son but est simple, faire de Copenhague la capitale mondiale du vélo.
À quoi correspond la politique cycliste copenhagoise aujourd’hui ?
– Le budget alloué à la période 2009-2014 est de 133 millions €. À cela s’ajoute un budget distinct de 133 millions d’euros dédié à la construction de parkings à vélos3
– Aujourd’hui, la bicyclette correspond à près de 36 % des trajets quotidiens domicile-école ou domicile-lieu de travail4 pour plus d’un million de kilomètres parcourus chaque jour5.
– Toutes les grandes rues de Copenhague sont dotées de pistes cyclables pour un total de 346 kilomètres de pistes cyclables6
– Aux heures de pointe, on observe plus de vélos que de voitures ce qui occasionne des bouchons… de vélos !
UNE POLITIQUE PRAGMATIQUE QUI PREND EN COMPTE LES ÎNTÉRÊTS DE SES UTILISATEURS
La politique pro-cycliste copenhagoise a franchi un cap avec la publication du « plan 2002-2012 ». Ayant pour but de rationaliser les efforts de la municipalité, celui-ci vise à donner une plus grande cohérence, visibilité et efficacité à cette politique. Ce plan est ainsi le premier à venir identifier les besoins des utilisateurs, à définir les objectifs à atteindre et à établir des indicateurs de performance.
Pour cela il contient cinq objectifs « cadres » :
(1) La part de la population utilisant la bicyclette se rendant sur son lieu de travail doit passer de 34 % à 40 %.
(2) Le pourcentage de cyclistes à Copenhague se sentant en « sécurité » sur les routes doit passer de 57 % à 80 %
(3) Le risque d’accidents graves ou mortels doit être réduit de 50 %
(4) La vitesse de déplacement pour les trajets de plus de 5kms doit augmenter de 10 %
(5) Le confort d’utilisation doit être amélioré. Le pourcentage de cyclistes jugeant insatisfaisante la qualité des infrastructures ne doit pas dépasser les 5 %
On voit ainsi que le but premier de ce plan est d’accroître significativement la part de la bicyclette dans les trajets quotidiens. Pour cela, trois axes sont utilisés : l’amélioration de la sécurité, une meilleure prévention des risques, une vitesse et un confort d’utilisation renforcés. Dans les faits, ceci s’est manifesté par des politiques visant à rendre l’utilisation de la bicyclette plus attractive que la voiture. Par exemple, l’interopérabilité entre les différents modes de transports a été développé. Les difficultés induites par la pratique de la bicyclette sont minimisées par l’insertion dans un système de transports plus global. À Copenhague, il est donc possible de placer son vélo dans n’importe quel taxi, bus, train ou métro de la ville7. Au feu rouge, les cyclistessont placés systématiquement devant les automobilistes afin d’assurer une sécurité optimale et une plusgrande vitesse d’utilisation. De même, la durée des feux a été modifiée et synchronisée sur la vitesse des cyclistes. Enfin, en hiver les chasse-neiges passent d’abord sur pistes cyclables et ensuite sur les autres routes.Ces mesures concrètes, alliées à une politique active de constructions de pistes cyclables ont produit desrésultats probants qui furent approfondis par un nouveau plan décennal : le Good, Better, Best 2012-2025
Avec ce plan, Copenhague se tourne officiellement vers une politique d’optimisation. Les infrastructures sont rénovées ou reconstruites afin de raccourcir les trajets, les pistes cyclables sont élargies afin de s’adapter au phénomène récent de « bouchons de vélos ». En plus d’un nouveau service de vélos à usage commun type Vélib’, la municipalité innove en lançant un programme ambitieux « d’autoroutes à bicyclettes ». Le but est simple, relier Copenhague à sa grande périphérie en construisant des pistes cyclables avec des municipalités partenaires. Le réseau est ainsi aujourd’hui en plein agrandissement avec, à terme, la construction de pistes cyclables s’étendant jusqu’à 30 kilomètres du centre-ville.
UNE APPROCHE « GLOBALE » DU SUJET RÉUSSIE
Derrière ces deux plans décennaux apparaît une volonté politique de faire de la bicyclette LE mode de transport « de droit commun » à Copenhague. La bicyclette est devenue « la petite reine » au sens propre comme au sens figuré car Copenhague est entièrement tournée vers elle. « Copenhague la ville des cyclistes » est un slogan créé par le dernier plan décennal et qui affirme que le vélo est devenu un art de vivre ; un art de vivre qui a trouvé un cadre idéal pour se développer et s’épanouir.
Mieux, Copenhague innove par ce que l’on peut appeler une « politique globale » concernant la bicyclette. Il y a eu remise en cause complète des infrastructures routières plutôt que « superposition » au système déjà existant. À titre d’exemple, les pistes cyclables sont surélevées par rapport aux routes traditionnelles et à une intersection, ces dernières agissent comme « dos d’âne » pour les automobilistes. À Copenhague, ce ne sont plus aux cyclistes mais aux voitures de s’adapter dans la circulation quotidienne. À cette volonté ont été ajoutés des instrumentséconomiques contraignants. Dès 1992, le Danemark a introduit une taxe carbone (CO2) tandis qu’il existe une taxe de 180 % pratiquée sur le prix d’achat d’automobiles. En outre, des campagnes d’informations relayées par « l’ambassade danoise du cyclisme » et la fédération cycliste nationale sont régulièrement lancées « Bike to Work », « Fair wind on the cycle tracks », « Bike to School », « Park and Bike »8
Plusieurs décennies après le début de cette politique, les résultats positifs se font déjà sentir. Le journal britannique The Economist a classé Copenhague au premier rang « des villes climatiquementdurables » en 20099. Plus récemment, le chercheur et consultant Boyd Cohen a placé Copenhague en tête de son étude « Smartest Cities » en 2013. Les habitants se sont réappropriés leur ville et celle-ci est devenue plus agréable à vivre et plus sûre (moins de pollution sonore et moins de trafics routiers). De même, la société danoise en profite économiquement. Il a été prouvé qu’un kilomètre parcouru à bicyclette fait gagner 0,25 € à la société danoise tandis qu’un kilomètre en voiture lui fait perdre 0,16 €10. Enfin, Copenhague est la ville avec le plus faible taux d’émission de CO2 par habitant au monde (moins de 2 tonnes)
COPENHAGUE, UN MODÈLE UNIQUE ET DIFFICILEMENT EXPORTABLE ?
Pour autant, il faut garder à l’esprit que Copenhague et la société danoise sont des exemples uniques qui posent la question de l’adaptabilité du modèle à d’autres villes. Dotée d’une organisation urbaine en forme de main, Copenhague est une ville naturellement moins congestionnée par le trafic autoroutier. En effet, le centre ville est relié aux périphéries par des infrastructures évoquant les doigts d’une main. Ces différents doigts étant connectés par le biais de routes ou de métros, un habitant n’est pas obligé de passer par le centre ville pour se rendre vers une autre périphérie.
Il est donc pertinent de se demander si des villes comme Brasilia organisées à 100 % autour de l’automobile ont la capacité de transposer cette politique audacieuse. De même, il ne faut pas sous-estimer le poids du facteur culturel. La culture et le lobby cyclistesont fortement présents au Danemark. L’hiver, la grande majorité de la population continue à utiliser sabicyclette. Le climat n’a donc que peu d’incidence sur les habitudes, ce qui montre l’influence de la culturecycliste dans la capitale11. D’autre part, certains critiquent le tournant marketing de la politique actuelle. « Copenhague la ville des cyclistes est le slogan officiel d’une politique qui communique peu sur les résultats concrets des deux plans décennaux. Or avec des chiffres aujourd’hui stagnants (30% au lieu des 40% visés initialement), certains observateurs refusent d’ériger Copenhague comme « bon élève mondial » car des villes néerlandaises comme Groningen et Amsterdam connaissent des taux d’utilisation de la bicyclette plus élevés que Copenhague12. Les exemples néerlandais soulignent notamment qu’il est possible de faire mieux autrement et ce, sans s’en enorgueillir. Enfin, la dernière décision municipale de construire un tunnel autoroutier passant sous le centre de la ville sème le doute chez certains : Copenhague irait-il trop loin avec sa politique ? Délaisserait-il trop l’automobile ?
Les objectifs ambitieux fixés par le dernier plan décennal semblent d’ores et déjà être difficilement atteignables. La municipalité copenhagoise ne risque-t-elle alors pas de susciter la déception et menacer tous les efforts déjà réalisés ?
Fabien Segnarbieux
Helena Fuchs
Pour aller plus loin :
→ ARTE. Ports d’attache. Copenhague. Diffusé mercredi 25 septembre 2013. http://www.arte.tv/guide/fr/046638-003/ports-d-attache-3-5 (disponible sur youtube)
→ http://www.copenhagenize.com/
1 ARTE. Ports d’attache. Copenhague. Diffusé mercredi 25 septembre 2013.
2 PUCHER, John; BUEHLER, Ralph: Making Cycling Irresistible: Lessons from the Netherlands, Denmark and Germany. Dans: Transport Reviews. A Transnational Transdisciplinary Journal. Pages: 495-528. Routledge. USA 2008. http://policy.rutgers.edu/faculty/pucher/irresistible.pdf (consulté le 03/02/2014)
3 WILLUM SLOT, Jakob: Die dänische Fahrradpolitik. Geförderte Projekte 2009-2014. Ministère de transport en Danemark (Transportministeriet). http://fahrrad-akademie.de/veranstaltungen/2011-2012/2012-04-23-exkursion/120425-DK-JakobWillumSlot-DE.pdf (consulté le 03/02/2014)
4 Contre 28 % pour le reste des transports en commun et 29 % pour la voiture / The City of Copenhagen. Good, better, best : the city of Copenhagen’s Bicycle strategy 2011-2025.
5 Cf. ARTE. Ports d’attache. Copenhague.
Les kilomètres parcourus quotidiennement sont publiés sur le site www.copenhagencyclechic.com
6 JENSEN, Niels: How Copenhagen became a cycling city. City of Copenhagen. 2009. http://www.gmfus.org/galleries/cdp-tcn/Jensen__How_Copenhagen_Became_a_Cycling_City.pdf (consulté le 03/02/2014)
7 Cf. ARTE. Ports d’attache. Copenhague.
8 http://www.cycling-embassy.dk/tag/campaigns/
9 Economist Intelligence Unit et Siemens AG: European Green City Index. Assessing the environmental impact of Europe’s major cities. Munich 2009. http://www.siemens.com/entry/cc/features/urbanization_development/all/en/pdf/report_en.pdf (consulté le 03/02/2014)
10 Cf. ARTE. Ports d’attache. Copenhague.
11 80 % de la population continue à utiliser son vélo au cours de l’hiver Cf. ARTE. Ports d’attache. Copenhague
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