Les 9 juillet 2011, la République du Soudan du Sud est proclamée après la victoire des indépendantistes au référendum avec 98,83% des suffrages exprimés. Trois ans après, le Soudan du Sud s’enfonce dans la crise et peine à trouver le chemin de la stabilité.
La sécession du Soudan du Sud met fin à une série de guerres civiles : 1955-1972 et 1983-2005, durant lesquelles 1,5 millions de personnes sont mortes et plus de 4 millions déplacées[1]. Avec l’indépendance du Soudan du Sud, Khartoum perd le ¼ de son territoire, 1/5eme de sa population et surtout 70% de ses ressources pétrolières. L’économie soudanaise est dépendante de ses exportations de pétrole, celle du Soudan du Sud l’est davantage avec 98% de ses revenus qui proviennent de l’industrie pétrolière. L’or noir constitue un point de tension important entre le Nord et le Sud car, si l’essentiel des ressources se trouvent au Sud, les pipelines passent par Khartoum vers Port-Soudan dans le nord du pays.
De plus, certaines régions riches en pétrole sont disputées par le Nord et le Sud : les régions d’Abyei, du Sud-Kordofan et du sud de l’État du Nil-Bleu. Une guerre a même opposé le Soudan à la jeune république du Sud entre avril et septembre 2012, Khartoum ayant fermé les pipelines car Djouba exigeait de fixer à près de 10$ les droits de transit par baril. La condamnation du conflit par l’ONU, mais surtout l’absence de rentrées fiscales dues à l’arrêt des exportations de pétrole, ont poussé le président du Soudan Omar el-Béchir et son homologue Sud-Soudanais Salva Kiir à signer un accord en novembre 2013. Ce dernier règle certains aspects du conflit pétrolier, comme le prix des droits de transit, mais ne résout pas la question des régions disputées qui sont autant de bombes à retardement.
Les sujets de tensions sont donc nombreux entre les deux Soudans et à l’intérieur même de ces pays les sources d’instabilité multiples. Au Nord, le conflit du Darfour et le printemps arabe réprimé à Khartoum illustrent les oppositions à Omar el-Béchir au pouvoir depuis 1993. Au Sud, souvent présenté comme une nation de chrétiens et d’animistes soudés par la résistance à l’oppression nordiste arabo-musulmane, la situation est plus complexe. En effet, les clivages ethniques existent avant l’indépendance au sein même du SPLM (Sudan People Liberation Movement). Suite à l’indépendance, le partage du pouvoir accroît les différends entre les chefs des factions rivales du SPLM. Le Soudan du Sud est composé de centaines d’ethnies, l’ethnie dominante est celle des Dinkas à laquelle appartient le président actuel Salva Kiir ainsi que le chef historique de la rébellion sudiste John Garang (1945-2005). L’hégémonie dinka est dénoncée par les autres groupes ethniques, la sur-représentation des Dinkas dans l’armée provoque des tensions avec d’autres milices. Les Nuers sont la deuxième ethnie du Soudan du Sud en nombre avec près de 700 000 personnes. L’ex-vice-président limogé par Salva Kiir, Riek Machar qui est un Nuer, a pris la tête d’une coalition anti-Kiir. Les tensions ont atteint leur paroxysme à Djouba le 15 décembre 2013. Malgré un cessez-le-feu signé le 23 janvier 2014, les violences continuent[2] et la situation s’est dégradée entre S. Kiir et R. Machar qui se considèrent réciproquement comme illégitimes.
Le Soudan du Sud est un pays jeune qui fait face à d’immenses défis. La jeune république doit stabiliser ses relations avec le Nord en résolvant la question des frontières et du partage des richesses pétrolières. Djouba doit parvenir à un consensus pour aboutir à un partage équitable du pouvoir et garantir la réconciliation nationale. Déjà préoccupé par ses problèmes internes, le Soudan du Sud est très exposé aux multiples conflits à ses frontières. En effet, le Soudan du Sud se situe à la marge des zones d’instabilités : la zone saharo-sahélienne et la Corne de l’Afrique, comme en témoignent les incursions de groupes armés venus de Centrafrique et de RDC[3]. Le Soudan du Sud doit également résoudre les problèmes qui se posent aux nouveaux États : instaurer un État de droit, construire une société civile et lutter contre la corruption[4]. De plus, le Soudan du Sud est l’un des pays les plus pauvres au monde avec près de 90% de la population qui vit avec moins d’un dollar par jour. La situation alimentaire est très préoccupante[5], près d’un Sud-Soudanais sur deux n’a pas accès à l’eau potable et 80% des hommes et 90% des femmes sont analphabètes. Pour un pays miné par les conflits internes et qui dépend à 80% de l’aide internationale, l’indépendance n’est pas encore acquise dans les faits.
Nicolas Sauvain
[1] « South Sudan Profile » en anglais http://www.bbc.com/news/world-africa-14069082 consulté le 08/07/14.
[2] « Les affrontements qui ont eu lieu le 5 mars 2014, à proximité d’une caserne du centre-ville dans la matinée, et dans plusieurs quartiers de Djouba dans la soirée, viennent rappeler, si besoin était, que le calme qui régnait jusqu’à présent dans la capitale reste très précaire. » http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/conseils-aux-voyageurs/conseils-par-pays/soudan-du-sud-21090/ consulté le 08/07/14.
[3] A titre d’exemple la LRA (Lord’s Resistance Army) l’Armée de résistance du Seigneur, groupe armé du très médiatisé Joseph Kony, originaire de l’Ouganda serait présente entre la Centrafrique et le Soudan du Sud. http://abonnes.lemonde.fr/afrique/article/2013/04/27/le-chef-de-la-l-armee-de-resistance-du-seigneur-se-trouverait-au-soudan_3167589_3212.html consulté le 08/07/14.
[4] « Dans une lettre ouverte du 3 mai 2012, Salva Kiir accuse plusieurs dizaines de hauts fonctionnaires d’avoir détourné quatre milliards de pétrodollars, réclamant la restitution en échange d’une amnistie. Affaire classée sans suite… ». Raimbaud Michel « Soudan et Soudan du Sud : quels enjeux ? » In Diplomatie n°68 mai-juin 2014.
[5] « Le Soudan du Sud est en proie à une crise humanitaire de très grande envergure. Plus de 7 millions de personnes sont victimes d’insécurité alimentaire, soit plus des deux tiers de la population du pays, une situation qui pourrait s’aggraver d’ici la fin de l’année. » http://www.actioncontrelafaim.org/fr/content/le-plus-jeune-etat-du-monde-fete-son-troisieme-anniversaire-en-pleine-crise consulté le 08/07/14. Vidéo AFP sur la situation alimentaire au Soudan du Sud, disponible sur Le Monde. http://abonnes.lemonde.fr/afrique/video/2014/07/08/de-la-nourriture-larguee-par-avion-au-soudan-du-sud_4453307_3212.html
Pour aller plus loin :
Vidéo le « Dessous des cartes », de Jean-Christophe Victor, disponible sur Arte, accès payant. http://ddc.arte.tv/emission/sud-soudan-un-nouvel-etat-en-afrique-1-2
Lire l’article de Michel Raimbaud « Soudan et Soudan du Sud : quels enjeux ? » dans le magazine Diplomatie n°68 (mai-juin 2014). Pour l’acheter en ligne http://www.geostrategique.com/product.php?id_product=542
Article de Charlotte Oberti publié sur France 24. Disponible sur http://www.france24.com/fr/20140708-soudan-sud-trahison-heros-independance-riek-machar-salva-kiir-anniversaire/ consulté le 09/07/14.
Article du Huffington Post. Disponible sur http://www.huffingtonpost.fr/2014/07/09/troisieme-anniversaire-independance-soudan-sud_n_5567607.html consulté le 09/07/14.
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