Elections présidentielles à Taïwan : bouleversement des rapports avec la Chine ?
La candidate du Parti démocrate progressiste, Tsai Ing-Wen, a remporté le 17 janvier dernier les élections présidentielles à Taïwan, avec plus de 56% des suffrages. Bien qu’attendue, sa victoire marque un tournant dans la politique de cette petite île au statut controversé et dans ses rapports avec la Chine.
Quelques rappels
Les nationalistes du Kuomintang (KMT), menés par Tchang Kaï-Chek, fuient la Chine continentale en 1949, après avoir perdu la guerre civile qui les opposait aux communistes. La République de Chine (Taïwan) devient alors une dictature, jusqu’en 1988, avec l’assouplissement des règles, et l’apparition du premier parti d’opposition indépendantiste, le Minjindang, ou Parti Démocrate Progressiste (PDP). Ce dernier remporte pour la première fois des élections présidentielles face au KMT en 2000, en formant une coalition de centre-gauche. Il restera au pouvoir jusqu’en 2008, date à laquelle Ma Ying-Jeou, candidat du Kuomintang, remporte les élections contre le président sortant, Chen Shui-Bian, accusé de corruption.
Une ou deux Chines ?
Pékin a une position très claire sur la situation : Taïwan n’est qu’une «province renégate», devant être réunifiée avec la Chine continentale, en employant la force si nécessaire. Une seule Chine est envisagée de ce côté du détroit.
À Taïwan, la situation n’est pas si évidente. Les deux partis principaux s’opposent sur ce point.
D’une part, le Kuomintang reconnaît le « Consensus de 1992 » selon lequel il existe bien une seule Chine, mais n’arrive pas à se mettre d’accord pour décider réellement du gouvernement le plus légitime.
D’autre part, le PDP ne reconnaît pas le «Consensus de 1992». C’est pourquoi le Président Lee (PDP) a demandé à une commission d’experts en 1999, où figurait la future présidente Tsai Ing-Wen, de formuler une théorie à deux États. Bien qu’élue sous l’étiquette du PDP, traditionnellement indépendantiste, Mme Tsai s’est prononcée en faveur du maintien du statu quo entre les deux États, c’est à dire ne pas chercher à devenir indépendant, tout en gardant ses distances avec la Chine.
« La femme la plus puissante du monde sinophone »
Les élections de 2016 présentent deux particularités : c’est la première fois que le PDP remporte à la fois les élections présidentielles et législatives, ce qui confère au parti un véritable pouvoir politique, puisqu’il a remporté plus de la majorité des sièges au Parlement.
De plus, Mme Tsai est la première femme élue présidente dans un pays sinophone (1), et elle est la deuxième femme à occuper une telle position en Asie orientale, après Park Geun-Ye en Corée du Sud. Son élection semble même inspirer les mouvements féministes en Chine, encore fortement réprimés. En cela, Taïwan fait figure d’avant-garde, avec un tiers de femmes siégeant au parlement.(2)
Certains commentateurs politiques la décrivent comme une « négociatrice tenace, capable et persuasive », et la comparent même à Margaret Thatcher (elle a étudié à la London School of Economics dans les années 1980) ou encore Angela Merkel, qu’elle dit admirer par son côté « pragmatique ». Comme Merkel, par ailleurs, elle ne doit son ascension politique qu’à elle-même, chose rare dans la politique taïwanaise. Au contraire, son principal adversaire, le candidat du KMT Eric Chu, suivait par exemple les traces de son père, homme politique également.
A la suite du scandale de corruption de 2008 qui a fait perdre les présidentielles au PDP, elle s’est attelée à redorer l’image du parti, en affirmant une nouvelle fois sa position en faveur de la démocratie : « notre mode de vie démocratique est à jamais lié à la détermination de 23 millions de Taïwanais. »
Des relations complexes
La défaite du KMT est en partie liée à la politique du Président Ma, qui cherchait un rapprochement avec la Chine continentale. Au cours de son deuxième mandat, il a été très critiqué par une partie de la population, en particulier les jeunes, qui, en mars 2014 ont protesté contre un accord de libre-échange entre Taïwan et la Chine, craignant pour le maintien de la démocratie dans l’île.(3) En effet, le KMT est accusé de favoriser les intérêts des entreprises et de leurs dirigeants, plutôt que ceux de la population. Le resserrement des liens entre les deux pays a fait craindre à la population une trop grande dépendance vis-à-vis des investissements chinois, et donc à une perte de l’autonomie et de la souveraineté de Taïwan.
On se souviendra notamment de la poignée de main historique en novembre dernier entre M. Ma et Xi Jinping, le président chinois, illustrant ce rapprochement souhaité entre les deux États.
Pour autant, les tensions ne s’étaient pas apaisées, et la découverte de répliques de lieux stratégiques dans des camps d’entrainement militaire chinois au mois de mars dernier a envenimé la situation auprès de la population, et relancé une nouvelle fois le débat sur une éventuelle attaque chinoise de l’île. L’arrivée au pouvoir d’un parti indépendantiste fait craindre un regain de tensions dans la région.
Cet article de The Diplomat montre, images à l’appui, la construction de bases militaires, et vraisemblablement, de répliques du palais présidentiel, ainsi que du principal aéroport de Taïwan.
La censure exercée par le gouvernement chinois sur les réseaux sociaux et les médias en est un des premiers signes. ainsi, sur Weibo, le “Facebook” chinois, il n’y a presque pas été fait mention de l’élection et les médias ont soigneusement évité d’utiliser le terme “présidente”.(4)
Dans un contexte de croissance économique stagnante, le résultat des élections montre une sorte de désillusion de la jeunesse taïwanaise. Alors que leurs parents ou leurs grands-parents, qui ont connu l’occupation japonaise puis la dictature nationaliste, se sentent encore chinois, les jeunes se sentent plus volontiers taïwanais, et proches des valeurs démocratiques du pays. Ainsi, Tsai Ing-Wen a gagné le soutien d’une grande partie de l’électorat en centrant les politiques économiques sur Taïwan et non sur la Chine.(5)
Des commentateurs avisés diront que sa popularité lors de l’élection vient de l’utilisation qu’elle a fait des réseaux sociaux, notamment en postant des photos accompagnée de ses deux chats, Think Think et Ah Tsai.(6)
Yseult F.
(1) http://www.theguardian.com/world/2016/jan/15/tsai-ing-wen-former-professor-on-course-to-be-most-powerful-woman-in-chinese-speaking-world
(2) http://www.lefigaro.fr/international/2016/01/17/01003-20160117ARTFIG00202-tsai-ing-wen-elue-presidente-a-taiwan-offre-une-victoire-aux-femmes.php
(3) http://www.lefigaro.fr/international/2014/03/31/01003-20140331ARTFIG00426–taiwan-la-revolution-des-tournesols-dit-non-a-pekin.php
(4) http://www.lexpress.fr/actualite/monde/asie/a-peine-elue-a-taiwan-tsai-ing-wen-censuree-sur-internet-par-la-chine_1754395.html
(5)http://www.theglobeandmail.com/news/world/tsai-ing-wen-taiwans-quiet-revolutionary/article28215643/
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