Le Déclin – La crise de l’Union Européenne et la chute de la République Romaine, par David Engels

Le Déclin – La crise de l’Union Européenne et la chute de la République Romaine, par David Engels

Plus que la crise économique, pour David Engels, professeur d’histoire romaine à l’université de Bruxelles, c’est la crise identitaire que l’Union Européenne traverse qui va déterminer son avenir.

Alors que les sondages montrent que le sentiment d’attachement à l’Europe est en chute libre, il considère que l’apparition d’une identité commune permettrait d’installer une union forte qui ne se résumerait pas à une simple zone de libre-échange.  Pourtant cette identité existerait, notamment du fait du passé commun des Européens. Mais elle est difficilement acceptée car elle se heurte aux sentiments nationaux et reste issue des volontés des dirigeants politiques. De plus, les valeurs de l’Union sont certes définies dans le traité de Lisbonne (démocratie, paix, tolérance,…) mais restent vagues et ne sont pas exclusivement européennes. La République romaine  (de 509 à 27 av. JC) avait également connu une telle crise avec des problèmes politiques, structurels et sociaux. Elle avait surtout fait face dans ses derniers instants à une crise identitaire en raison de l’extension de la citoyenneté (jusque-là réservée aux romains) à d’autres peuples et à la perte de valeurs traditionnelles du fait du multiculturalisme. A travers plusieurs  indicateurs, David Engels démontre que la situation critique de l’Union Européenne sur le plan identitaire n’est pas sans rappeler celle ayant précédée la chute de la République Romaine.

Eléments d’identité, éléments de crise

  • La Tolérance

Selon les sondages, la tolérance fait partie des trois valeurs les plus représentatives de l’Union Européenne pour ses citoyens mais elle reste difficile à atteindre. Historiquement, le premier  critère d’identité utilisé en Europe fût la race, l’ethnie blanche, mais cette fermeture au monde a en partie pris fin suite aux massacres xénophobes du XXème siècle et au début d’une immigration de masse. Mais l’identité européenne actuelle n’apparaît alors plus comme liée à des valeurs historiques communes mais à une somme d’identités culturelles d’origines diverses. Cela explique une forme de méfiance vis-à-vis des étrangers vus comme responsables de la perte des valeurs traditionnelles. D’autant plus que cette immigration est humanitaire et donc accompagnée d’un phénomène de ghettoïsation et d’aides sociales plus importantes pour les étrangers. Dans l’Antiquité le même phénomène avait été observé suite aux brassages ethniques en Méditerranée qui entrainaient des conflits entre les peuples. Les nombreux avantages offerts par la ville de Rome avaient entrainé une forte immigration avec l’arrivée de personnes démunies venues du reste de l’Italie ce qui provoqua une fracture entre les classes puis une hausse du racisme avec l’arrivée des orientaux tenus responsables de tous les maux. Déjà sous la République Romaine, il y eut une crise identitaire liée à l’afflux d’étrangers tenus responsable de l’affaiblissement des valeurs traditionnelles.

  • Famille et déclin de la population

On observe en Europe une baisse de la fécondité qui peut avoir deux effets dangereux. Premièrement, cela peut engendrer une baisse de la production et donc une hausse du chômage accentuant la fracture sociale. Cela peut également entraîner un fort recours à l’immigration ce qui constitue un frein à l’émergence d’une identité collective. A Rome, conscientes des risques liés à une baisse de la fécondité, les autorités avaient temporairement interdit l’avortement et mis en place des mécanismes de sanctions et de récompenses pour les familles selon le nombre d’enfants. Le même constat peut être fait pour les institutions que sont le mariage et la famille. En effet, comment éprouver un attachement pour un passé politique et culturel lui-même basé sur des structures sociales en voie de disparition ? A Rome, sous Auguste, face à ce même phénomène et à la multiplication des divorces, ceux-ci avaient été finalement interdits et le mariage rendu obligatoire pour les hommes de 25 à 60 ans. Au temps de la République Romaine, la nécessité de conserver les institutions sociales pour maintenir l’ordre avait donc déjà était perçue.

  • L’épanouissement personnel

La crise économique que connaît l’union Européenne est un frein à la construction d’une identité commune. Les inégalités économiques  entre les citoyens créent un manque de cohésion alors qu’en parallèle se développe une société de consommation à laquelle seule une partie de la population à accès.

  • La religion

Autre élément lié à cette crise identitaire, le déclin de la religion, base de l’identité collective car elle fonde les valeurs traditionnelles garantes des liens sociaux. Or, on assiste à un recul de la religion chrétienne qui, de plus, se discrédite en cherchant à s’excuser pour son passé (croisades, inquisitions, collaboration…) tandis que les autres religions sont en plein essor. Et les traités de l’Union Européenne ne font que vaguement référence à « l’héritage religieux » de l’Europe ce qui constitue une erreur selon l’auteur, tant cet héritage est à la base de notre société. Rome avait connu le même déclin face à l’extension de l’empire et l’influence de l’épicurisme grec qui avait été tenu pour responsable du déclin généralisé des institutions. Il paraît difficile de créer une identité commune avec la perte d’un facteur de cohésion. Et si l’Union Européenne refuse de reconnaitre ce lien entre les européens, pourquoi alors ne pas accepter la Turquie ou Israël dans l’Union ?  

  • La démocratie

La démocratie est l’une des valeurs fondamentales partagées par tous les pays européens (et une condition pour entrer dans l’Union). Pourtant, le taux de participation aux élections pour le parlement européen est tombé à 43% en 2009, ce qui a pour effet d’affaiblir la légitimité des institutions de l’Union et de favoriser la montée des parties extrémistes. D’autant plus que la volonté des peuples est souvent détournée par les traités. En témoigne notamment l’échec du référendum de 2005 qui n’évite pas la signature du traité de Lisbonne. A Rome, au 1er siècle av. J-C, la démocratie fût également mise à mal avec un fort abstentionnisme, un système censitaire, un vote public, un marchandage des votes, des résultats parfois ignorés et des scrutins répétés jusqu’à l’obtention des résultats voulus par les autorités ce qui entraina de nombreuses guerres civiles, le déclin des républicains et la montée de César.

  • La paix

La paix est également conçue comme une valeur fondamentale devant être relayée par l’Union Européenne. Si cette valeur semble fédérer les européens, elle affaiblit aussi leur identité collective qui pourrait se renforcer par sa confrontation aux autres cultures. De plus, au nom de cette paix se développe un phénomène de « white masochism » semblable à ce que vit le christianisme : en cherchant à se faire pardonner pour ses erreurs passées et à défendre le respect des autres cultures plutôt que ses propres valeurs,  l’Europe perd en crédibilité. Cet aspect est à relativiser face au développement de la menace terroriste qui aboutit notamment à un renforcement des forces militaires de l’Union qui représentent 20% des dépenses militaires mondiales mais subissent un manque de cohésion entre les Etats dans ce domaine. Sur ce point, on observe une grande différence avec  une République romaine qui n’a pas été construite par une volonté commune de différents peuples mais par l’hégémonie d’un peuple sur les autres.

  • La solidarité : fédération et empire

Alors que la solidarité devrait être à la base de l’Union Européenne, celle-ci est discréditée par la domination franco-allemande vue comme un véritable cartel en raison de leur puissance et d’une logique clientéliste (influence française sur les pays méditerranéens, influence allemande sur les pays de l’est). Malgré le système de majorité qualifiée depuis le traité de Lisbonne, les Etats perdent en autonomie et semblent obligés de se soumettre aux volontés des institutions européennes. Et ils ne peuvent pas en pratique quitter l’Union tant les conséquences seraient désastreuses, ce qui renforce l’euroscepticisme. L’Union Européenne devient donc à l’instar de Rome un Empire qui pour l’auteur se définit comme une entité fondée sur la domination d’un groupe ethnique  ou civique sur d’autres.

En conclusion,  l’Europe vit donc une véritable crise identitaire qui selon l’auteur est inévitable dans l’évolution de chaque culture humaine comme le montre l’exemple romain. L’expérience de la République Romaine et des raisons de son affaiblissement progressif et de sa chute, démontrent que l’ampleur d’une crise identitaire ne doit pas être minimisée. Si l’Europe souhaite survivre aux crises à la fois économiques, politiques et sociales, il sera nécessaire de développer une solidarité entre ses peuples qui devra passer par une cohésion identitaire.

Camille Savelli

ClasseInternationale

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