« Aujourd’hui, le discours vis-à-vis du continent [africain] , notamment envers les pays subsahariens a changé de manière plus significative que dans le passé. Le continent est davantage considéré comme une immense source de matières premières et joue un rôle de premier plan dans l’économie mondiale. Il aiguise sans cesse les appétits de plus en plus grands et carnassiers des puissances en expansion comme celles des B.R.I.C.S » explique Macaire Dagry. C’est un fait, la présence de matières premières en Afrique, et particulièrement en Afrique subsaharienne qui attise les convoitises depuis des décennies. Les puissances occidentales, et notamment les Etats-Unis, doivent cependant commencer à partager cet incroyable nid de ressources avec les pays émergents comme la Chine et l’Inde.
Dans les années 1990, Edward Luttwak définit la géoéconomie comme l’affrontement économique entre les Etats. Pascal Lorot conforte l’idée de l’existence de ces nouvelles confrontations d’ordre géoéconomique. La géoéconomie étant entendue ici comme « l’analyse des stratégies d’ordre économique […] décidées par les Etats dans le cadre politique visant à protéger leur économie nationale ou certains biens identifiés de celle-ci […] et à conquérir certains segments du marché mondial relatifs à la production ou la commercialisation d’une gamme de produits sensibles en ce que leur possession ou leur contrôle confère à son détenteur […] un élément de puissance et de rayonnement international et concourt au renforcement de son potentiel économique et social ». Cette stratégie d’obtention de part de marché dans le monde passe par la diplomatie économique, un outil d’une véritable « guerre économique » entre les Etats.
L’Afrique a, et en particulier pendant la colonisation, suscité l’intérêt des puissances occidentales.
L’ère coloniale ne peut être séparée de ce que Gérard Chaliand appelle « l’enjeu africain ». En 1914, les sept pays que sont la Grande Bretagne, la France, le Portugal, l’Espagne, l’Italie, la Belgique et l’Allemagne se partagent la quasi-totalité du continent africain, un partage stratégique entendu lors de la conférence de Berlin de 1884 à 1885.
La justification civilisatrice et morale de la colonisation mise en avant par Jules Ferry dans son Discours en Faveur de l’Expansion Coloniale, donné devant la Chambre des députés le 28 juillet 1885, est certes à prendre en considération, mais ne peut en aucun cas faire de l’ombre à l’enjeu géoéconomique intrinsèquement lié à la colonisation du continent africain. C’est d’ailleurs le premier des arguments que J. Ferry met en avant : « les colonies sont, pour les pays riches, un placement en capitaux des plus avantageux ». Ce placement en capitaux sous-entend bien entendu la création de débouchés avantageux pour les puissances coloniales, mais ce phénomène est lui-même indissociable de l’enjeu que représente la présence, en quantité, de matières premières en Afrique. Il est de ce fait essentiel de rappeler que la deuxième moitié du XXème siècle marque une nouvelle phase d’industrialisation pour l’Europe, et l’Afrique se voit attribuer le rôle essentiel de fournisseur de matières premières agricoles et minérales afin de satisfaire les « besoins monstrueux de l’économie industrielle occidentale », et tout particulièrement européenne. Des monocultures se mettent en place, menaçant dangereusement la stabilité agricole africaine. L’Afrique devient de ce fait une véritable banque de matières premières, une situation qui ne change sensiblement pas, et qui a même été accentuée par les besoins croissants des puissances occidentales en pétrole. Ces richesses souterraines ne font que conforter l’avidité des puissances européennes affirmée depuis plusieurs décennies.
De plus, aux XIXème et XXème siècles, il est nécessaire de souligner l’importance du contrôle stratégique de certaines zones d’Afrique, comme la très célèbre route du Cap garantissant un accès à l’Océan Indien. « L’enjeu africain » englobe donc « des considérations stratégico-militaires mais aussi [le] contrôle du continent en termes de matières premières […] L’enjeu minier est indissociable de l’enjeu géopolitique en Afrique » (1). Ces enjeux et considérations sont extérieurs au continent et ont tout d’abord concerné les puissances européennes dans leur « course au drapeau » et l’assise de leur puissance comme « capacité à faire l’histoire ».
Pendant la colonisation, les pays occidentaux ont renforcé leur position en tant que puissances. Le désir de conquête de territoire et la mainmise sur les matières premières mais également sur une main d’œuvre peu chère ne font qu’entamer le contrôle du continent africain par des puissances extérieures et l’entrave des prérogatives politico-économiques de cette entité.
Cependant la décolonisation, la guerre froide et surtout la fin du monde bipolaire ont déclenché à nouveau l’émergence de considérations géopolitiques.
Pour Gérard Chaliand dans L’enjeu Africain, le processus de décolonisation commence à partir des années 1960. Le cadre de l’Etat-nation se diffuse à travers le continent africain et il s’établit une « africanisation des fonctions et des structures », qui restent dans un premier temps très fragiles.
Le schéma européen n’a pas été réellement assimilé dans les esprits. En conséquence, ce phénomène ouvre la porte à des régimes politiques tels que l’autoritarisme ou le népotisme (2), souvent doublés de conflits ethniques et de corruption, et qui n’ont guère été favorables au développement et à l’indépendance économique du continent, en particulier dans la région dite de l’Afrique subsaharienne. C’est notamment ce que remarque Gérard Chaliand lorsque ce dernier écrit « Ce qui, par contre, échappe entièrement à l’Afrique, c’est le pouvoir économique. L’Afrique est tributaire de l’extérieur pour l’aide publique, les travaux d’infrastructures essentiels, pour l’ensemble de l’exploitation de ses ressources minières. Dépendance et pauvreté sont communes à tous les pays subsahariens (…)» (3). Les pays décolonisés sont en effet restés pour la plupart dépendants de leur ancienne métropole. Le cas du Sénégal offre « l’image même de la dépendance économique », dans ce sens où la France est restée présente de nombreuses années après l’indépendance du Sénégal, et continue d’assurer dans une certaine mesure l’aide au secteur public mais également au financement de l’assistance technique et de l’aide financière. On remarque également une cooptation des élites.
De plus, après la décolonisation et comme la plupart des pays en voie de développement, les pays africains ont rapidement fait face à un surendettement. Ces situations ont conduit à la mise sous tutelle de ces Etats, comme l’Ethiopie dans les années 1993-1994 ou le Kenya, dans les années 1990. Le FMI et la Banque mondiale cherchent à tout prix « l’assainissement financier », ainsi que la fin des distorsions des économies, souvent dues à l’extraction pure et simple de matières premières ou aux monocultures agricoles, une situation qui est commune à plusieurs pays d’Afrique. Cette volonté passe par le démantèlement des rentes, la flexibilité et l’ouverture aux marchés mondiaux. Or les pratiques des institutions de Bretton Woods réduisent de manière considérable la marge de manœuvre des Etats et accroissent leur dépendance.
Enfin, l’Afrique cesse d’être une « chasse gardée » occidentale dès 1975. En effet, cette année marque le retrait du Portugal du continent, et ouvre la porte à la Russie et aux Etats-Unis. Même si « l’enjeu africain » n’est pas dans un premier temps primordial pour les Etats-Unis, le président John Fitzgerald Kennedy envoie dès 1960 des missions diplomatiques et culturelles en Afrique. C’est en 1975 que le continent africain rentre dans « le champ de stratégie » des deux grands, avec l’évènement majeur qu’a été la double initiative soviétique en Angola et en Ethiopie.
Tandis que « l’enjeu africain » apparaît plus d’ordre politique qu’économique de 1960 à 1990 – bien que le successeur de J. F. Kennedy, Lyndon B. Johnson, ait choisi à cette époque de se concentrer sur un petit nombre de pays stratégiques afin d’assurer leur ouverture aux capitaux américains comme le Liberia ou le Kenya, en dépit de l’engagement des Etats-Unis dans la guerre du Vietnam -, la fin de la Guerre froide marque un tournant dans le « champ de stratégies » des pays du monde unipolaire.
Le début des années 1990 a constitué un tournant dans les relations internationales par l’affirmation d’une nouvelle compétition économique mondiale
L’Afrique subsaharienne est ainsi, depuis la chute de l’URSS, le théâtre de guerres économiques entre les puissances occidentales, surtout les Etats-Unis, et les puissances non occidentales développées ou émergentes, bénéficiaires de la globalisation, qui se sont affirmées sur la scène internationale et remettent en cause l’ordre hiérarchique dominé par l’Occident. Il s’agit du Japon, de la Chine, de l’Inde et du Brésil.
Ce nouveau rapport de force se traduit par une course aux approvisionnements en matières premières qui implique les firmes multinationales mais aussi les réseaux diplomatiques des pays d’origine dans les stratégies de conquête des puissances étrangères.
L’Afrique subsaharienne constitue un véritable puits à hydrocarbures. A titre d’exemple, les Etats-Unis et la Chine s’opposent pour l’accaparement des ressources en pétrole en Angola au niveau des exportations, l’Angola étant l’un des premiers pays producteurs de pétrole en Afrique avec le Nigeria. En effet, la moitié de la production est exportée aux Etats-Unis, tandis qu’un tiers est vendue à la Chine. Les pays étrangers entrent aussi en concurrence dans l’acquisition de gisements. Sinopec (China Petroleum and Chemical Corporation), groupe pétrolier chinois, a ainsi obtenu un droit d’exploitation en Angola au détriment des entreprises françaises Shell et Total en 2004 en échange de prêts évalués à 2 milliards de dollars pour soutenir la construction d’infrastructures. Ces emprunts sont remboursés par les exportations de pétrole. De plus, les exportations et extractions de ressources africaines ne concernent pas que les hydrocarbures. Les métaux sont également des objets de convoitises. Ainsi, l’Afrique australe, qui comprend notamment l’Afrique du Sud et la Namibie, en regorge et produit à elle seule 75% de la production diamantifère, 70% de la production de cobalt, 50% de la production de vanadium, 70% de la production d’or, 20% de la production de cuivre et d’uranium, et 46% de la production de platine.
De plus, les États africains constituent des marchés de consommation à fort potentiel pour les sociétés étrangères par leur nombre croissant et l’élévation du niveau de vie qui a contribué à l’essor d’une importante classe moyenne. Selon une étude de la CFAO (Compagnie française de l’Afrique occidentale) publiée le 15 octobre 2015, les classes moyennes africaines regrouperaient 78 millions d’individus en 2010 et connaîtraient une croissance de 187% d’ici 2040. La Chine, comme les États-Unis, a d’ores et déjà choisi d’y commercialiser différents biens manufacturés et services. Les deux puissances s’opposent notamment sur le marché des télécommunications et plus particulièrement sur le celui des applications pour smartphones. La Chine a ainsi développé l’application de messagerie WeChat en Afrique du Sud, au Kenya, en Angola et au Nigeria afin de contrer le monopole de Facebook. En effet, à ce jour le réseau social domine largement avec 12 millions d’utilisateurs sur le continent africain contre 5 millions pour l’application chinoise.
Afin de sécuriser leurs approvisionnements en ressources naturelles, les pays étrangers développent différentes stratégies d’investissements pour soutenir notamment la construction d’infrastructures. Une étude du cabinet d’audit financier Ernest and Young a ainsi montré que les IDE (Investissements Directs à l’Etranger) avaient connu une croissance de 4.7% en Afrique subsaharienne en 2013, en majorité à destination de l’Afrique du Sud, du Nigeria et du Kenya. Selon les prévisions du FMI, les investissements continueraient d’augmenter d’1,2 point en 2014. Par exemple, la firme multinationale américaine General Electric a présenté un projet d’aides financières aux États africains de 2 milliards de dollars jusqu’en 2018, comprenant des formations et des constructions d’infrastructures. Cette annonce vise avant tout à renforcer la présence des États-Unis en Afrique face au déploiement intensif de la Chine qui a par exemple soutenu l’édification d’un barrage en Ethiopie et d’un port au Kenya. En effet, depuis 2013, les échanges opérés entre la Chine et l’Afrique sont deux fois supérieurs à ceux réalisés avec les États-Unis. Les IDE participent donc à renforcer la stratégie commerciale des puissances étrangères.
Les stratégies des puissances étrangères s’accompagnent également d’un soutien diplomatique et militaire aux États africains. L’alliance diplomatique se fait notamment lors de grands sommets réunissant les chefs d’Etats africains, organisés par exemple par les États-Unis, la Chine mais aussi récemment par l’Inde. Pour concurrencer son rival asiatique, l’Inde a reçu au mois d’octobre 2015 quarante chefs d’Etat africains afin de conclure un partenariat économique promettant une aide au développement de l’éducation et des nouvelles technologies en Afrique. Le Brésil a aussi choisi de développer une coopération axée sur le développement avec les pays africains. Par ailleurs, les pays étrangers peuvent aussi soutenir indirectement l’affirmation des régionalismes africains tels que l’Union africaine, organisation intergouvernementale. La Chine a ainsi participé à la construction de son siège social au sein de la capitale éthiopienne.
Le soutien militaire des pays est un autre outil stratégique des puissances étrangères. Le Japon a établi une base militaire à Djibouti pour combattre la piraterie locale et sécuriser par là-même ses approvisionnements en matières premières. La Chine, quant à elle, a décidé de se porter garant de la sécurité et du maintien de la paix en Afrique, une ambition qui tendrait à se mondialiser. Lors de son allocution au siège de l’ONU en septembre 2015, le Président chinois Xi Jinping a annoncé l’envoi de 8 000 casques bleus en Afrique et d’une aide financière de 100 millions de dollars à l’Union africaine pour qu’elle développe une force armée. Pour Jean-Pierre Cabestan, professeur de relations internationales à l’université baptiste de Hong Kong, cette décision s’explique surtout par la volonté de développer une véritable stratégie militaire en Afrique.
Les pays étrangers ont en conséquence appliquées différentes stratégies de conquête en Afrique dont les effets peuvent cependant être remis en cause.
La plupart des économies africaines ont été touchées par la corruption et l’inefficacité dans un monde « dominé par le capitalisme occidental marqué par une détérioration des termes de l’échange ». En effet le prix des produits manufacturés des pays en développement augmente plus vite (pétrole mis à part) que le prix des matières premières africaines agricoles ou minières.
Pour beaucoup de « visionnaires extérieurs » la solution à la situation économique de l’Afrique est l’ouverture aux IDE. Le volume des investissements étrangers en Afrique augmente de manière exponentielle. En 2013 l’Afrique a accueilli 57 milliards de dollars d’IDE. Une situation exceptionnelle quand on remarque que, la même année le volume global des IDE a chuté de 15%. Or la question qu’il convient naturellement de se poser est de savoir si les IDE participent réellement à la croissance économique de l’Afrique et aident le continent à se réapproprier ses ressources naturelles. Une réappropriation d’autant plus complexe qu’il subsiste une « vision de la contribution zéro » de la part des pays occidentaux.
Se reposer uniquement sur les IDE serait un pari risqué pour la plupart des pays d’Afrique. Dans l’ensemble l’Afrique reste un continent rentier, et la plupart des investisseurs continuent à s’orienter vers les marchés de matières premières essentiels à leurs économies, comme le Japon. On remarque cependant que les investisseurs « prennent désormais en compte l’ensemble du continent et de nouveaux secteurs » comme la banque ou les télécommunications. Cependant, comme le souligne El Hadj Kassé, ces derniers, avec les matières premières sont « gérés comme des secteurs de rentes prélevées sur l’Afrique […] (et) ce sont des moteurs de croissance très peu transformateurs des économies africaines […] ». Kassé met avant l’importance pour le continent africain de développer une approche endogène47 de développement, avec des IDE participant à l’émergence de savoir-faire locaux et le développement, par exemple, de l’agri-business.
En outre une réelle appropriation du potentiel économique est d’autant plus ralentie que le rapport de force reste déséquilibré entre le continent et les pays investisseurs. Un déséquilibre intrinsèque à la présence et la tutelle de la Banque Mondiale et du FMI, dont l’ingérence économique et l’orientation politique favorisent la mainmise des puissances étrangères sur les ressources africaines. Une mainmise institutionnelle et étatique d’autant plus cruciale pour ces derniers car elle constitue, en théorie tout du moins, un frein à des actions multilatérales concertées « à l’image de l’OPEP ».
Ce déséquilibre a également trait au manque d’experts dans les pays les plus pauvres de l’Afrique subsaharienne : « la plupart (des pays) n’ont pas les moyens de négocier d’égal à égal avec des multinationales qui s’entourent de bataillons de juristes, d’avocats, de géologues. Il faut cinq ans pour former un bon expert (…) », un phénomène auquel s’ajoute la cooptation des élites par les ex-métropoles. Un déséquilibre qu’il semble difficile de résorber même si des structures sont mises en place telle que une aide de facilité juridique en 2008 afin d’aider les gouvernements lors de la signature de contrats avec des entreprises étrangères.
L’Afrique subsaharienne présente différents enjeux géopolitiques hérités de la colonisation et géoéconomiques constituant un objet de rivalités à dimension politique et économique pour les puissances étrangères. La conquête du territoire africain pour l’accaparement de ses ressources a été fortement développé pendant l’ère coloniale. Cependant, les processus de décolonisation n’ont pas été sources de développement économique et politique pour les pays africains. Néanmoins, l’essor de guerres économiques en Afrique subsaharienne a participé à revaloriser le territoire par l’exploitation des ressources, réaffirmant ainsi des rapports néocoloniaux au sein desquels les Etats africains dépendent toujours fortement des puissances étrangères qui y développent des stratégies de conquête commerciale fortes. D’une façon plus générale, les guerres économiques ont également réaffirmé le rôle de l’Etat sur la scène internationale par rapport aux firmes multinationales. Certains Etats africains semblent diminuer leur dépendance par la diversification de leur économie. Le Rwanda a notamment développé son agro-industrie par la production de liqueurs qui connait une croissance de 7,5% en 2015. L’Afrique subsaharienne semble donc être un territoire en constant renouvellement.
Oriane Lesiak
Adèle Mémier
(1) Gérard Chaliand, L’enjeu africain. Géostratégie des puissances, Seuil, 1980
(2) Abus de l’autorité politique qui vise à favoriser les membres de la famille du gouvernant
(3) Gérard Chaliant, ibid
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