Le 31 décembre, Angela Merkel exprimait ses voeux pour l’année à venir. Elle a abordé le sujet des réfugiés en ces termes : « la grande tâche actuelle qui consiste à accueillir et à intégrer tant de gens est une chance pour demain ». Le soir même, nuit de la Saint Sylvestre, des agressions ont été commises majoritairement à Cologne, quatrième ville d’Allemagne, située à l’Ouest, mais aussi à Hambourg. Des rapprochements hâtifs ont été faits entre ces agressions et les flux migratoires récents. Toutefois, les auteurs de ces actes ne sont pas issus de ces récents mouvements – seulement deux Syriens étaient concernés – mais sont majoritairement des migrants économiques provenant des pays du Maghreb déjà connus de la police. Malgré l’infirmation du lien entre réfugiés et agressions le soir de la Saint-Sylvestre, les voix anti-réfugiés et anti-islam se sont encore plus fait entendre.
Les conséquences de ces agressions sont diverses. Tout d’abord, Angela Merkel a choisi de durcir sa politique à l’égard des demandeurs d’asile : s’ils ont été condamnés, même pour une simple peine de prison avec sursis, leurs demandes seront rejetées. Les demandes des citoyens de pays qualifiés de « pays sûrs » (1) – comme le Maroc, l’Algérie ou la Tunisie – seront étudiées plus rapidement pour accélérer le processus. Ces demandeurs d’asile auront moins de chance de se voir accorder le droit d’asile. La surveillance vidéo ainsi que les contrôles d’identité doivent être renforcés. Ces violences et la politique d’accueil d’Angela Merkel ont également favorisé le parti d’extreme-droite allemand, l’Alternative für Deutschland (l’Alternative pour l’Allemagne ou AfD). Le président de la CDU dans la Hesse, Volker Bouffier, souligne le fait que « les gens commencent à douter ». La représentation et l’image que les Allemands ont des réfugiés évoluent. C’est pourquoi la politique d’Angela Merkel est de plus en plus critiquée et que les voix anti-réfugiés et anti-islam se font de plus en plus entendre. Lors des sondages effectués en janvier au sujet des élections régionales du 13 mars 2016, l’AfD ne cessait de gagner des voix malgré les propos tenus par sa dirigeante Frauke Petry (2). Il semblerait que l’AfD possède la capacité d’ajuster son discours en fonction des circonstances.
Ce parti a été fondé en 2013 par Bernd Lucke dans le but de s’opposer aux politiques de sauvetage économique de l’Union européenne. L’AfD est anti-euro. Elle est pour la suppression de la zone euro et souhaite le retour des monnaies nationales. Pour elle, une monnaie commune entre l’Allemagne et des pays membres n’est envisageable que si ces pays, moins nombreux, sont pour la stabilité de la monnaie et ont une balance commerciale excédentaire. Une des critiques principales de la zone euro est le fait que les charges demandées aux pays excédentaires pour soutenir les pays déficitaires sont trop importantes. L’hétérogénéité des pays est un handicap pour la zone monétaire. L’AfD soutient le principe du no bail out c’est-à-dire l’interdiction de garantir les dettes d’un État membre. Elle est pour le respect strict du traité de Maastricht et pour la limitation du rôle de la Banque Centrale Européenne. En juillet 2015 se produit un changement à la tête du parti : Frauke Petry devient présidente avec 60% des suffrages évinçant le fondateur du parti, Bernd Lucke.
Qui est Frauke Petry ? Elle est née et a grandi en Saxe, Land de l’Allemagne de l’Est, où les idées d’extrême droite sont particulièrement présentes. Elle s’installe à l’Ouest après la chute du mur de Berlin – elle a alors 14 ans – y passe son baccalauréat. Après ses études de chimie, elle retourne en Saxe pour fonder son entreprise. Elle y vivait avec son mari, pasteur, avec lequel elle a eu quatre enfants. La séparation de Frauke Petry et de son mari, elle qui semblait avoir une vie de famille modèle, a fait du bruit. Elle est désormais avec le député européen, membre de l’AfD, Marcus Pretzell. Dès 2014, ses idées sont orientées contre les réfugiés présents sur le sol allemand alors que les autres membres du parti sont centrés sur la politique anti-euro. Elle se positionne pour la fermeture des frontières. Elle dénonce les violences des réfugiés mais oublie volontiers celles à l’encontre de ces derniers. Voici le lien vers un article en allemand sur l’évolution de la violence en Allemagne. Cependant, ses erreurs médiatiques et sa vie familiale l’empêchent de s’imposer de manière incontestable. Ce changement de présidence correspond également à un changement de cap dans les idées que défend le parti. Cela a produit un virement à droite de la politique du parti. Surfant sur le flux des réfugiés qui commence en septembre 2015, l’AfD alimente l’inquiétude des Allemands vis-à-vis de l’intégration d’un million de personnes.
Le renforcement de l’AfD sur le spectre politique allemand va de pair avec un affaiblissement relatif de la CDU. En effet, Angela Merkel refuse la mise en place de quotas pour les réfugiés en invoquant le devoir historique et moral de l’Allemagne. L’opposition à laquelle Angela Merkel fait face se situe à l’intérieur de son parti – les candidats aux élections régionales du 13 mars en sont l’exemple (3) – comme à l’extérieur de son parti. Une partie de la CSU – équivalent bavarois de la CDU – s’oppose à la politique de la chancelière. Le ministre-président de la Bavière, Horst Seehofer, est l’exemple le plus significatif.
Le succès de l’AfD parait d’autant plus important qu’un des partis traditionnels allemands chute dans les sondages : le parti social-démocrate d’Allemagne, le SPD. Le président de ce dernier et vice-chancelier de la grande coalition depuis 2013, Sigmar Gabriel, est peu populaire. Il n’a séduit que 74% des votants sociaux-démocrates pour la présidence du parti alors qu’il n’avait pas de concurrent. Il a du mal à s’affirmer et passe pour le suiveur de la politique d’Angela Merkel. Cette dernière lui complique la tache dans la mesure où elle mène des politiques défendues habituellement par la gauche : congés parentaux, suppression du service militaire ou accueil des réfugiés. Actuellement, Angela Merkel prend de plus en plus de place à gauche de l’échiquier politique laissant de facto la place à droite pour l’AfD. Le SPD est également dans la tourmente pour les élections de 2017. Le candidat pour les élections n’est pas encore désigné. Pour beaucoup, Sigmar Gabriel n’est pas le candidat idéal. Frank-Walter Steinmeier, le ministre des affaires étrangères, fait de plus en plus parler de lui.
Les élections régionales du 13 mars 2016 ont été particulièrement révélatrices de ces changements. Treize millions d’Allemands ont été invités à voter dans trois Länder : en Bade-Wurtemberg, en Rhénanie-Palatinat et en Saxe Anhalt. Ces élections se sont tenues dix-huit mois avant les élections fédérales de 2017. Il s’agissait donc d’un indice révélateur pour tous les partis. Le contexte des élections était marqué par l’accord conclu entre l’Union européenne et la Turquie (4) et par les violences à l’encontre des foyers de réfugiés. Un grand vainqueur semble ressortir de ces élections : l’AfD. Les deux grands partis, la CDU et le SPD, sont fortement remis en cause.
Bilan des élections :
Dans le Bade-Wurtemberg, Land de l’Ouest dirigé depuis 2011 par l’écologiste Winfried Kretschmann, les Verts ont remporté les élections avec 30,3% des suffrages. La CDU arrive en deuxième position avec 27% des suffrages devant l’AfD qui remporte 15,1% des suffrages et la SPD avec 12,7% des suffrages. Une coalition entre les Verts et la CDU a été mise en place à la suite des élections. Winfried Kretschmann, proche de la chancelière, s’est vu confirmer par ces élections. En 2011, son élection s’était effectuée dans l’émoi provoqué par la catastrophe de Fukushima. En 2016, sa légitimité est plus importante : certains industriels qui craignaient sa politique en 2011 le soutiennent désormais. Il a réussi à rassembler derrière lui un éventail de soutiens plus important.
En Rhénanie-Palatinat, le SPD arrive en tête (36,2%) et met en place une coalition avec le FDP (6,2%) et les Verts (5,2%), coalition dirigée par Malu Dreyer (SPD). La CDU remporte 31,8% des suffrages et l’AfD 12,6%.
En Saxe-Anhalt : La CDU remporte le plus de suffrages (29,8%), devant Die Linke (5) (16,3%), le SPD (10,6%) et les Verts (5,2%) L’AfD fait un score record : 24,3% des suffrages. La coalition entre la CDU, le SPD et les Verts a à sa tête Reiner Haseloff, issu de la CDU.
L’AfD est plus implantée à l’Est qu’à l’Ouest. Toutefois, elle commence à s’installer à l’Ouest de manière importante. Alors que ces trois Länder s’opposent dans leurs caractéristiques (6), l’augmentation des votes pour l’AfD est une réalité partagée. Les représentants du parti sont désormais présents dans huit des seize parlements régionaux. La place qu’occupe l’AfD sur la scène politique allemande est d’autant plus significative que ce parti est récent. Ces résultats laissent entrevoir l’entrée de l’AfD au Bundestag – le parlement allemand – lors des élections fédérales de 2017 (7).
Quelles sont les raisons de ce vote massif pour l’AfD ? Des témoignages ont été recueillis par Le Monde dans la ville de Magdeburg en Saxe-Anhalt. Différents éléments ressortent de cette étude : le vote pour l’AfD est plus lié à une insatisfaction, à une générosité perçue trop forte envers les réfugiés par rapport aux Allemands. Le lien avec le racisme et l’islamophobie est loin d’être immédiat pour un certain nombre d’électeurs. L’AfD est perçue par ses électeurs comme un parti qui ose dire les choses telles qu’elles sont. De nombreuses personnes se sont déplacées pour soutenir l’AfD et exprimer leur mécontentement alors qu’habituellement ces personnes ne votent pas. Combiné au fait que l’AfD n’avait pas encore de programme (8) lors des élections, leur vote peut être perçu comme un vote sanction pour les autres partis ou comme un manque d’attrait de ces derniers. Cette victoire cache pourtant des divergences internes à l’AfD au sujet des réfugiés entre l’aile modérée et l’aile soutenue par Frauke Petry. L’aile modérée, menée par le libéral Jörg Meuthen, souhaite non pas supprimer mais modifier le droit d’asile et réguler l’afflux des réfugiés. Frauke Petry s’oppose clairement aux réfugiés et à l’Islam. Certains, comme Björn Höcke, sont ouvertement en contact avec le mouvement PEGIDA, c’est-à-dire les Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident, ou avec le Parti national-démocrate d’Allemagne (NPD) souvent qualifié de néo-nazi et qui défend des idées racistes, antisémites et révisionnistes.
Ces élections sont également caractérisées par une dispersion des voix entre les partis, plus nombreux. Cette dispersion rend plus difficile la mise en place de coalitions. Ces dernières peuvent rassembler des partis très divers ou trop nombreux (SPD-FDP-Les Verts en Rhénanie-Palatinat) limitant ainsi les sujets d’accord et la possibilité de mener des politiques. L’échiquier politique allemand est donc en cours de modification ou de perturbation.
Les résultats de ces élections ont conduit à des changements relatifs de la politique de la chancelière. Un accord gouvernemental concernent l’intégration des réfugiés a effectivement été trouvé entre les trois partis de la coalition. Cet accord mentionne que l’apprentissage de la langue allemande est une condition pour l’obtention d’un titre de séjour. Par ailleurs, les réfugiés pourront bénéficier d’un titre de séjour correspondant à la durée de leur formation – dans le but de les intégrer sur le marché du travail – mais en seront privés s’ils arrêtent cette formation. Des critiques émergent au sujet de l’attribution d’un lieu de résidence aux réfugiés dans la mesure où cela peut freiner les dynamiques intégratices en limitant les déplacements et en séparant les familles. D’un point de vue politique, cet accord est un signe d’union dans un contexte de remise en cause des différents partis traditionnels.
Carole Cocault
(1) “sichere Herkunftsstaaten”
(2) Fin janvier, elle a estimé que la police devait « pouvoir faire usage d’armes à feu si nécessaire » contre les réfugiés illégaux qui passaient la frontière, y compris contre les femmes et les enfants a précisé la vice-présidente, Beatrix von Storch.
(3) Les deux candidats de la CDU aux élections régionales en Bade-Wurtemberg et Rhénanie-Palatinat ont pris leur distance avec Angela Merkel. Ils avaient peur d’être pénalisés par sa politique d’accueil des réfugiés. Leur échec peut donc être analysé comme une victoire de la politique de la chancelière.
(4) Cet accord est controversé au sein de la grande coalition. Sigmar Gabriel a exprimé son opposition à cet accord et met en avant ses limites.
(5) « La Gauche » : parti anti-libéral qui prône le socialisme démocratique
(6) Le Bade-Wurtemberg et la Rhénanie-Palatinat sont de riches Länder de l’Ouest, le premier est industriel, le second agricole. La Saxe-Anhalt, située à l’Est, est une région pauvre peu dynamique, ce qui explique le départ des jeunes vers les régions les plus industrialisées.
(7) L’AfD n’y été pas parvenue en 2013 car pour rentrer au Bundestag, les partis doivent recueillir au moins 5% des suffrages.
(8) Ce n’est que lors d’un Congrès du parti au mois d’avril que le programme a été établi. Les idées qui ressortent de ce Congrès sont les suivantes : interdiction des minarets, des appels du muezzin, des symboles de la domination islamique, du voile.
Sources :
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