La restitution des oeuvres d’art : le début d’une nouvelle politique culturelle ?
Les imposantes statues moaï vont-elles bientôt quitter les musées européens et retourner sur l’île de Pâques ? Les frises du Parthénon d’Athènes conservées par le British Museum vont-elles enfin retrouver le sol grec ?
Statue Moaï conservée au Musée du Quai Branly, elle représente l’esprit d’un ancien membre de l’île
Ce sont des questions posées suite aux revendications de nombreux peuples qui se sentent spoliés de leur patrimoine. Depuis le discours du Président Emmanuel Macron à Ouagadougou en novembre 2017, dans lequel il a exprimé sa volonté de rendre aux peuples africains leurs objets d’art, une nouvelle politique culturelle a vu le jour. C’est sur cette question du retour des oeuvres qu’ont travaillé pendant un an Bénédicte Savoy, du collège de France et Felwine Sarr, de l’Université de Saint-Louis au Sénégal. Tous deux ont été chargés par le Président français d’estimer le nombre d’oeuvres qui seraient concernées par un éventuel retour. Ce vendredi 23 novembre, un an plus tard, un rapport présentant leurs conclusions à été remis. Quelles sont-elles et doit-on s’attendre à un retour massif des oeuvres d’art dans leur pays d’origine, au grand dam – comme le craignent certains – des musées français ?
Tout d’abord un chiffre ressort de cette étude : 90 000 objets d’Afrique Sub-saharienne sont aujourd’hui éparpillés dans les différents musées français, dont environ 70 000 pour le seul musée du Quai Branly-Jacques Chirac. C’est majoritairement au début du XIXe que ces objets ont rejoint les étagères de nos musées sous prétexte de faire l’objet d’études scientifiques, ou simplement comme butin. La question de la restitution vient du fait que les peuples africains ne peuvent pas retrouver leur culture à travers un patrimoine historique national, celui-ci se trouvant dans les musées européens. Il y a donc une asymétrie frappante selon Felwine Sarr, car les Africains connaissent mieux l’histoire de l’Europe que la leur. Certains dénoncent un vol de culture, tandis que d’autres parlent d’acquisitions marchandes, mais la problématique qui se pose aujourd’hui porte sur les modalités liées au retour de ces objets.
Le code du patrimoine français repose sur trois axes majeurs : l’inaliénabilité, l’imprescriptibilité et insaisissabilité – en clair, on ne touche pas au patrimoine culturel français. Une loi de 1970 interdisant le commerce d’objets volés permet déjà le retour de certaines oeuvres d’art, mais uniquement celles entrées dans les musées après 1970, ce qui ne règle donc pas la question actuelle. Dès lors, le rapport propose une modification du Code du patrimoine pour permettre le retour de ces oeuvres.
Longtemps, les musées français ou européens ont justifié leurs refus par l’incapacité des pays revendicateurs de les recevoir dans des infrastructures appropriées. Mais cette justification est de moins en moins fondée face à des initiatives comme celle de la Grèce, qui a construit un musée au pied de la colline de l’Acropole avec des emplacements spécialement prévus pour recevoir les frises des Panathénées, emportées par un diplomate anglais au début du XIXe siècle. Bien entendu la protection et la préservation de ces oeuvres est un réel enjeu, mais cela ne saurait que retarder le retour des oeuvres.
Le Président Emmanuel Macron a ouvert la voie aux restitutions et a notamment promis de rendre au Bénin 26 oeuvres d’art, tout comme le gouvernement britannique a rendu – de façon temporaire – des fresques en bronze au Nigeria. Cela montre toute l’ambivalence des actions menées. S’agit-il de rendre des oeuvres ou seulement de les prêter de façon temporaire ?
Le directeur du Musée du Quai Branly, Stéphane Martin, s’oppose à un retour irréversible dans les pays d’origine, mais préférerait plutôt que soit mise en place une circulation des oeuvres et une aide à la création de nouveaux lieux d’exposition de ces objets. Pour les États qui demandent à retrouver leur patrimoine, l’optique de recevoir des prêts n’est pas satisfaisante, car cela reviendrait à prêter à César, ce qui appartient à César. Au delà de simples objets, il faut considérer toute la symbolique qui leur est associée. Pour beaucoup, ces oeuvres ont été emportées en Europe au cours de la période coloniale, aujourd’hui encore controversée et douloureuse pour les peuples anciennement colonisés. Ainsi, il ne s’agit pas seulement de retrouver des objets, mais bien plutôt de constituer une mémoire et un passé riches d’un patrimoine antérieur à l’arrivée des Européens.
Il faut tout de même signaler que même si 90 000 objets d’arts africains sont aujourd’hui retenus dans des musées français, et l’on peut imaginer un chiffre similaire dans d’autres pays européens, certaines oeuvres ont déjà fait l’objet d’une restitution. Ainsi en 2007 la France remettait des têtes de soldats maories à la Nouvelle-Zélande, ce qui a rendu nécessaire le vote d’une loi permettant de contourner les trois axes du Code du patrimoine déjà évoqués. C’est resté un cas exceptionnel. En 2011, à l’initiative de Nicolas Sarkozy, des manuscrits coréens, pris lors d’une expédition punitive en 1866, ont été rendus à la Corée du Sud avec l’établissement d’un prêt renouvelable tous les cinq ans. D’autres oeuvres ont été rendues, mais elles sont bien peu nombreuses. Les musées européens semblent très attachés à ces objets qui proviennent pourtant de cultures qui leur sont la plupart du temps étrangères. Comment cela s’explique t-il ?
Pour l’architecte et spécialiste de la Grèce antique François Queyrel, le vol des frises du Parthénon entre dans un processus plus large visant à créer une généalogie des nations européennes. Au XIXe siècle, les États européens essayent de recréer une ascendance directement issue de la Grèce antique dûe à l’admiration qu’ils ont pour ses savoirs, ses philosophes et son art plus généralement. Aussi, Athènes est pensée comme l’antithèse de Rome, ce qui permet de construire une identité européenne qui s’éloigne du christianisme. Quant aux objets d’art africains, sud-américains ou orientaux, ils ne relèvent pas des mêmes appréhensions. Ces arts sont plus éloignés de l’art européen et donc éveillent un intérêt culturel chez les Européens animés par la volonté de faire de l’Europe le grand musée du monde, un centre culturel rassemblant des objets provenant de toutes les cultures. Il y a le désir de récolter des oeuvres des empires coloniaux pour ensuite les exposer aux yeux des Européens qui la plupart du temps n’avaient aucune idée de la culture des autres peuples. Ainsi, si autrefois l’on pouvait justifier la présence de ces objets sur le sol européen par la volonté de sensibiliser les populations à la diversité d’un monde colonial lointain, aujourd’hui cela n’a plus le même sens. Certes il y a toujours une envie de découverte et une curiosité qui invitent à aller observer ces objets mais l’on prend conscience qu’ils appartiennent à des cultures étrangères.
Forts de cette idée et au sein du processus de mondialisation qui met déjà en contact les différentes cultures du monde, on pourrait en effet imaginer que la question des restitutions pourrait se résoudre par la mise en place d’une plus grande mobilité des oeuvres. Les prêts entre musées existent déjà, mais ils pourraient être réalisés à plus grande échelle. Les oeuvres d’art transmettent une histoire et portent en elles l’héritage d’une culture et d’une pensée, aussi leur circulation aux quatre coins du monde leur donnerait une fonction « d’objets ambassadeurs ».
En définitive, si les restitutions font l’objet de débats de plus en plus médiatisés du fait de la multiplication des revendications, on peut s’attendre à ce que des compromis soient trouvés au cours des prochaines années avec comme objectif final, un retour des objets dans leurs pays d’origine. Le rapport remis par les deux chercheurs devrait permettre à terme une révision du Code du patrimoine pour permettre la mobilité des oeuvres d’art. Si Emmanuel Macron s’engage au nom de la France, il invite aussi les autres chefs d’Etat européens à se lancer dans le processus des restitutions, car dans le dialogue des cultures, encore faut-il que les différents partis soient d’accord pour discuter.
Quentin Defaut
Sources :
Presse et émissions culturelles
France Culture, “Restitutions d’œuvres d’art : un rapport suggère un accord entre la France et des pays africains”, le 22/11/2018 par Audrey Dumain
France Culture, “Le musée de l’Acropole à Athènes : un musée dans l’attente”, le 20/11/2018
France culture, “Restitutions, appropriation : à qui appartient la culture ?”
https://www.franceculture.fr/dossiers/restitutions-appropriation-a-qui-appartient-la-culture
France Culture, “Restitution d’œuvres d’art : ces biens culturels que la France a déjà rendus”, le 23/11/2018 par Audrey Dumain
France Culture, “le cas des objets d’art africains”, le 19/11/2018
20 minutes, “Art africain: Le président du Musée du Quai Branly défavorable à la restitution des œuvres”, le 28/11/2018
RFI Afrique, “Après le discours d’Emmanuel Macron, quelles avancées ?” le 30/11/2018
http://www.rfi.fr/afrique/20181130-discours-macron-ouagadougou-restitution-oeuvres
CNN, “British Museum to return Benin bronzes to Nigeria”, par Kieron Monks, le 26/11/2018
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