En octobre 2018, l’assassinat du journaliste saoudien dissident Jamal Khashoggi par les services de sécurité d’Arabie Saoudite a profondément heurté la communauté internationale et déclenché de vives critiques à l’égard du royaume de la Péninsule Arabique. Cette affaire a également mis en lumière le supposé commanditaire de l’assassinat : Mohammed ben Salmane, souvent appelée MBS, un homme qui a imposé sa vision au Royaume saoudien.
Qui est MBS ?
Mohammed Ben Salmane (MBS) est le fils de Salman ben Abdelaziz Al Saoud, le roi d’Arabie Saoudite, et le petit-fils de Ibn Saoud, le fondateur du royaume en 1932. Il a étudié le droit et la théologie sunnite et se distingue par son jeune âge : il est né en 1985.
MBS est depuis juin 2017 le prince héritier d’Arabie Saoudite, après que son cousin et rival Mohammed Bin Nayef a été évincé par le roi. Néanmoins, on peut considérer qu’il est véritablement l’homme fort du pays depuis 2015, année durant laquelle il est devenu Ministre de la défense et Président du Conseil des affaires économiques et du développement d’Arabie Saoudite.
Pour asseoir son autorité dans un royaume qui compte plus de 4000 princes, MBS s’efforce d’éliminer tous ses adversaires politiques. Un des actes fondateurs de cette démarche est la purge du Ritz-Carlton. Entre Novembre 2017 et Janvier 2018, plus de 200 membres de l’élite saoudienne, dont Walid Ben Tahal, plus grande fortune du royaume, ont ainsi été séquestrés dans l’hôtel Ritz-Carlton de Riyad. La raison ? Ils auraient été impliqués dans de très vastes affaires de corruption. Pour qu’ils soient libérés, MBS a imposé à chacun de payer une rançon faramineuse: au total, plus de 110 milliards de dollars, soit le PIB de l’Ukraine. Avec ce coup de force, MBS a démontré son pouvoir et a décrédibilisé ses adversaires aux plus hauts sommets de l’Etat, de quoi lui laisser plus de manœuvre dans sa politique de réforme de l’Arabie saoudite, et notamment le plan Vision 2030.
L’ambitieux plan Vision 2030
En 2016, en tant que Président du Conseil des affaires économiques et du développement de l’Arabie Saoudite, MBS a mis en place le programme économique Vision 2030. L’objectif de ce programme est simple : diversifier l’économie de l’Arabie Saoudite afin de réduire sa dépendance au pétrole et à ses cours fluctuants. Ainsi, la chute du prix du baril de pétrole entre 2014 et 2016 de 110 à 35$, due au ralentissement de la croissance des pays émergents et au développement du pétrole non conventionnel (1) américain, a engendré une baisse substantielle des recettes du royaume. Le pétrole représentait en effet à l’époque 90% de celles-ci. Depuis 2014, l’Arabie Saoudite est par conséquent déficitaire et a notamment enregistré en 2016 un déficit record de 80 milliards de dollars.
Pour remédier à ce déficit, le programme Vision 2030 vise d’abord à instaurer un budget étatique équilibré, grâce à la réduction des dépenses publiques et la mise en place de taxes, comme une TVA de 5%.
En outre, Vision 2030 comprend de très lourds investissements pour créer des emplois, le chômage affectant près de 13% de la population saoudienne, et dynamiser l’économie du Royaume. MBS mise notamment sur les énergies renouvelables avec la création de gigantesques fermes de panneaux solaires. Le plan prévoit également la construction ex nihilo d’une quinzaine de villes nouvelles dans le désert. Parmi elles, Neom, une cité ultra futuriste aussi grande que la Bretagne, supposée voir le jour en 2025 au bord de la Mer Rouge. Ces villes sont censées constituer des atouts pour attirer des ressortissants étrangers et stimuler le tourisme dans le pays.
Pour financer ces investissements, comme par exemple la création de Neom qui coûte à elle seule environ 500 milliards de dollars, MBS avait prévu la cession de 5% des parts de la compagnie pétrolière nationale Aramco, évaluée à plus de 2000 milliards de dollars. Néanmoins, l’entrée en bourse d’Aramco, initialement prévue pour 2017, n’a toujours pas eu lieu, et l’application du plan Vision 2030 est par conséquent compromise.
Le renouveau du hard power saoudien au service du sunnisme
Depuis 2011 et l’écrasement de la « Révolution de la perle (2) » chiite au Bahreïn par l’armée saoudienne, le « Royaume des 4000 princes » développe son hard power afin d’assurer la suprématie du sunnisme au Moyen-Orient et ainsi dominer son grand rival chiite, l’Iran.
MBS est l’un des principaux instigateurs de ce renouveau du hard power saoudien. C’est lui qui en 2015 a lancé l’opération militaire « Tempête décisive » contre les rebelles houtis, une minorité chiite du nord du Yémen qui avait renversé le président yéménite Hadi et s’était emparée de la capitale Sanaa. En 2017, MBS a instauré un embargo contre le Qatar, pourtant allié historique, soupçonné de s’être rapproché de l’Iran. La même année, il emprisonne pendant quelques semaines le premier ministre libanais Saad Hariri et le force à démissionner et à condamner l’influence du Hezbollah, organisation chiite proche de l’Iran, sur le pays du Cèdre.
Pour mener à bien sa politique de hard power, MBS a fédéré autour de lui d’autres dirigeants sunnites de la péninsule arabique, comme le Prince d’Abou Dhabi Mohammed Bin Zayed (MBZ), un allié de première heure. En outre, MBS se donne les moyens de ses ambitions militaires et géopolitiques. L’Arabie saoudite a ainsi triplé ses achats d’armes entre 2013 et 2017, pour consacrer en 2017 près de 70 milliards d’euros à ses dépenses militaires. Ces chiffres astronomiques dotent l’Arabie Saoudite du second budget militaire en proportion le plus élevé au monde, soit 10% du PIB saoudien, derrière son voisin d’Oman, qui consacre, lui, 12% de son PIB à ses dépenses.
Néanmoins, malgré ces dépenses faramineuses, les résultats de la politique de hard power de MBS sont mitigés. Au Yémen, l’armée saoudienne ne parvient pas à prendre le dessus sur les rebelles houthis. En conséquence, le conflit s’enlise, au détriment de la population civile, au point de devenir la « pire crise humanitaire au monde actuellement » selon l’ONU (3). De plus, l’embargo contre le Qatar, loin d’avoir étouffé son économie, a plutôt été bénéfique pour le petit Émirat car il l’a poussé à diversifier ses fournisseurs et à développer ses propres infrastructures de transport. L’embargo a même été partiellement rompu par Abou Dhabi, pourtant fidèle allié de Riyad, afin d’importer du gaz qatari. Enfin, les élections législatives de 2018 au Liban ont abouti au maintien au pouvoir de Saad Hariri et à une nette progression du Hezbollah, qui accroît ainsi son emprise sur le pays
La seule réelle satisfaction de MBS est le soutien inconditionnel de Donald Trump. Alors que l’administration Obama avait quelque peu modéré les liens avec l’allié saoudien, Trump a réaffirmé l’alliance entre Arabie Saoudite et Etats-Unis fondée par le Pacte du Quincy datant de 1945. Le président Américain a ainsi brisé le rapprochement entre Etats-Unis et Iran en quittant l’Accord de Vienne de 2015, qui planifiait la dénucléarisation de la République islamique en échange de la levée des sanctions économiques. Dans le même temps, les Etats Unis ont vendu plus de 1 milliard de dollars d’armes à l’Arabie Saoudite en 2018. L’affaire Khashoggi n’a aucunement remise en cause les relations entre les deux pays et a plutôt mis en lumière la bienveillance de Trump à l’égard de MBS. Néanmoins, il faut souligner un bémol de taille : le retrait programmé des forces américaines du sol syrien, qui va laisser champs libres à l’armée russe pour pérenniser le régime de Bachar-al-Assad. Or, l’Arabie Saoudite désire depuis quelques années renverser ce régime soutenu par l’Iran.
Des progrès démocratiques et une ouverture culturelle en trompe l’œil
Au moment de sa nomination, MBS apparaissait comme un chef d’Etat jeune, moderne (selon les standards de l’Arabie saoudite) et prônant un islam modéré, quitte à rompre partiellement avec les principes rigoristes de l’islam wahhabite indissociable du royaume des Saoud.
Cette posture a été suivie d’actes forts. MBS a ainsi autorisé les divertissements, comme le cinéma et les concerts, et a considérablement réduit les pouvoirs de la « police des mœurs ». Cette dernière perd ainsi en 2016 ses prérogatives exécutives et son rôle d’intervention sur la voie publique, ne gardant qu’une fonction de sauvegarde de la santé morale et religieuse dans l’espace public et une compétence de signalement des contraventions observées à la Police d’État » De plus, MBS a prolongé la politique en faveur du droit des femmes entamée par l’ancien roi Abdallah au début des années 2010. Il leur a par exemple accordé le droit de conduire en 2018 ; l’Arabie saoudite était le dernier pays au monde où les femmes étaient privées de ce droit. Ces mesures, en plus d’être des signes d’ouverture, sont cruciales pour MBS car elles créent un nouveau levier de développement économique et lui attirent la sympathie de la jeunesse saoudienne c’est-à-dire les moins de 30 ans, qui représente 2/3 de la population du Royaume.
Néanmoins, ces progrès sont trompeurs, et ne parviennent pas à cacher la nature autoritaire du régime saoudien. Ainsi, le Royaume est classé 159 sur 167 dans le classement de l’indice de la démocratie en 2018. La charia est strictement appliquée et punit de mort l’adultère ou l’homosexualité : plus de 150 personnes ont été tuées en 2017. Les femmes font encore face à d’innombrables discriminations, et sont dès la naissances placées sous la protection d’un « mahram », un homme de leur famille sans qui elles ne peuvent réaliser presque aucune démarche. En mai 2018, des féministes qui ont demandé la fin de ce système patriarcal ont été séquestrées et torturées par les autorités saoudiennes. L’assassinat du journaliste dissident Jamal Khashoggi en Octobre dernier démontre, une fois de plus, que les saoudiens sont privés de liberté d’expression.
Ainsi, sous des airs de prince turbulent et modernisateur, MBS reste en réalité dans la droite lignée de ses prédécesseurs et continue de faire de l’Arabie Saoudite un des régimes les plus oppresseurs du monde.
Jean-Maroun Besson
(1) Pour d’avantage d’informations, voir https://www.connaissancedesenergies.org/quelle-est-la-difference-entre-petrole-conventionnel-et-petrole-non-conventionnel
(2) La Révolution de la Perle est le nom donné aux contestations d’une partie de la population bahreïni en 2011. Elles s’inscrivaient dans le cadre des Printemps Arabes et avaient pour épicentre la Place de la Perle de la capitale Manama.
(3) Déclaration de Lise Grande, coordinatrice des Nations unies au Yémen (2018)
Sources :
https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/ms.mil.xpnd.gd.zs
https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/SA/etat-d-avancement-de-la-vision-2030-en-arabie-saoudite
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