La France peut-elle sauver le Liban de l’effondrement ?

La France peut-elle sauver le Liban de l’effondrement ?

Un an après la double explosion meurtrière du port de Beyrouth, un drame qui avait fait plus de 200 morts et détruit des quartiers entiers de la capitale libanaise, le Liban continue de s’enfoncer dans le marasme économique. Plus de la moitié de la population du pays du Cèdre vit actuellement sous le seuil de pauvreté national, du fait de la chute vertigineuse de la livre libanaise et de l’hyperinflation. Selon le dernier rapport de la Banque mondiale sur le Liban, l’économie libanaise devrait se contracter de près de 10 % cette année. Ce pays, autrefois considéré comme la « Suisse du Moyen-Orient » surtout dans les années 1970 avec une croissance économique robuste, baigne aujourd’hui dans le chaos économique.

Cette morosité économique est largement imputée à la corruption et au clientélisme des principaux partis politiques libanais. Fondée sur un système politique communautaire, la répartition du pouvoir entre les communautés chrétienne, musulmane sunnite et chiite n’a fait que précipiter la déliquescence des institutions publiques libanaises. Alors que les accords de Taëf de 1990 étaient censés conduire à la suppression du confessionnalisme en favorisant la diversité dans l’administration et en créant un parlement civil, ce train de mesures ne s’est pas concrétisé. Depuis lors, la corruption ne cesse de gangrener la sphère politique, permettant aux partis politiques confessionnels au pouvoir de continuer à détourner les recettes publiques, affaiblissant ainsi les structures économiques et financières de l’État.

Depuis la catastrophe du port de Beyrouth, la crise politique et économique du Liban est devenue un enjeu majeur de la diplomatie française. Dans la foulée, Emmanuel Macron avait investi un capital politique important en se rendant à deux reprises au pays du Cèdre afin de  faire pression sur les élites politiques libanaises pour la mise en place de réformes. Or, force est de constater que l’effondrement économique persiste et que les partis confessionnels peinent toujours à former un nouvel exécutif, en remplacement du cabinet de Hassan Diab. Il est donc nécessaire d’analyser comment la France peut aider le Liban à sortir de la crise.

Ouvrir le dialogue avec l’opposition libanaise

Face à l’incapacité des partis traditionnels à former un nouveau gouvernement, à l’évidence, il est temps pour les autorités françaises d’ouvrir un dialogue avec l’opposition libanaise. Paris ne peut se permettre de rester indifférent au combat des groupes politiques de la société civile qui, depuis octobre 2019, militent sans relâche pour la fin du confessionnalisme politique. Il est donc opportun que la diplomatie française accompagne les formations politiques du centre-gauche et du centre-droit pour faire converger leurs idées, en vue des élections législatives prévues dans un an.

Parmi elles, le Bloc National, un parti de centre-droit, dirigé par Pierre Issa. Ce dernier a eu une carrière professionnelle dans les secteurs commercial et universitaire au Liban et en France. Il convient de mentionner que M. Issa a été décoré par l’ambassadeur de France au Liban en tant que chevalier de la Légion d’honneur pour ses actions de soutien à la population civile libanaise. Fermement opposé au système politique actuel, le dirigeant du parti souhaite notamment combattre l’impunité du Hezbollah libanais, qui représente selon lui la principale source de corruption dans le pays. Puissance dominante dans le pays, le groupe islamiste profite de sa notoriété en puisant ses sources de revenus en particulier dans des activités illicites comme le trafic de drogue. La branche militaire du groupe est également plus armée qu’à la fin de la dernière guerre civile libanaise, doublant notamment ses missiles balistiques en une année, ce qui lui permet de disposer d’un levier face à une armée libanaise mal équipée et mal financée.

Le défi pour l’opposition politique libanaise est de prendre en considération ces questions autour d’un front commun. L’idée d’une grande coalition centriste allant du centre-gauche au centre-droit semble réaliste bien que les membres fondateurs de Taqaddom souhaitent donner la priorité aux questions de corruption et de clientélisme, et moins à la question des armes du Hezbollah. Ainsi, afin de présenter un programme cohérent et réalisable, les partisans devraient renforcer leurs consultations et regrouper les questions fondamentales, à savoir : la souveraineté, la laïcité et les réformes socio-économiques au cœur de leur programme législatif.

Instaurer un dialogue ouvert avec le régime iranien

Les relations entre l’Iran et le pays du Cèdre ne sont pas nouvelles. Elles sont en effet vieilles de plusieurs siècles, remontant à l’avènement de la dynastie safavide. Les religieux arabes chiites de Jabal Amil, dans le sud du Liban, avaient joué un rôle important dans la diffusion du chiisme duodécimain en Iran, tout en luttant contre le califat sunnite ottoman au Levant. Ces liens étroits ont atteint leur apogée en 1982, avec la création du Hezbollah. Créé à la suite de l’intervention militaire israélienne au Liban, ce groupe islamiste affirme se soumettre aux ordres du Guide suprême iranien, le plus haut responsable politique et religieux de l’Iran.

L’implication du Hezbollah dans la dernière guerre civile syrienne en est une manifestation récente. Dès le début des troubles en 2011, le Hezbollah a répondu à l’appel du haut pouvoir iranien, jouant un rôle central dans la répression du régime de Bachar el-Assad. Dans la configuration actuelle, sa branche armée mène des opérations militaires conjointes aux côtés de l’armée syrienne. L’exclusivité politique du Hezbollah sur la scène politique libanaise est également facilitée par l’envoi régulier de fonds par les autorités iraniennes, permettant au groupe chiite de maintenir son emprise sur les institutions publiques libanaises.

Un dialogue ouvert avec le régime iranien sur son poids stratégique au Liban est ainsi nécessaire pour restaurer la souveraineté de l’Etat libanais. Ce défi est compliqué en raison de la difficulté actuelle des négociateurs américains et européens à ramener l’Iran à ses engagements nucléaires. L’arrivée au pouvoir de l’ultraconservateur Ebrahim Rahissi mine davantage l’espoir d’un dialogue stratégique avec le régime iranien – étant donné que le nouveau président iranien est connu pour être proche de la ligne politique du Guide suprême. Pour M. Rahissi, un retour de l’Iran au sein de la communauté internationale ne se fera pas au détriment de son programme balistique et de son influence régionale. Malgré cette réalité, il reste dans l’intérêt de la France de maintenir le dialogue avec le nouveau régime iranien sur la sévérité économique au Liban – qui demeure dans l’intérêt des deux puissances à résoudre. 

Mobiliser la communauté internationale 

En pleine stagnation économique du Liban, la France a organisé une conférence de levée de fonds humanitaire le 4 août. La France, l’Allemagne et l’Union européenne ont promis 145,5 millions d’euros d’aide d’urgence pour subvenir aux besoins immédiats de la population libanaise. D’autres donateurs internationaux, dont les États-Unis et le Qatar, se sont également engagés à répondre aux besoins humanitaires du Liban – portant ainsi le total des contributions annoncées à 312 millions d’euros.

Malgré cette nouvelle dynamique bénéfique, la France et la communauté internationale ne débloqueront pas l’aide structurelle nécessaire au redressement de l’économie libanaise tant que les autorités n’auront pas réformé le système économique et politique du pays. Avec la nomination du nouveau Premier ministre libanais, Najib Mikati, les élites politiques libanaises maintiennent leur intention de maintenir le pays dans la paralysie institutionnelle. Engagé en politique depuis plus de deux décennies avec une fortune estimée à 2,7 milliards de dollars – selon Forbes – M. Mikati a souvent été reproché par le peuple libanais pour des faits de corruption et des relations étroites avec les élites du Hezbollah. 

Avec le moral des Libanais au plus bas , il est à craindre que la perduration du système clientéliste et corrompu ne se transforme en guerre civile. La France et la communauté internationale doivent donc poursuivre leur mobilisation diplomatique pour éviter que l’impasse politique ne se transforme en faillite sociale. 

                                                                                                              Kareem Salem

Bibliographie

B. Barthe, Au Liban, le magnat des télécoms Najib Mikati désigné premier ministre. Le Monde. 27 juillet 2021. 

B. Barthe, Paris au chevet de l’armée libanaise, minée par la crise économique. Le Monde. 17 juin 2021.

J. Daher, Comprendre le Hezbollah, force régionale incontournable du Proche-Orient. The Conversation. 24 novembre 2017.

N. El Khoury, Liban : chronique d’un écroulement, dans Politique Etrangère, 2021/1 pp. 191-201.

B. Hourcade, Iran-Liban : une relation stratégique ?, dans Confluences Méditerranée, 2011/1 (N° 76) pp. 89-99. 

J. Maïla, Faire face à la corruption : Le défi libanais, dans Democracy Reporting International, 2020, pp 1-9.

T. Yégavian, L’avenir du Liban, Dans Etudes, 2021/5, pp. 7-17.

A. Zeina, Les formations de l’opposition se préparent pour offrir une alternative solide. L’Orient-Le-Jour. 3 juin 2021.    

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