La médiatisation du conflit israélo-palestinien et la Résistance Populaire Non-Violente moderne (à partir de 2000)                                                                           – Partie 1 : Les médias palestiniens et la Résistance Populaire Non-Violente (RPNV) : l’important écho d’un mouvement populaire

La médiatisation du conflit israélo-palestinien et la Résistance Populaire Non-Violente moderne (à partir de 2000) – Partie 1 : Les médias palestiniens et la Résistance Populaire Non-Violente (RPNV) : l’important écho d’un mouvement populaire

Cet article est le premier d’un dossier de trois intitulé « La médiatisation du conflit israélo-palestinien et la Résistance Populaire Non-Violente moderne (à partir de 2000) : un mouvement transparent ? » et dont les deux autres paraîtront prochainement.

    Dans ce premier épisode, on cherchera à comprendre la médiatisation palestinienne du mouvement de résistance pacifique. On soulèvera également les enjeux autour de la réduction de l’écho qu’ont les actions violentes, effectuées dans le but de favoriser la pensée pacifiste. Pour mieux comprendre ces phénomènes, il nous faut expliquer l’arrivée et l’importance des médias locaux dans la résistance palestinienne, qu’elle soit violente ou non. C’est la deuxième Intifada (2000 – 2005) qui marque le réveil d’une couverture médiatique palestinienne nouvelle. 

Le réveil du géant médiatique

    Depuis 1980, la couverture médiatique palestinienne du mouvement de résistance nationale est sans doute celle qui a le plus évolué. Lors de la première Intifada, la transmission d’informations intra-palestiniennes s’effectuait à partir de tracts et par les haut-parleurs des mosquées. L’OLP, alors illégale et basée à Tunis, se devait d’utiliser le fax pour communiquer avec le Commandement National Unifié. Il n’existait pas à proprement parler de porte-parole du mouvement, pour informer le peuple et relayer les faits. Lors de la deuxième Intifada, dès l’an 2000, on s’aperçoit que la donne médiatique palestinienne a changé. L’Autorité palestinienne, créée en 1993, bénéficie désormais de moyens étendus comme la télévision gouvernementale La Voix de la Palestine, ainsi que des stations radio. Ces institutions sont par ailleurs bombardées par Israël au début de la 2e Intifada, preuve de l’aura dont elles bénéficiaient selon Bernard Ravenel, dans son ouvrage La résistance palestinienne, des armes à la non-violence.

Ainsi les tracts ont été remplacés par des médias réguliers, se faisant le relais local direct des combats et des fusillades. La presse palestinienne, dans le cadre de la 2e Intifada, connut un spectaculaire essor. Ses ressources furent d’ailleurs reprises, pour certains événements exclusifs, par les chaînes étrangères. 

« Avec plusieurs sites en arabe, en anglais, en français et dans plusieurs autres langues « islamiques », le Palestinian Information Center vise le public tant palestinien que non palestinien, arabophone ou pas. » – J-F Legrain, « La e-communication du Hamas ».

Le Hamas, créé en 1987, se fait le symbole de cette nouvelle communication. Jean-François Legrain, chercheur au CNRS et à l’Institut de Recherches et d’Études sur les Mondes Arabes et Musulmans, décrit cette petite révolution dans son article « La e-communication du Hamas ». Le parti islamiste se place à la tête de plusieurs institutions médiatiques palestiniennes. Encourageant le développement du « Palestinian Information Center », site Internet créé en 1997, il se place à l’avant-garde de la transmission d’informations sur le conflit. Pour la première fois, la communication du mouvement palestinien a accès au monde, alors qu’elle se résumait, dix ans plus tôt, à des tracts distribués dans les rues. Ainsi, « Avec plusieurs sites en arabe, en anglais, en français et dans plusieurs autres langues « islamiques », le PIC vise le public tant palestinien que non palestinien, arabophone ou pas. ». Cette citation issue de l’article de Jean-François Legrain résume la nouvelle situation induite par l’essor médiatique palestinien. 

Il ne s’agit pas ici de souligner l’efficacité du Hamas en la matière, mais plutôt de comprendre l’évolution de la situation. Se plaçant à la tête d’une chaîne de télévision (Al-Aqsa satellite channel), d’agences de presse (Shebab news agency, PalTimes) et de radios populaires (Aqsa Voice, Al-Aqsa voice), le mouvement représente à lui seul le réveil de la couverture médiatique palestinienne, inexistante avant la deuxième Intifada. 

Cependant, le Hamas ne représente pas pour autant l’évolution idéologique qu’a suivie le mouvement national. Après l’échec en demi-teinte de la 2e Intifada, violente, face à la réussite de la première, pacifique, les nouveaux médias palestiniens se font peu à peu le relais d’une autre politique : la Résistance Populaire Non-Violente, (RPNV). 

La Résistance Populaire Non-Violente, étendard des médias officiels palestiniens 

    Après les déboires de la 2e Intifada, il s’agit donc désormais de donner une légitimité au mouvement de résistance palestinienne, en montrant le déséquilibre du rapport de force : il faut que « les Palestiniens adoptent une forme de résistance qui reflète la lutte d’une population non armée à la recherche de la libération nationale » 1. Ce qui avait fonctionné lors de la 1ère Intifada se doit d’être renouvelé, relayé cette fois par les nouveaux médias palestiniens. 

Les médias officiels palestiniens « cherchent continuellement à retirer du peuple palestinien la responsabilité de ses actes résistants. » – Palestinian Information Center

    Durant la 2e Intifada, la couverture médiatique de l’Autorité palestinienne, au travers notamment de La Voix de la Palestine, ne se fait pas le relais des actions violentes. Dans un article publié en 2007 par le Centre Palestinien d’Information, précédemment cité sous sa forme anglaise (PIC), on trouve une dénonciation de cette position. Ainsi, derrière le titre « Le développement des médias de la résistance est l’une des priorités de l’action palestinienne après le retrait de Gaza » se cache une profonde critique de la dissimulation par l’Autorité des actions de résistance violente. Selon l’article, les médias officiels « cherchent continuellement à retirer du peuple palestinien la responsabilité de ses  actes résistants. ». Dans cette critique, il est intéressant de constater le chemin que prend déjà la couverture médiatique du gouvernement palestinien : celui de la non-violence ; prouver la présence d’un rapport de force inégal plutôt que de revendiquer des actes militaires cherchant à l’inverser. Cette position amènera par ailleurs des mouvances comme le Hamas, comme le montre l’article issu du CPI, à diversifier leur couverture médiatique afin de pallier à ce qu’elles considèrent comme des insuffisances. La minimisation de la violence par l’Autorité palestinienne a ainsi pour conséquence le développement d’une puissante presse indépendante, notamment gérée par le Hamas. Cela nuit de fait à la diffusion de l’idée selon laquelle la RPNV serait le seul moyen de résistance « viable ».

Le combat pacifiste « signe aux yeux du monde la défaite morale, donc politique, d’Israël dans sa confrontation centenaire avec le peuple palestinien » – Bernard Ravenel, La Résistance palestinienne, des armes à la non-violence

En 2006, le Fatah perd les élections législatives face au Hamas. Cependant, dans le même temps, la Résistance Populaire Non-Violente observe une renaissance. C’est Bil’in, village dont 60% des terres ont été placées derrière le mur, qui devient dès 2005 le symbole du nouveau souffle. Ce dernier se trouve relayé par la presse palestinienne, qui réussit à atteindre les oreilles du monde. Avec l’assassinat en 2009 à Bil’in par l’armée israélienne du militant pacifiste Bassem Abu Rahma, filmé par des Palestiniens et largement relayé, on constate l’écho élargi qu’obtiennent les informations. 

Grâce à la médiatisation locale de cet événement puis d’autres, comme une manifestation pacifique/iste de 2018 à Gaza dont la répression fit 118 morts, le combat de la RPNV devient moral, comme le souligne Bernard Ravenel2 : Cela « signe aux yeux du monde la défaite morale donc politique d’Israël dans sa confrontation centenaire avec le peuple palestinien ». L’Autorité palestinienne, diffusant dans le cadre de sa puissance médiatique ces actes difficilement justifiables face à des militants désarmés, donne l’image d’une injustice inhérente au conflit.

Marching through Bil’in village #1, Michael Loadenthal – Manifestants à Bil’in

Avec le développement de ses médias, la Palestine arrive ainsi à transmettre au monde des événements isolés mais choquants, favorisant la RPNV au profit d’une résistance violente volontairement marginalisée. Les nouvelles techniques d’information, symbolisées par les réseaux sociaux, se font quant à elles le relais des faits en temps réel. Si par leurs biais les vidéos de manifestations pacifiques et d’actes de violence « communs » commis par l’armée israélienne arrivent au monde plus facilement, le développement de ces nouveaux médias est à double tranchant pour la RPNV.

Les réseaux sociaux comme vecteur d’une lutte plus large

    Les réseaux sociaux ne sont pas seulement un moyen pour relayer des actions pour la Résistance Populaire Non-Violente, ils sont aussi une nouvelle forme de lutte. Une lutte dans le cadre de laquelle on peut rapidement diffuser des informations au monde entier. Les nouvelles technologies représentent ainsi une nouvelle forme de résistance pacifique, décrédibilisant les violences israéliennes et soulignant l’injustice. Amjad Ayman Yaghi, journaliste pour le site The electronic intifada, décrit dans son article « La jeunesse palestinienne riposte sur les réseaux sociaux » un groupe Facebook symbolisant cette mouvance. On y fait la connaissance de Aldawoudi et Ahmed Maher Jouda, à l’origine de la création de la page Ihbid194. Dans le groupe, tous peuvent participer, mettant en valeur des manifestations, publiant des photos de victimes palestiniennes suite à des raids aériens, critiquant les actions israéliennes. Cette initiative montre la possibilité que les réseaux sociaux offrent à la RPNV pour partager ses idées. Des anonymes peuvent témoigner, publier leurs propres ressources, ce qui était impossible avec les médias palestiniens classiques. Qui plus est, ils ont la possibilité d’atteindre le monde en quelques secondes.

Cette médiatisation individuelle, qui a une portée plus étendue, s’inscrit dans une plus large mouvance en faveur de la non-violence. En 2017, un débat se tient au sein des différentes branches de la société civile palestinienne, duquel il ressort la nécessité de résister pacifiquement3. On peut deviner que les réseaux sociaux ont permis la communication sur la tenue de cet événement. Ces nouveaux moyens sont donc aussi un outil pour la Résistance Populaire Non-Violente. Cette médiatisation prometteuse souffre cependant, selon Bernard Ravenel, de l’échec de la coordination du mouvement national. Le fait que la communication se transforme en porte-voix individuel plutôt que collectif ne serait bénéfique pour la RPNV que si l’ensemble des Palestiniens s’accordait sur celle-ci. Or, nous avons précédemment vu que cela n’était pas le cas, le médiatique Hamas peinant à s’y laisser convaincre. 

Si le parti islamiste représente donc l’opposant principal à la RPNV, en tant qu’organisation, les réseaux sociaux sont aussi le moyen pour des individus de relayer des actions violentes. C’est le cas des attentats-suicides et autres attaques « désespérées ». On voit ainsi apparaître en 2015 un phénomène d’attaques aux couteaux perpétrées par des personnes agissant seules : il s’agit de « l’Intifada des couteaux ». Le plus souvent commis par des jeunes femmes, non-préparées, ces actes isolés représentent bien la nouvelle donne insufflée par la médiatisation 2.0 : chaque attentat, chaque parole, chaque photo, peut avoir sa résonance. Bernard Ravenel souligne cette tendance, évoquant une « nouvelle scène de résistance sur internet »4. L’essor des individus à la place du collectif, lié à la rapidité et à l’efficacité de la transmission des données, a ainsi créé une nouvelle manière de faire entendre la voix de chacun.

Cette nouvelle médiatisation est donc à double tranchant pour la RPNV. Elle représente pour cette mouvance un nouveau moyen de se faire entendre ainsi qu’un outil facilitant la communication avec ses partisans. Cependant, le penchant individualiste des réseaux sociaux a encouragé les attentats individuels, utilisés pour décrire le malaise inhérent à la société palestinienne. Cela ralentit largement la progression de la RPNV dans les mœurs locales et internationales. En outre, la nouvelle violence mise en scène constitue une nouvelle peur pour les Israéliens, les convaincant de l’agressivité réelle du mouvement national palestinien. 

Le deuxième article du dossier, qui sera publié prochainement, explorera la médiatisation israélienne de la Résistance Populaire Non-Violente. On découvrira notamment qu’au sein même de l’État hébreu, les avis sur la couverture à mener divergent selon les journaux. 

Yann VIGNALS

Notes :

1Salah Abd al-Jawad, cité par Bernard Ravenel dans La résistance palestinienne, des armes à la non-violence, Partie 3.

2 La résistance palestinienne, des armes à la non-violence, partie 4.

3Bernard Ravenel, La résistance palestinienne, des armes à la non-violence, partie 4.

4La résistance palestinienne, des armes à la non-violence, partie 5.

Bibliographie:

Note préalable : Les notes de bas de page ne concernent que les références des événements précis cités par les auteurs ainsi que leur argumentation personnelle. Lorsque l’écriture s’inspire des ouvrages évoqués ci-dessous pour le contexte, cela n’est pas expressément précisé. 

Ouvrages:

Par ordre d’importance dans la recherche:

  • Bernard Ravenel, La résistance palestinienne, des armes à la non-violence, L’Harmattan, 2017.
  • Jérôme Bourdon, Le récit impossible. Le conflit israélo-palestinien et les médias – Paris : De Boeck /Institut national de l’audiovisuel – 2009
  • Nicolas Dot-Pouillard, La Mosaïque éclatée : une histoire du mouvement national palestinien (1993-2016), Sindbad / Actes Sud – 2016.

Émissions

  • France Culture, Le secret des sources – quel a été le traitement médiatique de la guerre de Gaza – 2014

Articles et publications

Par date de publication croissante

  • « La résistance non-violente en Palestine et les médias aux États-unis », Patrick O’Connor – 2005
  • « Le développement des médias de la résistance est l’une des priorités de l’action palestinienne après le retrait de Gaza », Centre Palestinien d’Information – 2007
  • « De la Résistance pacifique palestinienne, l’exemple de Bil’in », Les blogs de Mediapart, Hassina Mechaï – 2014.
  • « La e-communication du Hamas », Jean-François Legrain – 2017.
  • « Israël dans les médias, un traitement à part ? », Regards n°1028, Perla Brener – 2018.
  • « La jeunesse palestinienne riposte sur les réseaux sociaux », Amjad Ayman Yaghi – 2019

ClasseInternationale

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