Le Rwanda est-il réellement sorti du génocide ?

Le Rwanda est-il réellement sorti du génocide ?

Fin 1994, le Rwanda est à genoux. Le génocide vient de le priver de près de 10% de sa population et de 90% de son élite politique. Seize ans plus tard, le pays jouit d’une réussite économique indéniable. Néanmoins, sur le plan politique, il n’a toujours pas tourné la page la plus sanglante de son histoire.

Mention très bien. Pas de doute, le Rwanda peut y prétendre sur le plan économique. En 2010, le pays, dont l’économie s’était effondrée à la suite du génocide, prend la première place du classement « Doing Business » de la Banque mondiale. La performance est de taille : ce palmarès récompense l’Etat « le plus accueillant » en matière d’investissement étranger. En une dizaine d’années, Kigali peut ainsi se vanter d’avoir reconstruit son économie, via son plan « Vision 2020 », à grands renforts de privatisations et de libéralisations. Résultat : des taux de croissance non négligeables culminant aux alentours des 7%.

Le pays s’est même offert le luxe de participer à la construction d’échanges régionaux forts dans une zone à dominante anglo-saxonne. Le voilà membre du Commonwealth, tout en restant aux yeux de la France un atout de la Francophonie dans la région. Sacré tour de force, qui lui permet d’être quelque peu ménagé sur la scène internationale. Alors même que son évolution, politique cette fois, pose de légers problèmes démocratiques…

Génocide et verrouillage électoral

En effet, cette année 2010 a également vu quelques grains de sable enrayer la machine rwandaise de Paul Kagamé, au pouvoir depuis la fin du génocide – d’abord comme vice-président et ministre de la Défense en 1994,  puis en tant que président en 2000, après l’obtention de la démission de Pasteur Bizimungu –. En premier lieu : les élections d’août dernier qui l’ont porté au pouvoir pour la seconde fois. Triomphalement et… sans surprise.

Seuls trois candidats ont ainsi été autorisés à prendre part à l’élection. Or ces trois « outsiders » se sont avérés issus de partis proches du Front Patriotique Rwandais (FPR) de Kagamé. Les autres formations, tout comme certains journaux et radios considérés comme d’opposition, ont été touchées par des décisions de justice aux allures pour le moins politiciennes. Conséquence : elles ont été dissoutes – comme le Mouvement Démocratique Républicain (MDR) – ou n’ont pas été reconnues par l’état et n’ont pu s’aligner dans la course à la présidence. L’accusation utilisée est claire : « idéologie de génocide ».

Dans un rapport de septembre 2010, l’ONG Amnesty International revient d’ailleurs sur la loi « anti-génocide » instaurée en 2002, un an avant la première élection présidentielle. Elle accuse le gouvernement de Kigali de l’avoir utilisée pour verrouiller la vie politique rwandaise et assurer le maintien du gouvernement, et donc du FPR – certains témoignages racontaient même en août que l’Etat contraignait les fonctionnaires à verser une partie de leur salaire au FPR en vue de la campagne présidentielle-.

« Les dispositions législatives réprimant l’« idéologie du génocide » […] rédigées en termes vagues et ayant une large portée et qui érigent en infraction l’expression orale ou écrite protégée par des traités internationaux, sont contraires aux obligations régionales et internationales du Rwanda en matière de droits humains ainsi qu’à ses engagements en faveur de la liberté d’expression », écrit l’organisation. Et d’ajouter, de façon limpide : «La formulation vague de ces lois est délibérément utilisée pour violer les droits humains.»

« Le régime du FPR reste un régime d’après-guerre »

Mais davantage qu’un « simple » verrouillage électoral, c’est la structure même de la société rwandaise qui est remise en cause. Des décès troublants ont touché quelques-uns des principaux leaders de l’opposition. Le 14 juillet notamment, le corps de l’opposant André Kagwa Rwisereka, vice-président du Parti démocratique vert a été retrouvé dans un marais, quasi-décapité.

Quelques semaines plus tôt, le 24 juin, c’était Jean Léonard Rugambage, rédacteur en chef du journal Umuvugizi, qui avait été retrouvé à son domicile de Kigali, criblé de balles. Ce dernier avait émis l’hypothèse, quelques jours plus tôt, de l’implication des autorités rwandaises dans la tentative d’assassinat à Johannesburg, du général Nyamwasa, ancien compagnon de Kagamé passé à l’opposition. Ses assassins, selon la version officielle, Didace Nduguyangu et Antoine Karemera, ont depuis été condamnés à la prison à perpétuité. Mais les doutes sur l’implication des services secrets rwandais demeurent dans les rangs de l’opposition.

La Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) a ainsi publié, mi juillet, un communiqué où elle « appelle à mettre un terme à l’actuelle vague de violence au Rwanda et demande une enquête indépendante et impartiale sur les assassinats d’opposants politiques et de journalistes. » Même mise en garde du côté de Human Rights Watch qui a quant à elle noté un « étranglement de la liberté d’expression ». Pour sa part, Victoire Ingabire, leader des Forces Démocratiques Unifiées (FDU), estime que « le régime du FPR reste un régime d’après-guerre. » « Nous pensons qu’il est temps d’instaurer la démocratie, car le peuple rwandais est mûr pour cela ». Sous contrôle judiciaire depuis avril, arrêtée en octobre pour « idéologie de génocide », elle avait été empêchée de se présenter à la présidentielle.

L’unité nationale au prix du sang

Unité nationale à tout prix. Tel pourrait donc être le slogan de Paul Kagamé. Dérive autocratique, entorse aux droits de l’Homme, à la liberté d’expression… et ingérence sur le territoire national voisin.

Une interview récente de Julien Paluku, gouverneur du Nord-Kivu, par le magazine Jeune Afrique, semblait ainsi attester de la présence des Forces rwandaises en République Démocratique du Congo (RDC) à la poursuite des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR, rebelles Hutu d’origine rwandaise). « Ils sont venus à notre invitation en 2008 », explique le responsable congolais à propos des troupes rwandaises. « Mais aujourd’hui je ne vois pas ce qui justifierait leur présence ici. Les combattants des FDLR  ont été chassés du Rutshuru et du Masisi, ils sont en train d’être chassés du Walikale. Rien ne justifie la présence de soldats rwandais ici ».

D’autant qu’un rapport de l’ONU, paru le 1er octobre dernier, met également clairement en évidence l’action militaire de troupes rwandaises en RDC, cette fois entre 1995 et 2003. Celles-ci auraient notamment participé au renversement du régime Mobutu mais surtout à des massacres de réfugiés Hutu.

Les Nations Unies évoquent ainsi, entre 1998 et 2000, « une vague de représailles, une campagne de persécution et de poursuites de réfugiés [qui] se sont généralement toutes transposées en une série d’attaques généralisées et systématiques contre des populations civiles qui pourraient ainsi être qualifiées de crimes contre l’humanité par un tribunal compétent. »

Et l’ONU évoque même la possibilité de crimes de génocide. En cause, l’ampleur des massacres, « probablement plusieurs dizaines de milliers de victimes », le blocage de l’aide humanitaire et la non différenciation entre les « criminels suspectés de génocide » et la totalité des « membres du groupe ethnique hutu ». Les événements ne pourront être jugés que par un tribunal international compétent au Rwanda et en RDC, lequel a de fortes chances de ne jamais voir le jour. Mais d’ores et déjà, une question se pose : l’unité nationale voulue par Paul Kagamé peut-elle supporter le poids des dérives autocratiques et d’un possible contre-génocide ?

Mathieu OLIVIER

ClasseInternationale

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  1. Super cet article Mathieu ! Tu m’as l’air très bien documenté et j’apprécie la qualité de la rédaction. Cela est de bon augure pour la suite de ce blog.
    Bon courage à tous.

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