Israël : quand la représentativité nuit à la démocratie

Israël : quand la représentativité nuit à la démocratie

Parfois qualifié de régime autoritaire et militariste, l’État d’Israël dispose pourtant d’un système électif parmi les plus représentatifs au monde. Une caractéristique peu connue, qui livre le débat démocratique aux appétits insatiables des micro-partis, et qui empêche l’avancée des dossiers les plus urgents.

A la Knesset, tout est affaire de tractations, ici entre Lieberman et Netanyahou.

C’est à la cadence des mouvements de baguette du chef d’orchestre Ben Gourion que s’érigea l’État d’Israël. Celui-ci a, très tôt, agi dans le sens d’un rassemblement le plus large possible des sionistes de tous bords : des orthodoxes traditionalistes et intégristes jusqu’aux laïcs, des ouvriers aux bourgeois.

L’aboutissement du sionisme politique, en 1948, procède en effet d’une poursuite d’intérêts idéologiques, culturels et identitaires très distincts. L’unification se fait donc avant tout autour de l’idée même de la constitution d’un « État juif ». Quant au système politique, Ben Gourion a opté pour la représentation à la proportionnelle, sans circonscription qui plus est.

Les élections se déroulant sans circonscriptions, les candidats et leurs partis font campagne dans tout le pays. Des courants politiques dilués sur l’ensemble du territoire peuvent ainsi obtenir des voix et siéger à la Knesset, le parlement monocaméral de l’État juif. En hébreu traditionnel, « Knesset » signifie « rassembler ». Dans cet esprit, Ben Gourion souhaitait manifestement impliquer tous les juifs, aux visions si différentes, en leur assurant un rôle politique dans le destin d’Israël.

Fait notoire, Ben Gourion considérait que les Arabes israéliens avaient le droit légitime de participer à la vie politique. Ainsi, siègent parmi les 120 représentants de la Knesset des élus clamant que l’État d’Israël ne devrait pas exister. Aux législatives de 2009, les partis arabes, dont le parti communiste Hadash, comptaient tout de même 11 députés, appartenant, de fait, à l’opposition, mais permettant l’expression démocratique de presque 1/5 de la population non juive d’Israël.

Quoi qu’il en soit, cette  représentativité est exacerbée par la conjugaison d’un autre facteur : un très faible palier électoral. Effectivement, le seuil de représentativité – en dessous duquel le nombre de voix favorables pour un candidat est insuffisant pour être éligible – est fixé à seulement 2%.

Pour comparaison, le modèle allemand, – si souvent vanté par la classe politique française pour ses qualités en matière de représentativité – dispose de Landers, eux-mêmes subdivisés en circonscriptions, et le seuil électoral est établi à 5%.

Dans le cas d’Israël, l’absence de limitation à la représentativité encourage l’émergence de petits, voire de micro-partis, disposant d’une réserve de voix constituée sur l’ensemble du pays. Mais Ben Gourion n’avait pas prévu que ce qu’Israël gagne en représentativité, il le perd en stabilité. Et depuis des décennies, les incessants compromis et les négociations ne cessent de miner la conduite de politiques franches et globalement acceptées à l’intérieur de l’État juif. Résultat : aucun parti n’a jamais eu de majorité absolue à la Knesset. De là, un jeu d’alliances et de compromis permanent, donnant un rôle démesuré aux petites formations, monnayant cher leur soutien. Les dernières législatives en sont une éloquente illustration.

Une fragmentation entretenue, les législatives de 2009

Les élections de 2009 ont largement confirmé le glissement à droite des électeurs israéliens. Le parti travailliste, se voulant pourtant héritier du projet de Ben Gourion, n’obtient que 13 sièges. La force politique arrivée en tête est Kadima, parti de centre droit, emmenant 28 mandats à la chambre. Malgré une progression de 15 points, le Likoud, parti de la droite dure israélienne, se contente de la seconde place avec 27 députés.

Mais, illustrant le malaise profond de ce système électoral, Tzipi Livni, à la tête de Kadima, refuse d’être nommé premier ministre, et choisit de rester dans l’opposition. Et ce, en partie à cause de la difficulté de constituer une coalition cohérente. Naturellement, le Likoud bénéficie de ce choix. Le parti de Benyamin Netanyahou doit alors s’arranger avec les autres forces politiques pour constituer une majorité et gouverner. Le bal éternel de la politique israélienne se met, une fois de plus, en branle.

Le Likoud peut compter sur ses alliés historiques, les partis ultra-orthodoxes, dont l’influence n’a cessé de croître depuis la création de l’État d’Israël. En effet, si la minorité arabe est restée démographiquement stable, et avec elle l’essentiel du courant non – sioniste, ce n’est pas le cas des communautés juives orthodoxes. Perpétuant un système familial archaïque, ces populations ont connu une démographie galopante. Initialement très minoritaires, Ben Gourion avait en effet consenti à leur accorder certains privilèges, pour se rallier leur assentiment. En particulier l’exemption du service militaire, et la possibilité de contrôler leur propre système éducatif, reconnu et financé par l’État.

Mais leur poids s’est accentué considérablement depuis la moitié du XIXème siècle, pour dépasser aujourd’hui les 20%. Ces communautés religieuses, ouvertement hostiles à la création d’un État palestinien, appuient sans hésitation l’expansion des colonies sur les territoires bibliques. Bien qu’ils ne se concertent que rarement pour les affaires courantes, ils usent de leur place de cinquième parti pour exiger beaucoup de la coalition qu’ils intègrent. A noter que le parti orthodoxe s’est scindé en deux entités : Agoudat, parti ashkénaze, et Shass, d’inspiration orthodoxe, rassemblant de nombreux juifs d’origine séfarade. Tous deux font partie de la coalition avec le Likoud, ainsi que les autres micro-partis religieux, ajoutant 23 sièges aux 27 du parti de Netanyahou.

Pour bien fonctionner, la coalition a besoin d’une majorité confortable à la Knesset, au risque de souffrir d’une position trop précaire. Le parti Israel Beytenou, littéralement « Israël notre maison », réunissant aux législatives de 2009 pas moins de 15 sièges, s’est naturellement vu affublé de la qualité de faiseur de roi. Ce parti ultra libéral et nationaliste, réunissant une large part des Israéliens d’origine de l’ex-URSS, a de fait pesé de tout son poids dans la négociation pour son adhésion. Avigdor Lieberman, à sa tête, s’est ainsi vu remettre le portefeuille des affaires étrangères. Une attribution qui a suscité l’émoi de nombreux observateurs, se souvenant des sorties brutales et scandaleuses contre les Arabes et en particulier les Palestiniens. À ce titre, la gauche n’hésite pas à le considérer ouvertement comme fasciste.

Une réforme impossible

Mais à l’image de l’instabilité mécanique de ce système électoral, il convient de rappeler que le précédent gouvernement était issu d’une coalition regroupant le parti travailliste, Kadima de centre droit, et… le parti de Lieberman. Actuellement, les visions politiques des différents partis de la coalition menée par Netanyahou ne convergent que rarement, aussi bien dans leurs finalités que dans les moyens pour y parvenir. L’appareil politique Israélien dans son ensemble souffre de cet art du compromis, jeu de promesses et de distribution de ministères, dépouillant les citoyens de leur droit de choisir démocratiquement un programme, un faisceau d’idées, de solutions. Au lieu de cela, ils doivent se contenter de l’influence plus ou moins opérante de leur représentant, et se plier aux exigences des autres groupes restreints. Adieu la cohérence. Néanmoins, une réforme est-elle possible?

La refonte du processus électoral est un sujet permanent, mais souffre d’une réponse qui est inlassablement la même : seule la Knesset peut modifier les lois fondamentales régissant son fonctionnement. Or, cela impliquerait qu’une coalition, comprenant arithmétiquement des micro-partis, vote un tel projet de loi, au détriment de plusieurs de ses membres…

La limitation d’un pouvoir excessif par ses détenteurs, l’idée semble un vœu pieux. Pourtant, d’une manière ou d’une autre, Israël va devoir trouver les ressources pour redéfinir son système politique. Autrement, il court le risque de voir sa démocratie succomber d’un excès de marchandage, empêchant une quelconque avancée sur des sujets aussi essentiels que les inégalités socio-économiques, la constitution d’un État palestinien, Jérusalem et les colonies.

Florian Bourdier

ClasseInternationale

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