La Serbie a-t-elle bien fait d’annuler la Gay Pride ?

La Serbie a-t-elle bien fait d’annuler la Gay Pride ?

Pour la 3ème année consécutive, la Gay Pride n’a pas eu lieu dans les rues de Belgrade. Le 28 septembre dernier, le gouvernement serbe a annoncé l’interdiction de cet événement par la voix de son Premier Ministre Ivica Tadić (Parti Socialiste) : « Nous avons décidé d’interdire  l’événement en raison de sérieuses inquiétudes concernant la sécurité […] Ce n’est pas une capitulation face aux hooligans, mais une tentative d’empêcher le chaos dans les rues de Belgrade ».

Cette interdiction tombe mal pour la Serbie qui avait multiplié ces derniers mois ses efforts (accord de normalisation avec le Kosovo, tombée à genoux et excuse pour le massacre de Srebrenica) en vue de démarrer ses négociations d’entrée dans l’Union Européenne (UE). En effet, la tenue d’une Gay Pride semble faire partie des conditions « symboliques » nécessaires à l’ouverture des négociations.

Dans son rapport de 2012, la Commission européenne avait indiqué qu’« une parade se déroulant dans la paix et la joie à Belgrade le 28 septembre, sécurisée comme il se doit par les autorités, serait un signal supplémentaire de l’engagement de la Serbie à créer une culture de tolérance et de diversité, et contrerait les discours haineux, la discrimination et la violence ».

En outre, les réactions des représentants de l’UE après l’interdiction ne se sont pas faites attendre. Štefan Füle, commissaire à l’élargissement, a ainsi déclaré: « En tant que commissaire à l’Élargissement, je me suis engagé à demander aux pays candidats d’adopter entièrement les valeurs telles que la liberté de rassemblement et la liberté d’expression qui font partie des fondements principaux sur lesquels le projet de l’UE a été construit. […] Ceci est particulièrement important dans le contexte des négociations d’adhésion ».

La Serbie, un pays traversé par des oppositions pro/anti minorités sexuelles ?

La Serbie ne brille pas par son acceptation de l’homosexualité. Dans ce pays chrétien orthodoxe, le nouveau patriarche de l’Église serbe s’est à maintes reprises prononcé violemment contre les homosexuels. Quelques jours avant l’événement , il avait par exemple déclaré que « rien n’est plus menacé que le mariage et la famille en ces temps tragiques. Tous deux sont minés de manière planifiée, en particulier par la Gay Pride. […] Ce fléau est la dernière chose dont la société serbe avait besoin pour disparaître de la surface de la Terre ». 

De même, d’après une étude conduite en 2010 par l’ONG « Centre pour des Élections Libres et la Démocratie », 67 % de la population serbe considère l’homosexualité comme une maladie, et 53 % en approuverait la « suppression par l’État de manière organisée ». Enfin, aucun ministre serbe mis à part celui en charge de l’intégration européenne n’avait déclaré publiquement vouloir s’associer au cortège. S’afficher publiquement dans une Gay Pride serait-il à ce point désastreux pour l’image des politiciens serbes ?

Néanmoins, il convient de ne pas sombrer dans la caricature car il faut noter l’existence d’une frange de la population serbe en faveur de la cause homosexuelle. Les organisateurs de la manifestation, excédés par cette annulation de dernière minute, ont décidé de braver l’interdiction et d’organiser une « marche » illégale. Rassemblant près de 200 personnes, celle-ci s’est déroulée dans un contexte bon enfant et s’est terminée par le dépôt d’un drapeau arc-en-ciel à quelques mètres du Parlement serbe. Cette « contre manifestation » démontre ainsi l’existence d’un mouvement – ou d’un embryon de société civile – se battant pour améliorer la cause homosexuelle en Serbie.

Cet événement, peu couvert par les médias occidentaux, a été à ce titre le sujet d’un très bon article du magasine en ligne Balkanist. De même, le succès dans la région du film serbe La Parade, film qui dénonce et traite avec humour le climat homophobe existant dans la région, nous dévoile une vérité paradoxale. Bien qu’elle soit un mauvais élève dans son intégration des minorités sexuelles, la société civile serbe n’hésite pas à braver les interdits administratifs pour manifester ses revendications.

La Gay Pride à Belgrade, un évènement qui donne lieu systématiquement à des violences

Depuis sa première édition (2001), la Gay Pride de Belgrade a systématiquement été le théâtre de graves violences. En 2001, c’est en effet près de 2000 hooligans qui sont venus attaquer un cortège protégé par seulement 50 policiers. La dernière édition organisée (2010) n’y a pas non plus échappé. Cette fois-là ce sont en effet près de 6000 hooligans qui ont attaqué les forces de l’ordre (cette fois-ci au nombre de 5000 hommes), occasionnant près d’un million d’euros de dommages à la ville de Belgrade.

Au vu de ces éléments, il semble pertinent de nuancer les attentes portées par l’Union Européenne sur la Serbie. Était-il vraiment possible que le gouvernement serbe puisse assurer une sécurité optimale du cortège ? De même, cette interdiction a des enjeux économiques. La Serbie, qui connaît un chômage de 25 % et traverse d’énormes difficultés économiques, peut-elle réellement se permettre ces dépenses sécuritaires importantes comme de tels risques de dommages matériels ?

Le gouvernement serbe semblait ainsi se trouver devant une alternative difficile : interdire la Gay Pride et attirer l’attention sur son incapacité à accepter ses minorités sexuelles ou accepter la tenue d’une Gay Pride et s’exposer aux critiques du fait des violences suscitées.

La condition de trop pour la Serbie ?

Face aux efforts déjà présentés, n’existe-t-il pas un risque de désenchantement de la Serbie et des ses citoyens envers l’Union Européenne ? Un sondage réalisé fin 2012 illustre cette ambivalence. En effet, à la question « Si vous deviez choisir entre le Kosovo et l’UE, quel serait votre choix ? », deux tiers des sondés s’étaient déclarés en faveur du Kosovo.

De même, l’actuel Premier Ministre serbe Ivica Tadić, pour justifier son refus de participer physiquement à la Gay Pride, avait fait cette déclaration politiquement incorrecte : « Je supporte[sic] le droit constitutionnel de chacun d’exprimer sa différence, mais c’est mon droit de ne pas y aller. […] Devrais-je devenir gay pour montrer que je suis pro-européen ? ».

Faut-il pour autant dire que la Gay Pride est la « condition de trop » imposée à la Serbie ? Il est peut-être tôt pour se prononcer. Cette affaire ne peut cependant qu’alimenter la controverse car il n’est pas exclu que l’opinion publique serbe commence à éprouver de la lassitude vis-à-vis des conditions imposées par l’Union Européenne.

Cette controverse vient en outre s’ajouter aux difficultés économiques auxquelles le nouvel État membre croate se heurte et que les citoyens serbes peuvent quotidiennement observer à travers leurs médias. La Serbie est ainsi aujourd’hui à la croisée des chemins. En proie à une crise économique sans précédent, ses citoyens devront tôt ou tard choisir entre deux options : le repli national ou l’adhésion à l’Union.

C’est en cela que l’UE joue avec le feu car il n’est pas certain que cette énième critique soit bien reçue par la population serbe. Dépasser la simple dénonciation de l’interdiction de la Gay Pride est impératif si l’on veut comprendre ce qui est aujourd’hui à l’œuvre dans la société serbe.

Faisons-nous réellement avancer la cause homosexuelle en privilégiant une posture critique en lieu et place de celle valorisant les personnes qui se battent pour cette cause ? L’opinion publique serbe serait-elle en train de se détourner de l’option « Union Européenne » ? De toute cette controverse un groupe semble tirer son épingle du jeu, les « antis », qui pour la troisième fois consécutive ont réussi à empêcher la tenue d’une marche pacifique en faveur des minorités sexuelles. 

 

Fabien SEGNARBIEUX

 

Pour aller plus loin :

Balkanist Magazine : « Midnight Pride : Belgrade’s Unauthorized Pride Parade »

Lemonde.fr : « La Serbie interdit la Gay Pride pour la 3ème année consécutive »

RFI : « Le Centre Culturel de la Serbie »

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