Fiche de lecture : Antonin Cohen, Le régime politique de l’Union européenne
Antonin Cohen, Le régime politique de l’Union européenne, Paris, Edition la Découverte, Collection Repères 2014, 115 p. ISBN 978-2-7071-6023-2
- Contexte et Auteur
2014, restera une année charnière dans la construction européenne. Embourbée, depuis plus de 5 ans, dans une crise qui concerne tous les niveaux de l’existence de la société, l’Union européenne s’apprête à connaître un renouvellement de ses institutions politiques à savoir la Commission et le Parlement dans un contexte économique et social morose couplé à une crise de confiance et une montée conséquente du populisme. C’est dans ce contexte historique, passionnant et complexe que le professeur agrégé des universités en science politique Antonin Cohen offre une description du régime politique de l’Union européenne à travers cet ouvrage. Il enseigne notamment la politique à l’université Paris I et à Sciences Po Rennes, un domaine qui semble de plus en plus médiocre et incompréhensible pour de nombreux citoyens. Cet ouvrage s’inscrit donc parfaitement dans l’actualité politique de cette année décisive pour l’Union européenne. L’auteur avec un certain savoir-faire pédagogique permet d’aborder sereinement ce flou unanimement reconnu qui entoure le fonctionnement de l’Union européenne et a fortiori le régime politique qu’elle a tant de mal à définir.
- Thèse de l’Auteur
Il convient en tout premier lieu de préciser la définition d’un régime politique qu’offre l’auteur afin d’analyser son message principal de façon cohérente dans la suite de ce développement. L’auteur conçoit un régime politique comme « l’agencement institutionnel spécifique des rapports de pouvoir, codifiant une division du travail politique reposant sur le suffrage universel » (p 3). C’est pour cela qu’il distingue rapidement l’Union européenne d’une organisation internationale classique pour orienter son propos vers l’idée selon laquelle l’Union européenne revêtirait davantage l’habit d’un État en devenir avec un régime politique propre. L’auteur mène ainsi une description minutieuse de l’évolution des institutions constituant le régime politique de l’Union européenne avec pour fil de réflexion ce postulat afin d’y clarifier la division du travail et les rapports de pouvoirs.
La montée en puissance des institutions de l’Union européenne : l’étatisation en marche
Pour le Parlement, l’auteur montre à travers l’évolution de la répartition des sièges et de la procédure électorale comment l’inégalité de représentation entre citoyens (sous-représentation des grands États) demeure une problématique pour le caractère démocratique du « régime politique » de l’Union européenne. Ce constat est cependant tempéré par l’auteur : l’introduction de la règle de proportionnalité pour l’élection des parlementaires européens donne un poids considérable à un Parlement exclusivement élu au suffrage universel. En outre l’auteur démontre que les institutions étatiques de l’Union européenne (les conseils) décident la plupart du temps par consensus. Cela marque la particularité du système politique de l’Union européenne où les rapports de pouvoirs se mesurent à travers les nombreux compromis issus des négociations inter-étatiques. Par ailleurs, dans la logique d’une Union européenne en voie d’étatisation, l’auteur n’hésite pas à comparer la procédure de double investiture de la Commission (« gouvernement européen » selon Jacques Delors) à celle de la IVe République française pour appuyer son propos. Dans la même optique il souligne l’avènement d’une réelle fonction publique européenne pour marquer d’avantage l’éloignement de l’Union européenne des Organisations Internationales classiques. Enfin, l’auteur traite de l’organe juridictionnel de l’Union européenne, autrement dit, la Cour de Justice. L’auteur souligne qu’au regard des procédures de nomination de ses membres, la justice de l’Union européenne s’assure une totale indépendance. Il confirme son propos en déclarant, après une description des voies de recours possible devant la Cour, que l’Union européenne a introduit « une novation juridique [marquant] une rupture dans l’Histoire du Droit International, en transformant une juridiction internationale en cour suprême interne gardienne de la cohérence du Droit Européen » (p 33).
L’engrenage normatif puissant et exponentiel de l’Union européenne : L’étatisation inéluctable
L’idée de l’auteur en ce qui concerne l’engrenage normatif est que « l’emprise du droit communautaire sur les droits nationaux ne cesse de se renforcer – et ce processus est loin d’être fini » (p 35). Il parle ainsi d’une complexification progressive des traités constitutifs due à l’évolution des compétences de l’Union européenne. Il loue également l’activisme jurisprudentiel de la Cour de Justice qui accompagne et favorise cette évolution intégrationniste du droit dans la construction européenne. Il souligne l’importance du principe juridique de subsidiarité pour la répartition future des pouvoirs dans le régime politique de l’Union européenne. En effet, même si ce principe se retrouve dans les États fédéraux, l’évolution de son interprétation reste incertaine. Or de son application dépend le degré de marge de manœuvre dont bénéficiera l’Union afin d’exercer des compétences de plus en plus larges. Mais le point le plus important est la législation : c’est elle qui contribue le plus à l’étatisation. Non seulement le Parlement Européen, élu au suffrage universel, a acquis au fil des décennies de plus amples compétences en la matière, mais de plus les droits nationaux sont largement imprégnés de cette inflation normative. Cela rend un retour en arrière quasi impossible pour les ordres juridiques internes.
Le constat mal aisé de l’inexistence d’un peuple européen : L’optimisme de l’étatisation mis à mal
L’auteur traduit explicitement son impuissance quand il écrit que « le régime politique de l’Union européenne est aujourd’hui plus que jamais à la recherche du peuple européen » (p 67) à cause d’une participation en berne et d’un manque d’intérêt criant, voire un rejet des citoyens de l’Union vis-à-vis de la construction européenne. Il évoque ainsi la droitisation récente de l’échiquier politique européen qui reflète ce qu’il se passe au niveau national avec, entre autres, l’émergence au sein du Parlement des extrêmes eurosceptiques. Il décrit une réelle vie politique européenne qui semble rappeler celle des États avec des groupes parlementaires et des partis. Cependant c’est la problématique de la participation qui met le plus à mal le postulat de l’étatisation : le suffrage universel, au lieu de susciter l’intérêt des citoyens trop longtemps mis à l’écart de la construction européenne, a rendu visible la fragilité du Parlement. En effet, la participation diminue continuellement depuis la première élection et fait ressortir sociologiquement l’élitisme de cette construction. Même si l’auteur semble optimiste quant il nuance son propos sur la faible participation aux élections par celui de la forte participation aux référendums d’enjeux européens, il demeure lucide au regard du manque d’intérêt général pour la politique européenne. L’étatisation est mise à mal non pas par l’abstentionnisme mais par l’absence d’une réelle conscience politique des peuples européens qui aurait pu amener, si elle existait, l’avènement d’un peuple européen.
L’européanisation des élites nationales : l’étatisation inévitable ou l’impossible déconstruction européenne
L’Union européenne demeure une construction des élites et à travers l’étude de l’évolution de ces élites, l’auteur veut confirmer son postulat de départ. Plusieurs éléments participent de la transformation et de l’aboutissement du régime politique de l’Union européenne qui tend à s’étatiser. Ainsi l’on peut relever l’incompatibilité des mandats nationaux et européens et la politisation progressive de la Commission couplée à l’européanisation des fonctionnaires. De plus, les personnels s’intellectualisent, se féminisent et se juridiciarisent. Enfin, au sein de la Cour de Justice, les magistrats sont de plus en plus professionalisés et dépolitisés. Ceci puisque les élites dirigeantes de l’Union se détachent des cadres nationaux pour s’européaniser. L’interconnexion des Administrations, des personnels et des droits européens vont donc dans le sens d’une étatisation inévitable.
- Mon Avis
En tant qu’européiste il est aisé de partager l’optimisme et l’analyse de l’auteur. Le manque de profondeur constaté dans son raisonnement est dû au format de ce livre, à savoir un repère dont l’ambition n’est point de disserter de manière problématisée sur le régime de l’Union européenne, mais plutôt de décrire ce régime et d’en simplifier son appréhension. Cependant son double postulat de départ concernant l’existence même d’un régime politique de l’Union européenne ainsi qu’un « État émergent » (p 3) est pour le moins osé tant les différences d’intérêts, de conceptions et d’idéologies entre les États membres de l’Union semblent insurmontables. A fortiori au regard des élargissements des années 2000 et à la distanciation incommensurable des peuples vis-à-vis de la politique, tant à l’échelle nationale que européenne. Par conséquent l’assertion de tels postulats semble inutile, ou tout au plus stérile, au regard du format de l’ouvrage qui ne se prête pas à l’inclusion de termes et d’idées potentiellement très polémiques par ailleurs inabordables pour des débutants non-initiés en quête d’une simple description de la Politique dans l’Union européenne.
Hocine Boutata
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