En février dernier, j’avais publié un article détaillant les raisons qui avaient pu pousser les citoyens bosniens à venir manifester violemment contre le pouvoir en place. Que reste-t-il aujourd’hui de ce mouvement ? Peu de choses néanmoins le changement pourrait bien venir de l’Union Européenne, acteur qui par une récente initiative politique signe un retour sur la scène politique du pays.
Un système politique défaillant et une économie à l’agonie
Au sein de la classe dirigeante bosnienne, la médiocrité se perpétue et l’intégration à l’Union Européenne s’est arrêtée depuis plusieurs années. À qui la faute ? À tout un système hérité de la guerre qui visait d’abord à garantir paix et stabilité plutôt qu’efficacité. Cependant, ceci n’empêche pas d’émettre un jugement sans concession de la politique bosnienne.
Depuis décembre 2009 et la condamnation du pays par la CEDH dans l’affaire Sejdić-Finci(1), le processus d’adhésion à l’UE s’est figé du fait de l’incapacité de ce pays à se conformer à cet arrêt. La Bosnie-Herzégovine est aujourd’hui à la traîne en comparaison de pays comme la Serbie ou l’Albanie qui ont déjà acquis leur statut de « candidat ». Le chômage pour sa part touche toujours plus de 25 % de la population tandis que les inondations historiques de mai dernier ont aggravé la situation. Avec des dommages estimés à 2 milliards d’euros (soit 20 % de son PIB annuel), la Bosnie se trouve dans une situation périlleuse et ce d’autant plus que sa classe dirigeante a fait preuve d’amateurisme dans la gestion de la catastrophe.
Dans un premier temps, les citoyens ont dénoncé l’inactivité politique lors de manifestations violentes qui ont constitué la première dénonciation publique d’un système devenu aujourd’hui obsolète. Malheureusement, l’espoir suscité ne s’est pas concrétisé par des changements notables. Des « plenums », ou assemblées citoyennes, avaient été instaurés afin de remettre la parole du peuple au centre du débat politique mais près de 10 mois plus tard, force est de constater que ces derniers n’ont pas abouti à des changements concrets.
C’est dans ce climat délétère que les élections générales ont eu lieu en octobre dernier. Difficile de juger positif le bilan politique de ces 4 dernières années. Selon l’initiative civique « Istinomjer », les partis au pouvoir ont tenu seulement 3% de leurs promesses électorales(2). De même, les slogans de campagne ont fait preuve d’une prétention ou d’un nationalisme clair. Le parti croate HDZ-BiH(3) avait pour slogan « la réponse croate » quand le HDZ 1990 se titrait « ceci est notre pays ». Le parti de Farun Radončić « accusé par le passé d’avoir financé ses affaires dans l’immobilier par l’argent sale de la mafia » et propriétaire du puissant journal Dnevni Avaz avait quant à lui pour slogan « Le tsunami de la justice et du développement fort ! »(4).
Les citoyens se sont néanmoins déplacés lors des élections. Avec une participation de 54 %, le scrutin a vu la victoire des 3 partis nationalistes aux sièges de la présidence du pays. À ce jour, aucun gouvernement fédéral n’a encore été formé mais il faut toutefois rappeler que la formation du précédent gouvernement avait pris près d’un an et un mois. Tout vient à point à qui sait attendre…
Une initiative germano-britannique visant à relancer l’intégration à l’Union Européenne
Le 5 novembre dernier, les ministres des Affaires étrangères du Royaume-Uni et de l’Allemagne ont adressé une lettre ouverte afin de proposer de nouvelles solutions à la Bosnie-Herzégovine. En échange d’un accord écrit et de la mise en place d’un organisme de coordination unique à l’intégration, les deux ministres ont promis la mise en place du fameux accord de stabilisation et d’association (ASA) signé en 2008 mais dont l’application était restée en suspens du fait de la question Sejdić-Finci. On assiste ainsi à un changement d’approche de l’UE vis-à-vis du candidat « potentiel » que constitue la Bosnie-Herzégovine.
En effet, en déclarant que « résoudre la question des droits des minorités (…) est un prérequis à l’accession dans l’UE (…) mais il existe aussi d’autres priorités. Stabiliser et stimuler l’économie, créer de l’emploi, renforcer l’État de droit, réduire la bureaucratie et réduire les coûts du gouvernement. (…) Il existe d’autres importantes réformes politiques, sociales et économiques à réaliser qui doivent être faites et qui seraient possible plus tôt » ; les deux ministres font preuve de pragmatisme et offrent une solution qui pourrait convenir aux dirigeants bosniens comme à l’UE.
La question du droit des minorités (qui fait référence à l’arrêt Sejdić-Finci) est mise « temporairement » de côté afin de faire place à des réformes concrètes jugées plus proches du quotidien des citoyens bosniens. Le processus d’intégration à l’UE peut donc théoriquement reprendre, et ce sans que l’Union ait renoncé à exiger du pays de profondes réformes politiques. Les politiciens locaux quant à eux peuvent remettre à plus tard cette question épineuse pour se concentrer sur des réformes « plus consensuelles ».
Cette initiative ne constitue cependant pas un blanc seing à destination des politiciens locaux car ces derniers devront s’entendre sur un organisme unique de coordination à l’intégration. En début d’année, le programme universitaire Erasmus fut à deux doigts d’être annulé du fait de l’absence d’autorité pour l’enseignement supérieur unique. La question de la mise en place d’un organisme unique se pose et il sera du ressort des nouveaux dirigeants de se mettre d’accord sur cette question.
On assiste ainsi à une nouvelle approche de l’UE et in fine à son retour sur la scène politique du pays. Consciente de l’exemple État Islamique et de l’exemple malien, l’Union fait le choix de la prévention. En effet, écrasée par le chômage, mise en branle par les manifestations de février et dévastée par les inondations de mai dernier, la Bosnie-Herzégovine constitue clairement aujourd’hui un foyer de déstabilisation potentiel. Ainsi, la réaction de la ministre des Affaires étrangères croate Vesna Pusić est révélatrice de cette prise en compte de l’importance stratégique à court terme du pays « Il est extrêmement important avec toutes les crises traversant le voisinage de l’Europe que la Bosnie-Herzégovine soit de retour dans l’agenda de l’Union »
Une réponse diplomatique russe immédiate
Le 12 novembre dernier, la Russie s’est abstenue aux Nations Unies lors du vote d’extension du mandat de la mission militaire européenne EUFOR au Conseil de sécurité.
Pour se justifier, le représentant russe Vitali Tchourkine a déclaré qu’il était « aux peuples »(5) de Bosnie-Herzégovine eux-mêmes de décider d’une intégration plutôt qu’aux puissances extérieures de forcer « un instrument destiné à accélérer l’intégration du pays dans l’Union européenne et l’Otan ». De son côté, l’ambassadeur russe en Bosnie-Herzégovine Petr Ovantsov a déclaré que la « Russie s’était abstenue durant le vote aux Nations Unies car la résolution était abusive dans le sens où le texte visait la promotion de l’adhésion de la Bosnie au sein de l’UE et de l’OTAN comme un processus unique » (6).
Cette abstention constitue un revirement diplomatique important car il semblerait que la Fédération de Russie ne soutienne plus l’idée d’une intégration de la Bosnie-Herzégovine dans l’OTAN comme par le passé. Pour autant, cette nouvelle position diplomatique se comprend mieux à la lumière des événements en Ukraine. Le représentant russe à l’ONU y a d’ailleurs fait indirectement allusion dans son communiqué « les exemples malheureux de pressions extérieures pour imposer un avenir européen abondent »
Ce redéploiement politique aura-t-il alors des conséquences ? Cette abstention est une perche tendue à ceux qui souhaiteraient un démembrement de la fédération bosnienne (par exemple par l’indépendance de la Republika Srpska) mais il faut néanmoins rappeler que la classe politique bosnienne soutient en majorité l’idée d’une intégration dans l’Union. La Bosnie-Herzégovine semble donc être bien redevenu un grand enjeu de la région.
Fabien Segnarbieux
(1) Pour plus de détails, se référer à l’article publié en février dernier.
Dervo Sejdić (rom) et Jakob Finci (juif) étaient venus contester en face de la Cour Européenne des Droits de l’Homme les dispositions constitutionnelles attestant que seuls des bosniaques, des croates et des serbes pouvaient être élus à la présidence ou bien à la chambre des peuples. Par son arrêt de décembre 2009, la Cour a conclu que la constitution bosnienne violait le protocole numéro 12 de la convention. Plus tard, il fut décidé que la mise en conformité de la constitution bosnienne à la Convention Européenne des Droits de l’Homme était un pré-requis nécessaire à la poursuite du processus d’adhésion à l’Union Européenne. À ce jour, aucune réforme n’a été mise en place car les politiciens n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur une réforme constitutionnelle.
(5) Pour rappel, les accord de Dayton font la distinction entre 3 peuples constitutifs, les Bosniaques, les Serbes et les Croates
(6) http://www.b92.net/eng/news/region.php?yyyy=2014&mm=11&dd=13&nav_id=92235
Pour en savoir plus, consulter le lien suivant : http://balkans.courriers.info/article26170.html
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