Un 24 mars à Buenos Aires : Jour de la Mémoire pour la Vérité et la Justice.

Un 24 mars à Buenos Aires : Jour de la Mémoire pour la Vérité et la Justice.

Vivre le 24 mars 2015, jour de la mémoire pour la Vérité et la Justice à travers les paroles de manifestants à Buenos Aires.

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Crédit photo : Nicolas Sauvain©.

Les sœurs Iriel (26 ans) et Lara (22 ans)

« Nous sommes ici pour nous rappeler de ce qu’il s’est passé sous la dictature, pour dire « Nunca más », plus jamais de dictature. Le mot d’ordre du jour est : Mémoire, Vérité et Justice, nous sommes ici pour soutenir la lutte des grand-mères de la Place de Mai et le projet politique porté par notre gouvernement. »

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Crédit photo : Nicolas Sauvain©.

Néstor (49 ans) et sa famille.
« Je suis venu avec ma famille depuis Remedios de Escaloda dans la Province de Buenos Aires, à 1h et demi de bus. Je ne milite dans aucun parti mais je participe à une association Movesol (Movimiento vecinal Solidario, Mouvement local solidaire). Nous avons organisé un festival hier soir dans le cadre des commémorations. Un groupe de musiciens est venu, nous ne les avons pas payé, les gens ont participé en leur donnant de l’argent. D’ailleurs, on ne m’a pas payé pour venir ici, je ne suis pas un “chori”. Je participe à cette marche à la fois pour des raisons politiques et personnelles. Mon oncle et ma tante ont disparu pendant la dictature, j’avais une dizaine d’année à l’époque, quand mon père est allé demander où ils étaient, on lui a répondu qu’il valait mieux pour lui qu’il arrête de poser des questions. »

[Chori : de choripán le nom du sandwich national argentin. Les opposants aux Kirchner expliquent que les manifestants pro-gouvernementaux viennent à la marche parce qu’on leur donnerait un choripán à manger et un coca-cola à boire].

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Crédit photo : Nicolas Sauvain©.

Xoan (23 ans).
« Je suis d’origine espagnole, de Galice, ma famille, comme beaucoup d’autres, s’est exilée en Argentine après la victoire de Franco. Puis la dictature est arrivée aussi en Argentine, ils ont donc souffert deux fois de la dictature. Je suis membre de l’Agrupacion Frederico Garcia Lorca et je marche aujourd’hui au nom de la mémoire, de la vérité et de la justice, en Argentine comme en Espagne. L’Argentine est en quelque sorte une inspiration pour l’Espagne, car le devoir de mémoire n’existe pas là-bas, les archives sont fermées, la justice n’a pas été rendue. Ce sont des juges argentins qui, en lançant des mandats d’arrêt contre des responsables franquistes, ont fait bouger les choses en Espagne. Il faut continuer. »

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Crédit photo : Nicolas Sauvain©.

Manuela (21 ans), Razmig (26 ans) et Mélanie (23 ans).
« Nous appartenons au mouvement Union de la jeunesse arménienne (UJA), nous sommes ici pour honorer la mémoire des victimes de la dictature militaire. Certains d’entre-eux étaient d’origine arménienne, ils avaient échappé au génocide pour en vivre un autre ici. Les Arméniens et les Argentins partagent les mêmes souffrances, ils ont été victimes de crimes contre l’humanité. Nous exigeons le même droit à la mémoire, la vérité et la justice. »

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Crédit photo : Nicolas Sauvain©.

Hilda et Ada,
« Les personnes présentes sur mon drapeau sont les 11 disparus de la ville d’où nous venons, moi et ma sœur. General Las Heras est une ville de la Province de Buenos Aires, à l’époque de la dictature il y avait 9 000 habitants et 11 d’entre-eux ont disparu. Je suis secrétaire de l’association de protection des droits de l’homme Memoria de Las Heras, il existe ce même type d’association un peu partout dans le pays. Nous luttons pour la mémoire et pour soutenir le changement politique en cours en Amérique latine, au Venezuela, en Équateur, en Bolivie… Nous avons besoin que l’Europe suive, Podemos en Espagne, Syriza en Grèce, que d’espoirs… Et vous aussi en France vous devez vous battre pour le changement ! ».

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« 1976-1983 : Terrorisme d’Etat. Plus jamais ça ! » Crédit photo : Nicolas Sauvain©.

Le 24 mars est un jour férié en Argentine, on y commémore le coup d’État militaire du 24 mars 1976 qui renversa la présidente Isabelle Martinez de Perón qui avait succédé à Juan D. Perón revenu au pouvoir en 1973. Ainsi, s’ouvre l’une des pages les plus sombre de l’histoire argentine : jusqu’au 10 décembre 1983 le pays est gouverné par une junte militaire dont l’homme fort est le général Jorge Videla. Ce que la junte appela le « Processus de réorganisation nationale » était en réalité un programme d’éradication systématique de l’opposition politique et de soumission de la société civile. Près de 30 000 personnes ont été directement victimes de ce terrorisme d’État, détenus, torturés, assassinés ou disparus. Des enfants ont été arrachés à leurs mères et “placés” dans des familles proches du pouvoir. Les « mères et grand-mères de la Place de Mai » ont réclamé justice et vérité en défilant sans relâche sur la place centrale de la capitale argentine face au palais présidentiel. Aujourd’hui, près de 40 ans après le début de la dictature militaire, de plus en plus de personnes découvrent leur terrible histoire et tentent de retracer leurs origines. Le devoir de mémoire et la recherche de la vérité est un combat permanent en Argentine. Cette soif de justice est un sujet omniprésent dans les discours politiques des partis de gauche et kirchnéristes.

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Crédit photo : Nicolas Sauvain©.

Cette marche commémorative existe depuis la fin de la dictature, mais l’affluence n’a pas toujours été aussi importante. Dans les années 1980 et 1990, la dictature était encore récente et les gens avaient encore peur. Durant les années 2000, la politisation de pans entiers de la population argentine conjuguée à un devoir de mémoire soutenu par les gouvernements en place, a poussé de plus en plus de citoyens à participer à cette marche. Aujourd’hui en 2015, année électorale capitale, cette manifestation n’est pas seulement commémorative mais se tourne également vers le futur. On défile autant pour se souvenir des victimes, honorer leur mémoire que pour signifier son adhésion au gouvernement kirchnériste. Les banderoles bariolées des multiples groupements politiques qui forment la constellation kirchnériste rappellent à tout un chacun à qui la foule se dévoue. Cependant la mainmise du pouvoir et de ses partisans sur cette marche a provoqué une scission. D’autres partis et mouvements de gauche non-péronistes défilent plus tard dans la journée en prenant garde à ne pas mélanger la marche “officialiste” et la marche “indépendante”. Les “indépendants” dénoncent la récupération politique du devoir de mémoire et l’hypocrisie d’un gouvernement qui n’aurait pas entièrement fait le ménage en conservant des personnes liées à la dictature à des postes importants.

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Crédit photo : Nicolas Sauvain©.

Sur une estrade face à la Casa Rosada, les Grand-mères de la Place de Mai prennent la parole pour affirmer leur soutien au gouvernement de Cristina Fernández de Kirchner. Elles font huer le nom de Clarín, le quotidien d’une opposition systématique au pouvoir actuel dont les propriétaires étaient liés à la dictature. Ces grand-mères font également référence au génocide arménien un mois avant les commémorations du centenaire, en appelant au devoir de mémoire pour tous les peuples victimes de crimes contre l’humanité. Elles citent également le cas du Mexique et de ses disparus, de ses dizaines étudiants assassinés par des forces de l’ordre à Ayotzinapa, elles rappellent que la lutte pour la justice et la défense des droits de l’homme n’est jamais totalement terminée. Le mot de Patria Grande, le rêve bolivarien d’une Amérique latine unifiée, revient souvent dans les discours. On appelle à la mobilisation pour soutenir le Venezuela face à “l’impérialisme américain”, Washington ayant récemment qualifié Caracas de “menace extraordinaire et inhabituelle pour la sécurité des Etats-Unis”. Pour finir leurs discours, les Grand-mères reprennent les thématiques récurrentes des discours kirchnéristes : la joie (alegria), la politisation (“somos un pueblo organizado”) et l’espoir (“el futuro es nuestro”).

La foule se quitte dans le calme en scandant :

“30 000 detenidos y desaparecidos : PRESENTES / Ahora y SIEMPRE !”

“30 000 détenus et disparus : PRESENTS / Maintenant et TOUJOURS !”.

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« 30 000 rêves fleurissent ». Crédit photo : Nicolas Sauvain©.

Nicolas Sauvain.

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