A priori un pape argentin et une journaliste canadienne ont peu de choses en commun : le pape François est le chef d’une institution religieuse pluricentenaire souvent qualifiée de conservatrice et Naomi Klein est une auteure et militante altermondialiste. L’invitation de Naomi Klein au Vatican pour participer à une conférence sur le changement climatique en a donc surpris plus d’un, à commencer par la première intéressée.
« Une radicale au Vatican ».
L’auteure canadienne raconte le voyage de 3 jours au Vatican d’une « féministe juive et laïque » dans un article du New Yorker, A radical Vatican ?. Elle y livre quelques anecdotes comme celle d’un membre d’une association franciscaine citant Lénine ou encore, fait inédit, l’utilisation du mot « féministe » lors d’une conférence de presse officielle du Saint-Siège… Naomi Klein analyse surtout le « tournant théologique majeur » opéré par le pape François sur les questions environnementales. Elle souligne le retour en grâce de courants autrefois minoritaires à l’Église sous le pontificat d’un ancien jésuite. Surtout, le poids plus importants dans la hiérarchie catholique des représentants de pays non-européen participerait à cette « révolution théologique » critique du modèle capitaliste. Dans la dénonciation des inégalités, les discours du pape François -premier pape latino-américain- font écho à théologie de la libération et son message égalitariste venu d’Amérique du Sud. La nouvelle vision de l’Église sur le rapport de l’homme à la nature exposé dans l’encyclique Laudato Si pourrait traduire, selon Klein, les emprunts aux religions animistes particulièrement vivaces dans les versions non-européennes du catholicisme. Bien qu’il existe des tendances lourdes à l’Église qui pourraient expliquer ces récentes transformations, la rapidité des changements opérés au Vatican surprend et est, selon la canadienne, un gage d’optimisme :
« L’exemple le plus fort de cette capacité de changement pourrait bien être le Vatican du pape François. Ce n’est pas un modèle seulement pour l’Église. Car si l’une des institutions les plus anciennes et les plus conservatrices au monde peut changer ses enseignements et ses pratiques aussi radicalement et rapidement qu’essaie de le faire le pape François, alors n’importe quelle institution plus jeune et plus malléable pourra réaliser le même changement.
Si cela arrive -si la transformation est aussi contagieuse qu’elle semble l’être ici- nous pourrions bien avoir une chance de contrer le changement climatique. »
Le « tournant François ».
Depuis son accession au trône de Saint-Pierre, le pape François a multiplié les prises de positions qualifiées de progressistes -relativement à ses prédécesseurs-. Que ce soit par sa réforme de la Curie romaine ou par les appels à la solidarité chrétienne avec les migrants, François cherche à (re)faire de l’Église, un acteur au service des humbles et des plus démunis.
La lutte contre le réchauffement climatique est devenu le nouveau combat du Saint-Siège. A la différence d’un simple appel à la vigilance, le souverain pontife a dévoilé dans l’encyclique Laudato Si un manifeste et un appel à l’action. Laudato Si, « Loué sois-tu ! » reprend les conclusions des climatologues du GIEC et alerte sur le risque imminent de destruction du « fruit de la Création ». Le pape va plus loin encore en dénonçant un système économique inégalitaire et criminel, il appelle à une « conversion radicale » à l’écologie et même une « certaine décroissance » ! A l’instar de l’encyclique Rerum Novarum de Léon XIII qui exposait la doctrine sociale de l’Église, Laudato Si restera comme l’une des encycliques les plus importantes de l’histoire du catholicisme faisant de l’Église un acteur de son temps.
● Lire l’encyclique Laudato Si, ou un article du Figaro reprenant 10 citations issues de l’encyclique.
Lors de son récent déplacement dans son continent d’origine, l’Amérique latine, le pape François a multiplié les déclarations dont certaines ont été reprises par l’activiste canadienne sur les réseaux sociaux. Ce fut le cas de l’appel du souverain pontife à protéger la forêt et ses populations en Équateur, alors que le président Rafael Correa a abandonné le projet de parc naturel de Yasuni. Naomi Klein a aussi salué dans un autre registre les excuses présentées par le pape François en Bolivie pour « les graves péchés de l’Église commis pendant la soi-disant conquête ».
Naomi Klein a son Laudato Si, son encyclique laïque est intitulée Tout peut changer et a été publié en septembre 2014. L’originalité de ce livre qui traite du changement climatique tient à son optimisme, Naomi Klein nous invite à le voir comme une opportunité non seulement de sauver notre écosystème mais une aussi comme une chance de changer le modèle économique et social dominant. En effet la dégradation de notre environnement rend intelligible des concepts abstraits : l’appartenance collective à un même monde et l’interdépendance des êtres humains entre eux et avec la nature. Cette prise de conscience doit conduire à un combat solidaire et à l’union d’acteurs au-delà de leurs différences au nom d’une même « sainte cause ». Qu’un Pape et une activiste altermondialiste s’unissent dans un même combat est une manifestation de cette convergence aussi inattendue que nécessaire.
Nicolas Sauvain
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