“The infiltrators are a cancer in our society.”

“The infiltrators are a cancer in our society.”

“The infiltrators are a cancer in our society”. C’est à la lecture de ces mots, prononcés en mai 2012 par Miri Regeve, ministre israélienne de la culture, que j’ai décidé d’effectuer un travail de recherche sur la situation des demandeurs d’asile africains en Israël, au sein du Centre de Recherche Français à Jérusalem (CRFJ) durant l’été 2015. En raison de ma formation académique très centrée sur les droits de l’homme, cette expression m’a choquée au premier abord puis elle m’a donné envie de réfléchir. En effet, Israël fait face depuis une décennie à une arrivée massive de migrants venus du Soudan et des pays de la Corne de l’Afrique, principalement l’Erythrée. Il ne s’agit pas d’une immigration appuyée par le pays d’accueil pour des raisons religieuses comme cela avait pu être le cas dans les années 1980 avec les juifs Ethiopiens. En effet, les “opérations Moïse(1)” et “Salomon(2) menées par Israël et les Etats-Unis pour les sauver de la grande famine touchant à cette époque le pays, ont été grandement motivées par des raisons religieuses et démographiques. Il s’agissait d’augmenter le nombre de juifs présents sur le territoire israélien. Ces deux « sauvetage en masse » conduiront ensuite 6 000 Ethiopiens à accomplir leur alya(3), mettant fin à l’existence de la communauté juive d’Ethiopie, vieille de 3 000 ans.

Carte d'un
Carte d’un « détenu » à Holot. Credit photo: L. Rharade

Dans la situation qui nous intéresse aujourd’hui, l’arrivée des Erythréens et Soudanais n’est pas soutenue par Israël pour différentes raisons. La majorité d’entre eux ne sont pas juifs, mais musulmans ou chrétiens. La peur d’Israël de voir un jour sa population juive ne plus être majoritaire n’est pas un secret et explique en partie son refus d’accueillir ces réfugiés. Leur nombre est également bien plus important que les Ethiopiens arrivés en 1980 et la situation géopolitique du pays ainsi que celle de la région a changé.  

Parce que la communauté soudanaise est très particulière, surtout au regard de la création somme toute récente du Sud-Soudan, j’ai choisi de ne m’intéresser qu’aux demandeurs d’asile venus d’Erythrée, afin de pouvoir effectuer un réel travail d’analyse sur une partie homogène des réfugiés africains en Israël. N’étant sur place que deux mois, il aurait été compliqué de prendre en compte toutes les différences qui composent la société soudanaise sans la catégoriser grossièrement.

En revanche, il convient de préciser avant de se concentrer seulement sur l’Erythrée, que Soudanais comme Erythréens fuyant leur pays d’origine sont parfaitement habilités par le droit international à demander l’asile en Israël. En effet, les droits des réfugiés et les obligations des États à leur égard sont principalement régis par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, dite « de Genève » et son Protocole de 1967 (4), ratifiée par Israël dès 1954.

L’article premier de la Convention de 1951 définit le réfugié comme « toute personne qui, […] craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. »

Carte d’Erythrée, Division Géographique de la Direction des Archives du MAE, 2004
Carte d’Erythrée, Division Géographique de la Direction des Archives du MAE, 2004

Les raisons de la fuite :

Alors que l’Erythrée n’est frappée par aucun conflit armé ni tension interne au regard des définitions du droit humanitaire, il est nécessaire de s’interroger sur les raisons qui poussent les Erythréens à quitter leur pays et à demander le statut de réfugié. Le service militaire à durée indéfinie mis en place par le dictateur Isaias Afewerki, au pouvoir depuis 1993, est la raison principale de leur fuite(5) et est considéré par les juristes internationaux comme rentrant dans les critères de la Convention relative aux réfugiés de 1951. Cette conscription obligatoire, qui a pour conséquence de nombreuses violations des libertés fondamentales du peuple érythréen, est justifiée, selon le gouvernement, par la dangerosité et les velléités territoriales de “l’ennemi éthiopien”. En effet, les conflits qui ont opposé ces deux pays, et principalement les trente ans de guerre d’indépendance(6), sont aujourd’hui mis en avant pour présenter l’Ethiopie comme LA menace principale à laquelle ferait face l’Erythrée, nécessitant pour y répondre une militarisation intense et constante de ses citoyens. Néanmoins, cette propagande n’a plus d’effet sur ces derniers, qui élisent au contraire l’Ethiopie comme premier pays de refuge(7), après le Soudan. Israël, qui en comptait tout de même une trentaine de milliers en 2014, n’a pourtant jamais implémenté en droit interne la Convention relative aux réfugiés.

Mon travail consistait alors à analyser la situation des Erythréens en Israël au regard de la spécificité du système d’asile israélien. En effet, ce dernier s’appuie sur une loi de 1954 destinée à gérer le retour des réfugiés palestiniens après la guerre de 1948, amendée à plusieurs reprises, notamment à partir de l’année 2012, pour traiter des demandeurs d’asile africains. Cette loi et ses amendements ont été la base de mon questionnement juridique qui cherchait à répondre à la question suivante : en quoi la particularité du droit d’asile israélien permet-elle une réponse discrétionnaire à la question des réfugiés érythréens en Terre Sainte ? Pour ce faire, j’ai dû d’abord effectuer un travail de recherche, historique comme géopolitique, afin de comprendre la situation en Erythrée. En effet, pour analyser la pertinence des demandes d’asile érythréennes, il fallait avant tout comprendre pourquoi ces individus s’enfuient de leur propre pays. Je me suis donc principalement appuyée sur le rapport de la commission d’enquête des Nations Unies sur les droits de l’homme en Erythrée de juin 2015(8) mais également sur des témoignages d’Erythréens rencontrés à Jérusalem, notamment pour retracer le dangereux périple qui les a mené jusqu’en Israël.

Fondé sur la répression, le régime érythréen a la particularité d’imposer à ses citoyens, homme et femme, un service national de facto à durée indéterminée mais officiellement, de 18 mois. C’est une des premières raisons qui explique la fuite des Erythréens, et notamment des jeunes. Le processus est le suivant : à la fin de leur terminale, les futurs étudiants sont envoyés à Sawa, un centre d’entrainement militaire et d’examen d’entrée à l’université, situé à 300 kilomètres de la capitale. Les trois premiers mois sont consacrés à la préparation de l’examen d’entrée à l’université, puis les six mois suivants à un entraînement militaire et ensuite, la formation universitaire reprend (ou est du moins censée reprendre). S’ils refusent d’aller à Sawa, la police vient directement les chercher chez eux pour les emmener cette fois dans un camp d’entraînement uniquement militaire, situé dans le désert, appelé camp de Wi’a.

Certains jeunes refusent de se rendre à Sawa en raison des décisions arbitraires qui y sont prises concernant les « potentiels » étudiants. Un des Erythréens interviewé pour ce rapport en faisait partie, ses frères ayant tous deux été obligés de rester dans l’armée même après avoir passé et réussi l’examen d’entrée à l’université. Il est finalement allé à Sawa mais s’en est enfui après les 6 premiers mois, lorsqu’il a compris qu’il n’avait aucune assurance de retourner étudier à Asmara. Cependant, les Erythréens qui quittent le camp de Sawa et plus généralement, ceux qui quittent le pays pour échapper au service militaire, encourent de gros risques. Tout d’abord, les gardes aux frontières appliquent la politique gouvernementale du « shoot to kill » (tirer pour tuer) à quiconque tente de quitter le territoire illégalement. Ceux qui réussissent mettent également leurs familles en danger car elles doivent payer une amende de 50 000 nafkas(9) pour ne pas être emprisonnées à leur place. Les Erythréens renvoyés dans leur pays d’origine après s’être enfuis risquent torture et détention, d’après le rapport spécial des Nations Unies pour l’Erythrée. Selon le « International Crisis Group », une ONG transatlantique fondée en 1995, le service national est utilisé comme une source de travail forcé et gratuit. Dans la mesure où la plupart des obligations des Erythréens en service n’a rien à voir avec l’armée, l’Organisation Internationale du Travail (OIT) a déclaré le service militaire en Erythrée comme du travail forcé. Ce dernier est interdit par la Convention n°29 l’OIT (10) que l’Erythrée a, rappelons-le, ratifié le 22 février 2000.

Ainsi, au cours des dix dernières années, l’Erythrée a perdu un cinquième de sa population (sur six millions d’habitants). En effet, selon le rapport de l’ONU à la base de mon analyse, environ 5 000 personnes en moyenne quitteraient mensuellement l’Erythrée, les derniers mois de 2014 révélant même un chiffre plus élevé. Etant donné qu’il est impossible de quitter le pays sans autorisation, ces migrations se font dans l’illégalité.

L’arrivée en Israël

Plus proche que la lointaine Europe, Israël fait figure, pour ceux qui la choisissent comme destination, d’El Dorado au coeur d’une région pauvre et instable. En effet, beaucoup d’Erythréens sont victimes du trafic d’êtres humains(11) dans le désert du Sinaï lorsqu’ils essaient par exemple de rejoindre l’Egypte. Les chanceux qui y survivent se retrouvent ainsi à la frontière israélienne sans forcément l’avoir souhaité. Selon les chercheurs, 90% des 25 à 30 000 victimes du trafic d’êtres humains dans le Sinaï, entre 2009 et 2013, sont Erythréens. Ce fort pourcentage ne s’explique pas seulement par la prépondérance d’Erythréens utilisant cette route mais aussi par l’importance de la diaspora érythréenne, devenue célèbre pour payer les rançons de ses compatriotes. En effet, les demandes pour un Erythréen peuvent atteindre 50 000 dollars par personne, ce qui n’a malheureusement pas amené Israël à ouvrir ses frontières, bien au contraire. Depuis 2013, une barrière de 240 kilomètres de long et cinq mètres de haut a été construite par Israël dans le désert du Sinaï, à la frontière égyptienne, pour empêcher les réfugiés africains de pénétrer sur son territoire, et éviter les infiltrations de groupes islamistes présents dans la région.

Ainsi, à partir de 2006, le nombre d’entrées illégales en Terre Sainte a commencé à augmenter fortement. Cependant, sa politique migratoire particulière, fondée sur l’ethnicité et la religion juives, fait que les Erythréens de confession différente qui cherchent à s’y rendre ne sont pas traités de la même manière que leurs voisins éthiopiens. Pourtant, au regard de la définition de la convention de Genève de 1951, il est clair que les activistes érythréens qui se sont élevés contre le gouvernement en place encourent de graves dangers s’ils retournent chez eux ou même s’ils restent tout simplement en Erythrée vu la politique du régime à leur encontre, qui va de l’enfermement à l’exécution arbitraire, en passant par la torture. Le même raisonnement s’applique aux Erythréens de confessions non reconnues par l’État, comme les pentecôtistes ou les évangélistes, qui sont persécutés pour leurs croyances.

Cependant, le cas des jeunes Erythréens qui fuient le service militaire pose plus de questions. Au vu de la définition littérale de la Convention de Genève, ils ne sont pas persécutés dans leurs pays en raison de leur race, origine, sexe, ou religion. Il serait possible de les considérer comme appartenant à un certain groupe social, celui des « déserteurs » pour les faire rentrer dans le champ d’application de l’article 1. Les analyses du Comité International de la Croix Rouge à ce sujet prônent cependant une autre approche. En effet, la protection de la Convention ne s’applique pas seulement lorsque le risque encouru est passé mais également lorsqu’il est avéré qu’il aura lieu. Par exemple, les Erythréens qui fuient sont automatiquement condamnés à la prison puisqu’il est interdit de quitter le territoire. Ainsi, chaque Erythréen qui s’est enfui est par principe en danger s’il retourne en Erythrée. C’est pourquoi, au regard du droit international, les Erythréens devraient bénéficier « d’une protection de groupe ». Elle permet d’accorder un statut aux réfugiés qui en font partie, sans avoir besoin de répondre aux critères de l’article 1 de la Convention de Genève lorsqu’il est établi que la seule appartenance à ce groupe est synonyme de persécution. Accordée par exemple aux réfugiés du conflit au Darfour, la protection de groupe permet à ceux qui en bénéficient d’être automatiquement considérés comme réfugiés en raison de leur pays d’origine sans avoir à prouver une persécution personnelle et particulière, comme c’est le cas pour les autres demandes d’asile.

L’évolution du système israélien d’asile :

Pour comprendre la réaction d’Israël à l’égard des réfugiés érythréens, il faut s’intéresser à son histoire. Plusieurs événements ont modelé la perception de l’État d’Israël et son attitude à l’égard des réfugiés. L’expérience des Juifs fuyant l’Europe nazie de la deuxième Guerre Mondiale et l’Holocauste expliquent largement la rédaction de la Convention de 1951 relative aux réfugiés. En effet, Israël est un des pays à l’origine de la création de ce texte, qui protégeait au départ seuls les individus déplacés pendant et après la seconde guerre mondiale. Sa ratification a donc été très rapide (1954) et Israël demeure aujourd’hui encore un des rares pays du Moyen-Orient à être partie à cette Convention. Israël a également ratifié le Protocole de 1967. Pourtant, pendant que le monde, et Israël au premier rang, était en train de créer les instruments de droit international pour répondre à la question des réfugiés juifs, Israël rédigeait l’Anti-Infiltration Law de 1954. Destinée à stopper l’entrée des Fedayin(12) en Israël, elle crée un mécanisme juridique qui empêche le retour des réfugiés palestiniens, ceci en directe contradiction avec l’esprit de la Convention de Genève, ratifiée, ironie de l’Histoire, la même année en 1954 par l’Etat d’Israël.

Cette loi est aujourd’hui la seule base juridique au système israélien d’immigration. En effet, elle a déjà été amendée trois fois afin de réguler le sort de ces nouveaux « infiltrés ». Sous la pression du Haut-Commissariat aux Réfugiés, des États-Unis et d’autres États de la communauté internationale, Israël a décidé en 2009 de prendre en charge l’enregistrement et l’examen des requêtes des demandeurs d’asile. Une formation de six mois par le HCR et le HIAS(13) a alors été dispensée à l’unité créée par le Ministre de l’Intérieur à cet effet. Cette dernière, appelée l’Unité des Réfugiés et des Infiltrés (Refugees and Infiltrators Unit) a été accueillie avec précaution par le HCR au vu de la réputation de la bureaucratie israélienne. En effet, entre 2009 et 2012, 82% des demandeurs d’asile érythréens dans le monde ont obtenu le statut de réfugié, contre 0.2%(14) en Israël. L’État rejetait effectivement toutes les demandes des Érythréens et ne répondaient même pas à celles en provenance des Soudanais. Dès lors, aucune demande n’a été examinée durant ces trois années, soit parce que la désertion du service militaire érythréen n’était pas considérée comme un motif de persécution soit parce qu’Israël considérait que ceux qui ont quitté l’Egypte pour cette dernière ne sont pas réfugiés mais des migrants économiques.

A partir de 2012, cette tendance « anti-infiltrators » s’est accentuée. En effet, le premier amendement à la loi anti-infiltration de 1954, réservée, rappelons-le, aux Palestiniens, est adopté par la Knesset le 10 janvier 2013. Il autorise la détention de tous les demandeurs d’asile africains arrivés illégalement en Israël après juin 2012, enfants compris, pour une période de trois ans maximum, renouvelable jusqu’à ce que la déportation soit possible. Il permet également la détention indéfinie de certains individus comme les Soudanais, car venant d’un pays “hostiles” à Israël(15).  De plus, cet amendement donne le droit aux autorités frontalières de poursuivre les demandeurs d’asile pour avoir traversé la frontière et de les punir d’une peine d’emprisonnement de cinq ans maximum, portée à sept en cas de récidive. La mise en place d’un tel crime « d’infiltration » est en complète violation du droit international. D’abord parce que la détention de ces immigrants illégaux tombe sous le coup de la procédure administrative israélienne et ne garantit donc pas l’accès à un avocat(16) mais également car la Convention de Genève interdit explicitement ce type de sanction pénale à l’encontre des réfugiés dans son article 31§1. En effet, la seule entrée ou présence sur le territoire de l’État contractant ne peut être punie pénalement, tant qu’ils se présentent aux autorités sans délai et « exposent des raisons valables de leur entrée ou présence irrégulières. »(17)

Cependant, il ne faut pas oublier qu’Israël, n’en déplaise à ses détracteurs, demeure un État de droit. Ainsi, il existe une Cour Suprême, siégeant à Jérusalem, un contre-pouvoir garant du respect des « basics laws of Israel ». En effet, Israël n’a peut-être pas rédigé de Constitution mais se fonde sur ces « lois fondamentales » pour contrôler la « constitutionnalité » de ses lois.

C’est en s’appuyant sur ces principes, qu’un an après cet amendement, la Haute Cour l’a déclaré irrecevable et a ordonné la mise en liberté de toutes les personnes détenues dans un délai de 3 mois, c’est-à-dire d’environ 1700 personnes, majoritairement des Erythréens, emprisonnées dans les prisons de Saharonim ou Ktziot dans le Néguev. Malheureusement, le jugement, bien que particulièrement poignant sur le fond car condamnant ces détentions et dénonçant l’inconstitutionnalité d’un tel amendement, laisse une porte ouverte au gouvernement. En effet, il souligne que rien n’empêche qu’une autre loi soit passée autorisant un emprisonnement d’une durée plus courte. Dès lors, au lieu de libérer les demandeurs d’asile, le second amendement, passé le 17 novembre 2013, s’engouffre dans cette brèche et autorise leur emprisonnement pour un an dans une prison spécialement créée à cet effet.

En effet, le second amendement est à l’origine de l’ouverture d’Holot, une « structure ouverte » (open facility) qui a toutes les caractéristiques d’une prison, à commencer par sa gestion par les autorités pénitentiaires. Située dans le désert, les prisonniers d’Holot sont autorisés à en sortir, s’ils ont les moyens de payer les transports, et tant qu’ils répondent à l’appel quotidien. Je me suis rendue dans ce centre de détention accompagnée par les membres de l’association Kol Haneshama(18), afin de rencontrer les demandeurs d’asile. Certains ne connaissent d’Israël qu’Holot, y ayant été transférés dès leur arrivée sur le sol israélien. D’autres ont eu le temps de s’installer avant d’être convoqués à Holot. De nombreuses manifestations ont été organisées par les détenus pour dénoncer le traitement dont ils sont l’objet. Des associations israéliennes sont également très investies dans cette cause et leur rendent visite, s’occupent des démarches administratives et juridiques, et leur procurent des manuels, des ordinateurs, afin qu’ils puissent suivre des formations professionnelles ou universitaires.

Entrée du centre de détention d’Holot, 26 Juillet 2014 Credit photo: L. Rharade

Néanmoins, le 23 septembre 2014, le système israélien de contrôle de constitutionnalité des lois, a redonné de l’espoir aux demandeurs d’asiles africains présents sur son territoire. En effet, la Cour Suprême a une fois encore déclaré irrecevable un autre amendement passé par la Knesset en novembre 2013. La Cour Suprême y ordonne la fermeture d’Holot et la mise en liberté de ses détenus dans les 90 jours. Mais au lieu de se conformer à la plus haute autorité légale du pays, la Knesset a décidé, avant d’être dissoute à la veille de nouvelles élections, de passer en vitesse un autre amendement autorisant la détention à Holot sans jugement ni condamnation pour une durée maximum de vingt mois et de 3 mois dans une prison « traditionnelle ».  Il s’agissait aussi, par cette nouvelle loi, de dissuader les autres demandeurs d’asiles toujours en liberté : soit ils partent vingt mois en « prison », soit ils quittent le territoire.

Il est en théorie possible d’être libéré lorsque la demande d’asile est restée sans réponse pendant plus de neuf mois. C’est le cas de Mutasim Ali, premier demandeur d’asile libéré de Holot à cause des délais d’examen de sa requête. En effet, il a été emprisonné à Holot en mai 2014 et avait immédiatement lancé les procédures contre cette arrestation, avec l’aide de la Hotline For Migrants and Refugees, une autre association israélienne leur venant en aide. Son premier argument résidait dans le fait qu’il avait soumis sa demande d’asile trente mois auparavant, sans jamais recevoir une réponse de l’État d’Israël bien que la Commission des Nations Unies pour les Réfugiés (UN Refugee Commission) avait déterminé qu’il remplissait les conditions pour obtenir le statut.(19)

Le 5 décembre 2014, un cinquième amendement a été passé par la Knesset. Il autorise la détention administrative de chaque migrant traversant la frontière égyptienne illégalement, et ce pour une durée de vingt mois. C’est ce dernier amendement qui a été récemment annulé par la Cour Suprême en août dernier et c’est cette même décision qui a ordonné, une bonne fois pour toutes, la libération des 1 178 détenus à Holot depuis plus d’un an. Cependant, il leur est interdit de travailler ou de vivre à Tel Aviv et à Eilat, bien qu’ils puissent en théorie s’y rendre. Dès lors, nombreux étaient ceux qui, le soir de leur libération, se trouvaient encore devant le centre de détention, faute d’endroit où aller. De plus, cette décision n’a pas été très bien accueillie par les habitants de Tel Aviv, qui sont allés jusqu’à descendre dans la rue pour protester contre la libération des demandeurs d’asile.

Par conséquent, bien que libres, les Erythréens qui demandent l’asile en Israël ne sont toujours pas dans une situation qu’on pourrait qualifier d’optimale ou même de satisfaisante. Une minorité au sein de la population israélienne refuse toujours de les accueillir et continue de croire en la propagande du gouvernement qui les qualifiait d’ « infiltrators ». Beaucoup reste donc à accomplir et de nombreuses barrières, idéologiques, juridiques et même sociales, sont à abattre. En effet, il y a quelques jours, dimanche 18 octobre 2015, un Erythréen présent sur les lieux d’une attaque terroriste perpétrée par un Arabe israélien a été tué par un agent de sécurité israélien, qui l’aurait confondu avec l’assaillant, puis lynché par les passants.  Ainsi, au regard du climat de violence qui touche actuellement la Terre Sainte, et notamment de la potentielle troisième Intifada qui pourrait se déclencher, il est peu probable que la situation des Erythréens devienne la priorité des autorités israéliennes.

Leïla Rharade

Diplômée du Master 2 Relations Internationales et Action à l’Etranger
(Université Panthéon-Sorbonne) promotion 2014-2015.
En stage au Centre de Recherche Français à Jérusalem (CNRS) à l’été 2015.
Actuellement  LLM Droit international humanitaire et droits de l’homme (Geneva Academy)

1.L’opération Moïse a lieu en 1984. Le gouvernement israélien procède à une « opération de sauvetage en masse ». Quelques 8 000 Juifs éthiopiens s’envolent ainsi vers Israël depuis Khartoum (Soudan). Interrompu lorsque le Président Soudanais en découvre l’existence, le transfert reprend grâce à l’intervention des Etats Unis, et permet de transporter 8 000 Juifs éthiopiens supplémentaires restés au Soudan.

2. L’opération Salomon a lieu en 1991, deux ans après la reprise des relations diplomatiques entre l’Ethiopie et Israël (interrompue pendant 15 ans, jusqu’en décembre 1989, date de la réouverture de l’Ambassade d’Israël à Addis Abeba). Pour permettre le regroupement des familles séparées par l’opération Moïse, un pont aérien est créé par Israël en échange d’un don de 40 millions de dollars. 14 000 personnes sont transportées en une nuit vers la Terre Sainte.

3. Ce terme hébreu désigne l’acte d’immigration en Terre sainte par un juif.

4. Protocole additionnel à la Convention relative au statut de réfugié de 1951, New York, Etats Unis, 1967. Disponible en ligne sur : http://www.unhcr.ch/fileadmin/unhcr_data/Protocole-de-new-york-1967.pdf

5. Le non respect de certaines libertés fondamentales, et notamment la censure totale que subit la presse, explique aussi la volonté de fuite des Erythréens.

6. Commencée en 1961 après son annexion par l’Ethiopie, la guerre d’indépendance de l’Erythrée ne s’achèvera qu’en 1991.

7. 123, 800 Erythréens se trouvaient en Ethiopie à la fin de l’année 2014, devant le Soudan (qui en compte 109,594) et Israël (32, 700) selon les chiffres du rapport du HCR intitulé “Global Trends” publié en 2014 (disponible en ligne sur http://unhcr.org/556725e69.html, page 15)

8. Rapport de la Commission d’enquête sur les droits de l’homme en Erythrée du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies, publié le 8 juin 2015, p43. Disponible en ligne sur : http://www.ohchr.org/Documents/HRBodies/HRCouncil/CoIEritrea/A_HRC_29_CRP-1.pdf

9. 3 317 dollars canadiens (http://www.refworld.org/docid/5084f3412.html)

10. Article 2 de la Convention n°29 de l’OIT sur le travail forcé, New York, Etats Unis, 1930, disponible sur http://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEXPUB:12100:0::NO::P12100_ILO_CODE:C029

11. Pour plus d’informations au sujet des réseaux de traficants d’être humains, voir: http://www.lemonde.fr/afrique/visuel/2014/10/13/voyage-en-barbarie-dans-le-desert-du-sinai_4501271_3212.html

12. Pluriel de Feda’i, les fedayin signifient littéralement “ceux qui se sacrifient” (pour quelqu’un ou quelque chose). Ce terme, à l’origine identifiant n’’importe quel groupe armé qui se bat contre un gouvernement ou le pouvoir en place (les commandos Arméniens en Anatolie en 1890, ou encore les troupes du mouvement d’opposition iranien en 1905), sera utilisé pour la première pour désigner les Palestiniens au lendemain de la seconde guerre mondiale, par la presse égyptienne.

13. Hebrew Immigrant Aid Society, association américaine fondée au début du 20ème siècle à destination des Juifs d’Europe. Siteweb d’HIAS : http://www.hias.org/history

14. Michael Schaeffer Omer-Man, « The origins and politics of Israel’s refugee debate”, in 972 Magazine, 28 janvier 2014, disponible en ligne sur http://972mag.com/the-origins-and-politics-of-israels-refugee-debate/86180/ : les Etats Unis ont approuvé 51% des demandes d’asiles d’érythréens entre 2009 et 2012, 25% en moyenne pour les membres de l’Union Européenne, avec des variations importantes selon les Etats : 62% en Italie contre 14% en Allemagne.

15. Cette détention concerne uniquement les hommes, arrivés en Israël après janvier 2012, sans enfants

16.  Cela constitue une violation de l’article 9 du Pacte International Pour les Droits Civils et Politiques, signé par Israël en 1966 et ratifié le 3 octobre 1991.

17.  Convention de Genève relative au statut des réfugiés, Genève, Suisse, Juillet 1951, Article 31§1,  disponible en ligne sur http://www.unhcr.fr/4b14f4a62.html

18. Qui signifie en hébreu “l’âme toute entière”

19. Ian Lor, « After a long legal battle, Israel to free Darfuri refugee leader » in Haaretz, 7 juillet 2015. Disponible en ligne sur  http://www.haaretz.com/news/israel/.premium-1.664752

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