La face noire de la mondialisation : expansion de l’exploitation sexuelle

La face noire de la mondialisation : expansion de l’exploitation sexuelle

 

Généralement présentée comme un phénomène essentiellement positif d’ouverture des frontières et de développement des échanges économiques, d’explosion des flux de capitaux, de marchandises et d’humains, la mondialisation présente cependant une « face noire » dont l’une des conséquences est l’expansion sans précédent des réseaux d’exploitation sexuelle. Si les adultes et les enfants des deux sexes sont sujets à l’exploitation sexuelle, il est important de souligner que plus de 60% des victimes de l’exploitation sexuelle sont des femmes ou des filles. L’exploitation sexuelle consiste en l’utilisation d’être humains dans le but d’un acte sexuel, et englobe des pratiques aussi diverses que les mariages forcés, la prostitution, la pornographie, la pédophilie. En excluant la prostitution volontaire de cette analyse, il s’agit de considérer la prostitution forcée, souvent présentée avec une dangereuse insouciance comme « le plus vieux métier du monde ». L’esclavage sexuel, récemment mis en lumière par les agissements de Daesh à l’encontre des femmes yézidies, sous-entend que le travailleur sexuel exerce sous la contrainte, dépossédé de ses papiers et étant considéré comme un bien de l’exploitant qui peut donc s’en servir comme ressource, le blesser voire le tuer.

L’effondrement du bloc communiste, avènement de la logique capitaliste et  expansion de l’exploitation sexuelle

Le dernier cycle de la mondialisation est profondément marqué par l’affirmation des Etats-Unis comme une hyperpuissance qui ne connaît aucune concurrence. Le capitalisme accroît la marchandisation des biens et des services mais aboutit également à une marchandisation des corps, des êtres humains et à une monétarisation des relations sociales ou sexuelles. L’esclavage sexuel repose sur des flux de populations facilités par l’ouverture des frontières et des profits extrêmement élevés. Dans les pays d’Europe de l’Est et d’Europe centrale, l’explosion du système marchand croit de façon proportionnelle à la dégradation de la condition de la femme.

D’après Richard Poulain,[1] l’essor de la prostitution et de la traite des femmes et des enfants repose sur trois caractéristiques. Tout d’abord, le passage d’une économie planifiée à une économie capitaliste provoque une crise économique brutale qui entraîne une paupérisation d’une partie importante de la population. De plus, la libéralisation économique entraîne une désorganisation sociale et politique qui contribue à une explosion de la violence privée, du crime organisé et de la corruption. Enfin, le changement social s’accompagne d’une envie de consommation « à l’occidentale » qui contribue à laisser penser que les relations sexuelles tarifées sont normales voire enviables. Dans cette zone, se développent alors parallèlement une prostitution locale et une traite des femmes et des enfants vers l’Europe occidentale essentiellement. En Suisse, des visas de travail sont à la disposition des femmes d’Europe de l’Est pour être danseuses nues sans savoir que la prostitution est souvent une condition sine qua non à l’exercice de leur travail dans les cabarets et les maisons closes.[2]

Les situations de conflit sont également des vecteurs de paupérisation ainsi que d’exploitation sexuelle. [1]Au Kosovo, la guerre de 1998-1999 contre l’armée Yougoslave de Milosevic a contribué à l’accroissement du nombre de maisons closes à la frontière et à l’organisation de ventes aux enchères de femmes aux proxénètes kosovars. Les occupations de territoire et la présence de militaires sont des facteurs importants de l’exploitation sexuelle et du développement du tourisme sexuel. Les industries sexuelles sont également promues par une nouvelle construction sociale selon laquelle la pornographie et l’achat de services sexuels sont des loisirs désormais moralement acceptables.

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Source : UNDC

La mondialisation, dont les principaux acteurs vantent un nouveau rassemblement de l’ensemble des pays du monde, a également un aspect sombre qui contribue à l’émergence d’une pensée unifiée, véhiculée par les médias et conduisant notamment à une réification de la femme.

Avec le développement d’Internet, la libération de la femme a rencontré des obstacles au sein des États développés où le crime organisé a pris le contrôle de la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle. L’influence du soft power étasunien a également eu des conséquences néfastes, particulièrement dans les pays du Sud, où les mœurs occidentales sont vues comme des tentatives d’invasion dans la culture locale.

La propagation d’une offre et d’une demande sexuelle via Internet, une occasion en or pour le crime organisé

La mondialisation repose sur une interconnexion entre les différents États et régions du monde mais également sur une expansion des moyens de communication. Ainsi, la diversification et la multiplication des supports publicitaires ont connu une expansion spectaculaire avec l’avènement d’Internet. Les images et sites pornographiques se sont multipliés à une vitesse spectaculaire lors des années 1990. A l’heure actuelle, il existe plus de 4,2 millions de sites pornographiques soit 12% de l’ensemble des sites Internet, plus de 3000 dollars américains sont dépensés chaque seconde pour la pornographie et une nouvelle vidéo à caractère pornographique est créée aux États-Unis toutes les 39 minutes. [3] La pornographie, souvent perçue comme un processus de réification des acteurs -hommes ou femmes- est un phénomène communément accepté et mêmes promu par certaines multinationales. Ainsi, les chaînes comme les Hôtels Marriott sont distributeurs de films pornographiques. [4]

L’accès à la sexualité de façon virtuelle et les profits générés par cette industrie ont conduit à la mise en place de réseaux répondant à ces images « hors du réel » pour en faire une réalité tangible et à valeur marchande. En Thaïlande, la réputation du pays s’est ainsi forgée sur la diversité des offres proposées aux touristes étrangers pour des faveurs sexuelles. Le constat d’un rajeunissement des victimes de l’exploitation sexuelle s’explique par une stratégie de réponse à l’évolution de la demande. En effet, « l’Organisation Internationale du Travail (OIT), dans son rapport de juin 2012, évalue le nombre des victimes de travail forcé, intégrant l’exploitation sexuelle, à 20,9 millions de personnes dont 5,5 millions d’enfants ». [5] La difficulté d’impulser des changements dans les législations sur l’exploitation sexuelle repose sur les bénéfices économiques qu’en tirent les États concernés. En Thaïlande, l’exploitation sexuelle constitue entre 2 et 14% (évolution constatée entre 1993 et 1998) du PIB. Si les principaux exploitants restent les membres de la criminalité organisée, le degré de corruption pouvant atteindre les plus hautes sphères dirigeantes, les trafiquants bénéficient de la protection des administrations pour maintenir leurs affaires.

indice corruption

L’intérêt porté par le crime organisé à la traite d’êtres humains en vue de leur exploitation sexuelle s’explique par la rentabilité de ces activités. En effet, « le montant total des produits du crime organisé à l’échelle mondiale avait déjà atteint en 2009, 3,6 % du PIB  mondial (soit 2 100 milliards de dollars, montant équivalant à la dette française en mars 2015), la traite des êtres humains étant désormais la troisième source de revenus pour les criminels après les armes et la drogue. » [6]

Au-delà d’une affaire rentable pour la criminalité transnationale qui profite de l’ouverture des frontières et de la demande croissante en matière sexuelle, la réduction de la femme à un objet sexuel s’exerce par des mouvements extrémistes qui semblent réagir à ce qu’ils considèrent comme une ingérence de la mentalité occidentale mondialisée dans leur culture nationale, historique et/ou religieuse.

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Source : http://www.europe-israel.org/2015/01/esclaves-sexuelles-les-terrifiantes-revelations-du-guide-de-daech-qui-explique-ce-quune-femme-esclave-sexuelle-doit-faire/

La fragmentation du monde, source de dérives et de la montée de l’exploitation sexuelle : l’exemple de Daesh

Xavier Raufer parle de « face noire de la mondialisation », dont la conséquence serait non pas une harmonisation mondiale mais une « fragmentation » entre différentes catégories sociales.[7] En sus d’une paupérisation croissante qui conduit des jeunes femmes à des pratiques extrêmes pour survivre, cette fragmentation contribue à l’émergence de sociétés violentes dans lesquelles les femmes peuvent être transformées en esclaves.

Daesh est l’exemple le plus récent de cette thèse puisque l’organisation a récemment publié un guide dédié au traitement des esclaves sexuelles, rédigé par le « Département des prisonniers et des affaires de la femme ». Des tarifs sont ainsi appliqués à chaque femme, les femmes jeunes étant les plus chères. Comme dans tous les cas d’exploitation sexuelle organisée, le profit reste le motif principal du développement des trafics d’êtres humains. Dans le cas de Daesh particulièrement, dont le fonctionnement interne peut être assimilé à une organisation de type étatique, l’existence de ressources exploitables est essentielle et la traite des femmes et des enfants s’avère être une activité très rentable. Les enfants de moins de 10 ans coûtent 200 000 dinars (138 euros), une jeune fille de moins de 20 ans, 150 000 dinars (104 euros), une femme de trente ans 75 000 dinars (52 euros) et une femme de quarante ans 50 000 dinars (35 euros). Paradoxalement, Daesh -pourtant dans le rejet du capitalisme américain- applique une logique capitaliste à ce commerce puisque l’organisation fournit une approche comparable à une analyse de marché en soutenant que  « Le marché des femmes et des butins de guerre a connu une très nette baisse qui pourrait affecter défavorablement les revenus du groupe État Islamique ainsi que le financement des moudjahidines ».

Il n’est pas absurde  de considérer que la fin de la Guerre Froide, et la nouvelle vague de mondialisation qui en a découlé, ont attribué aux États-Unis un rôle de leader et d’État-gendarme du monde. Ce rôle nouveau, combiné au concept de la « destinée manifeste » énoncé par O ’Sullivan en 1845 et repris par les autorités américaines depuis le début du 20ème siècle  a entraîné le lancement des interventions armées au Moyen-Orient. Celles-ci sont à l’origine des revendications essentiellement politiques des mouvements terroristes maintenant responsables de cette commercialisation de la femme présentée comme légitime. L’extrémisme religieux montant au Moyen-Orient -pouvant être qualifié de vitrine à des revendications politiques régionales- a contribué à un dit-retour aux interprétations les plus dures du Coran en ce qui concerne les femmes et à des discriminations, ayant ainsi abouti aux situations précitées. Le World Economic Forum appuie d’ailleurs cette thèse en illustrant une corrélation ténue entre le terrorisme, les conflits géopolitiques et le crime organisé –notamment.

World eco forum

Source: World Economic Forum, Global Risks 2011 Report

La fondation Scelles observe ainsi en Irak un « Fort développement de la prostitution et de la traite des êtres humains depuis l’invasion militaire des États-Unis en 2003 » du fait de l’effondrement des institutions irakiennes et des conditions de vie précaires des femmes. La mondialisation a également poussé des pays comme l’Inde ou la Chine à maintenir les discriminations pesant sur les femmes. Ainsi, on compte entre 60 et 101 millions de « femmes manquantes »[8] du fait des abandons voire des assassinats de nourrissons filles, considérées comme sans valeur et donc comme un fardeau dans une société capitaliste basée sur le profit et la compétitivité. Plusieurs dizaines de milliers de jeunes filles “survivantes” sont alors contraintes à diverses formes d’exploitation sexuelle, comme la prostitution ou le mariage forcé pour plus de 250 millions de femmes selon l’UNICEF lors du « Girl Summit 2014 ».

Des actions sont cependant menées par diverses organisations internationales pour enrayer l’expansion de l’exploitation et de l’esclavage sexuel.

En 1994, la Commission des Nations Unies sur les droits de l’homme a adopté une résolution qui préconisait l’élimination de la traite des femmes destinées à la prostitution. A l’intérieur du système des Nations Unies, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), le Fonds de développement des Nations Unies pour la femme (UNIFEM) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ont également mis en œuvre des programmes de lutte contre la traite et la prostitution.

Interpol s’intéresse également de près à l’exploitation sexuelle, via la combinaison d’interventions diverses. Des opérations et projets sont menés sur le terrain pour démanteler les réseaux de traite,  des outils techniques et systèmes informatiques permettent l’échange d’informations à échelle mondiale, les partenariats ainsi que les événements et conférence ont pour but de rapprocher des experts du monde entier afin d’œuvrer dans des secteurs divers.

Bien que louables et porteuses de quelques succès comme en 2014 au Guatemala via l’intervention des forces de sécurité du pays, ces divers programmes n’ont pas les effets escomptés puisque la part des profits de la traite des êtres humains reste extrêmement importante avec un chiffre annuel de 32 milliards d’euros.

Par ailleurs, une approche féministe du problème laisse entendre la nécessité d’agir à la source, en annihilant les considérations sexistes suggérant que les femmes sont inférieures aux hommes.

Les femmes contraintes à la prostitution le sont par des conditions socio-économiques défavorables et sont influencées par la croyance que la prostitution reste pour une femme la solution de facilité afin de s’extraire de la misère. Dans des pays pourtant actuellement dans une phase de développement importante comme l’Inde, les préjugés sexistes maintiennent les femmes dans l’ignorance de leurs options et permettent ainsi de faire perdurer la réification sexuelle des femmes et des filles d’une génération à la suivante. C’est pourquoi le combat pour l’accès des filles à l’éducation prend une importance capitale en favorisant une prise de conscience des discriminations basées sur le genre. L’éducation n’est cependant pas facile d’accès dans les États dits du Sud, où la pauvreté, la distance de trajets et le manque d’infrastructures et de personnels freinent le développement de l’éducation féminine. En 2008, deux tiers des analphabètes sont des femmes. On peut cependant espérer que l’implication nouvelle d’activistes féministes comme la jeune pakistanaise Malala Yousafzai–récompensée en 2014 soit à l’âge de 17 ans par le Prix Nobel de la Paix- aura un impact sur la condition féminine et par extension, sur l’exploitation sexuelle. Qualifié de Millenium Development Goal : « promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes », la fin de la discrimination entre les genres prend récemment une forme nouvelle par le biais des Sustainable Development Goals dont la réalisation devra s’étendre de 2015 à 2030.

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Source : http://ubersuper.com/uploads/2013/10/UN-Women-Search-Engine-Campaign-13.jpg

Par un abaissement des frontières au sein de diverses zones géographiques et par les révolutions dans le domaine des transports, la mondialisation a largement contribué à l’expansion de l’exploitation sexuelle à une échelle globale. L’avènement d’une économie compétitive où des zones entières du globe sont marginalisées a contribué à une paupérisation extrême ne laissant à des milliers de femmes d’autre choix que de se laisser entraîner dans l’industrie du sexe. Les idéaux d’ouverture du monde ont été effacés par une réalité de marginalisation des plus faibles dont profitent les organisations criminelles transnationales. Enfin, les disparités économiques ont conduit à l’émergence de pseudo administrations dont les revenus reposent majoritairement sur la traite des êtres humains et dont les valeurs encouragent la mise en esclavage des êtres humains, particulièrement à des fins d’exploitation sexuelle. Les organisations et associations internationales et humanitaires continuent cependant de traiter le problème non seulement sur le terrain mais également en profondeur par la promotion de l’égalité des sexes et de l’éducation pour toutes les femmes et filles, ainsi que la protection de leur intégrité corporelle.

Apolline Ledain

[1] La mondialisation des industries du sexe, R. Poulain, 2005.

[2] Prostitution in Switzerland is thriving, generating an annual turnover of SFr3.2 billion, say police. – swissinfo. Swissinfo.ch. 2010.

[3] Internet Pornography Statistics, www.internet-filter-review.toptenreviews.com/internet-pornography-statistics.html

[4] Les industries du sexe: une économie en pleine expansion, Blanca Jiménez García, 2013. URL : www.metiseurope.eu/les-industries-du-sexe-une-economie-en-pleine-expansion_fr_70_art_29710.html

[5] 3ème rapport mondial : l’exploitation sexuelle, une menace qui s’étend, Fondation Scelles, Y. Charpenel  2012. http://www.fondationscelles.org/pdf/RM3/Exploitation_sexuelle_Une_menace_qui_s_etend_Fondation_Scelles_RM3_FR_04_03_2014.pdf

[6] «3ème rapport mondial : l’exploitation sexuelle, une menace qui s’étend », Fondation Scelles, Y. Charpenel  2012. www.fondationscelles.org/pdf/RM3/Exploitation_sexuelle_Une_menace_qui_s_etend_Fondation_Scelles_RM3_FR_04_03_2014.pdf

[7] Mafias et « face noire de la mondialisation », Diplomatie, X. Raufer. 2015

[8] Half the Sky, N. Kristof & S. Wu Dunn. 2010

ClasseInternationale

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