Élections en Argentine : victoire de Mauricio Macri et défaite de Daniel Scioli.
Mauricio Macri, 56 ans, a été élu dimanche Président de la République argentine avec 51,4% des suffrages face à Daniel Scioli, le candidat du Frente Para la Victoria (péroniste-kirchnériste).
Après douze années de pouvoir kirchnériste (Néstor Kirchner 2003-2007 ; Cristina Fernández de Kirchner 2007-2015), Macri incarne le « changement », maître-mot de sa campagne et de sa coalition de centre-droit Cambiemos (Changeons).
Changement, car le nouveau Président n’est ni un péroniste, le mouvement politique dominant en Argentine dont Macri est un adversaire, ni un radical, autre courant politique historique argentin avec lequel Macri s’est allié.
Inédit, car pour la première fois les Argentins ont pu choisir leur président lors d’un second tour, une étape qui favorise le candidat le plus à même de réunir les mécontents du pouvoir sortant.
C’est autour de l’idée du « rassemblement » que Macri a su mobiliser et convaincre. Après douze années de kirchnérisme ; et surtout huit années de cristinisme, où le pouvoir a joué une partition clivante en mobilisant la rhétorique d’un « péronisme combatif », les Argentins lassés du manichéisme de l’officialisme, ont donné le pouvoir à l’opposition.
Malgré les spots de campagne appelant à l’unité du « Nord au Sud » du pays, malgré cette volonté de rassembler, les résultats montrent un pays divisé. Dans la pure tradition kirchnériste, le quotidien Página 12, affirme en Une que l’Argentine a « Un président, deux pays ».
Pourtant on ne peut pas vraiment parler de victoire à l’arrachée, plus de 700 000 voix séparent Mauricio Macri de son rival Daniel Scioli. On peut toujours relativiser cet écart de voix dans la mesure où chacun des candidats a remporté plus de 12 millions de voix, mais la défaite de Scioli est indéniable. En effet, pour celui que tous les sondages donnaient gagnant au début de l’année, pour celui qui représentait un mouvement hégémonique de la politique argentine, pour celui qui espérait même un temps réitérer l’exploit de la présidente sortante : être élu au premier tour, la défaite est cuisante.
Mais l’équipe de Scioli le savait depuis les résultats du premier tour : il aurait été très difficile de l’emporter. Le système électoral argentin impose des primaires obligatoires et ouvertes (PASO), sorte de premier tour avant l’heure. En comparant les résultats des primaires à ceux du premier tour, la tendance était claire : Macri gagnait 4 points quand Scioli en perdait 2.
Surtout, le « troisième homme », Sergio Massa, candidat de UNA, la coalition centriste, péroniste et anti-kirchnériste, avec ses 21% des suffrages était en position de faire gagner Macri. Le report des voix a bénéficié à Macri, mais moins que prévu. Il semble que pour nombre de péronistes, même anti-kirchnéristes, voter pour Macri qui a plusieurs fois manifesté par le passé son hostilité au mouvement fondé par Juan Perón, était trop demander.
Toujours est-il qu’au sortir du premier tour, le rapport de force était clairement en faveur de Macri : celui-ci pouvait compter sur le report de voix de plus de la majorité des électeurs de Massa, quand Scioli ne disposait pas de réserve de voix. A la gauche de Scioli, Nicolás del Caño, candidat du Frente de Izquierda, avait donné pour consigne de vote le bulletin blanc.
Mais il ne s’agit pas que d’une simple question d’arithmétique politique, le succès de Macri se comprend aussi par le désamour pour Scioli. Candidat pourtant populaire et homme politique expérimenté (ancien vice-président, ancien gouverneur de la Province de Buenos Aires), Scioli avait toutes ses chances. Toutefois, sa position à la droite du mouvement kirchnériste et son étiquette de « libéral » entré en politique sous l’ère de Carlos Menem (Président de 1989 à 2000, péroniste néo-libéral et arch-ennemi des kirchnéristes) explique la faible adhésion des secteurs militants de la gauche du kirchnérisme lors de la campagne.
Certains y voient un « syndrome Ed Miliband », comme Christophe Ventura interrogé par L’Humanité Dimanche dans l’article « Argentine : une victoire du candidat qui ébranlerait tout le continent ». Le virage à droite du candidat d’une coalition de centre-gauche qui espère empiéter sur l’électorat de droite, ne se solde que par une légitimation accrue du programme de l’adversaire de droite et par une désaffection de l’aile gauche de l’électorat traditionnel de ladite coalition.
Force est de constater que la stratégie de modération adoptée par Scioli après s’être imposé en interne, ses appels au « gradualisme » et sa relative prise de distance avec le kirchnérisme orthodoxe n’ont pas payé, au contraire.
Quand Scioli réalisait un coup de barre à droite, son rival séduisait sur sa gauche. En effet, Macri a travaillé à gommer son image de « gosse de riche », son père étant à la tête du groupe Macri (secteurs automobile, construction et agroalimentaire). Il a surtout pris des positions inattendues proches de celles du pouvoir par exemple sur la question du contrôle de l’État sur des secteurs stratégiques (l’entreprise pétrolifère YPF et la compagnie aérienne Aerolíneas Argentinas) ou encore des fonds vautours (refusant les programmes de réduction de la dette argentine et exigeant un remboursement avec des intérêts exorbitants). Mensonge de campagne ou véritable adhésion aux politiques kirchnéristes, la question n’est pas là. Macri a pris acte de la popularité des politiques sociales mises en place par les Kirchner et s’est bien gardé de remplacer la thématique du « changement » par celle de la « rupture ».
Il faut regarder l’histoire récente du pays pour comprendre cet état d’esprit. Les Argentins ont déjà vécu des ruptures souvent violentes et sanglantes, la dernière en date, en 2001, a plongé le pays dans une crise politique, sociale et économique sans précédent et ces années constituent un repoussoir pour l’ensemble du pays. Ainsi, Macri n’a pas pu contester l’ensemble de l’héritage kirchnériste car celui-ci reste associé à un relatif redressement du pays. De la même manière les kirchnéristes ont agité les « années 90 » et la crise de 2001 comme un épouvantail : la victoire de Macri signifierait selon eux un retour au néolibéralisme aux conséquences connues… Cet argumentaire faisait bien évidemment attention à ne pas rappeler le passé ménemiste d’un certain Daniel Scioli…
Scioli ou Macri, Macri ou Scioli, « blanc bonnet et bonnet blanc ». C’est l’analyse partagée par l’extrême-gauche et les citoyens désabusés par leur classe politique. De manière plus objective, comme le relève Jean-Louis Buchet correspondant de RFI à Buenos Aires dans l’article « Argentine : Scioli-Macri, duel entre deux frères jumeaux », on compte davantage de points commun que de différences entre Scioli et Macri.
Même génération, même passé dans les milieux des affaires et du sport avant une entrée tardive en politique, même connexion avec la haute-société argentine, Scioli ne pouvait décemment jouer la partition de « l’homme du peuple » face au « candidat de l’oligarchie » que serait Macri.
Scioli est donc le premier responsable de sa défaite, même si certains, comme Fernando Ciberia dans l’article « Los globos amarillos llegaron a la Rosada » de Página 12, invoquent une malédiction politique qui frappe les gouverneurs de la Province de Buenos Aires candidats à la Présidence de la république : aucun n’a accédé à la Casa Rosada.
Après le choc de la défaite, le mouvement kirchnériste devra faire son autocritique et la question de son avenir se pose avec acuité. Comment un mouvement hégémonique pendant plus d’une décennie peut-il survivre à un passage à l’opposition ? Certains prophétisent que coupé des ressources de l’État et de sa position prépondérante sur les institutions, le kirchnérisme va dépérir. D’autres avancent que le kirchnérisme va se recomposer. Quel sera alors le rôle des Kirchners (Cristina, Maximo, Alicia) ou encore des autres leaders des formations de la« galaxie K » ?
Dans les rangs kirchnéristes, certains sonnent déjà l’heure de la mobilisation et mettent en garde contre une guerre fratricide, bref, il s’agit déjà de préparer la reconquête. L’article « Resistencia y contrapeso » de Luis Bruschtein publié dans Página 12 incarne bien cet état d’esprit, il inscrit le kirchnérisme dans l’histoire argentine, comme expression contemporaine et légitime du glorieux péronisme. Suivant l’analogie avec le mouvement justicialiste, le kirchnérisme ne mourra pas après la victoire de Macri de la même manière que le péronisme à survécu à l’exil et la mort de son fondateur, à un coup d’État réactionnaire et à une dictature sanglante.
Ici réside la force du kirchnérisme : son hégémonie sur l’héritage péroniste et son implantation nationale. Bien que solidement ancré dans la capitale et dans la région éponyme, le parti de Macri, Propuesta Republicana (PRO) ne dispose pas d’une réelle implantation nationale mais l’a obtenu via des alliances (avec le radical Ernesto Sanz ou encore avec Elisa Carrió) qui sont par nature fragiles. Surtout Macri se pose en opposition au mouvement péroniste dont la capacité de résilience constitue une menace pour un macrisme à peine naissant. Last but not least, Macri ne dispose pas de majorité parlementaire. En effet, la majorité au Sénat comme à la Chambre des députés reste kirchnériste, une telle situation poussera Macri a chercher à obtenir le consensus et limitera sa marge de manoeuvre.
- Lire l’article de La Nacion reprenant un article de la BBC “Las 5 razones por las que, según BBC, el triunfo de Mauricio Macri es “único””.
Macri suscite beaucoup d’espoir comme tout candidat d’opposition arrivant au pouvoir après une décennie d’hégémonie du parti adversaire. Souvent, ces candidats du « changement » provoquent des déceptions à la hauteur des attentes. Il est bien sûr trop tôt pour affirmer quel sera l’avenir du macrisme. Feu de paille ou début d’une « nouvelle époque » comme l’a déclaré son leader le soir de son élection ? Les prochaines années en jugeront.
Nicolas Sauvain
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