Les défis politiques du système démocratique portugais

Les défis politiques du système démocratique portugais

Intervenants : 

  •         M. Nuno Severiano Teixeira, ancien Ministre de la Défense du Portugal
  •         M. Antonio Costa Pinto, professeur de Politique et d’Histoire de l’Europe Contemporaine à l’Institut Universitaire de Lisbonne
  •         Mme Laurence Badel, professeur des universités, directrice du Magistère/Master Études Européennes et Relations Internationales à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne

D’après M. Pinto, il n’existe rien de spécial sur la démocratie portugaise, le taux de participation est peu élevé, ce qui ne présente aucune originalité particulière par rapport au reste de l’Europe. Après la consolidation de la démocratie au Portugal, c’est un pays « boring ». Il y a une majorité de centre droit au pouvoir en 2010, la gestion de la crise est en cohérence avec le projet politique. En 2015, la droite gagne les élections. Pour la 1ère fois après 40 ans de démocratie, la nature de la démocratie a changé. Dans les années 1970, se construit une consolidation pendant la guerre froide, phénomène très marquant avec un clivage important en 1974/75 entre communistes et partis modérés. Tous sont toujours au Parlement mais séparés. Le pouvoir a alterné, avec une rotation entre les socialistes (donc modérés) et le centre droit. Les données électorales n’ont pas changé mais le Secrétaire Général du Parti Socialiste remarque que la gauche est parfois au Parlement à travers plusieurs partis via des accords avec quelques ministres pour avoir des alliances avec plusieurs de la gauche. La nature de la démocratie portugaise a changé sans changement des aptitudes électorales des portugais. La droite a gagné sa majorité absolue. Nous somme dans une conjoncture de crise du système de parti avec l’austérité, politique de l’euro, dévaluation interne pour économies périphériques de l’euro… Au Portugal, on constate un changement d’alliances au Parlement mais rien de plus. Pas de polarisation de la vie politique portugaise, le système résiste bien à la crise. Une autre caractéristique de la société portugaise est la mobilisation politique et sociale assez pauvre. Le taux de chômage est élevé, mais le taux de grève est bas. La société est paralysée avec la qualité du système politique démocratique remise en cause par un taux de participation politique décevant, autour de 60% aux législatives.

Histoire :

Trois caractéristiques héritées du passé :

 Identité nationale/Etat

Le Portugal est un pays qui, au XIXème siècle, a été bâti par l’Etat. Contrairement à l’Espagne (divers, avec les basques, les catalans etc), les Portugais disposent d’une identité forte mais tranquille. Cependant, le taux d’alphabétisation est très bas. Au XXeme, 80% de portugais sont non alphabétisés. La langue est très présente dans tout le territoire national, il n’existe pas de sous-culture minoritaire importante. L’Etat Portugais est centralisé. Les deux référendums sur régionalisation ont obtenu le “non” comme réponse. Il est difficile de trouver des pressions au niveau régional avec une légitimité historique. Il existe des curiosités avec un village où le dialecte est un mélange de portugais et d’espagnol mais seulement 100 personnes sont concernées.

Le pays est centralisé, avec très peu d’identités locales originales et avec très peu de minorités ethnico-culturelles importantes.

Le Portugal est à la périphérie du Sud catholique de l’Europe. 85% des portugais se déclarent catholiques.

  Passé colonial

Le Portugal dispose d’un passé Impérial et colonial. Ce passé est important vis-à-vis de la culture politique des élites. Au niveau du discours, on constate une présence du passé qui peut parfois étouffer le présent.

Il existe une décadence entre le Brésil et la volonté de conquête de l’Afrique fin 19ème. Le mouvement républicain au Portugal est surtout lié à cette question, avec une des républiques les plus précoces en 1910. Avec l’assassinat du Roi et du prince en 1908, l’Europe voit le début d’un procès révolutionnaire. En vérité, le mouvement républicain est populaire, urbain, à la fois nationaliste et « modernisateur » sur plan politique, anticlérical. Entre 1910 et 1936, c’est une République libérale. Il n’y a pas de suffrage universel, on parle donc de république autoritaire, avec un régime élitiste. Le Portugal participe dans la première guerre mondiale car le pays avait peur qu’entre l’Angleterre et l’Allemagne, l’économie portugaise soit en cause dans les discussions sur l’Angola, le Mozambique…  

Il existe une continuité dans la politique extérieure entre la politique libérale et régime autoritaire.

    Longue durée de l’autoritarisme

Cet autoritarisme a duré près de 48 ans. On croit que c’est le national-socialisme allemand et le fascisme italien mais en vérité, la plupart des régimes qui s’inspirent du fascisme ne représentent pas un parti fasciste. En Espagne, il s’agit d’un coup d’Etat militaire. En Autriche, le parti conservateur catholique tente de bâtir régime catho. Au Portugal, il s’agit d’un Parti unique conservateur. « On ne veut pas encenser le peuple et le mettre dans la rue pour ensuite le fusiller ». La seule différence est la longue durée. Il n’y a cependant pas de  grande différence avec autres dictateurs dans les Balkans sur le plan idéologique et politique. En 1945, le Portugal et l’Espagne sont les 2 dictatures de l’Europe Occidentale qui survivent à la fin de la Seconde guerre mondiale.

Après 1945, survient une époque de décolonisation, le moteur de cette dictature est le rapport entre les terres coloniales et les terres autoritaires. Pour Salazar, très pragmatique, la question coloniale et la résistance à la décolonisation est à la base de la politique extérieure mais également de la politique intérieure.

La démocratie contemporaine portugaise est très marquée par cette période. La démocratie s’établit en 1974-75 dans une société très homogène.

Transition démocratique

Cette transition est le produit des guerres de décolonisation, au nombre de trois :

  •         Angola
  •         Mozambique
  •         Guinée Bissau : PSGC = mouvement de libération.

C’est avec ces guerres qu’on entre dans la 3ème vague de démocratisation. La transition portugaise a pris par surprise la communauté internationale. Ceci explique un coup d’Etat militaire en 1974, c’est la guerre coloniale. Le processus de décolonisation et de démocratisation constitue ce que les autres de la 3ème vague ne connaissent pas. La radicalisation, la crise de l’Etat et le rôle des militaires sont très liés à cette double dimension. Cinq Etats deviennent indépendants en Asie et Afrique. La métropole effectue un transfert des pouvoirs aux mouvements de libération. Cette crise démocratique marque encore beaucoup le Portugal.

L’enquête sur transition démocratique révèle de l’incertitude sur l’intervention de la communauté internationale. La transition est très marquée par la politique de radicalisation. Elle est le produit d’une intervention internationale pro démocratique, la même stratégie qu’en Italie en 1947-48 s’applique. Les partis politiques modérés sont relativement faibles, on a un parti socialiste sans tradition, on crée des syndicats rapidement contre le parti communiste.

La démocratie est basée sur le principe électoral.

S’ouvre un cycle de régime semi-présidentiel –comme en France. Celui-ci est le produit d’une négociation entre militaires et politiques civils, après les drames de la Ière République il faut un président élu au suffrage universel. Le premier Président est un militaire. Des tension entre partis politiques et héritage militaire de la transition subsistent jusqu’aux années 80.

L’élite démocratique donne priorité à la libre expression et non à la diversité politique.

Le pays dispose d’un système de partis intéressant. A droite : pas de parti de droite qui soit le successeur de la droite à l’origine de l’Etat autoritaire. Le parti Populaire espagnol représente une partie de l’élite franquiste. La transition portugaise fut une épuration politique. Les membres de la police politique sont envoyés en prison, il n’existe pas de continuité d’élite puisque les élites politiques s’exilent. Émergent les dissidents pro démocratiques de l’ancien régime. Le parti de droite est le parti social-démocrate. Il s’agit d’une droite libérale, avec deux partis de centre-droit (un grand, un petit).

A gauche, on observe un isolement dans le système politique portugais du Parti Communiste, avec peu de facteurs de changement. Les communistes ont une base locale assez stable. Ceux-ci contrôlent la centrale syndicale la plus importante du pays. Le seul parti politique né il y a une 20 aine d’années qui représente une nouveauté est le parti libertaire de gauche soit le Bloc de Gauche, né d’un clivage quand le parti socialiste a eu une politique très centriste sur le plan des valeurs post matérialistes. Le PS n’est pas mobilisé par exemple sur la question de l’avortement car son secrétaire général est catholique, donc le non gagne.

Le succès électoral est très lié au PS. Les dirigeants sont à la gauche de l’électorat socialiste qui parfois se fatigue du PS et donne donc l’opportunité à ce nouveau parti. De par la nature élitiste du système politique, toutes les grandes causes de libertés sont vues au Parlement et non par référendum.

Cette démocratie peut être considérée comme banale, elle n’a pas connu l’effet politique qui agite l’Europe. C’est une démocratie élitiste, la classe politique contrôle les attitudes de la population. L’espace politique est là mais la mobilisation est inexistante. A gauche, l’espace politique est préoccupé par la présence des communistes qui contrôlent un espace important. C’est une démocratie avec un taux de participation bas, une société civile faible, les élites contrôlent encore les attitudes.

QUESTIONS

ð  Existe-il un équivalent portugais à la Movida espagnole ?

Rien de comparable au niveau du poids. Il existe une différence par rapport à la mobilisation de la société civile quand on compare avec d’autres démocraties. Toujours versions miniatures.

ð  Quel fut le processus de la décolonisation ?

Le mouvement de libéralisation a obtenu un transfert de compétences. Les nationalistes avec des sièges obtiennent le pouvoir. Le seul drame survient en Angola avec 3 mouvements donc un gouvernement provisoire. Le Portugal a contribué à une nouvelle vague de partis uniques (exception de l’Angola, qui recommence la guerre civile). Indépendamment des clivages entre la droite et la gauche au Portugal, on veut maintenir et consolider les liens culturels avec ces ex colonies. Même pendant le changement européiste, des liens très pragmatiques subsistent avec ces pays qui étaient socialistes, liés à la Chine, l’URSS notamment.

ð  Quel a été l’impact de la décolonisation ?

Le retour de 350 000 et 500 000 portugais qui rentrent d’Angola est une conséquence. Cependant, une partie de ces portugais partent en Afrique du Sud ou au Brésil et ne revient donc pas.

Les caractéristique de ces personnes qui reviennent sont liés à la nature de leur communauté dont la présence en Afrique est récente. La réintégration de cette communauté se fait au Portugal. 20 ans après la décolonisation, l’attitude des ex colons est la même que celle du reste de la société.

ð  Fondations  politiques, quel rôle ?

Le bilan sur le rôle de la paix internationale sur la démocratie n’est pas clair, car le rôle essentiel est occupé par des politiques nationaux. Deux problèmes subsistent, la nationalisation de la banque, et l’occupation de terres via la réforme agraire càd une conjoncture où l’élite économique sort du pays et va en exil. Le problème de l’appui international est plus nécessaire et plus stratégique. En 1975, le parti communiste était appuyé par l’URSS et le bloc de l’Est. Les partis de centre-gauche et de droite n’avaient pas de capital. Les américains jouent un rôle important mais une partie de l’appui est basée dans la conversation entre les Etats-Unis et les fondations de droite. L’Allemagne est un intermédiaire et une entité autonome de l’appui américain au niveau des partis. Il existe un monopole syndical des communistes, qui profitent d’être au gouvernement pour occuper tous les syndicats de l’Ancien Régime. L’appui a été plus visible et plus important car l’appui national était absent.

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