Retour des droites en Amérique latine et droitisation en Europe : des dynamiques comparables ?

Retour des droites en Amérique latine et droitisation en Europe : des dynamiques comparables ?

Le 5 février dernier, Christophe Ventura donnait une conférence à la Maison de l’Amérique Latine sur le retour des droites en Amérique Latine. C. Ventura est chercheur associé à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS). Collaborateur du Monde Diplomatique et de la revue Mémoire des Luttes, il est l’auteur de l’ouvrage  L’éveil d’un continent, Géopolitique de l’Amérique latine et de la Caraïbe.

A la suite des dernières élections en Amérique latine, on observe un retour en force des droites et des contre-performances des partis « post néo-libéraux » ou « progressistes » de gauche. Ce retour s’est d’abord vu dans plusieurs élections municipales puis notamment par la victoire inattendue de Mauricio Macri aux élections présidentielles en Argentine. Il s’agit de la première fois que la droite gagne des élections libres dans la région. Au Venezuela, la droite s’est même imposée lors des dernières élections législatives avec une forte avance. Au Brésil, le rejet du système politique et du parti travailliste se fait de plus en plus sentir et se renforce face aux nombreux scandales de corruption qui touchent le gouvernement. Ces trois pays sont pourtant ceux desquels était partie la vague progressiste.

Cette percée de la droite doit avant tout être remise dans son contexte, qui est celui d’un amoncellement de mauvaises nouvelles pour les pays latino-américains. La région fait en effet face, encore aujourd’hui, aux conséquences directes de la crise de 2008. En 2013, le retournement de situation engendré par la décélération de l’économie chinoise a profondément touché l’Amérique latine, le continent asiatique lui permettant de trouver des débouchées pour ces ressources. De plus, la volonté de la Chine de baser désormais son modèle sur son marché intérieur présente de nombreux risques pour les débouchés économiques des pays d’Amérique du Sud.

Le second phénomène expliquant la crise latino-américaine (et pouvant donc expliquer le virage à droite actuel) est la stagnation de l’économie européenne et la faible croissance américaine qui ne permettent pas de relancer l’ensemble du commerce mondial. Enfin, la crise actuelle s’explique également par la chute des prix des matières premières sur lesquelles sont basées les économies de la région. A titre d’exemple, le pétrole représente 95% des ressources vénézuéliennes. Selon la banque mondiale, depuis 2012, les cours des matières premières ont chuté de 40%. Sur la seule année de 2015, le cours du pétrole s’est effondré de 50%.  Par conséquent, cette crise montre également les faiblesses du modèle économique latino-américain qui demeure trop dépendant de l’économie mondiale. La place du sous-continent dans la division internationale du processus de production n’a pas changé, seuls les partenariats se sont diversifiés au profit des pays émergents.

La politique de la Banque Centrale Américaine (FED) est également à l’origine de cette situation. Ayant découvert la possibilité pour les Etats-Unis d’être autonomes énergétiquement d’ici à 2030, la FED souhaite donner à son pays une position hégémonique en la matière en jouant sur sa politique monétaire. La FED a donc décidé d’augmenter les taux d’intérêt américains ce qui entraine un rapatriement des capitaux présents à l’étranger, capitaux qui permettaient jusqu’alors le développement des pays les moins avancés. Or, l’Amérique Latine dépend encore largement des capitaux étrangers pour son développement.

La crise économique entraine donc une crise sociale et par conséquent une crise politique. En moyenne, la croissance économique dans la région est de –0,9%. Si de bons scores sont enregistrés en la matière au Mexique et en Amérique centrale, la récession atteint 7 à 8% au Venezuela. Pour la première fois, le taux de pauvreté ne diminue plus dans la région tandis qu’on observe à l’inverse un retour de l’indigence, l’extrême pauvreté. La crise sociale est de plus accentuée par la volonté de l’entreprenariat de rompre avec les « pactes sociaux » qui avaient été conclus avec les gouvernements progressistes. Les entreprises n’acceptent en effet plus qu’une partie des revenus de la rente fassent l’objet d’une redistribution sociale.  Le secteur entrepreneurial souhaite également se rapprocher davantage des pays à la tête de l’économie mondiale (Etats-Unis et Union européenne) et de leurs modèles économiques. Ces volontés de changement d’orientation s’incarnent dans le vote à droite mais aussi dans la volonté de créer une Alliance du Pacifique, récemment signée en Nouvelle-Zélande, et marquant un premier rapprochement avec les Etats-Unis.  Des négociations bilatérales avec l’Union européenne sont également envisagées. Alors que Mauricio Macri a annoncé que « L’Argentine est de retour dans le monde », cette volonté de réintégrer le commerce mondiale ne se traduit plus forcément par une utilisation du Mercosur ou de l’ALBA. Ces organisations sont désormais jugées inefficaces ou ne permettant pas de mettre en place de véritables négociations avec les leaders économiques en raison de la présence de pays tels que le Venezuela et son gouvernement chaviste.  

Le rapprochement de la position gouvernementale avec les attentes de l’entreprenariat se constate notamment avec l’élection de Mauricio Macri en Argentine, fils du principal dirigeant de Fiat dans le pays. Il s’agit d’un entrepreneur qui se déclare pour la finance ouverte et pour l’affaiblissement des barrières financières et du poids de l’Etat dans l’économie. Il a choisi de s’entourer d’une équipe constituée largement de gestionnaires financiers afin d’attirer les capitaux en rassurant les investisseurs étrangers. Son programme est donc essentiellement axé sur les questions économiques et sur un objectif de libéralisation et de rapprochement avec les leaders de l’économie mondiale. A tel point que sa seule référence aux droits de l’Homme s’est faite au cours d’un discours post-électoral, afin de demander la libération de prisonniers politiques au Venezuela.

Il faut néanmoins nuancer l’ampleur de la crise des parties de gauche en comprenant qu’en Amérique latine la gauche est un phénomène sociologique. Elle conserve dès lors toujours la majorité sociologique et reste l’idéologie dominante. Peu de régimes politiques dans l’histoire peuvent se targuer d’être restés en place démocratiquement pendant plus de 15 ans. La droite a surtout remporté des élections en raison des échecs récents de la gauche et d’un phénomène d’usure en présentant de nouveaux visages et une nouvelle approche. Mais en Argentine, le congrès reste majoritairement Kirchneriste et les récentes élections municipales ont été une victoire pour la gauche. Au Venezuela, si c’est le pouvoir législatif qui vient de basculer à droite, l’exécutif reste chaviste. Pour l’heure, les autres pays de la région restent essentiellement dirigés par des gouvernements progressistes en attendant les futures élections qui auront lieu entre 2017 et 2020 (Brésil, Bolivie,…).  De plus, il reste encore à prouver que la droite pourra résister dans la durée tout en dépendant également des aléas de l’économie mondiale et alors que leurs alliés traditionnels, les Etats-Unis, ne sont pas nécessairement dans une bonne situation économique. Enfin, alors que Mauricio Macri vient d’annoncer le licenciement de 24 000 fonctionnaires, se pose également la question de la popularité du gouvernement sur le long terme.

L’idée que l’on se fait en Europe de la situation du sous-continent doit de plus être nuancée du fait de l’incapacité des médias à traiter le sujet latino-américain. Les informations dont dispose le continent européen en la matière sont très souvent des informations de « seconde main », généralement filtrées au préalable par El Pais, journal traditionnellement opposé à la gauche latino-américaine. De plus, il est possible que les journaux ne publient que ce qui est souhaité par leurs actionnaires qui sont rarement en faveur des gouvernements de gauche. La présence de la gauche dans ces pays est en effet un frein aux intérêts de certains actionnaires européens.

Néanmoins, il reste difficile de comparer la forte percée de la droite en Europe avec le phénomène de droitisation en Amérique latine. Ces deux situations sont comparables dans la mesure où, face à des crises, ce sont les solutions réactionnaires et conservatrices qui sont sollicitées. La droite et l’extrême droite apparaissent comme étant en situation de casser le système alors que la gauche apparait comme incapable de sortir de l’austérité. Cependant, la droite latino-américaine s’est essentiellement construite sur les questions liées à la redistribution économique tandis que la droite européenne passe par l’utilisation de la xénophobie, de la stigmatisation du migrant et de l’instrumentalisation de la religion.

Camille Savelli

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