Depuis l’été 2014, le prix du pétrole a chuté : il est passé de 110 dollars le baril à 40 dollars et est même descendu au dessous de 30 dollars le baril. Cette baisse s’explique par l’offre abondante saoudienne qui vise à capter des parts de marché pour s’opposer à l’Iran qui entre de nouveau sur la scène internationale – la fin des sanctions à son égard prenait fin en janvier 2016 – et à contenir la volonté d’indépendance énergétique des États-Unis avec le développement du pétrole non conventionnel.
Ce dernier est un pétrole produit ou extrait en utilisant des techniques autres que la méthode de puits pétroliers ou impliquant un coût et une technologie supplémentaires. On compte parmi le pétrole non conventionnel le pétrole de schiste, les sables bitumeux, le pétrole lourd ou encore celui en offshore profond. Les pays exportateurs n’ont pas réussi jusqu’ici à trouver d’accord pour endiguer cette baisse. Parallèlement, la demande n’augmente pas suite à un ralentissement économique de la Chine et des pays émergents. Un stock important de pétrole – équivalent à 9 mois de consommation mondiale – laisse envisager une baisse ou un prix du pétrole encore bas pour un moment. Cette baisse du prix du pétrole a des impacts économiques, politiques, géopolitiques ou écologiques. Ces impacts peuvent être recherchés ou non, être une cause directe ou indirecte d’un pétrole à bas prix ; s’inscrire dans le court terme, le moyen terme ou le long terme. Ainsi un pétrole à bas prix, instrument utilisé pour bouleverser la puissance de certains acteurs clés, a des impacts protéiformes qui questionnent durablement les équilibres internationaux actuels.
La perturbation volontaire du système économique
« The lower the better » à court terme, le risque d’une crise économique et financière à long terme :
À court terme et du point de vue des pays importateurs, la baisse du prix du pétrole parait bénéfique pour :
–les consommateurs : leur pouvoir d’achat augmente
-les entreprises notamment dans le secteur des transports, de l’industrie et de l’aérien : ils accusent une baisse de leurs coûts de production qui peut se traduire par une baisse des prix ou une hausse des marges des sociétés
L’Insee estime que, en 2015, le pétrole à bas prix a dopé de 0,4 point de PIB l’activité française sur une croissance totale de 1,1% mais la baisse des prix du pétrole pourrait causer à terme une déflation.
A moyen et long termes, les baisses des profits constatés dans les secteurs pétroliers et para-pétroliers vont ou peuvent produire plusieurs effets :
-des cas de perte d’emplois donc une baisse de la consommation
-la difficulté à rembourser des crédits contractés par les entreprises de ces secteurs
-la chute de l’investissement.
Selon le cabinet Wolfe Research, un tiers des entreprises américaines du secteur pourraient se mettre en faillite dans les dix-huit mois notamment les petites entreprises spécialisées dans le pétrole de schiste. En effet, le manque d’investissements ne permet pas le développement de nouveaux gisements et limite donc les rentrées d’argent. Ce danger est d’autant plus grand que la durée moyenne d’un puits de pétrole de schiste est courte : elle varie entre trois et cinq ans. Par ailleurs, les placements dans ce secteur sont très risqués. La possibilité de défaut de paiement et de contagion des autres secteurs de proche en proche est importante.
Déficit et diminution des réserves de devises : les maux des pays exportateurs
Du point de vue des pays exportateurs, le pétrole à bas prix cause une diminution des recettes pétrolières. Ces pays font donc face à des problèmes de financement. Par exemple en Arabie saoudite, le déficit se creuse depuis deux ans. Il ne représente que 5,8% du PIB en 2015, mais c’est une tendance lourde dans un pays où le budget de l’État est rigide du fait des nombreux salaires, retraites et subventions versés aux citoyens. De plus, les réserves en devises étrangères diminuent : elles sont passées de 750 milliards en 2014 à 630 milliards de dollars en 2015. La Norvège est aussi touchée par ce phénomène car elle doit puiser dans son fonds souverain pour la première fois pour assurer ses dépenses publiques. Elle fait également face à des problèmes monétaires naissants suite à une dévaluation de sa monnaie. Ces problèmes budgétaires interrogent le mécanisme même de baisse du prix du pétrole. A terme, est-il possible de maintenir un pétrole à bas prix ou de maintenir ce bas prix suffisamment longtemps pour arriver au but recherché même si cela engendre des problèmes budgétaires ?
Une diversification des activités rentables nécessaire
Pour lutter contre ces problèmes budgétaires, une diversification des activités ou une restructuration de l’élément productif est nécessaire pour acquérir une plus grande indépendance vis-à-vis du pétrole et de l’extérieur. Prenons l’exemple de la Russie. Cette derrière accuse une forte dépendance au pétrole donc à l’extérieur : le pétrole constitue les deux tiers des exportations et la moitié des recettes budgétaires. Les sorties de capitaux sont fréquentes, les Investissements directs à l’étranger pratiquement nuls en 2014 et 2015. Par ailleurs, les trop faibles dépenses en Recherche et Développement et la crise démographique ne laissent pas entrevoir une innovation et des profits importants. Sans reprise du cours du pétrole, les pays exportateurs comme la Russie ou même le Venezuela semblent s’enfermer dans une logique et cercle vicieux de crise ou d’austérité. Dès qu’elles en auront les ressources nécessaires, un de leurs défis sera peut-être de diversifier leur activité en se spécialisant dans des domaines où elles ont un potentiel disponible comme les technologies informatiques, la physique ou l’exploration spatiale pour la Russie pour ne pas ressentir autant les effets d’un pétrole à bas prix. En effet, il semblerait que certains pays font face au syndrome hollandais : l’exploitation des ressources naturelles et les profits qu’elles génèrent auraient conduit au déclin des industries.
Si aucune diversification n’est pensée, alors la puissance économique d’un pays exportateur peut se réduire et simultanément sa place sur la scène internationale. En effet, un pétrole à bas prix joue directement et par le biais de l’économie sur les puissances et leurs relations.
Une perturbation des puissances à l’oeuvre
La « relation fondatrice » entre les États-Unis et l’Arabie saoudite mise à mal :
La relation entre les États-Unis et l’Arabie saoudite déjà entamée lors du 11 septembre, lors de l’abandon de Moubarak par les États-Unis en 2011, s’est encore plus dégradée lors de l’accord sur le nucléaire iranien. La baisse du prix du pétrole touchant l’économie américaine n’arrange rien. Sébastien Wesser interroge le degré d’acceptation des États-Unis vis-à-vis de la politique du Royaume qui dépend encore des États-Unis en ce qui concerne sa sécurité. Par ailleurs, l’Arabie saoudite se rend compte que sa relation avec les États-Unis se dégrade : elle se rapproche du Pakistan. La relation entre les États-Unis et l’Arabie saoudite semble se tendre laissant entrevoir des désaccords futurs. En effet, le ministre saoudien du pétrole a annoncé que son pays avait les moyens de tenir avec un baril de pétrole qui descendrait à 20 dollars et que les États-Unis ont un intérêt vital à s’adapter à cette nouvelle donne (1).
Chute des ressources et contestation populaire : des zones d’instabilité possibles
Les impacts d’un pétrole à bas prix se retrouvent également à l’échelle des populations. En effet, des gouvernements sont obligés de revoir à la baisse des dépenses et de réduire des subventions entraînant des mécontentements. C’est notamment le cas de l’Algérie. Les premières mesures d’austérité sont entrées en vigueur le 1er janvier 2016. Le pouvoir d’achat a été touché dans un pays où les hydrocarbures représentent 30% du PIB, 60% des recettes budgétaires. Les consommateurs algériens subissent les effets de la crise à savoir l’inflation et le chômage. Comme l’exprime le journaliste Abdou Semmar dans l’Algérie Focus, les citoyens sont de plus en plus révoltés par la situation : le gouvernement appelle à faire des sacrifices mais n’en fait pas lui-même. Cette grogne populaire face à ces privilèges est une source d’instabilité dans un pays qui a été touché par le Printemps arabe. Ainsi un pétrole à bas prix peut mener à des instabilités ayant des conséquences sur la région ou le monde indéterminées jusqu’à maintenant.
L’efficience de l’OPEP remis en cause
Après l’étude de l’Algérie et celle de l’Arabie Saoudite, nous pouvons constater que les impacts d’un pétrole à bas prix ne se font pas ressentir de la même manière dans les pays de l’Organisation des Pays exportateurs de Pétrole (OPEP). C’est pourquoi ils ne veulent pas adopter la même politique. Des divisions sont à l’oeuvre au sein de l’OPEP entre :
-les pétro-monarchies du Golfe qui veulent continuer à produire
-et les autres pays qui sont pour un resserrement des vannes ou le gel de la production au niveau de janvier 2016 pour endiguer la baisse des prix
Si cette tendance persiste, l’existence de l’OPEP serait moins pertinente. Même si elle demeure la seule institution capable de peser et possède 40% des ressources, il s’agit plus du poids des pétro-monarchies comme l’Arabie saoudite ou le Koweit que celui de l’Organisation. Il y a donc une désolidarisation au sein des pays exportateurs de pétrole. Autrefois réel pouvoir sur le marché pétrolier, il semblerait que l’OPEP s’efface au profit de pays pétroliers aux faibles coûts de production et impliquerait des nouvelles logiques sur le marché pétrolier
Les impacts géopolitiques d’un pétrole à bas prix montrent combien les alliances, les équilibres peuvent être bouleversés et créent une situation nouvelle où chacun ne possède pas encore une place définie. Ces intérêts économiques font parfois voire même souvent oublier les mesures écologiques prises internationalement lors de la COP21.
Une transition énergétique repoussée mais tout de même abordée
Bien qu’elle soit abordée, la transition énergétique est repoussée. Un pétrole à bas prix a des impacts environnementaux dans la mesure où il n’incite pas les individus, les entreprises ou les Etats à faire attention à leurs empreintes carbone ou à développer les énergies renouvelables.
La baisse de la rentabilité relative des énergies renouvelables :
Alors que l’accord de la COP21 fait encore parler de lui, les appels pour concrétiser ses objectifs sont nombreux mais les sources d’énergies renouvelables ont toutefois un prix supérieur à celui du pétrole même si elles sont de plus en compétitives. En Allemagne par exemple, les énergies renouvelables sont rentables quand le prix du baril se situe autour de 70 à 80 dollars. Même si elles bénéficient de mesures prises par les gouvernements à l’instar de la fiscalité verte (taxe carbone), le coût de consommation d’énergies fossiles est toujours inférieur à celui des énergies renouvelables. Certains soulignent toutefois que c’est l’occasion de supprimer les subventions aux énergies fossiles, ce que Laurent Fabius a prévu de faire.
Voir, avec certains, le pétrole à bas prix comme un avantage environnemental :
Le pétrole à bas prix à un impact sur les investissements pétroliers. Le fait qu’ils soient si bas limite toute forme d’investissements coûteux qui sont pour beaucoup dangereux pour l’environnement.
En effet, de nombreuses compagnies américaines ont fait le choix de réduire la production du pétrole de schiste car cette production n’est plus rentable quand le prix du baril vaut moins de 50 dollars. Pour l’environnement, cela est une bonne chose dans la mesure où les déchets de la fracturation hydraulique sont rejetés dans le sous-sol. Cela cause de graves secousses sismiques notamment dans l’Oklahoma. Ces méthodes sont si nocives pour l’environnement que les autorités fédérales ont demandé aux représentants des producteurs de réduire la quantité de déchets industriels.
Préparer l’hiver de demain : une surprenante solution :
Parmi les raisons avancées par l’Arabie saoudite pour expliquer la baisse des prix du pétrole, une peut surprendre. L’Arabie saoudite anticiperait un tournant dans la lutte contre le réchauffement climatique. Pour elle, la fin du pétrole – l’hiver de demain – verrait bien le jour. Elle se dépêcherait donc de vendre toutes ses réserves à bas prix au lieu de prendre le risque de ne pas les vendre et d’être privée de ses débouchés commerciaux. Elle souhaite en effet devenir le leader mondial dans le secteur des énergies renouvelables d’ici 2040 afin de rester une puissance. Pour ce faire, elle doit réduire sa consommation.
Les impacts d’un pétrole à prix bas sont divers. Les plus immédiats sont ceux économiques, financiers et budgétaires variant suivant la catégorie à laquelle on appartient : pays exportateur ou pays importateur. Des changements géopolitiques ont également lieu : ils laissent craindre le développement d’instabilités, de faiblesses ou de renforcements de certains pays qui peuvent redessiner le jeu des puissances. Enfin, les impacts énergétiques se perçoivent moins pour le moment – les individus trop obnubilés par un pétrole peu cher – mais ils sont déjà à l’oeuvre et laisse craindre le pire en termes d’émission de CO2 tout en limitant des méthodes de forages aux résultats désastreux. Un pétrole à bas prix est probable à moyen terme à cause des choix des pays exportateurs et de l’importance des stocks même si la perspective d’une hausse du prix du pétrole est toujours envisageable.
Carole Cocault
(1) « en revanche, vous Américains, avez un sérieux problème avec les cours actuels du brut. Vos coûts de production sont trop élevés. Donc trois solutions : soit vous les baissez, soit vous empruntez du cash, soit.. vous vous auto-liquidez. Les acteurs faibles vont rapidement devoir disparaitre » : propos du ministre saoudien du pétrole Ahmed Zaki Yamani
Sources :
Conférence
Conférence de l’ANAJ-IHEDN « Vers une perte de leadership de l’Arabie Saoudite au Moyen-Orient ? » avec David Rigoulet-Roze et Sébastien Wesser, le 19 février 2016
Un compte rendu est disponible sur le site de Classe Internationale, https://classe-internationale.com/2016/02/25/vers-une-perte-du-leadership-de-larabie-saoudite-au-moyen-orient/
Oeuvre
AUZANNEAU Matthieu, L’or noir : la grande histoire du pétrole, 19 mars 2015, dont notamment les chapitres 11 « États-Unis et Arabie saoudite, l’alliance fondatrice scellée une semaine après Yalta » et 30 « L’hiver, demain ? »
Articles
AMAROUCHE Arezki, « L’Arabie Saoudite veut devenir le leader mondial des énergies renouvelables », 23/06/2015, http://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/l-arabie-saoudite-veut-devenir-le-leader-mondial-des-energies-renouvelables-486406.html, consulté le 08/03/2016
BERG Eugène, « Situation et perspectives de l’économie russe », revue 78 de Geoéconomie, p. 75-89
BEZAT Jean-Michel, « Le nouvel ordre pétrolier mondial », 31/01/2016, http://abonnes.lemonde.fr/economie-mondiale/article/2016/01/31/le-nouvel-ordre-petrolier-mondial_4856787_1656941.html, consulté le 09/03/2016
BEZAT Jean-Michel, « La baisse du prix du pétrole aura un impact sur les résultats de Total, prévient son PDG », 19/01/2016, http://abonnes.lemonde.fr/entreprises/article/2016/01/19/la-baisse-du-prix-du-petrole-aura-un-impact-sur-les-resultats-de-total-previent-son-p-dg_4849682_1656994.html, consulté le 09/03/2016
HUBERT Paul, « Guide pratique de la baisse des prix du pétrole », 25/01/2015, http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/guide-pratique-de-la-baisse-des-prix-du-petrole/, consulté le 08/03/2016
INCHAUSPÉ Irène, « Le pétrole au plus bas pénalise les énergies renouvelables », 21/01/2016, http://www.lopinion.fr/edition/economie/petrole-plus-bas-penalise-energies-renouvelables-95209, consulté le 09/03/2016
JAMES Harold, « Les conséquences politiques d’un pétrole à bas prix », 08/02/2016, http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/les-consequences-politiques-d-un-petrole-a-bas-prix-548763.html, consulté le 08/03/2016
LAUER Stéphane, « Aux Etats-Unis, faillites en vue dans le secteur pétrolier », 22/01/2016, http://abonnes.lemonde.fr/economie/article/2016/01/22/aux-etats-unis-faillites-en-vue-dans-le-secteur-petrolier_4851568_3234.html, consulté le 09/03/2016
MATHIEU Carole, « Le secteur des énergies fossiles face au risque carbone », 22/01/2015, https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/actuelle_risque_carbone_cm_vf_avril15.pdf consulté le 09/03/2016
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SEMMAR Abdou, « Maudite rente pétrolière » tiré de Algérie-Focus, paru dans Courrier international n°1320, p. 18
TARNAUD Nicolas, « Les gagnants et les perdants de la baisse du prix du pétrole », 08/10/2015, http://www.huffingtonpost.fr/nicolas-tarnaud/gagnants-perdants-baisse-prix-du-petrole_b_8250376.html, consulté le 08/03/2016
TELLIER Emmanuel, « A force de pomper pétrole et gaz de schiste, les Américains font trembler l’Oklahoma », 08/03/2016, http://www.telerama.fr/monde/a-force-de-pomper-gaz-et-petrole-de-schiste-les-americains-font-trembler-l-oklahoma,139472.php, consulté le 10/03/2016
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« Who’s afraid of cheap oil », The Economist, January 23rd-29th 2016, p.7
« The oil conundrum », The Economist, January 23rd-29th 2016, p.15-17
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