Tunisie : « l’article de la honte »

Tunisie : « l’article de la honte »

 

Mercredi 14 décembre 2016 à Tunis, une manifestation contre l’article 227 bis du Code pénal tunisien s’est tenue devant le Parlement, suite à une nouvelle affaire de mariage d’une mineure après un viol. On pouvait lire sur une pancarte : “How I met your mother ? I raped her when she was 13”, à savoir “Comment ai-je rencontré votre mère ? Je l’ai violée lorsqu’elle avait 13 ans”. Un homme avait quant à lui écrit : “Il l’a violé une fois … Maintenant il a le droit de la violer chaque jour”.

L’article 227 bis, adopté en 1958, surnommé “l’article de la honte”, énonce : “Est puni d’emprisonnement pendant six ans, celui qui fait subir sans violences, l’acte sexuel à un enfant de sexe féminin âgé de moins de quinze ans accomplis. La peine est de cinq ans d’emprisonnement si l’âge de la victime est supérieur à quinze ans et inférieur à vingt ans accomplis […] Le mariage du coupable avec la victime […] arrête les poursuites”. D’après les mots d’une manifestante, il s’agit d’une loi inhumaine qui doit être abrogée, car l’absence de sanctions en cas de mariage force les filles à se marier avec le violeur.


Cette manifestation intervient au lendemain de l’annonce du tribunal de Kef (Nord-Ouest de la Tunisie) de l’autorisation de mariage d’une fille de 13 ans avec un de ses proches âgé de 20 ans (le frère de ses beaux-frères) qui l’a mise enceinte, décision prise le 1er décembre. Le porte-parole du tribunal de première instance Chokri Mejri a déclaré : “Nous avons entendu la fille et après vérification de tous les détails, nous avons considéré qu’elle était apte au mariage. La preuve, elle est enceinte […] de deux ou trois mois. […] Les deux familles ont demandé le mariage pour ne pas faire scandale”. La signature du contrat de mariage a eu lieu le 5 décembre, a précisé Chokri Mejri.


La décision a entraîné de nombreuses protestations : en quoi être enceinte signifie être apte au mariage ? Une enfant de 13 ans peut-elle réellement consentir à un rapport sexuel ? Monia Ben Jemia, présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), a déclaré : “Des juges considèrent qu’à l’âge de 13 ans, comme elle est pubère, elle est consentante […]. Or à 13 ans, on ne peut donner un consentement libre et éclairé, d’autant plus qu’il n’y a pas d’éducation sexuelle à l’école”. Pour la responsable de la protection de l’enfance de la région du Kef, Houda Abboudi : “il s’agit d’un viol”, on ne peut pas parler d’un rapport consenti. Selon elle, “la décision de justice n’a pas tenu compte de l’intérêt de cette enfant […] qui va en plus se marier avec son violeur”, ce qui est “une violation de son intégrité physique et mentale”. Pour Lotfi Hamadi, fondateur de l’association Wallah We Can, la mineure est “violée par un adulte, violée par la famille qui préfère la marier avec son bourreau plutôt que d’être humiliée ; violée par la justice qui autorise encore cette pratique barbare ; violée par les députés et le gouvernement qui ne sont pas pressés d’abroger l’article 227 bis du code pénal ; violée par le mutisme de la société.”


Les manifestations concernent  également la loi en elle-même. Les termes “subir” et “sans violence” sont pourtant diamétralement opposés, alors comment un acte sexuel sur mineur peut-il être subi “sans violence” ? Ce texte “n’a jamais été abrogé, car cela ne fait pas partie des priorités politiques, mais il y a eu, aussi, la volonté de ménager une société patriarcale et conservatrice dans laquelle des femmes et des filles continuent d’être sacrifiées sur l’autel de l’honneur familial”, selon Alya Cherif Chammari, avocate et militante pour les droits des femmes et des petites filles.

Face à ces mobilisations, le procureur général s’est constitué partie civile mercredi 14 décembre 2016 et a réclamé l’annulation de la décision judiciaire autorisant le mariage de la jeune fille de 13 ans. Le ministre de la Justice, Ghazi Jeribi, a annoncé que le ministère public avait ordonné la suspension du mariage. Les organisations de défense des droits des femmes et de l’enfant demandent encore l’annulation du mariage et non sa simple suspension.


L’affaire du Kef rappelle que les femmes restent discriminées dans le pays, considéré comme pionnier du droit des femmes dans le monde arabe. Le combat n’est pas fini. Simone de Beauvoir disait : “N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant”.

Depuis la chute du président Zine El-Abidine Ben Ali en 2011, plusieurs projets de loi sur les égalités hommes/femmes et la lutte contre les discriminations et les violences restent en suspens. Le projet de 2014, réalisé par des organisations de la société civile et le ministère des affaires de la femme, contre les violences faites aux femmes, n’a toujours pas été examiné par le Parlement.

 

Lisa Verriere

 

Sources :

“Le mariage d’une fillette jette une lumière crue sur les violations des droits des femmes en Tunisie”, Charles Bozonnet, Le Monde, le 16 décembre 2016

URL : : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/12/16/le-mariage-d-une-fillette-jette-une-lumiere-crue-sur-les-violations-des-droits-des-femmes-en-tunisie_5049985_3212.html?utm_campaign=Echobox&utm_medium=Social&utm_source=Facebook#link_time=1481882023

 

“Tunisie: la justice suspend le mariage d’une fille de 13 ans avec son violeur”, Mohamed Berkani, Géopolis, le 15 décembre 2016

URL : http://geopolis.francetvinfo.fr/tunisie-la-justice-suspend-le-mariage-d-une-fille-de-13-ans-avec-son-violeur-128597

 

“Tunisie : la justice autorise le mariage d’une mineure enceinte d’un proche”, Le Parisien, le 14 Décembre 2016
URL : http://www.leparisien.fr/international/tunisie-la-justice-autorise-le-mariage-d-une-mineure-enceinte-d-un-proche-13-12-2016-6451794.php

 

“Pour Ahlem, mariée à 13 ans à son violeur, et contre l’article 227 bis”, Lotfi Hamadi, Kapitalis, le 13 décembre 2016

URL : http://kapitalis.com/tunisie/2016/12/13/pour-ahlem-mariee-a-13-ans-a-son-violeur-et-contre-larticle-227-bis/

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