« That’s one small step for [a][1] man, one giant leap for mankind » disait Neil Alden Armstrong le 21 juillet 1969 à 2h56 UTC alors qu’il sortait du module lunaire et déposait ce fameux pied sur le sol de Terre I[2]. Exploit technologique, triomphe astro-géo-politique pour les Etats-Unis, l’alunissage de la mission Apollo 11 est le point culminant de cette décennie lumineuse qui a vu Spoutnik, Gagarine, Terechkova[3] et bien d’autres.
Mais ne cherchez pas ici la présence de ces aristocrates du cosmos, dopés à coup de milliard de dollars ou de roubles, portés par les plus grands esprits et techniciens de leur temps et orphelins d’une vision politique vigoureuse. Parmi les nations qui ont franchi la ligne de Kármán, définissant la lisière entre la Terre et l’espace à 100 kilomètres au-dessus de nos pieds, on peut isoler trois catégories. Premièrement, arrivent les Géants de l’espace, les Etats-Unis et l’Union soviétique, les grands champions de la course aux étoiles. Viennent les prétendants : l’Europe, déjà vieille terre spatiale, ou des puissances plus jeunes au rang desquelles, la Chine, l’Inde et le Japon.
Ce qui nous intéresse ici, ce ne sont pas ces princes de la conquête spatiale, mais les petits, les moins-que-rien, le Tiers-état du cosmos. Bien des programmes spatiaux se sont bâtis sous des latitudes peu communes (Zambie, Liban, Irak). Boiteux, frêles, erratiques mais aussi bien plus attendrissants, ces Icares des temps modernes sont pourtant riches d’enseignements.
L’homme est d’abord monté sur la bête de somme / Puis sur le chariot que portent des essieux / Puis sur la frêle barque au mât ambitieux / Puis quand il a fallu vaincre recueil, la lame / L’onde et l’ouragan, l’homme est monté sur la flamme / A présent l’immortel aspire à l’éternel / Il montait sur la mer, il monte sur le ciel.
Victor Hugo – Plein Ciel
- A l’origine, des Icares de papier
Il serait vain d’essayer de démontrer que de tout temps l’homme a regardé vers les étoiles. Les fables religieuses sont farcies de phénomènes venus du ciel. Lors la fondation mythique de Rome, le roi Romulus, spationaute latin, est ainsi propulsé dans le firmament au cours d’une violente tempête, retournant en sa demeure divine. Les récits d’accessions au ciel par moyens humains sont plus rares. On peut citer bien entendu le fameux Icare et ses ailes brûlées, parabole qui devait être dans bien des crânes lors de la déflagration de la navette Challenger le 28 janvier 1986. Plus original, autour de 125 l’Anatolien Lucien de Samosate rédigea en grec Histoires vraies, un récit relatant son voyage jusqu’à la Lune dans son navire emporté par une tempête, où il assiste à une guerre entre les Sélénites et les armées de Phaéton, roi du Soleil. De l’autre côté de l’Asie, le mythe de Wan Hu, fonctionnaire chinois du XVIe siècle tentant d’atteindre lui-aussi la Lune à l’aide d’une chaise sur laquelle étaient montées quarante-sept fusées, est lui-aussi toujours vivace. Ces récits sont souvent des paraboles philosophiques poussant à la réflexion sur un sujet bien terrien. Lucien de Samosate aborde ainsi des thématiques politiques de son époque, par le truchement des luttes entre les Sélénites et les habitants du Soleil.
Le XVIIe siècle voit les auteurs se soucier un peu plus des modalités d’accès à l’espace. Savinien de Cyrano de Bergerac décrivit dans ses Histoire comique des Etats et Empires de la Lune (1656), et Histoire comique des Etats et Empires du Soleil (1662)[4] pas moins de huit techniques possibles pour voguer jusqu’à la Lune, et quatre pour rejoindre le Soleil. Parmi ces machines romanesques l’une consiste en plusieurs fusées à poudre allumées successivement, approche comparable aux fusées à étages modernes. Ces textes servent toujours un propos philosophique, et la technique, lorsqu’elle y est présente, n’est qu’additionnelle, et vient soutenir la puissance romanesque.
Dans le summum de l’exploration spatiale par les mots, De la Terre à la Lune, trajet direct en 97 heures 20 minutes (1865) de Jules Verne, le souci de la technique s’accentue. Les membres du Gun Club de Baltimore qui prennent place dans l’obus, seraient bien évidemment tués par la colossale accélération due au tir. Cependant, Jules Verne a pris en considération des éléments de balistique pour le moins poussés. Il y explique ainsi que le corps du chien accompagnant les protagonistes, est largué dans l’espace, et continue son mouvement sur une trajectoire parallèle au vaisseau. Ce qui est juste physiquement parlant. Le grotesque du point de vue de scientifique y côtoie le rigoureux. L’idée de rejoindre l’espace via la propulsion d’un canon renaîtra de manière tout à fait sérieuse un siècle après sa publication, comme nous le verrons plus bas. Concomitamment, Achille Eyraud imagina en 1865 dans Voyage à Vénus un vaisseau à réaction, semblable aux fusées chimiques modernes.
Les Jules, Achille et autre Lucien de Samosate, affabulateurs solitaires sur le papier de leur époque, plantent des graines de réflexion dans les esprits pratiques de leurs descendants. La réalité finit par rattraper la fiction. Des tentatives concrètes de rejoindre l’espace ou la haute atmosphère se réalisent avec le début du XXe siècle. Robert Goddard ingénieur massachusettais dépose les premiers brevets pour les fusées à étages et à propulsion liquide. Il fabrique lui-même des prototypes, puis financé par le Smithsonian Institute et l’armée américaine, sa première fusée à propulsion liquide, Nell, quitte le sol le 16 mars 1926 pour un vol de 2,5 secondes et de 13 mètres de haut. Le caractère pionnier de ses activités est raillé, c’est d’ailleurs à ça que ce père de l’astronautique gagne sa place dans ce papier. Le 13 janvier 1920, l’éditorial du New York Times descend les idées de Goddard en plein vol : « il semble qu’il lui manque les connaissances du niveau de l’école secondaire »[5]. Le journal s’excusera le 17 juillet 1969 alors que l’équipage d’Apollo est en route pour la Lune titrant « The Times regrets the error ». La nouvelle frontière entre l’illuminé solitaire dans son jardin et le succès des plus grandes épopées scientifiques, industrielles, politiques et surtout collectives est décidément bien mince. Dans l’ombre de la Guerre des étoiles, les fous ne sont peut-être pas ceux que l’on pense.
◦ Le programme spatial zambien ou l’Icare halluciné
Le cas du programme spatial zambien du professeur Edward Makuka Nkoloso en 1964 représente la quintessence de la (tentative de) conquête de l’espace par le bas. L’objectif du professeur Nkoloso est simple : il souhaite envoyer Matha Mwambwa, jeune Zambienne de 17 ans, ainsi que deux chats en direction de la Lune. A terme douze afronautes[6], néologisme de son cru, et dix félins seront dépêchés sur la planète Mars.
Pour partir à la conquête du Huitième Continent, le professeur Nkoloso, fondateur et unique membre de l’Académie nationale des sciences, de la recherche spatiale et de la philosophie entraîne une douzaine d’aspirants afronautes dans son projet tout en concevant sa propre fusée. Il bâtit un centre d’entraînement dans une ferme abandonnée à 11 kilomètres de Lusaka, la capitale. Les présélectionnés y reçoivent une instruction physique, scientifique et morale. Ils doivent ainsi dévaler une colline accroupis dans des barriques, ou faire de la balançoire, pour qu’une fois atteint l’apogée, la corde soit coupée, tout cela dans le but d’habituer les futurs afronautes à l’apesanteur. La fusée D-Kalu 1[7] mesurait trois mètres de hauteur pour deux de large, et était en majorité composée d’aluminium et de cuivre. Nkoloso, comme si son caractère fantasque n’était pas déjà assez affirmé portait un casque de combat, un uniforme militaire kaki et une cape en soie multicolore ou parfois en velours héliotrope. Le tout souvent couvert de médailles. Ses afronautes, eux, portaient des vestes en satin vert avec un pantalon jaune.
Ce projet fantastique est, assez naturellement, né dans les nuées. Nkoloso a déclaré que le programme lui avait été inspiré par son premier vol en avion. Lorsque le pilote avait refusé d’arrêter l’appareil afin qu’il puisse « sortir et marcher sur les nuages », Nkoloso s’est décidé à entrer de plain-pied dans la course spatiale. Le gouvernement zambien refusant de s’associer politiquement et financièrement au projet, il finit par couler. Lors de sa dernière interview en 1989 il affirme : « J’ai toujours la vision pour le futur de l’homme. Je suis persuadé qu’il pourra se déplacer sans entrave d’une planète à l’autre »[8]. Edward Makuka Nkoloso meurt peu de temps après, sans jamais avoir vu la Terre depuis l’espace.
Si le caractère humoristique de l’aventure nkolosienne n’est que soupçonné, sa force symbolique est en revanche manifeste. Le programme spatial zambien n’est rien par rapport à la National Aeronautics and Space Administration (NASA). Mais la NASA à l’époque n’a que six ans d’existence derrière elle. À ce titre, le programme spatial zambien est terriblement audacieux et novateur. Dans une Zambie tout juste indépendante et instable, voir naître un programme spatial semblable dans l’esprit à ses homologues soviétique et américain, montre à quel point le rêve de la course à l’espace s’est démocratisé. Le professeur Nklosso a planté des graines, certes de folie douce, mais qui ont fini par bourgeonner.
- Les canons de Babylone ou l’Icare belliqueux
Gerald Bull, (1928-1990), ingénieur canadien, spécialiste en balistique a lui aussi cherché à atteindre l’espace par des voies détournées. Son champ de prédilection était les supercanons, ou canons spatiaux, capables de tirer sur de très longues distances ou de très hautes altitudes. Il a tout d’abord collaboré au projet CARDE, le Canadian Armament and Research Development Establishment, créé conjointement avec les Britanniques pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est au sein de CARDE que Bull voit naître son désir d’envoyer des masses démesurées, très haut et très loin. Lorsque CARDE est arrêté faute de financement, Bull rejoint en 1961 le projet américain HARP, High Altitude Research Program, traitant de thématiques semblables. Avec le soutien de la CIA il rejoint l’Afrique du Sud ségrégationniste dans les années 1970 pour aider au développement de leur artillerie, bien que qu’elle soit sous embargo du fait de l’apartheid.
Lorsque l’aide américaine apparaît au grand jour en 1978, Bull passe quelques temps en prison, avant de rejoindre en 1981 le programme balistique de Saddam Hussein, à nouveau sous la tutelle de la CIA. Il travaille alors sur deux projets à la mesure de ses rêves d’artilleur astral. Le premier est le Baby Babylone, canon de 46 mètres et de 102 tonnes supposé capable de viser jusqu’à 750 kilomètres. Son grand frère le Big Babylone mesurait 156 mètres pour un poids de 2100 tonnes, avec un rayon de 1000 kilomètres. L’intérêt d’un tel canon était sa capacité à tirer des charges jusqu’en orbite. Théoriquement, le Big Babylone pourrait lancer un projectile qui, assisté de fusée de 2 000 kg, transporterait un satellite de 200 kg. Les composants du pistolet Big Babylone ont été fabriqués en Grande-Bretagne, en Allemagne, en France, en Espagne, en Suisse et en Italie.
Si Bull avait été en mesure de mener à bien le projet, les capacités de Big Babylone auraient fait du canon spatial irakien un vecteur bon marché afin de lancer des satellites. Le coût de mise en orbite était d’environ 1 277 $ par kilogramme. En comparaison, la NASA estime qu’il coûte 22 000 $ par kilogramme pour lancer un satellite moderne en orbite en utilisant des fusées chimiques conventionnelles.
Bull a toujours justifié ses activités à l’aune de ses rêves astro-balistiques et de son devoir patriotique. Cependant il n’ignorait pas que l’Irak puisse utiliser sa technologie dans un but militaire, mais il a justifié ses actions en soulignant que si c’était une arme terrifiante elle était aussi inutilisable. Ce qui n’est pas tout à fait faux. La force de recul du canon aurait totalisé 27 000 tonnes – équivalent à une explosion nucléaire – et se serait enregistrée comme un événement sismique majeur et donc facilement repérable. Impossible à bouger du fait de son poids et de sa taille, le canon est facilement destructible une fois repéré.
Le 22 mars 1990, Bull a été abattu de plusieurs balles dans le dos et de deux dans la tête alors qu’il entrait dans son appartement de Bruxelles[9], et n’a jamais pu ouvrir toute grande la porte du cosmos à coup de canon. Bull est un personnage complexe, et certainement peu recommandable. Bien qu’il soit celui de cette liste qui a été le plus proche de réussir son projet, c’est également celui qui attire le moins la sympathie. Ce n’est pas comme si réussite et affection étaient inversement corrélées, mais la question des moyens d’accès à l’espace reste cruciale. Et dans ce cas, cela veut dire s’associer à un dictateur souhaitant acquérir une arme terriblement destructrice.
- Le programme spatial libanais ou l’Icare estudiantin
La course à l’espace des années 1960 a vu naître un prétendant certes modeste, mais déterminé. Issue d’un pays qu’il n’est pas courant de croiser dans les annales de l’âge spatial, la Lebanese Rocket Society a pourtant fait preuve de résilience, d’inventivité et d’un certain succès alors même que le programme spatial français était balbutiant. La société était plutôt club de science sise à l’université de Beyrouth. Après des études aux Etats-Unis et un retour à Beyrouth comme professeur, Manoug Manougian (1936 -) créé dans un premier temps la Haigazian College Rocket Society. Manougian avait réuni autour de lui une poignée d’étudiants dans leur vingtaine rugissante. Majoritairement issus des départements de physique et de mécanique ils constituent l’ossature du programme spatial libanais, qui a donc la triple originalité d’être amateur, composé pour partie de mineurs et en quasi-totalité de non-diplômés.
Les premiers prototypes sont faits de carton, de tuyaux et d’autres matériaux de récupération. Le groupe progresse d’un pas mesuré, mais constant. En avril 1961, leur fusée atteint l’altitude de 1000 mètres, puis 2000 mètres la même année. L’armée libanaise commence à s’intéresser aux activités du groupe leur fournissant l’aide de Youssef Wehebe, un jeune lieutenant spécialisé en balistique, ainsi qu’un terrain pour continuer les expérimentations en sécurité. Une protection à la fois pour les expérimentateurs en herbe et leur entourage, plusieurs cas de brûlures étant avérés, mais aussi pour la stabilité politique de la région. Leurs essais frôlent régulièrement les eaux et le territoire chypriotes. C’est à la demande expresse du président Fouad Chéhab qu’ils doivent décaler légèrement leurs tirs vers les eaux australes. Le programme devient une source de fierté nationale, le ministère de l’Éducation fournissant un financement limité pour 1962 et 1963. Les fusées sont rebaptisées Cedar, à l’image du cèdre, l’emblème du pays. L’animation par une visée politique interne et externe de ces programmes astronautiques n’est donc pas le seul fait des grandes puissances. Le lancement de Cedar IV en 1963 fut un tel succès qu’il a été commémoré sur un timbre. Il a atteint une hauteur de 145 km, ce qui le rapproche de l’altitude des satellites en orbite terrestre basse, et franchit allègrement la limite de Kármán.
Philatélie libanaise
L’envoi d’une forme de vie est un palier qui n’a jamais été franchi par le programme spatial libanais, bien qu’une souris nommée Mickey ait été entraînée à subir l’accélération du décollage. Mais, Manougian ayant demandé à sa femme de faire un parachute, elle le questionna : « Qu’est-ce que tu vas ramener avec ? ». Suite à quelques précisions sur le projet avec la courageuse Mickey elle répondit « il faudra que tu me passes sur le corps avant d’envoyer une souris dans l’espace ». Voilà à quoi tiennent les gloires scientifiques. La guerre de Six Jours en 1967 et le départ de Manougian aux Etats-Unis mirent fin au projet. « Oui, c’était un petit pays, mais le Liban a pu le faire », se remémore Manougian avec nostalgie.
- Bob Space Project ou l’Icare éveillé
Robert « Bob » Truax (1917-2010) était un ingénieur californien et qui un demi-siècle après « Bob » Goddar essaya lui-aussi de rejoindre les étoiles par ses propres moyens. Après de nombreuses années de service dans l’US Navy, notamment au sein du programme Viking Rocketand et du missile UGM-27 Polaris, Bob créé en 1966 Truax Engineering afin de mettre au point sa propre fusée pour des vols touristiques. L’élément le plus avancé de son projet fut le X-Volksrocket, un lanceur réutilisable, un concept original et pertinent réutilisé quarante ans plus tard par Space X. La vision truaxienne de l’espace est en effet brûlante d’actualité, affirmant que « le gouvernement n’utilise jamais rien deux fois, ils construisaient des véhicules à 200 000 $ pour transporter des astronautes vers le site de lancement lorsqu’un wagon de train aurait fait l’affaire ». Sa fusée de presque huit mètres était alimentée par quatre propulseurs Vernier, récupérés dans des surplus pour 25 $ à 115 $ chacun. Son système de guidage, issu de l’avion expérimental X-15 de l’US Air Force, d’une valeur initiale de 25 millions de dollars, a été acheté 36 $ pièce. Les ceintures de sécurité proviennent d’un dépôt, alors que le futur astronaute devait s’asseoir sur un tabouret. Le système de support de vie était composé d’un tube à l’extérieur de l’engin par lequel l’astronaute pouvait respirer avant et après le vol dans l’espace inférieur. Pendant les onze minutes du vol, l’astronaute subsistera avec le seul air libre de la cabine. 3 500 individus auraient été volontaires pour devenir son astronaute, notamment des pilotes de ligne, des ingénieurs, « une vieille grand-mère et un type ressemblant à Buddy Holly ». Pour lui l’astronaute n’avait pas à être quelqu’un d’extraordinaire : « Une femme en bikini serait bien, cela diminuerait le poids embarqué, et en plus il fera plutôt chaud à l’intérieur ».
De nombreux ingénieurs spécialisés se sont arrêtés dans le garage de Bob pour donner un coup de main, ainsi que des donations comme des ordinateurs, pour près de 30 000 dollars de facture, ainsi que des lettres d’encouragement. Les financements furent difficiles à trouver, alors que le projet embaucha jusqu’à sept personnes. Un magnat péruvien de la tortilla a notamment investi dans le projet en échange de la promesse d’être le premier astronaute du Bob Space Program. Bob, manquant de financements, envisagea de vendre des billets pour l’espace d’une valeur de 10 000 dollars, inaugurant une mode désormais bien réelle des voyages touristiques vers l’espace mais pour des sommes bien plus élevées[10]. La version finale du X-Volksrocket fut testée en 1991 mais le tir échoua, et les rêves d’espace de Bob s’éteignirent peu à peu. Mais ils ne sont pas tout à fait morts. Le projet Copenhagen Suborbitals cherche lui-aussi à rejoindre les étoiles par la voie amateur, redynamisant le rêve de Bob.
Bob est le précurseur de trois des grandes tendances de fond agitant aujourd’hui le secteur du spatial : la réutilisation, le tourisme, et la sobriété. Pour le dernier concept, Bob avait une vision particulière du prix de l’espace. Pour lui le coût n’a pas de lien avec la taille et la puissance de la fusée. C’est bien la complexité du vecteur et non sa taille qui fait monter les coûts. A sa manière il pensait à un camion/tracteur de l’espace, comme peut l’être l’Ariane VI en devenir. « Je ne cherche pas à embarrasser la NASA, peut-être juste à ouvrir un peu leurs horizons ». Et l’on peut dire qu’il l’a fait. L’espace est loin de la privatisation totale. Le coût, qui reste l’une des barrières quasi-infranchissables pour l’amateur, n’est pas en lien avec la distance dans l’espace, mais avec l’énergie nécessaire pour arracher sa masse à la pesanteur terrestre, ou celle d’un autre corps céleste. La première strate de l’espace est d’ores et déjà largement colonisée par les acteurs privés, les administrations publiques se réservant toujours les vols plus lointains. Les Bob sont appelés à prendre toujours plus de place dans le voisinage proche de la Terre.
Civis tellus sum [11]
Les imbéciles heureux et savants de la course à l’espace nous enseignent plusieurs leçons concernant notre rapport à l’espace. Nous prendrons les trois mots à rebours.
Savants, ils le sont indéniablement. Sans avoir le confort matériel et humain d’une administration pantagruélique derrière eux pour les soutenir, ils font preuve d’une remarquable technicité (Bull, Manougian, Truax), ou d’une fascinante inventivité (Nklosso). Comme le disait l’astronaute américain Scott Kelly en 2015 : « Space is hard ». Et pour le plier à notre volonté, la technique doit constamment se réinventer.
Heureux, ils le sont aussi. Mis à part Bull, assassiné, et bien que leurs projets aient tous échoué ils regardent leur passé avec fierté, source d’accomplissement personnel, et par-dessus tout d’inspiration collective.
Enfin, étymologiquement parlant, l’imbécile, l’im-bacillum, sans bâton, ou sans béquille est incapable de se soutenir par sa propre force. Celui qui tente de rejoindre l’espace ne peut le faire seul. Que cela soit les milliers d’ingénieurs de la NASA, Nklosso et ses Afronautes, Bull et Saddam, Manougian et ses étudiants, Bob et son magnat de la tortilla, l’aventure ne peut se faire en solitaire. S’ils tombent souvent, les va-nu-pieds ne voyagent jamais seuls.
Jean Leviste
[1]La prononciation, ou l’omission du [a] reste à ce jour sujet de débat, même si Armstrong a fini par plaider l’oubli.
[2]Nom officiel de la Lune suivant la désignation systématique des satellites, mais seuls les plus acharnés des astronomes l’utilise.
[3]Valentina Vladimirovna Terechkova est la première femme à effectuer un vol dans l’espace, grâce à son vol du 16 au 19 juin 1963.
[4]Très proche du livre de l’évêque anglais Francis Godwin Le Voyage chimérique au monde de la Lune (1649).
[5] Version originale : […] Of course he only seems to lack the knowledge ladled out daily in high schools »
[6] Afronaut en version originale
[7] D’après le nom du premier président de la Zambie Kenneth David Kaunda
[8]Version originale : “I still have the vision of the future of man. I still feel man will freely move from one planet to another.”
[9] Il a été probablement tué par le Mossad, le service secret israélien mais cela reste hypothétique.
[10] Dennis Tito l’un des premiers touristes spatiaux a ainsi dépensé 20 millions de dollars en 2001.
[11] « Je suis citoyen terrien ». Originellement, Civis romanus sum est une expression latine signifiant « je suis citoyen romain ». Celui qui énonce ces mots rappelle les droits et devoirs attachés à la qualité de citoyen romain.
The Zambian “Afronaut” Who Wanted to Join the Space Race, The New Yorker, Mai 2017
The Ttragic Tale of Saddam Hussein super gun, BBC, mars 2016
http://www.bbc.com/future/story/20160317-the-man-who-tried-to-make-a-supergun-for-saddam-hussein
Lebanon’s forgotten space programme,Novembre 2013
http://www.bbc.com/news/magazine-24735423
Sky is the limit for citizen’s backyard rocket ship, The New York Times, Avril 1981
http://www.nytimes.com/1981/04/12/us/sky-is-the-limit-for-citizen-s-backyard-rocket-ship.html
Inventors hope to launch ‘backyard satellites’ to fill gap in Australian space exploration, ABC News, Juin 2015
Robert Truax a top rocket scientist is dead at 93, The New York Times, Septembre 2010
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