« Déclarations », par Sebastião Salgado : la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, soixante-dix ans après

« Déclarations », par Sebastião Salgado : la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, soixante-dix ans après

Signée à Paris le 10 décembre 1948, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) est l’un des documents fondateurs du droit international relatif aux droits de l’Homme. Pour la première fois dans l’Histoire, un groupe d’États très hétérogène va reconnaître un ensemble de droits inaliénables et inhérents à la personne humaine. Comme le rappelle Amnesty International, la singularité de la DUDH est celle de dépasser les frontières étatiques, culturelles et religieuses au nom d’un objectif commun : la protection des droits humains[1].

L’année 2018 a marqué le 70ème anniversaire de la Déclaration Universelle. Pour célébrer cet événement, le Musée de l’Homme organise une série d’activités dans le cadre de sa nouvelle saison, En droits !. Parmi celles-ci se trouve l’exposition Déclarations, dans laquelle une dizaine d’articles de la DUDH sont illustrés par des photos du photographe brésilien Sebastião Salgado.

Le choix n’est pas dû au hasard : Salgado est l’un des photographes contemporains les plus connus mondialement et son œuvre reflète une sensibilité particulière envers la condition humaine. Détenteur de plusieurs prix au Brésil et à l’étranger[2], il s’est déjà rendu dans plus de 100 pays pour mener ses différents projets photographiques. « Déclarations » est composée de 30 photographies prises dans 20 pays sur une durée de trente ans.

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Hôpital de Médecins sans Frontières du camp de Wad Sherifay. Soudan, 1985

La DUDH, entre idéalisme et réalité

La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme se situe dans la période immédiatement postérieure à la Deuxième Guerre Mondiale. Les atrocités commises pendant la guerre ont incité la société internationale à fonder une nouvelle politique basée sur les droits de l’homme[3], dans le but d’éviter que de tels événements puissent se reproduire à l’avenir. Néanmoins, même si la DUDH a représenté un grand progrès en termes juridiques[4], sa seule existence n’a pas pu empêcher l’émergence de conflits meurtriers au cours de la seconde moitié du 20ème siècle, comme la Guerre du Vietnam (1955-1975) ou le génocide au Rwanda (1994), ni assurer la sauvegarde effective des droits présents dans la charte.

Cette contradiction apparente est perceptible tout au long de l’exposition. Les photos de Sebastião Salgado exposent souvent un contrepoint entre l’idéalisme du texte de la DUDH et la persistance des violations des droits de l’homme dans le monde. Comme l’affirme le photographe lui-même, « Je ne veux pas qu’on apprécie la lumière ou la palette de tons. Je veux que mes photos informent, provoquent le débat. »[5].

Nul ne sera soumis à la torturen ni à des peines ou traitements cruelsn inhumains ou dégradants
La prohibition formelle de la torture et la réalité des zones de conflit

Ainsi, pour en citer quelques exemples, la prohibition formelle des traitements inhumains ou dégradants (article 5) coexiste avec la réalité des excisions de jeunes filles dans certains États africains, et le droit à un niveau de vie suffisant pour assurer son bien être (article 25) se heurte au quotidien difficile des camps de réfugiés.

Un regard tourné vers l’humain

Dans Déclarations, on ne trouve pas seulement la thématique du conflit, mais également d’autres sujets, comme la vie religieuse des communautés locales et les conditions de travail dans le monde. En ce qui concerne le travail, il convient de souligner que les problèmes des pays émergents ne sont pas les seuls à faire l’objet de l’analyse de Salgado. L’automatisation croissante de l’industrie, phénomène duquel les pays développés ont été les pionniers, a fait disparaître des postes de travail, provoquant une augmentation du chômage.

En plus, bien que Salgado ait parcouru des régions lointaines et distinctes les unes des autres, il n’oublie pas de porter un regard incisif sur son pays natal, le Brésil. Trois des photos présentées dans l’exposition ont été prises dans les régions les plus pauvres du pays sud-américain : le Nordeste et le Nord.

Noreste
Paysans brésiliens du Sertão do Cariri en train de prier

Un autre aspect intéressant à noter dans l’exposition est celui de la récurrence de visages d’enfants. L’enfance est présentée soit dans une perspective réaliste, brutale, désespérée, soit dans une perspective optimiste, surtout à travers le droit à l’éducation.

Sous le premier angle, l’une des illustrations la plus marquante est celle de l’article premier de la Déclaration, « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et droits ». Les enfants qui figurent sur les photos qui correspondent à l’article sont nés dans de centres de détention et de ce fait, n’ont jamais connu la liberté. De même, l’image où des enfants se cachent lors d’une manifestation de soutien au MPLA[6], leurs visages en-dessous d’une paire de bottes et d’une arme à feu, traduit l’oppression qui pèse sur l’enfance dans les régions troublées par le conflit.

Inversement, le droit à l’éducation, présent dans l’article 26 de la Déclaration, est au coeur du deuxième angle d’analyse. Les images de cette section illustrent des exemples où l’éducation semble donner l’espoir d’une vie nouvelle à des enfants qui ont connu la guerre et/ou la pauvreté. Comme exemples, l’école du camp de Kakuma, où l’on peut voir de jeunes garçons du Sud Sudan qui ont pu échapper au recrutement militaire forcé, et celle du village de Barra do Onça, où une jeune fille tient son stylo, le regard fixé vers la caméra.

En ce début d’année 2019, l’état des droits de l’homme dans le monde est loin d’atteindre l’idéal préconisé par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, comme le démontrent, entre autres, la situation humanitaire au Venezuela et l’escalade des propos antisémites en France. Pourtant, d’après Kenneth Roth, directeur exécutif de Human Rights Watch, les défenseurs des droits humains, de la démocratie et de l’État de droit se renforcent également[7]. Il est donc plus  que jamais nécessaire de reconnaître l’importance de la DUDH et de promouvoir l’oeuvre d’artistes humanistes tels que Sebastião Salgado.

Bartira Nunes

[1] Amnesty International France. La Déclaration Universelle des droits de l’homme. En ligne, URL : https://www.amnesty.fr/focus/declaration-universelle-des-droits-de-lhomme .

[2] Pour une liste complète des distinctions honorifiques reçues par Sebastião Salgado, voir : https://www.amazonasimages.com/sebastiao-salgado .

[3] Zuber, Valentine. « Les soixante-dix ans de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Un anniversaire en demi-teinte », Le Débat, vol. 201, no. 4, 2018, pp. 106-121.

[4] La DUDH a servi de modèle à d’autres textes normatifs, comme le Pacte des droits civils et politiques (1966) et la Convention Internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (1966)

[5] Musée de l’Homme. Déclarations, exposition photo Sebastião Salgado. En ligne, URL: http://www.museedelhomme.fr/fr/visitez/agenda/exposition/declarations-exposition-photo-sebastiao-salgado.

[6] Le Mouvement Populaire de Libération de l’Angola (MPLA) était un mouvement populaire de lutte pour l’indépendance de l’Angola, devenu parti politique après la Guerre d’Indépendance (1961-1974).

[7] Human Rights Watch. Rapport mondial 2019: La résistance croissante aux autocrates. En ligne, URL : https://www.hrw.org/fr/world-report/2019/country-chapters/325864.

Les photos de l’exposition ont été prises par Bartira Nunes lors d’une visite au Musée de l’Homme.

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