L’homophobie en Pologne : Pénétré pénétrant, un refus de la mondialisation des genres

L’homophobie en Pologne : Pénétré pénétrant, un refus de la mondialisation des genres

S’il semblerait qu’une révolution des mœurs sexuelles traverse l’Europe, cette impression de révolution reste très occidentale voire même générationnelle. Si l’effet bulle nous amène à considérer les évolutions observables sur les réseaux sociaux comme des manifestations d’une seconde révolution sexuelle, l’homophobie d’État polonaise nous amène à reconsidérer nos affirmations à l’aune de questionnements socio-politiques et historiques.

Un président, deux pays

Lors du scrutin du dimanche 12 juillet 2020, le président-candidat Andrzej Duda a été élu à 51,21% des suffrages contre 48,79%. Cette victoire, arrachée laborieusement, est symptomatique d’une Pologne profondément divisée au sujet de la place accordée aux libertés individuelles et collectives. Les scores du principal opposant à Duda, le libéral Rafal Trzakowski (actuel maire de Varsovie), révèlent la scission du pays entre des citoyens souhaitant œuvrer pour la démocratisation et la libéralisation de l’État et d’autres souhaitant maintenir le statu quo. A ce titre, les élections de juillet 2020 ont rassemblé 68% des Polonais, soit la participation la plus élevée depuis les élections de 1989.

Le pays est profondément divisé entre les villes de l’ouest qui ont principalement voté Trzakowski et les villes de l’est qui ont voté Duda. L’ouest a été tout au long du XXe siècle sous l’influence du Reich allemand puis de la RFA (République Fédérale d’Allemagne) alors que celles de l’est ont été sous domination soviétique et russe. Dès lors, les villes de l’ouest sont plus intégrées que celles de l’est, jouissant d’une grande urbanisation, du développement du secteur secondaire et de flux d’importations et d’exportations. Les deux grands ports du pays, Gdansk et Szczecin, permettent une ouverture sur la mer Baltique tandis que les grandes villes minières comme Poznań et Cracovie génèrent une part non négligeable du PIB du pays. Au contraire, des villes de l’est comme Lublin et Bialystok ont entretenu moins d’échanges avec le voisin allemand et sont donc moins intégrées au reste du continent. Cette scission sur le plan économique et territorial provoque des difficultés d’unification du pays autour de l’État-nation. En effet, selon l’historien et journaliste polonais Piotr Kaminski, « On a volé deux siècles de son histoire à la Pologne, notamment le XIXème siècle qui est celui des identités nationales ». La Pologne défend donc une position très nuancée à l’international avec, d’un côté, une Pologne qui fuit le monde extérieur par peur de l’autre et de l’invasion-violence, et celle qui souhaite s’ouvrir au monde et exister sur la scène internationale. L’élection a donc cristallisé une opposition entre deux visions de cette même histoire. Un duel s’est joué entre  le candidat de la crainte d’un monde extérieur qui avance bien trop vite et de l’autre, le candidat qui cherche à courir derrière lui.

Un refus de la mondialisation des mœurs

Plus que d’être un espace économique commun, de défendre des positions complémentaires sur la politique internationale et de partager des politiques sectorielles communes, l’Union européenne existe aussi par des valeurs. Elle est le principal défenseur des droits humains. L’UE est imprégnée, en son sein, de la doctrine libérale reposant sur la conception de l’individu souverain. Les citoyens se doivent de jouir d’une double liberté : une possibilité d’engendrer l’ordre collectif qu’ils souhaitent (libertés collectives, civiles, politiques) et une possibilité d’être maître de leur propre personne (libertés individuelles telles que l’expression, réunion, croyance…). Or, l’État conservateur polonais s’est révélé être liberticide sur ces deux pôles. En décembre 2017, l’UE a adopté, pour la première fois, l’article 7 qui dispose que « L’union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’Etat de droit, ainsi que le respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités ». Dans cette procédure, l’Union s’attaquait à une réforme de la justice qui aboutirait à une perte de l’indépendance des juges polonais.

Néanmoins, les positions ouvertement homophobes de l’Etat polonais continuent de déranger Bruxelles. Plus que cela, elles engendrent de véritables crises diplomatiques. La Commission européenne a annulé les financements de 6 villes polonaise se revendiquant « anti-LGBT » jumelées avec d’autres villes du Vieux Continent. Dans un rapport publié en 2009,  l’Agence des droits fondamentaux de l’Union Européenne déclare que « tous les Européens dans aucune forme de discrimination basée sur le sexe, la race ou l’ethnie, la religion ou les croyances, les handicaps, l’âge et l’orientation sexuelle » doivent pouvoir exister librement dans l’ensemble de l’Union. Or, plus d’un tiers du territoire polonais est constitué de municipalités qui se revendiquent être des “zones blanches” protégées de la « propagande LGBT ». Lublin est l’une de ces villes. Située au sud-est de Varsovie, elle se vante d’être une zone « sans LGBT ». À l’image de Lublin, de nombreuses villes ont signé la « charte régionale des droits de la famille », rédigée par l’ONG catholique Ordo Iuris. On y retrouve comme principe phare « la protection du mariage, étant une union de l’homme et de la femme, déjà protégée par la Constitution polonaise ».  

Face au bras de fer entre les municipalités et le reste du continent, le ministre de la justice Zbigniew Ziobro a affirmé que la décision de l’Union était illégale et que l’Europe se devait de respecter les mœurs et les traditions des états-membres. Dans cette acception, l’homophobie n’est pas simplement une dérive personnelle mais, au contraire, ce qui unirait les Polonais entre eux ; cela serait le socle historique de leur nation. Il serait alors impossible de placer la Pologne sur le même axe progressif que le reste de l’Europe puisque celle-ci aurait un particularisme national irréductible. Culturellement différente, il s’agirait d’une véritable ingérence de rentrer dans les mœurs polonaises et d’essayer de les transformer. Ici, la différence ne devrait pas rimer avec retard.

Néanmoins, comment soutenir l’idée que l’Europe libérale, qui s’illustre par des prises de positions sur l’ensemble des crises humanitaires, accorde des financements à un pays en état de crise des droits humains et de la démocratie ? Le plan de relance européen, qui promet 750 milliards d’euros aux États-membres pose alors question, puisqu’il s’agirait d’un véritable contresens identitaire d’accorder des fonds à un pays qui ne respecte pas les règles les plus fondamentales de l’Etat de droit.

L’homophobie : représentation et système

Dans ce contexte, la question de l’homophobie illustre particulièrement les enjeux actuels. Samedi 8 août 2020, des milliers de manifestants sont descendus dans les rues après l’arrestation d’une femme transgenre du nom de « Margot » qui avait vandalisé la camionnette d’une association pro-life [nda : contre l’avortement]. Le véhicule arpentait les rues de Varsovie avec des affiches établissant un lien entre homosexualité et pédophilie. Ainsi, les organisateurs d’un rassemblement des groupes de défense des droits des LGBT+ ont affirmé dans un communiqué qu’ils se réunissaient “pour protester ensemble contre la violence et l’homophobie systémique ». Plus qu’un émoi de la part des polonais libéraux, l’arrestation de Margot a provoqué des protestations de nombreuses personnalités internationales. Dans un tweet, la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatovic, en appelait à « la libération immédiate de la militante LGBT Margot […]. L’ordre de la détenir pendant deux mois envoie un signal effrayant pour la liberté de parole et les droits des personnes LGBT en Pologne ».

En effet, tous les indicateurs des droits des minorités sexuelles en Pologne sont tout ce qu’il y a de plus effrayant. Il s’agit d’un véritable système homophobe, ce qui emmène nécessairement à retravailler le concept d’homophobie.

Le psychologue américain George Weinberg est le premier à avoir théorisé l’homophobie dans son livre intitulé Society and the Healthy Homosexual paru en 1972. Il y défend l’idée selon laquelle le patient homophobe n’est pas un patient en bonne santé « s’il n’a pas vaincu ses préjugés contre l’homosexualité ». Les travaux de Weinberg ainsi que d’autres scientifiques comme le docteur Janini aboutiront à une déclassification de l’homosexualité en tant que maladie mentale : en 1973 aux États-Unis et en 1990 à l’OMS. Or, cette première acception présente plusieurs écueils, notamment le fait qu’elle est individualisante et ne permet pas de saisir la question des minorités sexuelles au sein du système social global. En effet, l’homophobie-maladie renvoie à une peur irrationnelle engendrant un comportement de fuite ou de destruction face au sujet homosexuel qui provoque cette peur. L’homophobie se retrouve associée à un préjugé personnel vierge des rapports de pouvoirs et des processus identitaires, idéologiques, juridiques, religieux et culturels qui définissent l’homosexualité comme inférieure.

Ainsi, depuis le début du XXème siècle, nombre de penseurs tels que Fassin et Fish appellent à retenir le terme d’hétérosexisme. « Il s’agit cette fois de l’inégalité des sexualités. La hiérarchie entre hétérosexualité et homosexualité renvoie donc au registre collectif de l’idéologie » [Fassin, 2008]. Pour le dire autrement, l’hétérosexisme renvoie à un ensemble de pratiques sociales qui assument la normalité et la naturalité de l’hétérosexualité. Les discours homophobes ne sont pas le fait de quelques individus arriérés refusant de tolérer l’autre. Tout au contraire, ils sont le fruit d’une idéologie sociale établissant une hiérarchie de valeur des sexualités. La société conservatrice entière érige l’hétérosexualité en référent universel. Selon les penseuses féministes Adrienne Rich et Monique Wittig, “la contrainte à l’hétérosexualité” est la conséquence d’une société patriarcale où les individus de genre masculin forcent les individus de genre féminin à l’hétérosexualité afin de s’approprier leur travail domestique et les rétributions sexuelles. Dans cet ordre social hétérocentré, l’idéologie hétérosexiste domine les sexualités et les genres : il existe des injonctions à la masculinité et à la féminité qui se confondent avec l’injonction à l’hétérosexualité. Dans un tel système prônant l’hypermasculinité et l’hyperféminité, même les individus homosexuels sont soumis à des discriminations homophobes : un homme hétérosexuel reconnu comme efféminé fera l’objet d’insultes.

A ce titre, l’hétérosexisme polonais s’accompagne d’une importante misogynie d’État. Le 25 juillet 2020, le ministre de la justice Zbigniew Ziobro déclarait souhaiter le retrait de la Convention d’Istanbul (traité européen sur les violences faites aux femmes) en affirmant qu’ « il contient des éléments de nature idéologique que nous considérons comme nuisibles ». Pour le ministre, les lignes du traité vont à l’encontre de l’éducation traditionnelle des parents car les écoles vont se mettre à enseigner des principes égalitaires entre les hommes et les femmes. L’idéologie conservatrice de l’État polonais va donc plus loin que la simple homophobie et redéfinit le positionnement des genres au sein de la société.

Un système hypermasculin où la pénétration est déjà un rapport de pouvoir

Tel que le disaient Freud et même Gandhi, la pénétration sexuelle est la première forme de domination et d’oppression. Nous héritons de la Grèce antique une hiérarchie de valeur entre le pénétré et le pénétrant. Dans Le Phèdre de Platon, l’auteur affirme que si l’amant parle en public au sujet de la sexualité du pénétré, alors il jette l’opprobre sur ce dernier. Le philologue Luc Brisson nous rappelle qu’en Grèce antique, la valeur de l’activité sexuelle dépend de sa conformité avec l’ordre politique et donc avec la position sociale. Cette relation sexuelle est réduite à la pénétration phallique entre le passif et l’actif, le passif étant celui qui est le moins élevé dans la hiérarchie sociale. La question de l’identité du passif ne se pose pas dans des relations hétérosexuelles puisque la femme pénétrée est déjà perçue comme inférieure dans l’ordre social. Néanmoins, elle se pose entre les hommes. En Grèce antique, l’homosexualité est donc une relation entre un homme adulte et un paîs (jeune mâle entre 12 et 18 ans). Dès la première barbe, la passivité est passible de condamnation publique car la pénétration d’un homme adulte devient une marque de faiblesse sociale.

Ainsi, ces attendus concernant le genre masculin influencent grandement la position de la Pologne à propos des minorités sexuelles. L’organisation Rainbow Europe considère le pays comme le plus homophobe d’Europe en se basant sur les moyennes d’agressions verbales et physiques, de discriminations et de tolérance. Comme nous l’avons vu plus haut, l’action des municipalités polonaises, principalement à l’est du pays, s’est couplée d’une rhétorique présidentielle basée sur le rejet des minorités sexuelles. En effet, le scrutin de juillet 2020 a transformé l’homosexualité en un enjeu phare. Le candidat du parti Droit et Justice (PiS), Andrzej Duda, a déclaré que les LGBT+ ne sont pas des personnes mais une “idéologie” comparable au « néo-bolchévisme ». L’accusation est d’une extrême violence dans un pays où les traumatismes de la répression soviétique sont encore vivaces. Pour le président, les activistes gays seraient un danger car ils « ramèn[ent] l’idéologie LGBT dans les écoles » et « sexualis[ent] les enfants ». Les individus appartenant aux minorités sexuelles ne seraient donc pas des individus à part entière : ils sont pris comme les emblèmes d’un combat. Ils sont reconnus comme déviants par rapport à l’idéologie dominante.  Seulement 29% des Polonais soutiennent le mariage gay selon un sondage de 2019 réalisé par l’institut CBOS. La situation est telle que de nombreuses personnes appartenant aux minorités sexuelles fuient le pays. Selon le militant et blogueur Bart Straszewski, nous assistons à un véritable exode des homosexuels qui a commencé en 2015 (date de retour du PiS au pouvoir). Tel qu’il l’affirme dans cette affrimation : « désormais il y aura encore plus de départs, les propos d’Andrzej Duda ont été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ».

Sur ce terreau homophobe germent les revendications libertaires d’une jeunesse souhaitant changer l’ordre. L’homophobie a si bien envahi l’opinion publique et est tant accolée au gouvernement que porter les couleurs du drapeau LGBT est devenu un symbole antigouvernemental. Le jeudi 6 août, alors que Duda prêtait ses serments présidentiels, des député.e.s du parti libéral (PO) se sont habillé.e.s des couleurs de l’arc-en-ciel. De la même manière, trois militants des associations LGBT+ (Stop Bzdurom, Gang Samzamet et Poetka) ont été arrêtés pour profanation alors qu’ils recouvraient des statues emblématiques de Varsovie du drapeau des fiertés. En l’occurrence, ils avaient notamment recouvert une statue du Christ, symbole fort pour les Polonais très attachés à la religion et à la tradition catholique.

Le poids de la tradition catholique : un remède au déficit identitaire

Selon le site The Economist, Duda a rallié une grande partie des électeurs grâce à sa rhétorique conservatrice et ses propos alarmistes qui jouent sur le sentiment de menace. En effet, les structures traditionnelles de la famille catholique sont menacées par le progressisme et la redéfinition des rôles des parents. Duda lui-même a signé la « charte pour la famille » et a affirmé qu’il n’autoriserait jamais le mariage homosexuel et l’adoption afin de « protéger les enfants de l’idéologie LGBT ».

Le poids de la religion est extrêmement important en Pologne. Depuis le Xe siècle, la nation polonaise est restée fidèle à Rome. Selon le site La Croix Il y a environ 16% de pratiquants catholiques en Pologne auxquels s’ajoutent les 95% qui se revendiquent catholiques sans pratiquer. L’institution catholique est largement présente dans les média, à l’image du Père Tadeusz Rydzyk qui a bâti un véritable empire constitué de la radio Maryja et de la chaîne de télévision Trwam. 

La tradition catholique a véritablement forgé l’identité polonaise. En effet, le pays est sensible aux invasions, ayant à deux reprises des cartes européennes. La première fois à la fin du XVIIIème siècle, soumis à un partage violent entre les empires prusse, russe et autrichien. Il faudra attendre 1918 pour que l’Etat polonais retrouve sa souveraineté. Puis, en 1939 on assiste à une deuxième disparition, conséquence du pacte germano-soviétique qui s’accompagne d’un partage du pays. Après la conférence de Yalta, l’Etat perdra 75 000 km2 et ses frontières seront déplacées vers l’Ouest. Néanmoins, les manquent identitaires ne s’arrêtent pas là puisque le pays intègre le bloc soviétique pour plus de 30 ans. Sous l’URSS, alors que toute forme de religion était sérieusement discriminée, l’Église permit de soutenir les combats de Solidarité et de servir de référent aux dissidents. La fougue révolutionnaire et la volonté de sortir de l’influence soviétique naissent dans la religion catholique. C’est dans la religion que l’on trouve la création du syndicat ouvrier Solidarnosc qui a oeuvré pour l’indépendance totale du pays. En 1980, la nomination de Jean-Paul II à la papauté finit de relier la foi catholique à la Pologne. 

En d’autres termes, le dogme religieux est central dans la construction de l’État polonais et dans la revendication de son autonomie vis-à-vis de ses voisins impériaux. Néanmoins, cette importance de la religion est un frein à la démocratisation et à la libéralisation de la société.

Or, selon le politologue Marcel Gauchet (L’avènement de la démocratie, 1980), le processus de modernité politique est un processus de sortie du théologico-politique. En d’autres termes, les sociétés pré-modernes sont des sociétés qui adoptent une structuration hétéronome, c’est-à-dire qui se soumettent à la loi transcendante et dogmatique du religieux. Dans ces sociétés, le progrès n’existe pas car le futur est borné par le dogme. Ainsi, pour reprendre la terminologie wébérienne, les sociétés vivent dans un « éternel hier » où le passé structure le présent. Le futur, dans l’idéologie conservatrice, consiste en une répétition de la tradition, de ses mœurs et de ses pratiques. Ce poids du passé entraîne l’avènement d’idéologies réactionnaires qui prônent la répétition du même et la condamnation du nouveau. Les individus doivent se ranger derrière l’autorité du groupe, lui-même façonné par une conformité à la loi religieuse. Par exemple, le porte-parole officiel de l’Eglise chrétienne orthodoxe russe Vahtang Kipshidze déclarait à la BBC: « Nous détestons le péché, mais pas ceux qui le pratiquent ». Pour le prêtre, le catholicisme ne peut pas changer son point de vue vis-à-vis de l’homosexualité car le dogme provient de Dieu et non pas de l’institution religieuse en tant que réunion des hommes. Réformer le dogme religieux signifie alors se fier aux seules capacités de l’entendement humain et valoriser l’individu seul et non plus le groupe. Au contraire, la structuration autonome des sociétés (donc la sortie du théologico-politique), permet à l’individu de s’affirmer en tant que souverain sur sa propre personne et de déterminer, seul, les trajectoires de sa vie.

« Les Saintes Ecritures nous enjoignent de lancer des pierres sur tous les hommes d’orientation non traditionnelle » avait déclaré le prêtre russe Sergei Rybko dans une interview donnée après que des hommes armés ont attaqué et vandalisé un club gay à Moscou en 2012, avant de poursuivre: « Je suis tout à fait d’accord avec les gens qui essaient de nettoyer notre patrie d’eux ».  De la même manière, le député européen Joachim Brudzinski déclarait dans un tweet que la « Pologne serait plus belle sans les LGBT ». Ici aussi, le groupe détermine et régule la vie de l’individu qui n’existe pas pour lui-même mais pour la nation. Or, qu’est-ce que la nation ? On peut ici penser à l’opposition entre les acceptions objectives et les conceptions subjectives. Les conceptions réactionnaires-objectives reposent sur l’idée que les membres d’une nation partagent des critères objectifs d’appartenance [Gobineau, Essai sur l’inégalité des races humaines, 1853]. Dans des nations en état de crise identitaire, les critères objectifs sont multiples, tels que la reconnaissance d’une race nationale spécifique ou le partage de la même langue et des mêmes valeurs traditionnelles.

À cet égard, la nation polonaise est édifiante. Plus qu’être anti-libérale, elle est véritablement repliée sur elle-même. En janvier 2019, un assaillant a poignardé à mort le maire de Gdansk Pawel Adamowicz lors d’un événement caritatif. Ce dernier était connu pour sa défense des droits des minorités sexuelles et ses positionnements favorables à l’accueil des personnes réfugiées et migrantes. Le gouvernement conservateur pratique en effet une politique d’immigration choisie. Plus d’un million d’ukrainiens sont arrivés dans le pays en à peine cinq ans mais la rhétorique du gouvernement associe souvent l’immigration musulmane au terrorisme. À l’inverse, les Ukrainiens sont accueillis grâce aux similarités culturelles et ne sont pas reconnus comme foncièrement étrangers.

L’Église continue de façonner les mœurs et impose ses positions : anti-avortement, protection du mariage, homophobie, misogynie… Soit point par point le programme du parti au pouvoir.

En conclusion, il est bien trop réducteur de réduire l’hétérosexisme de l’Etat polonais à un problème de mœurs arriérées, de préjugés personnels ou de manque d’ouverture sur le monde. Tout au contraire, le système hétérocentrée et le refus des sexualités reconnues comme déviantes s’inscrit dans un long processus historique irrigué de questionnements identitaires, de politique internationale et d’hégémonie du passé sur le présent. Régler la persécution des minorités sexuelles en Pologne reviendrait à refonder l’ensemble de la nation polonaise autour d’un principe nouveau : l’individu souverain et l’ouverture sur le futur. 

 Paloma Feltre

Sources :

https://www.bbc.com/afrique/monde-46729375 Est-il possible de « soigner » l’homophobie ?

Pablo UchoaBBC World Service 1 janvier 2019

Chamberland Line, Lebreton Christelle, « Réflexions autour de la notion d’homophobie : succès politique, malaises conceptuels et application empirique », Nouvelles Questions Féministes, 2012/1 (Vol. 31), p. 27-43. DOI : 10.3917/nqf.311.0027. URL : https://www-cairn-info.ezpaarse.univ-paris1.fr/revue-nouvelles-questions-feministes-2012-1-page-27.htm

https://www.rts.ch/info/culture/8615246-lukraine-affiche-une-image-gayfriendly-mais-lhomophobie-est-tenace.html

https://www.lesinrocks.com/2020/08/07/actualite/societe/pologne-des-deputees-vetues-aux-couleurs-du-drapeau-arc-en-ciel-protestent-contre-lhomophobie-detat/ Elsa Perreira, 7 aout 2020

https://www.ilga-europe.org/rainboweurope/2020

https://www.politico.eu/article/poland-lgbtq-steep-price/ Zosia Wanat, 3 août 2020

https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/09/en-pologne-des-milliers-des-manifestants-apres-l-arrestation-d-une-militante-lgbt_6048524_3210.html Le monde avec Reuters, 9 août 2020

https://www.lemonde.fr/international/article/2020/07/25/la-pologne-veut-se-retirer-du-traite-europeen-sur-les-violences-faites-aux-femmes_6047286_3210.html Le monde avec Reuters, 25 juillet 2020

https://www.courrierinternational.com/article/homophobie-vers-un-exode-des-polonais-homosexuels Gazeta Wyborcza

https://www.touteleurope.eu/actualite/violation-des-valeurs-de-l-ue-comment-fonctionne-la-procedure-de-sanctions-article-7.html

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