Six ans après le référendum sur le Brexit : comment s’en sortent nos voisins britanniques ?

Six ans après le référendum sur le Brexit : comment s’en sortent nos voisins britanniques ?

Par Yanis NZALI

Le 23 juin 2016, le camp du « Leave », favorable à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, l’emporte avec 51,9 % des suffrages exprimés, contre 48,1 % pour le « Remain », pro européen. Le lendemain, David Cameron, Premier ministre britannique en fonction depuis le 11 mai  2010, annonce sa démission. Le locataire du 10 Downing Street, n’était pas favorable au départ du Royaume-Uni de l’Union européenne, il fera campagne  pour le « Remain » et ira même jusqu’à pousser ses partenaires européens à trouver un accord sur lequel il pourrait s’appuyer lors de la campagne précédant le référendum. Cependant, ses efforts n’ont pas été suffisants pour convaincre les Britanniques de rester dans l’Union européenne. Encore une fois, comme depuis plusieurs décennies, le  Royaume-Uni a montré sa réticence à participer pleinement à la construction  européenne. 

Brexit : les résultats du vote région par région publiée le 24/06/2016 par le Service Infographie du journal Le Figaro.

Le Royaume-Uni : du traité de Londres (1949) au Brexit 

La politique étrangère britannique a toujours été fondée sur 3 cercles, tels que définis par W. Churchill en 1948 : l’Empire britannique, les États-Unis et l’Europe. Le projet de construction européenne n’a donc jamais été un projet largement plébiscité par l’Outre-manche, cette construction apparaissant comme une source de complexification de la politique intérieure et comme un frein au développement du partenariat Grande-Bretagne / États-Unis.

L’engagement du  Royaume-Uni dans la construction européenne a donc toujours été mené en demie-teinte. Le 5 mai 1949, le Royaume-Uni fait en effet partie des signataires des statuts du Conseil de l’Europe. Pourtant, en 1951, les britanniques refusent de participer à la Communauté européenne du charbon et de l’acier  (CECA). Il convient également de noter les vétos français émis par le Général de Gaulle, hostile à la demande d’adhésion du Royaume-Uni à la Communauté économique européenne (CEE) en 1963 puis en 1967. L’ensemble de ces facteurs ont engendré une intégration à retardement du Royaume-Uni au sein de la CEE, en 1973. Malgré cette adhésion, le nouveau ministre britannique des Affaires étrangères, James Callaghan, émet  déjà en 1974 certaines critiques concernant la politique agricole commune (PAC) et le financement  du budget communautaire. L’année d’après est organisé un premier référendum  britannique sur leur maintien ou non dans la Communauté économique européenne, soit seulement 2 ans après leur adhésion. 67,23 % des votants émettent alors leur souhait de rester dans la CEE. 

Une réticence britannique exacerbée à l’aune des années 1980

À partir de 1979, avec la nomination de Margaret Thatcher (Parti conservateur) au  poste de Premier ministre du Royaume-Uni, la Grande-Bretagne exprime son désaveu grandissant à l’égard de la construction européenne. 

L’expression « I want my money back » (Rendez-moi mon argent), que Madame Thatcher  utilisera pour avoir un rabais sur la participation britannique au budget européen devient la  devise des Britanniques anti-européens. Les 25 et 26 juin 1984, lors du sommet européen  de Fontainebleau, qui met fin à la crise budgétaire européenne, un rabais est accordé au Royaume-Uni  sur sa contribution au budget communautaire, c’est le « chèque » britannique. Le pays se voit alors rembourser 66% de son solde budgétaire, c’est-à-dire les deux tiers de la différence entre sa contribution au budget et les recettes qu’il perçoit en retour. C’est le début d’une longue opposition des Britanniques au projet européen. En 1985, le  Royaume-Uni refuse de signer les accords de Schengen. En 1988, la “dame de fer” réaffirme son opposition à une Europe fédérale et à l’idée que la Communauté  européenne dispose de ressources propres. En 1990, cette dernière se prononce contre  la création d’une monnaie unique et négocie une option de retrait d’une partie du Traité  de Maastricht entré en vigueur en 1993. Enfin, en 2000, le Royaume-Uni négocie un régime  dérogatoire à l’application de la Charte des droits fondamentaux (libertés individuelles,  non-discrimination, citoyenneté, droits économiques et sociaux) adoptée par l’Union européenne. 

Caricature de Margaret Thatcher montrant son désaveu à la construction européenne, publiée dans un article nommé « Europe,  sterling and Thatcher’s handbag » de Philip Stephens le 11 avril 2013.

Au début des années 2000, l’euroscepticisme ne cesse de grandir. Se trouvent les eurosceptiques durs ou radicaux, s’opposant à l’intégration européenne, jusqu’à souhaiter  le retrait de leur pays de l’Union ou la non-candidature à son adhésion ; et les  eurosceptiques « mous », qui formulent des critiques sur certaines politiques menées par l’UE, sans pour autant remettre en cause son existence ni son principe. 

Le tournant du 23 Janvier 2013 : l’annonce de l’organisation d’un  référendum sur le maintien ou non du Royaume-Uni dans l’Union  européenne (UE) 

Le combat de plusieurs décennies des eurosceptiques britanniques pour faire sortir le Royaume-Uni de l’Union européenne a fini par payer. 

Le 23 janvier 2013, lors d’un discours sur l’Europe, le Premier ministre britannique, David  Cameron, promet l’organisation d’un référendum sur le maintien du Royaume-Uni  dans l’Union européenne (UE) d’ici à la fin 2017 en cas de victoire de son parti aux élections législatives de 2015. L’Histoire lui donnera raison. Réélu, il tient sa promesse, à la grande surprise des autres dirigeants européens. En dépit des efforts déployés par le parti conservateur, favorables au “Remain”, les Britanniques votent massivement  pour le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne (Brexit) en juin 2016.

Le 13 juillet 2016 David Cameron démissionne et Theresa May (Parti conservateur) est  nommée Premier ministre pour mettre en place le retrait du Royaume-Uni de l’Union  européenne. 

Le 1er février 2017, la Chambre des communes se prononce à une forte majorité  (498 voix contre 114) pour le déclenchement de la procédure de sortie de l’Union  européenne. Cette procédure prendra totalement fin le 1er janvier 2021, avec le retrait du  Royaume-Uni de l’Union européenne, Boris Johnson étant devenu Premier ministre britannique entre-temps. 

Trois ans après le Brexit : un bilan très mitigé  

Les principales raisons exprimées par les “Brexiters” étaient de pouvoir contrôler l’immigration sur leur territoire, restaurer  la souveraineté nationale et quitter l’Union européenne avant que celle-ci ne s’écroule  économiquement. 

Selon eux, seule une sortie de l’UE pouvait permettre d’atteindre de tels objectifs. La réalité s’est révélée plus complexe. 

La venue d’une nouvelle forme d’immigration depuis le Brexit 

L’immigration a été l’une des préoccupations principales des électeurs  britanniques lors de leur vote au référendum du 23 juin 2016. Depuis plusieurs années,  régnait un sentiment de « trop-plein » en Grande-Bretagne,  en raison d’une immigration de masse incontrôlée par les différents gouvernements britanniques, conservateurs comme travaillistes. Plus de la moitié de l’immigration nette en Grande-Bretagne provenait de l’Union européenne, en particulier des pays de l’Est comme la Pologne, la Roumanie ou encore des pays baltes, et la liberté de circulation au sein de l’Union européenne empêchait Londres d’agir sur ces flux. 

En février 2016, quelques mois avant le Brexit, David Cameron, alors encore Premier  ministre, a réussi à arracher un accord européen visant à réduire l’immigration de  ressortissants de pays européens vers le Royaume-Uni. 

Le 19 février 2016, il obtient après de longues négociations avec les  principaux dirigeants européens plusieurs concessions sur  l’immigration. Cet accord prévoit l’autorisation pour le Royaume-Uni de refuser les allocations sociales pendant sept ans aux immigrés européens. En outre, les allocations familiales sont réduites pour les immigrés dont les enfants sont restés dans leur pays d’origine.

Martin Schulz, président du Parlement européen de janvier 2012 à janvier 2017, était clair sur ce que signifierait un tel accord: « Cela veut dire que Claudia, une Allemande qui viendrait travailler à Londres, n’aura pas les mêmes droits que John, un Britannique qui serait son collègue. Inversement, Gary, un Britannique qui ira travailler en Allemagne, aura les mêmes droits que ses collègues allemands sur place. Est-ce vraiment l’Union européenne dans laquelle  nous voulons vivre ?» 

Cette nouvelle dérogation au sein de l’Union européenne en faveur du Royaume-Uni n’a pourtant pas satisfait l’opinion publique britannique. Sortir de l’Union européenne était pour beaucoup la solution incontournable pour empêcher l’immigration européenne sur le sol britannique.

Le Royaume-Uni a donc retrouvé en 2018 sa souveraineté en matière de migration, et la libre circulation a pris fin à la suite du Brexit. Pourtant, de manière surprenante, la migration globale n’a  pas diminué. Au contraire, les migrants en provenance de l’Union européenne ont été largement remplacés par des migrants en provenance de l’extérieur de l’Union  européenne, d’Afrique ou d’Asie anglophone notamment.

Cette immigration non-européenne a été facilitée par la politique gouvernementale, avec  l’assouplissement pour les migrants non-européens du plafond des visas de niveau 2, concernant les travailleurs hautement qualifiés qui ont une offre d’emploi au Royaume-Uni. Cela a marqué la fin de l’ère Theresa May, durant  laquelle l’objectif primordial de la politique d’immigration était de réduire le nombre de migrants. C’est dans ce contexte que le Royaume-Uni introduit le nouveau système  d’immigration post-Brexit. Le remplacement de Theresa May par Boris Johnson, qui avait adopté des positions relativement libérales sur l’immigration pendant son mandat de maire de Londres, a marqué un changement dans les priorités du gouvernement attachées aux avantages économiques de l’immigration. L’objectif politique du nouveau système est donc moins de réduire l’immigration que de la rendre plus diversifiée (au sens  géographique) et plus sélective (par rapport au niveau de qualification des travailleurs).  

Migration nette par nationalité de décembre 2009 à Juin 2019 publiée par l’Office for National Statistics avec ajustements  préliminaires basés sur les données du Department for Work and Pensions et du Home Office. 

Données de l’enquête sur les passagers internationaux qui viennent pour étudier ou pour travailler de décembre 2009 à Janvier  2019, publiée par l’Office for National Statistics.

Retrouver sa souveraineté nationale : un objectif atteint mais une politique aux résultats mitigés

Le Royaume-Uni étant une monarchie constitutionnelle dotée d’un régime  parlementaire, la souveraineté de la représentation nationale britannique, «mère de tous  les Parlements», est sacrée dans l’esprit des Anglais. Le problème était que  l’appartenance à l’Union européenne leur imposait de renoncer à une partie de leur  souveraineté nationale, en faisant passer des lois pour la grande majorité issues de  traités européens.  

Plus de six années après le référendum, les Conservateurs au pouvoir continuent  d’affirmer que le Royaume-Uni a retrouvé sa souveraineté à travers le slogan « taking  back control ».  

Dans le contexte du Brexit, le terme de « souveraineté » est utilisé par la classe politique  sans qu’une réelle définition ne soit donnée à ce mot. En droit international public, la  souveraineté repose sur le principe d’égalité entre les Etats, quelles que soient leurs caractéristiques, donc indépendamment des inégalités de fait. Chaque Etat peut exercer l’autorité publique sur un territoire et une population donnés, ainsi que disposer en toute indépendance de ses compétences. La souveraineté est un attribut de l’État considéré comme une personne morale apte à entrer en relations diplomatiques avec un État tiers et à participer à des organisations internationales. La classe politique britannique favorable au Brexit n’a cessé d’affirmer que l’appartenance à l’Union européenne réduisait les prérogatives de leur nation, que Bruxelles empêchait Londres de décider librement des principales orientations que leur pays pouvait prendre tant au niveau national qu’à l’international. 

Ensuite, il est nécessaire d’aborder le thème de la souveraineté en prenant en compte ses  dimensions économiques. La souveraineté économique désigne la capacité d’un pays à  contrôler la production et la gestion de besoins essentiels, en ne dépendant pas d’un  autre État ou d’une entreprise. Cependant, être membre de l’Union européenne impose à ses adhérents certaines règles économiques et budgétaires pour assurer la stabilité de leur économie. 

Par exemple, l’entrée en vigueur du Traité de Maastricht en 1993 a introduit des règles  budgétaires (déficit public inférieur à 3 % du PIB, dette publique inférieure à 60 % du  PIB), mais aussi économiques, concernant la stabilité des prix, les taux de change et les  taux d’intérêt à long terme. Ce traité a été renforcé en 1997 par l’adoption du Pacte de  stabilité et de croissance, peu avant l’introduction de la monnaie commune, et de 2011 à  2013 par plusieurs textes : le Semestre européen, le Six-Pack, le Two-Pack et le Pacte  budgétaire européen. 

Enfin, le terme de souveraineté revêt surtout des dimensions politiques. En effet, la  souveraineté du peuple  implique l’existence d’un régime représentatif, c’est-à-dire d’un  système politique dans lequel le pouvoir législatif est détenu par une assemblée  parlementaire élue par le peuple constitué en corps politique. La notion de souveraineté  nationale légitime la représentation du peuple par un corps législatif élu par lui, tout en  étant doté d’une véritable autonomie dans la prise de décision. 

Cependant, en étant membre de l’Union européenne, les Britanniques déléguaient une  partie de leur souveraineté nationale à Bruxelles. Au sein du Parlement européen, par  exemple, des décisions étaient prises par un pouvoir législatif détenu par une assemblée  parlementaire n’ayant, pour la grande majorité, pas été élue par le peuple britannique. De  plus, les traités européens, ayant une autorité supérieure aux lois britanniques, même d’un point de vue interne, la souveraineté politique des élus de l’Outre-Manche en est donc réduite, tout comme celle des élus de l’ensemble des pays membres de l’Union  européenne.         

Lors d’une conférence de presse tenue à l’Elysée le 5 septembre 1960, le président  Charles De Gaulle dénonçait déjà le problème que pouvait présenter la dimension  politique de la souveraineté européenne : « Construire l’Europe, c’est-à-dire l’unir, c’est  évidemment quelque chose d’essentiel. […]  [mais les] États sont les seules entités qui  ont le droit d’ordonner et l’autorité pour agir. Se figurer qu’on peut bâtir quelque chose  qui soit efficace pour l’action et qui soit approuvé par les peuples en dehors et au-dessus  des Etats, c’est une chimère. (…) Il est vrai qu’on a pu instituer certains organismes plus  ou moins extra-nationaux. Ces organismes ont leur valeur technique, mais ils n’ont pas,  ils ne peuvent pas avoir d’autorité et, par conséquent, d’efficacité politique. ». 

Avec le Brexit, le Royaume-Uni retrouve effectivement des compétences étatiques  qui étaient auparavant assumées par l’Union européenne. La Grande-Bretagne a  désormais davantage de contrôle sur sa législation et sa réglementation, sans prendre le  risque de se voir imposer des politiques européennes contre-intuitives.  Le Royaume-Uni sort donc d’une superstructure unique d’un point de vue juridique, politique et économique. Or cette spécificité ne peut que heurter un État-monde comme le Royaume-Uni tel qu’il est perçu par les Brexiters, à l’origine des principes qui régissent  la société internationale contemporaine et qui préfèrent sans doute se situer dans les  cadres classiques qu’ils pensent toujours pertinents et qui dominent les relations entre États aujourd’hui (c’est-à-dire des relations de souveraineté). Toutefois, cette vision des  Brexiters est un des effets de la globalisation dont le Royaume-Uni est une cheville  ouvrière tant d’un point de vue juridique qu’économique. Le Brexit ne serait véritablement  ambitieux que s’il se traduisait par une reprise en main réelle de la décision économique  qui romprait avec l’orthodoxie contemporaine (par exemple via une économie écologique  et égalitariste), mais qui mettrait sans doute encore plus en péril la société britannique  sans soutien de ses alliés et de l’Union européenne. 

C’est pour cela que si le peuple valorisait la souveraineté et l’indépendance britanniques, il  serait en faveur d’une politique étrangère qui soit en coopération avec l’Union  européenne. Mais à l’inverse du peuple, le projet du gouvernement du Royaume-Uni de  « Global Britain », visant à restaurer la grandeur de la Grande-Bretagne sur la scène internationale, néglige l’importance que l’UE continue d’avoir pour la politique étrangère britannique. 

Cependant, en termes de diplomatie et de géostratégie, le Royaume-Uni a su récemment  se démarquer de ses voisins européens. En effet, à quelques exceptions près,  notamment en Europe de l’Est, la réponse européenne à l’agression de la Russie contre  l’Ukraine contraste fortement avec l’approche du Royaume-Uni, qui est devenue de plus  en plus vigoureuse, créative et déterminée. En combinant des actions diplomatiques et de  renseignement destinées à réduire la capacité de la Russie à gagner du terrain, en  apportant un soutien stratégique à l’Ukraine et en s’efforçant de consolider les mesures de  dissuasion de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), le Royaume-Uni a pris  l’initiative de défendre un ordre international ouvert de la Baltique à la mer Noire, le  nouveau noyau géopolitique de l’Europe.

Carte montrant les relations géostratégiques du Royaume Uni dans l’euro-atlantique, publiée par le UK Council On Geostrategy le  21 février 2022.

Comme le montre la carte ci-dessus, la contribution de la Grande-Bretagne à la sécurité  des États menacés par la Russie, comme c’est actuellement le cas pour l’Ukraine, illustre  que les suggestions de certains milieux selon lesquelles un Royaume-Uni post-Brexit  serait une présence diplomatique et géostratégique européenne diminuée, étaient très  loin du compte. Aucun autre pays européen ne dispose de territoires souverains à trois  emplacements différents sur le continent, d’une présence militaire aussi importante, ni  d’une force maritime de l’ampleur, de la sophistication et de la portée de la Royal Navy. 

La plupart de ces décisions stratégiques ont été rendues possibles par le fait que le  Royaume-Uni ne fasse plus partie de l’Union européenne, ce qui lui a rendu son entière  souveraineté au niveau diplomatique et géostratégique. 

Ainsi, le Brexit se traduit dans les faits par un retour de la souveraineté nationale  au sens où les institutions du Royaume-Uni peuvent adopter des réglementations qui ne  dépendent plus de l’Union européenne. Mais en réalité, on peut constater un recul de la  souveraineté réelle du pays. Plus d’un an après la sortie complète du Royaume-Uni de l’Union européenne, plusieurs éléments le prouvent : les accords de libre-échange conclus avec  plusieurs États tiers divergent relativement peu de ceux qui avaient été négociés par l’UE  au nom du Royaume-Uni lorsqu’il en était membre et le projet de Global Britain peine à se  concrétiser.

Cependant, la sortie de l’Union européenne a tout de même permis aux Britanniques de  se démarquer de leurs voisins européens sur le plan géostratégique par exemple.

Quitter l’Union européenne avant que celle-ci ne fasse faillite : le  bilan économique compliqué du Royaume-Uni 

L’Europe a d’abord cru que la crise financière qui avait commencé en 2007 aux  États-Unis (dite des subprimes) ne la toucherait que modérément. Pourtant, sa  propagation a été rapide et elle s’est vite transformée en crise économique (diminution de  la croissance, voire récession), en crise sociale (hausse du chômage) et en crise budgétaire  (accroissement des déficits et explosion de la dette). Cette crise de la zone euro qui n’en  finissait pas a nourri la vision britannique d’échec du projet européen et d’un continent à  la dérive. Par contraste, le dynamisme retrouvé depuis deux ans de l’économie  britannique les confortent dans l’idée qu’il était grand temps de « se détacher de ce  cadavre » pour survivre et prospérer.  

En effet, même si le Royaume-Uni disposait d’une clause de non-participation à la  zone euro, elle demeurait tout de même concernée par les fluctuations et les crises qu’elle subissait. En novembre 2009, est annoncée officiellement la crise grecque,  près d’un an après la crise des subprimes. Plusieurs plans d’aide à la Grèce sont trouvés par l’Union européenne. Le Conseil européen décide le 9 décembre 2011 de signer un nouveau traité visant à aider les pays en crise. Celui-ci ne concernera en revanche que 25 des 27 pays membres, du fait du refus du Royaume-Uni  et de la République Tchèque d’y participer. 

Bien que plusieurs pays européens aient eu du mal à se relever de ces événements, la crise de l’euro semblait s’apaiser dans les années qui ont suivi. Mais en janvier 2015, les Grecs élisent à leur tête le parti d’extrême gauche Syriza, qui a fait campagne sur la fin de  l’austérité. Pourtant, le 13 juillet, dos au mur et contraint  d’obtenir un programme de refinancement, le nouveau Premier ministre grec, Alexis Tsipras, accepte finalement le nouveau plan d’austérité qui accompagne un nouveau plan d’aide. 

Ces changements récurrents dans la politique économique de la Grèce, mettant  généralement en difficulté l’ensemble de l’Union européenne,  ainsi que la situation  économique compliquée de plusieurs pays européens, ont laissé penser aux Britanniques  que l’Union européenne ne cessait de s’essouffler et qu’elle arrivait à sa fin. 

Cependant, deux ans après la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, la situation  économique de l’Outre-Manche est bien moins satisfaisante que ce qu’elle était  lorsqu’elle appartenait toujours à l’UE. De nombreux économistes confirment en effet que la situation s’est détériorée et que le pays est depuis en récession. 

Cela se traduit par une inflation supérieure à 10 %, une facture énergétique annuelle doublée pour les  Britanniques depuis 2021 alors que le pays est encore très dépendant du gaz. De plus, de nouveaux impôts se profilent ; d’ici 2027, ils pourraient atteindre leur plus haut niveau depuis la Seconde Guerre mondiale. En outre, la Banque d’Angleterre s’apprête, pour la dixième fois depuis fin 2021, à relever son taux de base : jeudi 2 février,  il a atteint 4 %. 

La monnaie britannique a atteint un de ses niveaux les plus faibles depuis plusieurs  décennies, la livre s’échange actuellement à environ 1,16 dollar, perdant plus de 15% sur  un an. La veille du Brexit, elle s’échangeait à plus de 1,40 dollar et a depuis perdu plus de  20% face au billet vert.  

Taux d’inflation de l’indice des prix à la consommation (IPC) au Royaume-Uni de novembre 2012 à novembre 2022, Publié par  Statista Research Department le 1 févr. 2023. 

Comme le montre le graphique ci-dessus, après près de dix ans de relative stagnation  des prix à la consommation, on observe à partir de 2021 une forte inflation des prix. En  novembre 2022, les prix avaient grimpé de plus de 10% par rapport à novembre 2021. 

Taux d’inflation de l’indice des prix à la consommation (IPC) en Europe (zone euro) d’avril 2013 à décembre 2022, Publié par l’ABC  Bourse en Mars 2023.

Fin 2022, le taux d’inflation de l’indice des prix à la consommation (IPC) en Europe (zone  euro) a augmenté d’environ 8%, une forte augmentation mais tout de même inférieure à  celle du Royaume-Uni, en prenant en compte le fait que la zone euro comprend des pays  avec une très forte inflation comme la Lituanie (+20%). 

Selon l’organisme public de prévision budgétaire OBR, la sortie de l’Union Européenne réduirait la taille de l’économie britannique d’environ 4 % à long terme. Le Brexit prive le  Royaume-Uni de 370 000 travailleurs européens qui auraient pu en partie combler les pénuries de  main-d’œuvre qui ralentissent l’économie britannique. Pour remédier à cela, le Royaume-Uni fait de plus en plus appel à de la main-d’œuvre non-européenne pour accélérer l’immigration de travail, ce qui est assez  paradoxal au vu du fait que l’une des motivations du Brexit était la baisse de l’immigration. 

Mais il serait malhonnête de dire que cette situation économique s’explique uniquement   par le Brexit. « Est-ce que le Brexit est à l’origine de tous les problèmes du Royaume-Uni en ce  moment, bien sûr que non », concède Aurélien Antoine, auteur de Le Brexit Une histoire  anglaise (publié en 2020). Il fait référence à la pandémie de Covid-19 et à la guerre en Ukraine, qui sont des causes de la hausse des prix de l’énergie et de l’alimentation. L’auteur reconnaît ainsi  qu’il « est difficile de dire quelle est la part de responsabilité de la guerre, du Covid et du Brexit dans la crise actuelle ».  

D’ailleurs, certains problèmes économiques graves que connaît le Royaume-Uni sont  antérieurs au référendum de 2016. Le pays n’a pas dégagé d’excédent dans le commerce  des biens depuis le début des années 1980, et les salaires corrigés en fonction de  l’inflation ont à peine augmenté depuis la crise financière mondiale de la fin des années  2000. 

Le Brexit a donc sa part de responsabilité dans la situation économique compliquée de  l’Outre-Manche, mais au vu de la crise sanitaire, de l’actuelle guerre en Ukraine, et de la  situation économique du pays avant le référendum, il n’est pas possible de dire à quelle échelle. 

Six ans plus tard, l’argument en faveur du Brexit demeure ce qu’il a toujours été : le  Brexit, c’est l’occasion de voir une économie peu performante sous un jour nouveau et de  faire les choses différemment. Reste à savoir si sur le long terme, cette occasion sera  exploitée ou gâchée…

Trois ans après le Brexit : que pensent les Britanniques du bilan ? 

Malgré l’ensemble des indicateurs précités peu encourageants, le Premier  ministre britannique Rishi Sunak a qualifié lundi 30 janvier 2023 le Brexit d’ « immense  opportunité » pour son pays . “Nous avons fait d’énormes progrès en exploitant les  libertés offertes par le Brexit pour relever des défis générationnels. Que ce soit en menant  le déploiement de vaccins le plus rapide d’Europe, en concluant des accords  commerciaux avec plus de 70 pays ou en reprenant le contrôle de nos frontières”, a ainsi continué Rishi Sunak, favorable au Brexit depuis la première heure, et visiblement toujours  convaincu que cela a été une bonne chose. 

Cependant, son avis n’est désormais plus partagé par la plupart des Britanniques. Selon  un sondage Savanta pour The Independent, publié en janvier 2023, 65% des  Britanniques réclameraient un nouveau scrutin pour revenir sur le Brexit. Un chiffre en  nette progression puisque le même sondage avait été effectué l’an dernier, à la même  période, et un peu plus de la moitié (55%) des personnes interrogées voulaient déjà un  nouveau référendum. Une autre étude commandée à l’institut de sondage Savanta indique que 54 % des  Britanniques estiment que le Brexit était une mauvaise décision, contre 46% l’année  dernière. 

Tweet publié le 1er janvier 2023 par le journal The Independent énonçant que « Deux tiers des Britanniques sont désormais  favorables à un futur référendum pour une adhésion à l’Union européenne ».

Ce désaveu croissant de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne est lié tant à  l’expérience des conséquences du Brexit qu’à la perception d’un  affaiblissement du Royaume-Uni depuis le référendum du 23 juin 2016. Les Britanniques pensaient que le Brexit leur permettrait d’être à nouveau une nation aussi puissante et respectée qu’aux temps de l’Empire, mais les résultats peinent à se voir et la succession de cinq gouvernements différents depuis le référendum de 2016, dont celui de Liz Truss n’ayant duré que 49 jours, démontre l’essoufflement du projet de grandeur initié par le Brexit. 

Conclusion : une réussite ? un échec ? 

Il est clair que le Brexit n’a pas été aussi satisfaisant que ne le pensaient les 51,9 % des électeurs favorables à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne lors du référendum de 2016, les sondages le démontrent. Cependant, il est encore trop tôt  pour dire si le Brexit a été un réel échec ou non. D’une part, beaucoup de causes étrangères au Brexit sont venues compliquer la mise en place efficace des nouvelles normes nationales post-Brexit. C’est le cas par exemple de la crise sanitaire qui a contraint le monde entier,  dont le Royaume-Uni, à cesser l’ensemble de ses activités, ou encore de la guerre en  Ukraine qui a mené à une augmentation des prix des produits de première nécessité ainsi qu’à une crise diplomatique européenne encore jamais connue au 21ème siècle. D’autre  part, ce n’est qu’au bout d’un certain temps, peut-être une décennie ou deux, qu’il sera  possible de voir les réels effets du Brexit, tant sur le plan social, économique qu’international. Pour l’heure, on ne peut qu’affirmer que les Britanniques, eux, pensent majoritairement que le Brexit a été un échec, une mauvaise décision.

Yanis NZALI 

Sources :  

  • Articles  

https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/brexit-tous-les-evenements-depuis-le referendum/ 

https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/economie-et-budget-comment-les-etats-europeens-sont-ils-coordonnes/

https://www.vie-publique.fr/eclairage/19375-46-ans-de-relations-entre-lunion-europeenne-et-le royaume-uni 

https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/38569-la-zone-euro-dans-la-tourmente-la-crise-de-la-dette-depuis-2010

https://www.cairn.info/revue-outre-terre2-2016-4-page-21.htm

https://www.courrierinternational.com/article/royaume-uni-six-ans-apres-le-referendum-le-brexit a-entraine-une-hausse-de-l-immigration 

https://www.independent.co.uk/news/uk/politics/brexit-poll-referendum-rejoin-eu b2250813.html? 

utm_content=Echobox&utm_medium=Social&utm_campaign=Main&utm_source=Twitter#Echobo x=1672563032 

https://www.letemps.ch/monde/europe/david-cameron-arrache-accord-europeen https://cepr.org/voxeu/columns/immigration-and-uk-economy-after-brexit https://journals.openedition.org/rfcb/9108 

https://ecfr.eu/paris/publication/au-dela-de-global-britain-une-politique-etrangere-realiste-pour le-royaume-uni/ 

https://www.cer.eu/in-the-press/le-brexit-aurait-déjà-coûté-37-milliards-d’euros-au-pib britannique 

https://www.lefigaro.fr/international/2016/02/17/01003-20160217ARTFIG00214-brexit-cinq-raisons-pour-lesquelles-les-britanniques-veulent-nous-quitter.php

https://www.tf1info.fr/international/royaume-uni-10-chiffres-qui-montrent-l-ampleur-de-la-crise-economique-crise-de-l-energie-qui-touche-le-pays-2230919.html

  • Podcast

https://smartlink.ausha.co/l-economie-de-demain-est-l-affaire-de-tous-avec-patrick-artus/non-le brexit-n-a-pas-ruine-le-royaume-uni 

https://www.rfi.fr/fr/podcasts/aujourd-hui-l-économie/20230201-le-brexit-a-relégué-l-économie britannique-en-seconde-division 

https://www.europe1.fr/emissions/L-edito-eco2/brexit-pourquoi-une-majorite-des-britanniques regrette-4165457 

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/affaires-etrangeres/post-brexit-les-tourments du-royaume-uni-5522499 

https://www.rfi.fr/fr/podcasts/revue-de-presse-internationale/20230228-à-la-une-accord historique-sur-le-brexit 

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