fiche de lecture: Julien WAGNER, Chine/Afrique – Le grand pillage. Rêve chinois, cauchemar africain ?
Julien WAGNER, Chine/Afrique – Le grand pillage. Rêve chinois, cauchemar africain ?, Paris, Eyrolles, 2014, p. 128, ISBN : 978-2-212-55981-1.
Après des études en économie internationale, Julien Wagner intègre l’Institut des Relations Internationales et Stratégies, think-tank français, avant de se consacrer au journalisme. Il rédige aujourd’hui pour Le Courrier de l’Atlas et Le Progrès. Un tour du monde le conduira à porter un regard neuf sur l’épineux problème de nos banlieues et sur ses implications politiques. En 2012, il publie son premier livre, La République aveugle. Origines, ségrégation, délinquance (Editions de l’Aube), dans lequel il démontre que les belles et nobles valeurs de la République sont aujourd’hui désuètes car hors d’atteinte pour une partie de la population et « nous invite à dépasser les termes du débat qui s’est installé en France depuis un bon quart de siècle » (citation de Michel Wieviorka).
Passionné par la Chine et fin connaisseur de l’Afrique, Julien Wagner n’a pu qu’être témoin de l’avancée de la Chine en Afrique durant ces vingt dernières années. Avec son deuxième livre Chine/Afrique – Le grand pillage. Rêve chinois, cauchemar africain ?, il cherche à démontrer, au moyen de multiples exemples, comment la Chine, en la personne du secrétaire général du Parti communiste chinois Xi Jinping, voit dans le continent africain un formidable potentiel de croissance qui lui permettrait d’accomplir son objectif, son « rêve chinois » : devenir la première puissance mondiale et devancer les États-Unis d’ici 2022.
Durant la Guerre froide, l’Afrique fut un véritable champ de bataille entre les deux « blocs », chaque région devenant un enjeu crucial. Ce conflit qui semblait ne connaître aucune limite alimentait des guerres civiles, l’un des camps soutenant les gouvernements en place tandis que l’autre s’empressait de trouver quelque groupe rebelle ou opposant politique pour raviver de vieilles tensions. Cependant, le « nouvel ordre mondial » post-guerre froide a mis l’Afrique à un rang marginal, submergée par des conflits sans fin suite au départ des marionnettiste qui a donné naissance à une période référée comme la « décennie perdue ». « C’est dans ce nouveau « no man’s land » que Pékin entre en scène, jouant du contraste entre un Occident condescendant, colonialiste et sentimentaliste, et une Chine fraternelle, anticolonialiste et « business-minded » » (p. 16-17).
Ainsi, la Chine doit son avancée fulgurante en Afrique à l’Occident, qui a sèchement abandonné le continent, mais également à son fort capital humain qui ne cesse d’augmenter, et avec lui ses besoins. Cette pression migratoire spécifique, résultant en une diaspora qui compte aujourd’hui plus de 40 millions d’individus, devient une véritable stratégie de développement. Cette notion se voit renforcée lorsque l’on sait que l’Afrique est désignée comme le nouvel eldorado des matières premières. En effet, entre un tiers et la moitié des ressources naturelles mondiales se trouveraient sur le continent africain. Il offre une grande variété : cuivre, or, pétrole, gaz, bois, aluminium, diamant, cobalt, fer, etc….
Toutefois, il manque l’essentiel pour expliquer cette rapidité des prises de position chinoises en Afrique : l’argent. Effectivement, la Chine domine de loin le classement des réserves de change, actifs détenus en devises étrangères ou en or. Ainsi les réserves de la Banque centrale de Chine s’élèvent à 4 000 milliards de dollars, alors que la Banque fédérale des États-Unis n’en détient que 150 milliards. Ainsi, la Chine semble disposer d’une capacité de financement infinie permettant des prêts intéressants. Afin de permettre la distribution de ces prêts à une plus grande échelle, un « hub » fut créé en l’organisation du Forum sur la Coopération sino-africaine (Focac) qui débuta en 2000 et qui se tient régulièrement tous les trois ans.
Lors de ces forums, sont conclus des contrats dits de « financement contre ressources », c’est-à-dire que la Chine vend des infrastructures telles que des routes, hôpitaux, chemins de fer, raffineries, lignes téléphoniques, etc…, en échange de cuivre, pétrole ou gaz par exemple. Ces contrats de prêt s’élèvent à des montants prodigieux, et pourtant les pays récipiendaires n’ont rien à débourser comptant et obtiennent des infrastructures érigées en un temps record. Cela semble être un marché plus qu’équitable pour l’Afrique. De plus, pour les dirigeants africains, en comparaison aux financements qu’ils venaient quémander au FMI ou à la Banque mondiale et pour lesquels ils devaient se soumettre à des contrôles et codes de bonne conduite, « la Focac va leur offrir une alternative inespérée au sein de laquelle les contreparties vont leur sembler bien moins intrusives et les moyens octroyés davantage en adéquation avec leurs ambitions » (p. 21).
Bien évidemment, tout cela n’est pas réellement du goût des Occidentaux qui ont été surpris et très rapidement dépassés par la rapidité et l’efficacité de l’implantation de la Chine sur le continent africain. D’autant plus que les puissances industrielles et les organisations internationales avaient effacé les dettes des États africains dans le cadre de la « réalisation des objectifs du millénaire pour le développement », tout cela pour ensuite se rendre compte que ces mêmes États africains s’étaient ré-endettés pour acheter chinois. Afin de juguler l’hémorragie de cette « concurrence déloyale », ils ont tenté d’user du soft power en répandant rumeurs ou calomnies. Il y a, par exemple, celle du prétendu néo-colonialisme chinois. Ils accusent la Chine de s’accaparer des terres en Afrique pour y produire des denrées alimentaires qu’elle expédierait directement chez elle sans en faire pofiter les populations locales. En effet la Chine dispose d’une faible quantité de terres arables et a une forte dépendance alimentaire. Malheureusement, pour les calomniateurs, la vérité s’est révélée toute autre car les acquisitions chinoises sont d’un ordre marginal, d’environ 1%. Ce qui est bien plus surprenant encore, c’est que le premier acquéreur en Afrique n’est autre que…les Etats-Unis.
On observe également l’apparition de nouveaux acteurs au sein des relations sino-africaines : les cabinets d’audit. D’ascendance occidentale, leur travail consiste à vérifier et à s’assurer que les entreprises opérant sur le territoire africain se conforment bien aux contrats établis, sous peine de voir ces mêmes contrats renégociés. Cependant, leurs actions restent limitées car ces cabinets n’interviennent qu’une fois le mal constaté et les dommages sont souvent irréversibles.
Consciente des dissensions, la Chine joue une politique de l’apaisement et « recherche le consensus dans la divergence » (p. 91) en créant des alliances ponctuelles sous forme de joint-ventures ou coentreprises avec des compagnies occidentales qui apporteraient une précieuse expertise du terrain.
Cependant, quel est le revers de la médaille ? Il ne faut pas oublier que les entreprises chinoises opérant sur des projets en Afrique et qui se font rembourser leurs prêts en ressources naturelles sont toutes des entreprises d’Etat, et donc directement subordonnées au Conseil des affaires d’Etat, organe administratif suprême du pouvoir chinois. Leur service est au bénéfice de la Chine. Effectivement, après avoir obtenu les autorisations nécessaires à l’exploitation de la part des dirigeants africains et après validation de la demande de prêt par le ministère du Commerce de la RPC (Mofcom), les grandes banques chinoises, et tout particulièrement la Export-Import Bank of China (Exim Bank), vont financer des entreprises qui vont investir en Afrique lors de rencontres comme la Focac.
Ainsi, le prêteur est également le constructeur ; en gros, la Chine prête à …la Chine. Et comme la corruption est consubstantielle, voire habituelle, dans le système politico-économique chinois (d’après une étude de l’Unirule Institute of Economics en 2011), il est évident qu’on supprime un niveau habituel de contrôle, à savoir la vérification des montants des projets proposés par ces entreprises chinoises par rapport à ce qui sera réellement construit. L’auteur nous donne divers exemples de contrats surévalués de plusieurs centaines de millions de dollars par les Chinois, surévaluations ignorées des parties africaines qui pensaient devoir rembourser le montant du projet en ressources naturelles sur une durée de vingt ou trente ans au lieu de dix ans. De plus, se pose la question du transfert technologique et de la formation. Etant donné que la main d’œuvre chinoise offre un prix imbattable et une grande fonctionnalité, elle est préférée à la main d’œuvre locale, d’autant plus que les projets sino-africains consistent en la construction d’infrastructures et ne requièrent pas une haute valeur technologique. Ainsi, il n’y a pas formation de techniciens locaux, ce qui conduit à un non entretien des infrastructures qui « s’affaibliront » d’année en année. « Il manque assurément de véritables politiques économiques, industrielles et éducatives aux pays africains pour négocier de façon plus équilibrée avec la Chine » (p. 31).
La situation du continent africain n’est pas sans rappeler la « maladie hollandaise », mieux connue aujourd’hui sous le nom de « malédiction des matières premières ». Cette pathologie fait référence à une surspécialisation dans le secteur des matières premières, conduisant à un fort afflux de devises étrangères dû à l’exploitation et exportation des matières. Suite à cela, le pays voit sa devise nationale s’apprécier fortement et subitement, ce qui va nuire à tous les autres secteurs économiques car les prix augmenteront alors que les salaires resteront stables. Parallèlement, cette même exploitation des matières premières va attirer à elle tous les capitaux et conduire à l’assèchement des autres secteurs. Ainsi, les richesses découvertes contribuent certes à la croissance du pays, mais non pas au développement car le secteur des matières premières est faible demandeur de main d’œuvre et donc faible créateur d’emplois.
De plus, cette surspécialisation dans les matières premières cause d’innombrables dégâts sur le continent suite à l’utilisation de produits chimiques et à la recherche en continue de nouveaux gisements. Surviennent alors des troubles environnementaux (pollution des sols et rivières, pollution atmosphérique), la destruction de forêts naturelles tropicales, la razzia sur les ressources halieutiques au détriment de la pêche locale ou encore la disparition de mammifères (le pangolin pour ses écailles ou encore l’éléphant pour ses défenses) due à l’augmentation du pouvoir d’achat de la population chinoise. Jusqu’à présent, toute proposition pouvant pénaliser son développement fit freiner la Chine de ses quatre fers, mais lorsque son propre territoire fut affecté par ces mêmes troubles, elle vit la nécessité d’un virage… même si les progrès sont encore bien minimes. Pourtant, cette prise de conscience est moins palpable dans la coopération Chine-Afrique, montrant bien la force de persuasion chinoise sur les gouvernements africains.
Au travers des multiples exemples mis en valeur par Julien Wagner, il ressort que la Chine est devenue au bout de quelques années le leader mondial d’exportation, ascension rendue possible suite à ses ressources infinies en matières premières obtenues grâce à ses contrats « financement contre ressources ». Ses concurrents voient en ces contrats l’outil de l’impérialisme chinois et accusent la Chine de néo-colonialisme. La Chine rejette toute appellation de ce genre. Historiquement parlant, la Chine n’a qu’une idée en tête : « reconquérir tout le territoire de sa civilisation, c’est-à-dire tenter de reconstituer son monde à partir de son centre »[2]. Ainsi, la Chine a les yeux tournés vers les deux Corée, le Japon, le Vietnam, l’Asie du Sud-Est et la Mer de Chine du Sud ; les territoires trop éloignés de ses frontières, comme l’Afrique, ne l’intéressent pas. Pourtant, face à ce grand projet de reconquête se trouvent les Etats-Unis dont les alliances (avec le Japon, la Corée du Sud, Taiwan, les Philippines) épousent très exactement les frontières de ce territoire. Pour repousser cet intrus, la Chine se doit de devenir son égal au sommet de la hiérarchie mondiale. Mais comment ? « L’Afrique n’est en rien un objectif, mais bien plutôt un moyen. Le moyen essentiel de la puissance de la Chine, mais aussi de sa prospérité » (p. 108).
Néanmoins, la Chine pourrait être malgré elle impérialiste. Tout d’abord à cause de sa dépendance grandissante vis-à-vis de l’extérieur, mais également à travers l’intérêt que portent certaines entreprises dans ce que la Chine appelle « secteur » stratégique (et que les puissances occidentales considèrent comme « innovations frugales ») : la téléphonie, dont le développement a permis une accession massive au secteur bancaire, et ce même dans les régions les plus reculées des campagnes africaines. Ces entreprises de téléphonie, désormais proches du monopole, ont mis en place une influence culturelle qui s’est rapidement élargie à la télévision avec la création d’une filière internationale de CCTV. Etant donné la suspicion générale que génère la communication chinoise, de par sa censure, la diffusion insidieuse d’informations ou encore le discours systématiquement pro-gouvernemental, cette influence culturelle pourrait se muer en influence politique et renforcer le déséquilibre des forces en faveur de la Chine.
Que peut-on donc conclure de la présence chinoise ? « Certains la perçoivent comme une grande menace, d’autres comme l’unique espoir. Elle est à la fois l’un et l’autre, mais elle est avant tout ce que les dirigeants africains en feront » (p. 119). L’Afrique est invariablement marginale sur le plan de l’économie mondiale et du « développement et fut même considéré comme le « continent sans espoir » par The Economist en 2000. Si l’on peut parler de « néo-colonialisme chinois », les gouvernements africains en sont les premiers responsables. Les pays restent trop obnubilés par la maximisation de l’exploitation leurs ressources naturelles dont les profits ne bénéficieront qu’à une poignée d’élus. Rien n’est fait pour le développement : la pauvreté reste très répandue et le progrès fragile, et cela ne fera que s’aggraver avec les conséquences du changement climatique appelées à se multiplier. Pour que l’Afrique devienne maîtresse de son destin, les pays et leurs dirigeants doivent s’unir entre eux pour négocier en bloc face au géant asiatique, et cela ne sera possible qu’en évitant les déséquilibres de force au moyen de négociations multilatérales préférées aux négociations bilatérales.
Toutefois, l’avenir de la Chine semble plus sombre. En effet, les prêts devenant de plus en plus conséquents, il semble que la Chine ne pourra récupérer qu’une partie de ses créances, s’enfonçant ainsi dans un endettement durable. Pour éviter de trop gros dommages, la Chine devra refondre son système financier et passer d’un modèle d’exportation à un modèle de consommation interne : pour cela, une augmentation importante et durable des salaires est nécessaire, ainsi que l’instauration d’un système d’assurance santé universelle. En effet, pour que les Chinois consomment, ils doivent cesser d’épargner et donc avoir confiance en l’avenir.
Notre avis:
Cette étude sur les relations sino-africaines a été des plus informatives et intéressantes, et montre ce que ce « pillage » englobe. La multiplicité des exemples, prenant appui sur des valeurs chiffrées, permet de réellement dévoiler et de visualiser l’ampleur du phénomène. De plus, l’auteur a usé de sources variées (documentaires, documents de presse, rapports de diverses organisations) ainsi que d’entretiens avec des personnes désirant rester anonymes. Il y a donc un véritable travail de recherche ainsi qu’une expérience du terrain.
Néanmoins, quelques désaccords peuvent être exprimés concernant le titre de l’ouvrage, spécifiquement le choix du vocabulaire. En effet, le terme « pillage » dans le titre « Chine/Afrique – Le grand pillage » semble ici inapproprié. D’après le dictionnaire Larousse, le pillage renvoie à la définition de « piller » qui est « s’emparer des biens qui se trouvent dans un lieu en causant des dommages, en usant de violence ». Dans cette étude, aucune violence de la Chine n’est mise en avant. De plus, le terme « pillage » sous-entend que les populations le subissant se trouvent en situation d’infériorité et ne peuvent rien faire pour empêcher une telle action. Or, les pays africains ont plusieurs alternatives qui s’ouvrent à eux. Le terme « spoliation » serait peut-être plus approprié….
[1] Think-tank pékinois indépendant; « The structure, performance and reform of China’s state enterprises”, Unirule Institute of Economics, avril 2011.
[2] Pierre Gentelle, dans l’émission Le Dessous des Cartes : « Le Pays sous le Ciel » sur Arte le 08/04/2000.
Cécile Bouly
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