Elections législatives en Turquie: quand la « terreur » ramène les voix de l’AKP
Après une journée affichant une participation de 85,7%, les bureaux de vote procèdent au dépouillement depuis 17 heures locales (15 heures en France), annonçant dès le début une hausse importante des voix de l’AKP. Le décompte officiel continue consacrant la victoire de l’AKP tandis que les deux grands perdants sont le MHP, parti ultra-nationaliste, et le HDP, parti de gauche pro-kurde.
Résultats des élections à 99% de dépouillement:
AKP (Parti de la Justice et du développement): 49.4 % – 316 sièges
CHP (Parti Républicain du Peuple): 25.4 % – 134 sièges
MHP (Parti de l’Action Nationaliste): 11.9 % – 41 sièges
HDP (Parti Démocratique des Peuples): 10.7 % – 59 sièges
L’AKP retrouve la majorité absolue au Parlement
L’extrême hausse des voix pour l’AKP, qui n’avait obtenu que 41% des voix en juin en surprend plus d’un. Même les agences de sondage travaillant aux côtés du pouvoir annonçaient 44% pour l’AKP. Comment expliquer cette montée alors que tous les indicateurs économiques mettent en cause la politique du gouvernement, qu’on compte plus de 600 morts depuis les élections de juin, que l’est de la Turquie est en guerre et que l’AKP a été rendu responsable de l’attentat d’Ankara? Halk TV, chaîne de l’opposition de gauche, l’explique ainsi : « terör, hesapladığı gibi AKPye yarıyor », « la terreur, comme prévu, fait le jeu de l’AKP ». La « terreur » du PKK aurait fait perdre des voix au parti pro-kurde HDP, permettant à Erdoğan de jouer le rôle de sauveur contre le terrorisme.
Parmi les perdants figure également le MHP, parti ultra nationaliste, qui perd 4 points alors que c’est ce même parti qui avait provoqué les élections anticipées, refusant tout accord de coalition. C’est aussi le résultat fructueux du rapprochement tacite entre l’AKP et les ultra nationalistes engagé depuis le mois de juin; les ultra nationalistes ayant choisi de voter utile en donnant leurs voix à l’AKP. Ensemble, le MHP et le HDP ont perdu près de 7 points qui sont allés directement augmenter les voix de l’AKP alors que ce sont des partis situés aux deux extrêmes de l’échiquier politique turc. L’AKP a également bénéficié d’une baisse du nombre de voix pour les « autres partis »: certains électeurs du Saadet Partisi (Parti de la Félicité) ont ainsi choisi de donner leurs voix à l’AKP.
Durant tout le dépouillement, le HDP n’était même pas sûr de passer le barrage: il n’affichait que 11,4% alors que 60% des votes avaient été dépouillés et surtout les bureaux de vote de l’est, « fief »du parti de gauche pro-kurde.
« Dis-moi où tu habites et je te dirai pour qui tu votes » : la Turquie, comme à son habitude, présente une carte des votes géographiquement marqués. Sur la côte ouest, on garde la prédominance du CHP alors que le HDP reste important à l’est et que l’AKP est puissant en Anatolie et en mer Noire où il se partage les voix avec le MHP.
De grandes surprises sont quand même à relever pour des villes de l’est (Bingöl, Kilis, Antep,…) ou Istanbul où l’AKP remporte environ 48% des voix, marquant une augmentation de plus de 8 points.
Des conditions de vote qui laissent à désirer
L’article de Kedistan revient sur les événements de la journée : fraudes, coupures d’électricité, tentatives d’intimidation par l’armée turque à l’est et des groupes paramilitaires dans certains bureaux de vote,…Habitués à ce genre de pratiques, les citoyens turcs restent mobilisés pour surveiller les bureaux de vote et le bon déroulement des élections, comme le montre l’article publié sur Slate. Le pouvoir avait d’ailleurs tenté d’interdire la présence de scrutateurs internationaux, mais cette tentative a été avortée par la décision du Haut Conseil Électoral (YSK) qui a validé leur présence. Cependant, l’article de Kedistan nous apprend que les membres d’une délégation européenne auraient été agressés et mis dehors.
Alors que le gouvernement avait annoncé ce matin que des mesures avaient été prises pour éviter toute coupure d’électricité, le quartier de Güngören à Istanbul a été plongé dans le noir pendant plusieurs heures en fin d’après-midi. Sur les réseaux sociaux, une pluie de montages a suivi l’annonce, remobilisant l’explication des coupures d’électricité donnée par le pouvoir qui avait affirmé que des chats s’étaient introduits dans la centrale électrique lors des élections municipales.
Ce soir, pendant que les partisans de l’AKP fêtent leur victoire, le reste de la population inonde les réseaux sociaux de nouvelles blagues et montages, rappelant au parti désormais au pouvoir ses promesses quant à la fin de la guerre avec le PKK et le rétablissement des indicateurs économiques.
Le dernier statut Facebook de Jerôme Bastion, journaliste de RFI basé à Istanbul, résume bien la situation: « On a évité de justesse la guerre et la dictature de l’AKP, car la majorité qualifiée pour modifier la Constitution ne sera pas atteinte, et parce que le HDP est qualifié pour être représenté au Parlement. Restent quand même pas mal d’incertitudes… ».
Solene POYRAZ
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