Islam et politique au Pakistan

Islam et politique au Pakistan

A l’occasion de la Semaine Indienne organisée par l’Ecole Normale Supérieure, Mariam Abou-Zahab, politologue et sociologue spécialiste du Pakistan et de l’Afghanistan choisit de nous parler du rapport entre islam et politique au Pakistan.

Mme Abou-Zahab commence son introduction par une différence essentielle à faire. Malgré l’hégémonie indienne en Asie du Sud-Est, Pakistan et Bangladesh fonctionnent différemment de leur voisin. On constate ainsi des différences au Pakistan dans les rapports entre sunnites et chiites, eux-mêmes évolutifs. Les changements sociaux survenus dans le pays sont liés à ces relations, ces compétitions, et à l’importance de la religion de l’espace public.

Au Pakistan comme en Irak notamment, les chiites sont minoritaires. Le Pakistan fait partie d’une région du monde où les chiffres sont à prendre avec précautions car ceux-ci sont communiqués sans questionner la source et finissent par être considérés comme des chiffres officiels. On estime ainsi que la population pakistanaise est de 180 millions d’habitants, dont la majorité est musulmane sunnite. On estime également une proportion de chiites de 15 à 20%, comme en Inde.

Le Pakistan est un pays créé en 1947 sur une base religieuse. Le problème est que jamais n’a été mis en place un consensus sur la place de l’Islam dans la vie politique. Selon des sondages, la division se fait à hauteur de 50% pour chacune des deux théories. La première assure que les fondateurs voulaient un Etat théocratique, tandis que la deuxième parle d’un Etat que Mme Abou-Zhab qualifie de « dé-musulman » dans lequel les musulmans peuvent vivre selon leurs croyances et leurs pratiques sans être opprimés par la majorité hindoue.

Selon Mme Abou-Zahab, cette position d’insécurité permanente a conduit le Pakistan (littéralement « l’Etat des purs ») à vouloir s’auto purifier. Tout est analysé en termes d’islam, il faut prouver en toute occasion qu’on est un « bon musulman ». On entend par minorités les non musulmans c’est-à-dire les chrétiens, les hindous et les sikhs mais également les chiites. C’est un jeu dangereux inauguré par Zulfikar Ali Bhutto, premier ministre de 1973 à 1977 qui choisit d’instrumentaliser la religion à des fins politiques. Sa prise de pouvoir par un coup d’Etat entend donner une identité à son pays en ayant recours à l’islam. Ce processus qui débute à la fin des années 70 se poursuit jusqu’à maintenant : l’identité nationale pakistanaise s’est construite autour du sunnisme majoritaire dans le pays.

Violences sunnites contre chiites

Ces violences connaissent une ampleur inégalée au milieu des années 1980. Mme Abou-Zahab souligne que les conflits ne sont jamais religieux quand ils démarrent, mais le deviennent par la suite. La religion n’est pas à l’origine d’un conflit mais est un outil de lutte pour le pouvoir, outil mobilisateur extrêmement fort.

Des éléments intérieurs et extérieurs

La théorie du complot émerge avec l’idée d’une manipulation suite à la révolution iranienne de 1979, l’Iran et l’Arabie Saoudite se font une guerre par procuration sur le territoire pakistanais. En vérité, cette révolution donne de l’ampleur et de la durée à un phénomène existant. En 1979, on note notamment une attaque contre la grande mosquée de La Mecque par des saoudiens (nécessitant l’intervention de policiers français) ainsi que l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS.

Le Pakistan avait toujours été un allié des Etats-Unis lors de la Guerre Froide, le pays devient une ligne de front. Les Etats-Unis ont vu une occasion de se venger et de faire payer les soviétiques pour le Vietnam.  Suite à cela, le Pakistan se rapproche davantage des Etats-Unis. Parallèlement, les Iraniens commençaient à exporter leur révolution islamiste en utilisant des communautés chiites.

Après la révolution, la guerre opposant l’Iran à l’Irak est vue par le Pakistan comme une guerre des sunnites contre les chiites qui s’est jouée par procuration sur leur sol. L’idée de contrer l’activisme iranien passe alors par l’éducation, avec des dons de bourses accordés à des étudiants, la diffusion de littératures entre autres.

En 1979 le General Zia-ul-Haq procède à une islamisation des lois, de l’éducation et de la société, en référence à l’islam sunnite. Les chiites qui ne voulaient pas être soumis à ces lois réagissent notamment par le refus de la perception de la zakat (l’impôt, un des piliers de l’Islam) directement sur les comptes bancaires.

On constate alors la marginalisation des groupes et partis séculaires c’est-à-dire de ceux qui font une séparation entre religion et politique. Dans les années 1970, le PPP (Pakistan Peoples Party) fondé et dirigé par la famille Bhutto posait notamment problème car il était très populaire chez les chiites.

On ajoute au système juridique existant, fondé sur des codes des années 1880, un système parallèle pour faire application de la sharia.

Mme Abou-Zahab cite pour exemple le centre du Pendjab, au milieu des années 80. La région a une structure sociale complexe, avec beaucoup de clivages surtout locaux et des migrants venus d’Inde en 1947 qui se disent pakistanais. Le clivage interne entre chiites et sunnites, se fait notamment sur la base de la langue, du milieu social, de la caste. Cette dernière joue un rôle très important, c’est une véritable obsession. Le conflit entre sunnites et chiites se fait façade d’une lutte de castes voire d’un conflit opposant des factions différentes au sein d’une même caste.

Au début des années 1980, les entrepreneurs politico-religieux ont vu un changement d’opportunité politique, ils usent la religion pour avoir du pouvoir et remettre en cause le pouvoir des féodaux chiites. Le mouvement extrémiste sunnite Sipah-e-Sahaba est instrumentalisé pour contrer les mouvements chiites, aidés par l’Iran jusqu’au milieu des années 1990 –pour donner place à une méfiance vis à vis des Iraniens.

On constate une recrudescence des violences au début des années 1990. Dans le milieu des années 1980, les mouvements n’étaient pas violents car les locaux avaient d’autres moyens de règlement des conflits. Quand les étrangers –les Pendjabi- arrivent, les changements surviennent. L’Etat pakistanais lance alors une politique incohérente à l’encontre de ces groupes, en les utilisant d’abord à des fins de politique régionale pour contrer le PPP.

Le 11 septembre 2001 marque un changement dans les violences.

Dans les années 1980, les élites chiites étaient ciblées. Puis surviennent des attaques de masse avec des jets de grenade dans les mosquées pendant la prière, ainsi que des attaques lors de processions.

Après 2001, le pays fait face à une période d’attentats-suicides dans les lieux sacrés et dans les rues commerçantes, les marchés. C’est notamment le cas à Karachi avec l’utilisation d’un camion piégé dans une rue étroite dans un quartier chiite, les populations sont atteintes par la mort jusque dans leurs propres maisons.

Mme Abou-Zahab insiste sur l’indifférence de l’Etat, qui a toujours toléré la violence anti-chiite dans la périphérie soit hors du Pendjab – où se trouve Karachi. Cependant, les groupes anti-chiites ont élargi leur activité et sont devenus des sous-traitants des Talibans, qui prennent pour cible les intérêts occidentaux. Bien que ceux-ci soient interdits, rien ne les empêchent de réapparaître plus tard sous un autre nom.

2003 constitue un tournant puisqu’alors que la répression américaine s’accroît, le Général Pervez Musharraf annonce des opérations dans les zones tribales. Cette répression est un peu plus sérieuse mais ne dure pas.

L’année 2007 constitue un autre tournant. La Mosquée rouge d’Islamabad a été assiégée pendant plusieurs jours, ce qui change la donne. Cette mosquée est marquée par l’anti chiisme. Après cela, les groupes sunnites se sont sentis trahis par l’armée et lancent un jihad défensif contre l’armée mais surtout contre les soldats chiites au sein de l’armée, par le biais de décapitations notamment.

On observe alors une recrudescence de violences contre les chrétiens, contre les sikhs mais essentiellement pour des raisons de rivalités économiques (notamment sur le domaine foncier), ou de rivalités entre castes.  

L’attaque contre une école de Peshawar en décembre 2014, revendiquée par des Talibans pakistanais provoque un bouleversement dans l’armée, sidérée par le fait que la règle absolue de ne toucher ni aux femmes ni aux enfants ait été brisée. Les dirigeants de groupes extrémistes sunnites sont alors éliminés par l’armée, ce qui entraîne une baisse très importante du nombre d’attentats.

La radicalisation de l’autre

Mme Abou-Zahab a constaté au fil des années que la société pakistanaise a beaucoup changé et change encore plus vite de nos jours. Dans les années 1990, la tolérance est la norme, il n’y a pas de tentative organisée pour interpréter et donner lieu à une position particulière de l’Islam. Il existe bien des débats théologiques entre savants mais lors des processions, on constate bien une agitation mais aucune qui fasse des victimes.

Le discours sur la construction de la nation est devenu plus introverti dans les années 1970.

L’arabisation et la saoudisation du Pakistan est très visible, le Pakistan serait devenu une société pieuse mais hypocrite.

Mme Abou-Zahab constate une absence d’endiguement du fondamentalisme religieux qui a pris le pays. Tout ce qui se rattache à la politique sociale est exprimé dans un langage religieux. Les générations actuelles ont intériorisé cette vision religieuse de cette société, et minimisent ainsi le Pakistan comme nation territorialisée. Les Pakistanais se sentent responsables de tout ce qui arrive aux musulmans partout dans le monde. Émerge l’idée d’une identité transnationale, de symboles qui créent une différence vis à vis de l’Occident et de la soumission aux Etats-Unis. Ainsi, la société procède à une arabisation de la langue, à la prolifération de chaînes religieuses privées, les prénoms persans sont remplacés par des prénoms arabes dits musulmans.

L’islamisation de l’espace public devient visible avec la prolifération des mosquées et des symboles religieux dans les rues. La religion devient omniprésente.

On crée alors un récit qui voit l’islam et le Pakistan en état de siège. Est alors lancée une compétition pour occuper l’espace public pakistanais.   

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