En atterrissant à Berlin, on peut arriver à l’aéroport de Berlin-Schönefeld, le principal aéroport de la RDA (République Démocratique Allemande), construit comme aéroport civil par l’occupant soviétique en 1947 ou à l’aéroport de Berlin-Tegel, le principal aéroport de Berlin-Ouest, construit par les forces d’occupation françaises en 1948. Jusqu’en 2008, il existait encore l’aéroport Berlin-Tempelhof (créé en 1923, c’était le plus vieux aéroport commercial du monde, qui avait été élargi sous la direction d’Albert Speer et les Nazis).
Tegel a été construit pendant le pont aérien de Berlin en seulement quelques mois et était avant tout une solution provisoire comme l’ancienne République de Bonn. Tegel est petit mais abrite beaucoup de magasins et l’aéroport respire la modernité de l’Ancienne République Ouest-Allemande. En tout cas, jusqu’au 3 octobre 1990, jour où cet aéroport, jusque-là réservé aux Alliés, a accueilli son premier avion allemand..
Schönefeld est totalement différent. L’ancien aéroport de la RDA donne le sentiment que celle-ci existe encore. Les murs sont gris, la lumière vient de lampes fluorescentes et le vent souffle à travers le bâtiment. Il n’est pas difficile de penser à la Guerre froide en traversant le bâtiment. Les passeports sont vérifiés et devant les distributeurs automatiques de billets il y a de longues files d’attente. Les gens vous répondent dans le dialecte de Berlin-Est et si l’on prend le train de l’aéroport, on arrive dans l’Est de la ville.
Ces aéroports sont des reliques d’une époque révolue qui ne veut pas disparaître. Chaque année, l’ouverture du nouveau aéroport Berlin Brandenburg (“Willy Brandt”) est repoussé. Cet aéroport, une fois mis en service, remplacera les aéroports Berlin-Tegel, Berlin-Tempelhof et Berlin-Schönefeld. L’idée était de créer un aéroport qui montrerait la nouvelle puissance unifiée de Berlin. Mais l’aéroport est en construction depuis 2006 et l’ouverture était prévue initialement pour 2007, puis repoussée à 2010. Aujourd’hui l’inauguration est prévue pour 2017/2018. Mais ces longs retards poussent les Berlinois à ne plus trop croire en cet aéroport. Pour le reste de la République c’est une preuve parmi d’autres que Berlin est une “Failed Stadt” (une ville défaillante).
Le seul aéroport qui s’adapte à l’évolution du temps est Tempelhof. C’est dans la grande salle de bal du troisième plus grand bâtiment du monde qu’Hitler a dansé, que les Américains ont joué au basket-ball et aujourd’hui ce sont les réfugiés syriens qui s’y sont installés, vivant dans des conditions plus au moins satisfaisantes.
L’Allemagne se présente aujourd’hui comme un pays stable. Mais en même temps, elle reste comme chaque pays un produit de son passé et le siècle dernier a laissé des traces. L’Allemagne n’a pas seulement commencé et perdu deux guerres mondiales, elle a aussi créé et utilisé des camps de concentration avec l‘efficacité qui fait la renommée allemande. Pendant le siècle dernier elle a essayé quasiment chacune des formes d’Etat (monarchie, démocratie libérale, fascisme, communisme, totalitarisme et démocratie vigoureuse (“wehrhafte Demokratie”)).
Merkel et les Allemands le savent bien, c’est peut-être pour ça que ce peuple reste attaché à son Histoire.
Angela Merkel © Sean Gallup/Getty Images
Alors, quel avenir pour l’Allemagne?
Jamais cette question n’avait suscité un tel intérêt et les Allemands ont tendance à chercher la réponse dans leur passé. Il s’agit de la révolution tranquille de la société allemande et la déstabilisation globale qui font peur aux uns et sont considérées comme une grande chance pour les autres. Ces dernières années l’Allemagne a été gouvernée par une grande coalition des deux partis les plus puissants du pays (CDU/CSU et SPD). La coalition rassemble 503 sièges sur 631 et souvent le parti “Alliance 90 / Les Verts” vote avec le gouvernement (63 sièges). Pour Angela Merkel, qui est au pouvoir depuis 2005, c’est une majorité confortable, mais pour l’opposition une situation difficile. L’opposition actuelle se trouve à l’extérieur du parlement (“Pegida”) ou au sein du parti d’Angela Merkel qui est plus ancré à droite qu’elle. Une démocratie a toujours besoin d’une opposition puissante et en même temps elle doit permettre aux partis de pouvoir travailler ensemble. Force et contre-force sont les principes fondamentaux de chaque démocratie.
Personne ne sait réellement quand les conflits internes ont débutés. Toutefois, une chose est sûre, ils sont devenus plus visibles avec l’arrivée des réfugiés syriens. Elle n’en est peut-être pas la cause mais ils montrent la vraie faiblesse de l’Allemagne. Ce n’est pas par hasard que le mouvement Pegida s’est développé à Dresde dans l’Est. Cette ville accueille très peu d’étrangers mais c’est aussi une des régions qui est le plus à la périphérie de l’Allemagne où les gens ont peur de n’est pas être entendu.
De plus, tout le monde n’a pas été gagnant lors de la réunification. H. Kohl avait promis “des paysages florissants”, mais certains ont perdu leur travail. Bärbel Bodley a dit : « nous voulions la justice et nous avons obtenu la primauté du droit.” Puis c’est devenu pour certains “nous voulions la liberté et nous avons obtenu le néolibéralisme”. L’Allemagne de l’Est a bien connu la “gueule de bois” après l’unification, ses enfants ont souvent grandi dans une atmosphère de défaite face à l’Occident.
Aujourd’hui ce sont eux, parmi d’autres, qui brûlent les maisons des réfugiés, qui ont formé et aident le groupe terroriste NSU (“Nationalsozialistischer Untergrund”), et qui marchent avec Pegida. Ils disent le faire pour défendre la culture allemande, mais parler d’une culture allemande reste difficile.
Si l’on demande à un professeur si elle – cette culture – existe vraiment, il répondra certainement “oui et non”. Lorsque l’on évoque la “culture allemande” on peut penser à des phénomènes culturels régionaux, comme l’Oktoberfest à Munich ou le Carnaval rhénan. Mais une vraie culture commune est difficile à trouver. La culture allemande pourrait alors se définir par ses relations et ses échanges avec d’autres États et cultures ou, pour reprendre les propos de l’ancien président allemand Horst Köhler, c’est « une mémoire de souvenirs, d’expériences et de ce qui a été pris” (“Speicher an Erinnerungen, Erfahrungen und Gelerntem”, 03.10.2008), tant par les habitants que par les immigrants.
La nouvelle politique migratoire et les tensions intérieures
Ces dernières années, à travers sa politique de la « porte ouverte » la chancelière Angela Merkel a divisé le pays en deux. D’un côté il y a une Allemagne très ouverte, plutôt de gauche, de l’autre côté il y a un pays extrêmement fermé et même parfois brutal. Angela Merkel, première chancelière originaire de l’Est, voulait changer le pays. Ses bonnes intentions n’ont pas empêché un groupe de conducteurs de taxis de l’attendre à l’aéroport de Berlin-Tegel pour tenter de la noyer dans un lac… en raison de cette politique.
Parallèlement, les manifestants à Dresde crient “Merkel en Sibérie, Poutine à Berlin” ou “Poutine, aide-nous”. Vladimir Poutine est pour l’Est le symbole de l’homme fort qui résout ses problèmes. Il s’agit là aussi d’un réflexe historique de demander de l’aide à Moscou, surtout que le président russe a vécu avec sa famille à Dresde longtemps, jusqu’à la chute de Mur. Sa femme a dit que : « Nous avons eu le sentiment horrible que le pays qui était presque devenu le notre allait cesser d’exister” et « mon voisin, qui était mon ami, a pleuré pendant une semaine. C’était l’effondrement de tout – leur vie, leur carrière.”. Un sentiment que de nombreuses personnes partagent à Dresde.
Merkel et Poutine, les deux personnes les plus puissantes de notre planète selon Forbes, ont vécu le moment historique de la chute du Mur, mais ils n’ont pas eu la même conclusion. Pour Merkel le changement a été positif, car pour elle une chance est apparue. Par contre pour Poutine, cela a été plutôt traumatisant et il ne veut plus jamais être contraint de quitter un pays avec pour seul bagage une machine à laver. Les deux incarnent parfaitement, pour les gens de l’Est de l’Allemagne, le résultat de l’unification. En même temps les habitants de l’Ouest eux aussi ont parfois peur. Ils ont payé un lourd tribu pour l’unification et dorénavant sont fatigués des changements et d’être obligés de payer les factures des autres.
Le plan de Merkel est simple : accueillir un maximum de monde pour augmenter les capacités de développement. Pour qu’à l’avenir l’Allemagne devienne de nouveau un centre culturel et scientifique. C’est pour cela que Merkel veut aider les réfugiés le plus possible, en leur permettant d’exercer les meilleures professions du pays. Mais cela fait peur à ceux qui ne veulent pas être remplacés un jour par des migrants. Par ailleurs, le nombre important de réfugiés fait peur à la population : un million de personnes en 2015 qui ont presque tous le droit, selon la Loi fondamentale allemande, d’inviter leurs familles en Allemagne s’ils ont le statut de réfugiés.
Cet afflux de réfugiés rappelle aux personnes âgées leur passé. Après la Seconde Guerre mondiale, 12 millions d’Allemands ont du quitter leur pays. Ils connaissent aussi la peur de l’avenir, le traumatisme, la violence, l’impuissance face à cette situation. Et ils savent ce que c’est d’arriver quelque part où l’on n’est pas le bienvenu. Pour un protestant de Prusse orientale ce n’était pas facile non plus de se retrouver à Cologne, une ville très catholique, de même pour les aristocrates catholiques de Silésie qui sont arrivés parfois dans la RDA communiste. Mais le miracle économique a bien caché ces traumatismes.
Ce sont aussi ces réflexions historiques qui rendent la situation émotionnelle et compliquée. Il n’existe pas non plus « une » Histoire de l’Allemagne, simplement des régions différentes, et des groupes au sein de la société qui ont vécu l’Histoire d’une manière différente.
Et c’est ce paradoxe de l’histoire qui donne de la force aux groupes comme Pegida, qui sait jouer avec le symbolisme et s’ancre dans la tradition de la résistance et la RDA en même temps, en étant lui-même extrémiste. Le symbolisme de la République de Weimar, de l’Allemagne nazie, de la Résistance, de la Guerre Froide et de la chute du Mur se mélangent sans que personne ne prenne de recul pour expliquer la situation.
La politique extérieure allemande et l’importance de l’Europe
Par ailleurs, les relations extérieures de l’Allemagne deviennent de plus en plus compliquées. Pour l’Allemagne, les Etats-Unis ne sont plus le grand frère qui résout les problèmes. La guerre d’Irak et les révélations d’Edward Snowden ont rendu les choses plus compliquées. Parallèlement, la Russie n’est plus une alternative crédible depuis la crise de Crimée. Merkel et Poutine se respectent mais les relations restent assez froides.
Reste l’Europe qui était toujours une valeur importante pour l’Allemagne. Mais depuis la crise de 2008, elle a aussi du mal a y trouver sa place. Elle est trop grande pour ne pas prendre de responsabilités pour le continent, mais en même temps elle est trop faible pour en prendre trop.
Les relations avec le Royaume-Uni sont bonnes en ce moment. En octobre, Merkel était la seule invitée à l’anniversaire de Cameron et les deux dirigeants ont dîné ensemble tout en discutant de l’avenir du Royaume dans l’Union Européenne. Merkel préférerait que Londres reste dans l’UE, même si elle n’est pas favorable aux demandes de son homologue britannique. Aider l’UE à se développer ce n’est pas seulement un choix politique, c’est aussi inscrit dans la Loi fondamentale allemande dans le Préambule et l’article 23. Alors si Angela Merkel répondait aux demandes de Londres, elle agirait contre un principe fondamental de son pays, le principe de réaliser une cohésion toujours plus étroite des peuples de l’Union européenne.
Mais ni Londres (Brexit) ni Athènes (Grexit) ne sont les vrais problèmes de la politique extérieure de l’Allemagne. La grande question est ce que va devenir la France. Si Marine Le Pen gagne les élections en 2017, c’est peut-être la fin du projet européen. Depuis Adenauer et De Gaulle, la France et l’Allemagne ont été le moteur de l’Europe et les deux pays travaillent ensemble de façon très étroite.
Mais avec Le Pen cela est difficilement imaginable. Berlin va donc tout faire pour que la France reste à ses côtés, ce qu’elle fait déjà. Les avions Tornados envoyés en Syrie sont avant tout là pour aider à stabiliser la situation en France. Tout le monde à Berlin en est bien conscient, selon le hebdomadaire “Die Zeit”.
Aujourd’hui l’avenir de l’Allemagne ne dépend pas seulement de son Histoire, sa culture et son peuple mais aussi et surtout de l’Europe.
Jonathan Nowak
Sources:
http://www.zeit.de/politik/ausland/2015-12/syria-war-islamic-state-angela-merkel-intervention
http://www.dw.com/de/mit-russlandfahnen-gegen-islam-und-merkel/a-18864347?maca=de-Facebook-sharing
Historische Zeiten, das neue Interesse der Deutschen an ihrer Geschichte: Nationale Nostalgie oder Neugier auf Vielfalt” (Zeit Leitartikel, 26.November 2015)
http://www.bbc.com/news/magazine-32066222
http://www.zeit.de/2015/43/flucht-fluechtlinge-zweiter-weltkrieg-vertreibung-kirche
http://www.zeit.de/2015/05/fluechtlinge-boehmen-pommern-nachkriegszeit
http://www.dw.com/de/geburtstagsbesuch-von-der-kanzlerin/a-18773924
http://www.bbc.com/news/world-europe-34009581
https://www.bundestag.de/bundestag/fraktionen
http://www.spiegel.de/politik/deutschland/berlin-ist-eine-failed-stadt-kommentar-a-1067053.html
http://www.bundespraesident.de/SharedDocs/Reden/DE/Horst-Koehler/Reden/2008/10/20081003_Rede.html
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