Ouverture du procès Gbagbo, la Cour Pénale Internationale à l’épreuve

Ouverture du procès Gbagbo, la Cour Pénale Internationale à l’épreuve

Alors que s’est ouvert le 28 janvier le procès de l’ancien chef d’Etat Ivoirien Laurent Gbagbo devant la Cour Pénale Internationale de La Haye, le processus judiciaire semble présenter plusieurs étrangetés. Celles-ci pourraient remettre en cause les alliés du président actuel Alassane Ouattara, notamment la France, ainsi que la CPI elle-même dans leur volonté de faire régner la justice.

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Laurent Gbagbo dans la salle d’audience de la CPI. Souce : France24

                Ainsi, Le Monde note un début pour le moins mouvementé dans le processus d’accusation lancé contre l’ex chef d’Etat L. Gbagbo ainsi que son ex chef de milice Charles Blé Goudé. http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/02/04/proces-gbagbo-la-bourde-du-temoin-p547-et-les-soupcons-du-juge_4859285_3212.html#lrEJq5ktYgEy3uSC.99 Rappelons que tous deux sont entendus au sujet de leur implication dans les émeutes causées par le refus de M. Gbagbo de laisser le pouvoir à Alassane Ouattara, pourtant déclaré vainqueur des élections présidentielles de 2010, victoire reconnue par la communauté internationale. S’ensuivent des émeutes dans les deux camps, dont la conséquence principale a été la mort de 3000 ivoiriens sur une période de cinq mois, ainsi que plusieurs milliers de blessés. Alors que le premier témoin s’exprime à la barre, sont constatées des mesures de sécurité conséquentes. Ainsi, les visages des témoins sont dissimulés, la tribune d’où s’expriment ceux-ci est au-dessus de la salle d’audience, les voix sont changées et des pseudonymes sont utilisés. Cependant, alors que le premier témoin expose les conditions dans lesquelles il a été blessé lors d’une manifestation en décembre 2010, celui-ci divulgue par mégarde son identité. Alors que la procédure normale aurait été un rappel des possibles peines encourues pour divulgation de ces informations en dehors de la salle d’audience, le juge demande à la sécurité de se saisir des noms des journalistes présents.

                Ce procès est une première pour la Cour Pénale Internationale (CPI), créée en 2003 par le Traité de Rome dans le but de « contribuer à mettre fin à l’impunité des auteurs des crimes les plus graves qui touchent la communauté internationale. » C’est en effet la première fois qu’un ancien chef d’Etat est jugé par la CPI pour crime contre l’humanité. Ce procès semble mettre en avant les potentiels défauts dans la façon de procéder de la Cour. Ainsi, les mesures de protection mises en place peuvent être qualifiées de particulièrement coûteuses alors qu’elles ne sont généralement appliquées que pour les « repentis » afin d’assurer leur sécurité, malgré l’impossibilité de parler d’un « risque zéro ». De plus, la dissimulation des identités des témoins au public implique que la Cour ne rende pas une justice publique, ce qui peut être un problème aux fidèles des dirigeants politiques placés devant l’autorité de la Cour.

                Dans le cas exposé ici, la Cour est également accusée par les partisans de M. Gbagbo de faire preuve de laxisme dans le processus d’enquête quant aux événements ayant suivi les élections de 2010. En effet, aucun partisan du président Alassane Ouattara n’a été inquiété par la Cour, ce qui laisse aux partisans pro-Gbagbo de dénoncer une « justice des vainqueurs », comme le rappelle France 24 http://www.france24.com/fr/20160204-proces-gbagbo-ouattara-plus-ivoiriens-cour-penale-internationale. A cela, La procureure de la CPI, Fatou Bensouda a déclaré que les deux camps seraient remis en question devant la Cour pour leur implication, mais a reconnu que cette enquête prenait du temps, invitant ainsi à la patience.

                L’hypothèse d’une « victoire des vainqueurs » est de plus mêlée à des soupçons d’instrumentalisation de la Cour par M. Ouattara. En effet, celui-ci a déclaré jeudi 4 février dernier, à la suite d’un entretien avec le président français François Hollande qu’il « n’enverrait plus d’Ivoiriens » à la CPI. M. Ouattara avait en effet déjà affirmé vouloir privilégier les voies de recours internes à la Côte d’Ivoire, plus rapides, intention mise en pratique lors du jugement de l’épouse de Laurent Gbagbo, Simone. Cette décision a par la suite été dénoncée par les partisans de M. Gbagbo, qui y voient ici une manœuvre stratégique afin de pouvoir refuser d’extrader ses propres partisans par la suite. De plus, la relation entre la France et la Côte d’Ivoire est mise sur le devant de la scène lors de ce procès puisque les partisans de l’ex chef de l’Etat dénoncent une prise de pouvoir par la force du président Ouattara, qui aurait été alors soutenu par Paris.

                La suite du procès sera donc déterminante dans l’évaluation des compétences de la CPI pour juger des crimes contre l’humanité perpétrés par un ancien chef d’Etat en agissant selon des modalités équitables. Celles-ci ne doivent en effet pas prendre en compte les victoires politiques pour orienter le processus devant conduire à une justice publique et légitime.

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