Matteo Renzi : quel bilan pour le « rottamatore » ?

Matteo Renzi : quel bilan pour le « rottamatore » ?

Le 14 février dernier, Matteo Renzi a fêté le deuxième anniversaire de son arrivée au pouvoir. En seulement deux ans, celui qui avait promis de lancer une réforme par mois a déjà révolutionné l’Italie. Avec la réforme de la Constitution, le projet de réduction des pouvoirs du Sénat, la réforme de la loi électorale, la réforme territoriale, la loi sur le mariage pour les couples homosexuels ou encore la réforme du droit du travail, Matteo Renzi a mérité son surnom de « rottamatore », le «démolisseur» de la vieille classe politique italienne et de ses institutions parfois obsolètes. Et alors que les mêmes réformes ont été faites en France, Matteo Renzi ne semble pas souffrir de la même impopularité que le gouvernement français. Mais qui est réellement Matteo Renzi et peut-on véritablement dire que sa politique est un succès ?

De Florence à Rome : le parcours du plus jeune président du Conseil italien

Matteo Renzi est né à Florence, en Toscane, en 1975. S’il n’a pas toujours consacré sa carrière à la vie politique, étant publicitaire à l’origine, il a néanmoins toujours eu un fort lien avec le monde politique.

Alors que son père était démocrate-chrétien, Matteo Renzi s’est rapproché davantage des partis de gauche, notamment en soutenant activement Romano Prodi en 1996. A cette époque, il devient membre du Parti populaire italien (PPI). Il n’est devenu membre du Parti démocrate (Partito Democratico ou PD) qu’après la création de celui-ci en 2007, suite à la réunion de plusieurs anciens partis de gauche. En 2004, avec le parti de centre-gauche « L’olivier », il remporte sa première élection, celle de la province de Florence dont il devient alors le président. Élu maire de la ville en juin 2009, il est par la suite connu pour être le troisième maire le plus apprécié d’Italie selon un sondage réalisé en 2012. Son slogan lors de cette campagne laisse déjà penser que Matteo Renzi veut être un réformateur : « Soit je transforme Florence, soit je change de métier et je retourne travailler ».

Très rapidement, et bien que jeune, Matteo Renzi a commencé à avoir des ambitions nationales. En 2012, il se présente aux primaires pour devenir le leader de la coalition de centre-gauche « Italie. Bien Commun » contre Pier Luigi Bersani qui remporte ces élections. Il devient secrétaire du Parti démocrate (PD) en décembre 2013 avec une large majorité, recevant 67,5% des votes. Devenu leader du parti, c’est donc logiquement que le Président de la République italienne, Giorgio Napolitano, lui a demandé le 17 février 2014 de former un nouveau gouvernement à la suite de la démission d’Enrico Letta (PD). Matteo Renzi s’est alors installé au Palais Chigi il y a maintenant plus de deux ans, devenant alors le plus jeune président du Conseil italien depuis la réunification.  Mais quels sont réellement les résultats de ce phénomène politique ?

 « Il rottamatore » aux commandes

S’il y a bien une idée constante dans la politique de Matteo Renzi, c’est celle de la démolition. En 2010 déjà, il avait lancé un programme appelé « Rottamazione senza incentivi » (démolition sans incitations) visant directement les dirigeants de longue date du Parti démocrate. Arrivé au sommet de l’État, Matteo Renzi a immédiatement affiché des objectifs semblables, mais au niveau national : démolition de la vieille classe politique italienne, des institutions obsolètes du pays et de tous les verrous de la société qui empêchaient l’Italie de se remettre de la crise économique.

Les deux premières réformes promises par Matteo Renzi dès sa nomination sont d’ordre constitutionnel, avec les projets de réformes du Sénat, de l’organisation territoriale et de la loi électorale (ou projet italicum). Le premier de ces projets vise à limiter les pouvoirs du Sénat, réduire le nombre de lois pour lesquelles il pourra voter et empêcher les sénateurs de pouvoir renverser le gouvernement. Approuvée par le Sénat lui-même en janvier 2016, cette réforme fera l’objet d’un référendum au mois d’octobre. « Le fait que le Sénat montre qu’il peut se réformer prouve que rien n’est impossible en Italie » a déclaré le Président du Conseil. Alors que la loi Italicum devrait mettre fin à l’instabilité politique en Italie, Matteo Renzi est également parvenu à faire valider la réforme territoriale, supprimant ainsi l’échelon administratif qu’étaient les provinces.

Le gouvernement Renzi s’est aussi attaqué au marché du travail. Rappelant la loi El Khomri en France, le Job Act vise à faciliter les licenciements pour favoriser la création d’emplois. La mesure phare de cette loi prévoit qu’un salarié puisse être facilement licencié, même sans cause réelle, contre une indemnité pouvant aller jusqu’à 24 mois de salaire. Selon les estimations, cette loi aurait permis la création de 426 000 CDI et de 26 000 CDD (chiffres de mars 2016) tandis que le PIB est reparti à la hausse avec une croissance de 0,8% après des années de récession. En novembre 2015, le taux de chômage en Italie n’était plus « que » de 11,3%, soit une chute de 14,3% en un an. Toujours sur le plan économique, Matteo Renzi a aussi réussi l’exploit de ramener le déficit italien à son plus bas niveau depuis 10 ans, soit 2,5% du PIB au premier trimestre 2016.

Autre réussite importante du gouvernement Renzi, la loi autorisant le mariage gay pour laquelle le Sénat a finalement donné son accord le 25 février dernier, tout comme la chambre des députés le 11 mai 2016. « L’amore vince » (L’amour triomphe) a d’ailleurs tweeté Matteo Renzi après avoir obtenu l’accord du Sénat.

Et les révolutions mises en œuvre par le gouvernement Renzi sont encore nombreuses, touchant notamment à la justice (avec un objectif de diminution du nombre de tribunaux et de la durée des procédures) ou encore à la fiscalité. En effet, outre une baisse des impôts sur les bas revenus et sur les sociétés (une diminution de 24% pour ces dernières), le gouvernement italien a également supprimé l’impôt foncier et la taxe d’habitation. Si la « rottamazione » est clairement en marche, le bilan de Matteo Renzi est-il nécessairement positif ?

 Renzi, l’homme providentiel ?

Sur son site internet, la citation du militaire britannique Baden Powell « laisser un monde un peu meilleur que celui que l’on a trouvé » est bien mise en avant, juste au-dessus de la biographie du chef du gouvernement italien. Reste à savoir si cet objectif affiché est ou sera un jour atteint. Certes Matteo Renzi a globalement mérité son surnom de « rottamatore », que l’on soit ou non d’accord avec ses positions. Néanmoins, alors qu’il apparaît comme l’un des présidents du Conseil les plus marquants de l’histoire italienne, il reste nécessaire de nuancer l’ampleur de la « rottamazione ».

Tout d’abord, il faut rappeler que les plus grandes avancées réalisées sous le mandat de Matteo Renzi sont loin de faire toujours consensus. En témoignent les nombreuses « manifs pour tous » s’opposant à la loi autorisant le mariage pour les couples homosexuels et qui se sont parfois transformées en manifestations « anti-Renzi ». Et l’obtention de l’accord du Sénat pour la validation de cette loi a été d’autant moins aisée qu’elle s’est faite à la suite d’une réécriture forcée de la loi par le gouvernement, en raison du retrait à la dernière minute du soutien du Mouvement 5 Etoiles dirigé par Beppe Grillo. La nouvelle version de la loi vise donc à contenter les indécis et les conservateurs en incluant des particularités qui permettent de marquer la différence entre les mariages de couples hétérosexuels et ceux de couples de même sexe. L’union entre ces derniers ne s’accompagne donc pas d’une obligation légale de fidélité telle qu’elle est prévue dans la loi pour les couples hétérosexuels, tandis que le projet de loi final ne permet plus d’adopter l’enfant naturel de son conjoint homosexuel.

De même, le Job Act est également touché par de nombreuses critiques, bien qu’il ait permis la création de nouveaux emplois et une reprise de la croissance. Tout d’abord, certains, assez pessimistes, se contenteront de souligner de ces améliorations de la situation économique de l’Italie restent assez faibles et qu’il demeure difficile de parler véritablement de reprise. Mais il faut également précisé que bien que le Job Act ait permis la conclusion de nouveaux contrats de travail, le chômage a augmenté dans certains secteurs et pour certaines catégories de la population, notamment pour les jeunes et les professions libérales. Enfin, au-delà de la facilitation des licenciements, Dominique Dungals, journaliste pour Le Point, souligne également que ces nouveaux emplois sont essentiellement liés à une détaxation des contrats de travail. Il s’agissait initialement d’un « cadeau de 12 milliards d’euros aux entreprises » qui aurait entraîné une perte significative pour les dépenses publiques. Par conséquent, le gouvernement de Matteo Renzi a finalement décidé de réduire l’ampleur de cette détaxation. Au final, l’intérêt pour les entreprises d’embaucher en CDI n’est pas aussi important que ce que prévoyait le texte initial. Comme pour la loi sur le mariage gay, le gouvernement Renzi a une nouvelle fois été contraint de réaliser un rétropédalage.

Dernièrement, les résultats des élections municipales de juin 2016, et surtout la victoire de candidats populistes du Mouvement 5 Étoiles de Beppe Grillo à Rome et à Turin ont été analysées comme le premier revers électoral de Matteo Renzi. La nouvelle maire de la capitale italienne, Virginia Raggi, est devenue l’un des symboles des échecs du renzisme.

Manifestation de la Ligue du Nord en 2015 contre la politique migratoire : "Renzi rentre chez toi !" http://www.i24news.tv/fr/actu/international/europe/62782-150301-rome-manifestation-anti-immigration-de-la-ligue-du-nord
Manifestation de la Ligue du Nord en 2015 contre la politique migratoire : « Renzi rentre chez toi ! »

Mais s’il ne fait pas toujours consensus (Silvio Berlusconi est allé jusqu’à mettre en garde contre un risque de “dérive autoritaire” suite à ses réformes), force est de constater que Matteo Renzi a réussi son pari de transformer l’Italie tout en gardant une certaine popularité alors que des réformes similaires peinent à être validées en France, ou se font au prix d’une forte impopularité du gouvernement. De plus, le leader du Parti démocrate a également le mérite d’avoir ramené de la stabilité dans la vie politique de son pays après les scandales touchant Silvio Berlusconi et la série d’instabilités gouvernementales, de changements dans les coalitions et de démissions quasi forcées des gouvernements de Mario Monti (le gouvernement de techniciens resté au pouvoir entre novembre 2011 et avril 2013) et d’Enrico Letta (29 avril 2013 – 22 février 2014).

Fort de son influence et des résultats obtenus dans son propre pays, « il rottamatore » s’attaque désormais à l’Union européenne, qu’il souhaite réformer. Il a d’ailleurs récemment fait comprendre que sans réformes l’Union serait en danger de mort, précisant que cette dernière ressemble actuellement « à l’orchestre sur le pont du Titanic ». Son ministre des affaires étrangères, Paolo Gentiloni, a alors réuni ses homologues issus des cinq autres pays fondateurs de l’Union européenne (Allemagne, Belgique, France, Luxembourg et Pays-Bas) afin de discuter de l’avenir du projet européen. Alors que la vie de l’Union semble très souvent réduite aux seules discussions du couple franco-allemand, l’influence croissante de l’Italie se fait de plus en plus sentir.

Il y a quelque mois, Matteo Renzi a longtemps tenu tête à Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, sur la question de la flexibilité budgétaire accordée à l’Italie, tout en pesant sur les négociations entre l’Union européenne et la Turquie. Le Président du Conseil a temporairement réussi à bloquer le dossier relatif à l’octroi d’une aide de 3 milliards d’euros au gouvernement turc et demandé que soit mis en place un mécanisme de contrôle de l’utilisation de ces fonds. Par conséquent, lorsque l’Italie est évoquée sur la scène européenne, ce n’est plus pour parler de ses mauvais résultats économiques mais pour constater la croissance de son influence. Le meilleur exemple de ce changement demeure la nomination, en novembre 2014, de l’italienne Frederica Mogherini au poste de Haute représente de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, sur proposition de… Matteo Renzi, dont elle était alors la ministre des affaires étrangères.

Dernière preuve en date de l’ascension du “démolisseur” dans les négociations européennes, sa présence à Berlin, le 27 juin 2016, encadré par le traditionnel couple franco-allemand formé par François Hollande et Angela Merkel afin de déterminer la position à adopter après le Brexit.

Au final, la croissance italienne repart progressivement (bien que faiblement) tandis que le chômage diminue et que le gouvernement italien s’affirme sur la scène européenne. Bref, l’Italie semble repartir sur la bonne voie mais seul l’avenir pourra juger de la qualité des réformes de l’ère Renzi. D’autant plus que les italiens seront appelés en octobre à voter par référendum pour une modification de la constitution qui devrait transformer les pouvoirs du sénat. Matteo Renzi a d’ores et déjà annoncé qu’il démissionnerait en cas de victoire du “non”. Affaire à suivre donc.

Camille Savelli

Sources :

http://www.matteorenzi.it/

http://www.lepoint.fr/monde/le-jobs-act-de-matteo-renzi-a-l-examen-des-chiffres-03-03-2016-2022587_24.php

http://www.lepoint.fr/europe/renzi-l-ue-est-comme-l-orchestre-sur-le-pont-du-titanic-10-02-2016-2016846_2626.php

http://www.atlantico.fr/decryptage/union-civile-homosexuelle-en-italie-comment-matteo-renzi-reussi-malgre-lui-eviter-pieges-mariage-pour-tous-mauro-zanon-2603945.html

http://www.lesechos.fr/monde/europe/021624458692-crise-ouverte-entre-matteo-renzi-et-la-commission-europeenne-1192892.php

http://www.lesechos.fr/monde/europe/021624458692-crise-ouverte-entre-matteo-renzi-et-la-commission-europeenne-1192892.php

http://www.lastampa.it/2015/02/07/italia/politica/berlusconi-c-il-rischio-di-deriva-autoritaria-DTBq0qBlp0Nci2Vd7oC9dO/pagina.html

http://www.lemonde.fr/europe/article/2016/06/20/elections-municipales-en-italie-un-premier-revers-pour-matteo-renzi_4954001_3214.html

 

 

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