Nouvelles frégates, nouvelle guerre navale

Nouvelles frégates, nouvelle guerre navale

S’insérant dans le cycle des Conférences navales organisées par le CESM1, cette communication permet de faire la lumière sur les navires de surface qui forment l’épine dorsale des forces navales françaises. Gabarit intermédiaire entre les « bâtiments précieux » faisant office de mastodontes (les 3 BPC2 de la classe Mistral et le porte-avions nucléaire Charles de Gaulle) et des navires plus légers comme les avisos ou les patrouilleurs de haute mer, les frégates de nouvelle génération couvrent un spectre opérationnel de plus en plus étendu et s’insèrent au cœur du dispositif de la Marine nationale.

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Fremm Aquitaine, tête de série de la classe éponyme

Pour nous en parler, deux officiers supérieurs étaient présents : le capitaine de vaisseau Slaars et le capitaine de vaisseau Caillé. Ayant respectivement commandé le Chevalier Paul de la classe Horizon et la Provence de la classe Aquitaine, ils nous ont apporté leur retour d’expérience (RETEX, notion incontournable du jargon militaire contemporain) sur les navires qui forment l’ossature de la marine de demain. La nouvelle génération de frégate englobe deux classes de navires. D’une part les frégates de défense aérienne de la classe Horizon à laquelle appartient le Chevalier Paul, et d’autre part les frégates multi-missions3 de la classe Aquitaine dont fait partie la Provence. Le focus sur ces navires permet de mettre en lumière le rôle des industriels dans l’entretien et le renouvellement de notre appareil de défense. Comme tous les bâtiments de surface de tonnage important, ces frégates sont le produit d’une commande au constructeur français DCNS, leader européen et poids lourd mondial4 de la construction navale militaire. Le groupe accompagne les programmes navals français à tous les niveaux, et se fait donc un artisan essentiel de la modernisation de la Marine nationale.

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Frégate de Défense Aérienne Forbin, de la classe Horizon

Cette conférence permet d’appréhender les réalités de la Marine nationale. C’est une occasion de mieux comprendre le fonctionnement de la marine, entre permanences et mutations. Par ailleurs, la mise en perspectives de l’évolution des navires permet de mettre en lumière les contraintes, stratégiques comme structurelles, avec lesquelles la Marine doit aujourd’hui composer. La nouvelle génération de frégates qui entre actuellement en service est modelée par les contraintes de la guerre contemporaine. Bien que référant à des domaines différents de la guerre navale, les classes Horizon et Aquitaine intègrent des dynamiques communes : un passage au tout-numérique, un équipage restreint et polyvalent, et une conception tournée vers de longs déploiements en mer.

Les spécificités de chaque armée sont dictées par les caractéristiques intrinsèques de leur milieu de référence (air, terre, mer). Si l’arme aérienne se caractérise par son omniscience, la capacité à pouvoir frapper vite avec une allonge et une souplesse que les autres moyens ne permettent pas, la Marine est quant à elle l’arme du temps long. Le cas de la frégate de défense aérienne en est une parfaite illustration, par contraste avec son pendant aérien qu’est l’AWACS5. Alors que ce dernier est une station radar volante permettant d’avoir une visibilité sur l’activité aérienne de la zone couverte par sa capacité de détection, elle ne permet de faire un point de situation qui n’est valable qu’à l’instant t de son passage, puisque par essence en tant qu’aéronef il est toujours en mouvement. Contrairement à l’AWACS, la frégate de défense aérienne permet d’assurer une permanence dans la surveillance de l’espace aérien, beaucoup moins limitée en autonomie que l’est un avion. Alors que celui-ci ne peut rester en l’air que quelques heures, un navire comme le Chevalier Paul peut rester en mer pendant plusieurs semaines.

La capacité à durer en mer est un des critères fondamentaux pour évaluer l’efficacité d’une force navale. Aussi, l’impératif d’autonomie a été sérieusement pris en compte dans la conception de la classe Horizon. Afin de permettre de longs déploiements, la frégate Chevalier Paul a une capacité d’emport de 1 000 tonnes de carburant, ce qui représente 1/7e du poids total du navire. Cette importante capacité de stockage se décline également aux niveaux des vivres et des munitions, sans quoi un ravitaillement serait tout de même assez rapidement nécessaire.

Par ailleurs, les navires de la classe Horizon sont plus imposants que leurs prédécesseurs, affichant un tonnage de 7 000 tonnes là où la classe précédente n’en faisait “que” 4 000. Ce changement de gabarit s’explique assez simplement par des contraintes liées à l’architecture navale. Ce qui fait la force d’une frégate de défense aérienne, ce sont la précision et la portée de ses moyens de détection de l’activité aérienne. Ces équipements lui permettent d’être les yeux d’un groupe naval ou aéronaval en opération. La conception de ces navires se construit logiquement autour de l’intégration des matériels les plus sophistiqués dans ce domaine afin de remplir le plus efficacement sa mission. Aussi, le radar principal de la frégate Chevalier Paul pèse plusieurs tonnes. Il doit être situé quelque peu en hauteur par rapport à la mer pour une efficacité maximum. Les effets de la gravité combinés aux conditions météorologiques parfois agitées en mer obligent à concevoir une coque assez large pour permettre la stabilité du navire par toutes conditions. La grandeur de ces navires s’explique donc par l’importance du dispositif radar. Ce qui est la résultante d’une contrainte fondamentale s’avère ensuite un avantage venant servir l’objectif d’autonomie en mer : c’est un navire spacieux. Cet espace gagné permet à la fois de plus grandes capacités de stockage, et la présence à bord de tout le matériel nécessaire à la maintenance des équipements, de manière à moins dépendre de moyens extérieurs. Tout ceci augmente mécaniquement le temps entre chaque escale technique. La salle des machines est assez grande pour permettre aux mécaniciens d’intervenir directement sur les turbines sans avoir à les extraire du navire, de même que le hangar à hélicoptère est assez grand pour embarquer toutes les pièces de rechange nécessaires à une maintenance prolongée à bord.

Ces améliorations ont un impact quantifiable direct sur l’efficacité en opération. Là où les navires des classes précédentes affichaient en opération un taux de présence à la mer autour de 70 %, la classe Horizon affiche un taux supérieur à 90 %. La première escale technique intervient non plus après 10 jours en mer comme il était d’usage jusque là, mais au bout de 45 jours. Les changements que ces navires font intervenir dans les modalités de déploiement trouvent leur pendant sur le plan humain, puisque ce temps prolongé en mer est exigeant pour l’équipage. Le gain de place permettant d’embarquer des moyens supplémentaires est aussi employé pour rendre la vie à bord plus agréable, et donc supportable sur la longue durée. Les espaces de couchage collectifs centralisant des groupes nombreux ont laissé place à des chambrées de quatre personnes, tout comme un effort a été fait concernant les équipements sanitaires (accroissement du nombre de douches et WC par personne) et les espaces de détente (salle commune plus spacieuse et mieux équipée).

Les navires construits pour la Marine nationale sont le reflet des défis sécuritaires auxquels la France doit faire face. Depuis la Revolution in Military Affairs enclenchée dans les années 1990, les forces armées occidentales vont vers des effectifs de plus en plus réduits, et mettent en œuvre des plateformes et des équipements d’une technicité croissante.  De plus en plus sophistiquée, la technologie confère aux armées un certain don d’ubiquité qui vise à compenser la perte d’effectifs. L’importance des communications et la mise en réseau est une réalité profonde dans les armées modernes. On ne parle plus seulement d’armes mais de systèmes d’armes. Chaque unité, quelle que soit sa taille, est en relation avec le reste du dispositif déployé sur le terrain d’opération et transmet de l’information via les réseaux de télécommunication pour conduire une action optimale. Dans la Marine, les frégates sont la cheville ouvrière qui permet cette mise en réseau. Elles collectent du renseignement ensuite transféré aux unités intéressées, elles peuvent mettre en œuvre des forces spéciales via les embarcations légères embarquées, ou accueillir ces mêmes forces spéciales depuis un parachutage en mer… Le format réduit des armées conduit à une interopérabilité des moyens afin d’assurer un champ d’action maximum. La doctrine stratégique française étant de pouvoir intervenir sur des théâtres d’action à l’échelle globale, elle doit pouvoir s’appuyer sur des forces armées modulables capables de se projeter loin et longtemps. En tant qu’auxiliaire d’un ensemble plus grand pour lequel elles joueraient le rôle « d’ange gardien » (surveillance de l’activité au dessus de la mer pour les FDA6 et sur la mer sous la mer pour les FREMM) ou en tant que vaisseau-mère permettant de déployer des forces spéciales ou délivrer une frappe (contre la terre ou contre une autre unité navale), les frégates sont un maillon clef dans le dispositif des forces françaises, armées en général et navales en particulier.

Thomas SIMON

Notes

1 Centre d’Études Stratégiques de la Marine

2 Bâtiments de Projection et de Commandement. Ces navires d’important tonnage sont pensés pour diverses missions: Projection de forces via un assaut aéroporté, l’intégration d’un état-major embarqué de 250 personnes, ou encore hôpital de campagne.

3 Ces navires sont couramment désignés sous l’acronyme FREMM, correspondant à FREgate Multi-Missions.

4 Le groupe industriel français DCNS a récemment remporté le contrat pour le renouvellement de la force sous-marine australienne, souvent qualifié de “contrat du siècle” dans la presse. Il porte sur la construction et le maintien en condition opérationnelle (MCO) de 12 sous-marins conventionnels (non nucléaires) de dernière génération pour un montant de 30 milliards de dollars.

5 Acronyme anglais pour Airborne Warning and Control System. L’acronyme est devenu l’appellation courante pour désigner les avions permettant d’assurer une surveillance de l’espace aérien.

6 Acronyme pour Frégate de Défense Aérienne

ClasseInternationale

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