A Saint-Pétersbourg, il existe bien des méchants sous le ciel
“C’était une nuit merveilleuse, une de ces nuits qui ne sauraient exister que lorsque vous êtes jeune. Le ciel était si clair, si étoilé qu’en le regardant, on se demandait involontairement : peut-il vraiment exister des méchants sous un tel ciel?”
Fiodor Dostoïevski, Les Nuits Blanches, 1848.
Le 3 avril 2017, vers 14h40 heure locale, la ville de Saint-Pétersbourg a vu son métro figé par la tragédie. Ce qu’on annonce d’abord comme deux explosions s’avère être une seule et même bombe, déclenchée dans le métro en marche entre les stations Place Sennaïa (Сенная площадь) et Institut de Technologie (Технологический институт). Cette explosion cause dès les premières estimations dix morts et une cinquantaine de blessés. A l’heure où j’écris, quatorze personnes sont décédées.
L’explosion déclenche une vague de panique dans la station Institut de Technologie -l’une des plus empruntées de la ville, à la jonction de deux lignes majeures- alors que les hélicoptères atterrissent en pleine rue pour coordonner l’évacuation et évacuer les blessés au plus vite. Les forces spéciales russes sont présentes très rapidement sur les lieux selon les déclarations des voyageurs, après les pompiers et ambulanciers. Si lors de la première déclaration du président Vladimir Poutine, celui-ci annonce n’écarter aucune piste et être en contact avec le chef de la sécurité fédérale, dès 17 heures, plusieurs médias russes font état dans leurs titres d’une attaque terroriste (теракт). Le porte-parole du président, Dmitri Peskov, reconnaît également que cette tragédie présente « tous les signes d’un attentat ». Le procureur général de Russie a également ouvert une enquête pour terrorisme.
Dans une mise à jour publiée le 3 à 23h55, le site Novaya Gazeta (Новая газета ) annonce l’identification du responsable de l’explosion comme Akbarjon Djalilov, russe d’origine kirghize de vingt-deux ans, qui aurait transporté la bombe dans son sac à dos avant de la faire exploser dans la rame de métro. L’organisation Etat islamique n’ayant pas revendiqué l’attaque, les liens potentiels entre celle-ci et le suspect sont encore à l’étude par la commission d’enquête russe, qui se penche maintenant sur la famille et les relations de Djalilov, aussi bien au Kirghizstan qu’à Saint-Pétersbourg. Ces informations ont été essentiellement relayées dans la journée du 4 avril, sur le site de Gazeta.ru (version russe) et retranscrites par Le Courrier de Russie .
Si cette tragédie frappe les Russes de plein fouet, quelques médias relèvent également la présence d’esprit et la solidarité de leurs compatriotes. Bien que conscient de la gravité de l’explosion, le conducteur de la rame A. Kaverin n’a pas arrêté le train mais continué à conduire jusqu’à atteindre la station suivante -Institut de Technologie- afin de s’assurer que l’évacuation se fasse au mieux, présence d’esprit soulignée par Russia Beyond The Headlines. Comme le relève également le Moscow Times, les taxis de Saint-Pétersbourg se sont mobilisés afin de permettre à tous de s’éloigner de la station ou au contraire de s’en approcher pour s’enquérir de leurs proches, gratuitement. Le hasthag #домой (#maison) a également été lancé sur Vkontate -réseau social particulièrement populaire en Russie- et Telegram afin de proposer des trajets gratuits en voiture pour les voyageurs présents dans le métro jusqu’à chez eux.
Présent à Saint-Pétersbourg pour une rencontre officielle avec son homologue biélorusse Alexandre Loukachenko, le président Vladimir Poutine [1] s’est rendu sur les lieux de l’attaque afin de déposer un bouquet de fleurs et rendre hommage aux victimes. Pour des raisons de sécurité, celui-ci ne s’est pas attardé. Le président sortait alors d’une réunion avec les plus hauts représentants du FSB [2], du ministère de l’Intérieur et de la garde nationale selon le site du Kremlin (en russe).
Aussi bien Vkontakte que Facebook ont été inondés de messages de soutien aux Pétersbourgeois. Cependant, de nombreuses critiques ont également émergé dans la soirée du 3 avril, accusant les mairies de Berlin et de Paris pour ne pas avoir illuminé leurs bâtiments officiels aux couleurs de la Russie. Dans l’après-midi du 4 avril, la maire de Paris Anne Hidalgo a déclaré que la Tour Eiffel serait éteinte, en hommage aux victimes de Saint-Pétersbourg, comme l’annonce Russia Today France.
Durant l’après-midi du 3 avril, les métros sont immobilisés. On signale d’abord un problème technique avant de faire évacuer l’ensemble de la ligne. Une deuxième bombe a également été retrouvée dans la station de métro Place Vosstanïa -place de l’insurrection (Площадь Восстания), non déclenchée pour des raisons inconnues et désamorcée par un agent de police. Qu’un homme ait pu placer deux bombes dans des stations de métro différentes alors que chacune est dotée de portiques détecteurs de métal a soulevé des questions quant à l’application des consignes de sécurité par les agents russes.
Le 4 avril à Moscou, soit 800 kilomètres plus loin, les policiers sont omniprésents dans le centre-ville. Près de la Galerie Tretiakov, au métro Tretiakovskaïa (Третьяко́вская), trois policiers sont sur le bord de la place, quatre à l’entrée. Deux d’entre eux font ouvrir la valise d’un homme s’apprêtant à entrer dans la station. Le matin même à la station Prospekt Vernadskogo (Проспе́кт Верна́дского), j’étais témoin d’un contrôle d’identité de deux hommes, contrôle au faciès de toute évidence, l’un ayant l’air arabe, l’autre de venir d’Asie centrale.
Malgré l’identification quasi certaine du terroriste, les rumeurs vont bon train en Russie. L’une d’entre elles émerge de la masse. Une photo est postée sur Instagram par une jeune femme résidant à Kiev le 3 avril, dont la légende est la suivante : “Давненько не было терактов. Сегодня будет. Ждите” soit « Cela fait longtemps qu’il n’y a pas eu d’acte de terrorisme. Il arrive aujourd’hui. Attendez. » Le post a ensuite été supprimé, mais l’hypothèse que cette jeune femme était au courant de l’attaque récolte bien plus d’attention qu’une explication alternative, qui serait celle d’une menace en l’air couplée à une coïncidence, selon le site ukrainien Depo.ua http://www.depo.ua/rus/svit/davnenko-ne-bulo-teraktiv-rosiyski-socmerezhi-prorokuvali-terakt-u-metro-20170403548874 (en russe).
En Russie, l’heure est actuellement à la suspicion, beaucoup d’étudiants étant persuadés que les attentats auront un impact majeur sur la politique intérieure ainsi que sur la politique extérieure de la République fédérale. Le fait que le président Poutine ait débuté sa carrière politique à Saint-Pétersbourg serait une circonstance aggravante qui le rendrait particulièrement déterminé à appliquer une politique de lutte d’autant plus stricte. On remarque toutefois le calme du président aussi bien lors de ses premières déclarations que sur le lieu de l’explosion, contrastant avec ses déclarations de 2001. Celui-ci s’exprimait alors sur la situation en Tchétchénie et se montrait déterminé à poursuivre les terroristes sans relâche, « si nous les attrapons dans les toilettes, c’est là qu’ils mourront ». Si Dostoïevski avait levé la tête le soir du 3 avril pour scruter le ciel de Saint-Pétersbourg, il n’aurait pas vu les étoiles mais seulement la neige qui commençait à tomber.
Apolline Ledain
[1] Vladimir Poutine est né en 1952 à Léningrad (nom de Saint-Pétersbourg lors de la période soviétique)
[2] Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie
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