Le 5 juin 2017, les Etats arabes du Golfe ont franchi un nouveau pas dans la mise au ban de leur voisin qatari, en rompant toute relation diplomatique avec celui-ci, accusé de « soutien au terrorisme » et de proximité coupable avec l’Iran. Le vendredi, les tensions se sont accrues avec la diffusion par l’Arabie Saoudite, les Emirats, le Bahreïn et l’Egypte d’une liste dévoilant les noms d’une cinquantaine de personnes et de douze organisations suspectées de se livrer à des activités terroristes soutenues par le Qatar. Les quatre pays, suivis dans leur démarche par le Yemen, les Maldives et la Libye durcissent rapidement le ton en affirmant dans un communiqué commun qu’ils « ne seront pas cléments dans leurs efforts » pour les sanctionner. Le Qatar, lui, a appelé au dialogue diplomatique, excluant le recours aux armes à travers une déclaration de son ministre des Affaires étrangères à l’Agence France Presse, soulignant qu’aucun mouvement de troupes n’avait eu lieu à ses frontières.
Le Président Donald Trump avait d’abord rejoint la position de l’Arabie Saoudite – à l’initiative de cette mise au ban du Qatar. Les responsables américains de la défense ont rapidement nuancé la position du président, conscients de l’importance stratégique de la base militaire au Qatar, qui sert de poste avancé dans la lutte contre l’Etat Islamique. Le Président Trump a finalement fait marche arrière en appelant à l’unité entre les Etats du Golfe. Quant au chef d’Etat français, Emmanuel Macron est allé à la rencontre de l’émir du Qatar, du président iranien et du roi d’Arabie Saoudite, afin d’encourager tour à tour chaque partie à poursuivre le dialogue. L’Arabie Saoudite voit d’un mauvais oeil cette médiation extérieure et l’a fait savoir par Adel al Djoubeïr, son ministre des Affaires étrangères : « nous n’avons pas demandé de médiation ; nous estimons que cette question peut être traitée entre les États du Conseil de coopération du Golfe».
Afin de faire rentrer le Qatar dans le rang, ses voisins lui imposent une fermeture de ses frontières terrestres et maritimes ainsi qu’une limitation importante de son trafic aérien. Les premières conséquences sont évidentes : les difficultés d’approvisionnement sont croissantes pour le pays, qui dépend fortement des importations saoudiennes pour son approvisionnement en denrées alimentaires. Selon le service économique de Doha, plus de 90% de la nourriture qatarie est importée, ce qui laisse présager d’importantes dépenses pour l’Etat qui devra subventionner de nouveaux moyens de réapprovisionner le marché intérieur. Craignant pénurie et hausse importante des prix, les Qataris ont pris d’assaut les supermarchés et de nombreuses photos de magasins vidés ont fait le tour des réseaux sociaux, alimentant l’inquiétude de la population. Le ministre des Affaires étrangères a tenté de rassurer, affirmant sur la chaîne CNN : « Nous avons des réserves stratégiques, mises en place depuis 2014, nous ne craignons pas de pénurie affectant la population ». Les ports et aéroports du pays restent accessible au commerce avec les Etats n’ayant pas pris part au boycott.
Par ailleurs, l’émirat organisateur de la prochaine Coupe du monde de football en 2022 pourrait, en cas de crise prolongée, voir les dépenses liées aux travaux de construction s’envoler, faute de matériaux et de délais prolongés.
Au sortir de cette crise, l’Arabie Saoudite pourrait se trouver renforcée dans le Golfe. Le Qatar est dans une position délicate dans la région, isolé à la fois économiquement et politiquement. Certains spécialistes comme Hasni Abidi, politologue et spécialiste du monde arabe, arguent que les accusations de l’Arabie Saoudites à l’encontre du Qatar sont fallacieuses et visent avant tout à aligner de force l’émirat sur sa politique. On peut imaginer que l’émirat sacrifie donc ses relations cordiales avec l’Iran, pourtant essentielles à une gestion apaisée des gisements de gaz situés au carrefour des deux territoires. Le Conseil de coopération du Golfe est également menacé par ces tensions. Depuis les années 1980, l’institution coordonne la coopération économique et militaire du Golfe. Elle réunit six pays contrôlant plus d’un tiers des réserves mondiales de pétrole. La crise diplomatique, si elle perdure, pourrait affecter l’accord passé entre les pays de l’OPEP pour la limitation de la production pétrolière. Même si le Qatar est un petit producteur pétrolier par rapport à des pays comme l’Arabie Saoudite, s’il fait cavalier seul en décidant de ne plus respecter les quotas, la valeur et la crédibilité de l’accord pourraient s’effondrer. Ainsi, si des pays comme le Koweït tentent de rétablir le dialogue au sein du Conseil, la coopération s’annonce difficile pour les mois à venir.
Séphora Saadi
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