La réforme de l’Armée populaire de libération en décembre 2015 a vu la réaffirmation par le président Xi Jinping de la primauté du Parti sur l’Armée et la réorganisation du commandement de l’Armée populaire de libération (APL). Cette réforme a pu être imposée grâce au travail de sape et de terreur de la campagne anti-corruption de 2012, qui a permis au président Xi d’éliminer ses opposants et de placer ses soutiens à des postes clés. La rigueur idéologique redevient un élément central au sein des forces armées. Désormais, tous les échelons de la hiérarchie sont contrôlés par les commissions de discipline, alors que le Président Xi a déclaré à l’occasion du XIXème Congrès du Parti, en octobre 2017, que la campagne anti-corruption était à la fois « permanente et totale ».
« Notre principe est que le Parti commande le fusil et il ne devra jamais être permis au fusil de commander le Parti »
Mao Zedong[1].
L’APL compte deux millions de soldats, toutes forces confondues, faisant d’elle l’armée la plus nombreuse du monde. La « Force terrestre de l’Armée populaire de libération » en est la force principale avec 1 300 000 hommes[2]. L’ensemble des forces armées, ainsi que la Police armée du Peuple (PAP) et la milice de l’APL[3], sont toutes dirigées par la Commission militaire centrale (CMC) composée de onze membres et dont Xi Jinping est le président[4]. C’est d’ailleurs en tant que président de la CMC – et non de la République populaire de Chine (RPC) – que le président Xi est chef des forces armées. Dans sa définition de la sécurité nationale, la CMC n’inclut pas seulement la sécurité de l’État, mais aussi – voire surtout – celle du Parti. Entre autres priorités, la CMC a déclaré dans un rapport qu’il est nécessaire d’“abandonner la mentalité traditionnelle d’une supériorité de la terre sur la mer[5] ».
APL et PCC: une histoire commune
Fondée le 1er août 1927 par le commandant Zhu De, sous l’appellation d’Armée rouge, elle prend le nom d’Armée Populaire de Libération (APL) en 1945 après la défaite japonaise. L’APL est le bras armé du Parti communiste chinois (PCC) qui prend le pouvoir le 1er octobre 1949. L’histoire de l’APL et du PCC sont intrinsèquement liées. Pendant toute la période de la guerre civile (1927-1949) et de la guerre contre le Japon (1937-1945), les cadres du Parti combattent aux côtés des cadres de l’Armée[6]. Les grandes figures de la RPC – Mao Zedong, Deng Xiaoping, Liu Xiaoqi, etc. – ont tous occupé des postes de commandement au sein des armées chinoises, principalement en qualité de commissaires politiques. Menant une guerre de partisans et utilisant des techniques de guérilla, l’APL est d’abord une armée de Terre.
Ce n’est qu’avec la défaite de l’armée nationaliste et la fuite de Tchang Kaï-chek à Taïwan en 1949, que l’APL a pu se doter d’une force aérienne et d’une marine de guerre. Jusqu’en 2015, il n’y avait pas à proprement parlé d’armée de l’air et de marine, l’APL étant doté d’une branche navale et aérienne. Mobilisée durant la guerre de Corée (1950-1953) avec l’envoi des « volontaires chinois » pour combattre aux côtés des forces nord-coréennes, l’APL est amenée ensuite à combattre contre les troupes indiennes en 1962, contre l’URSS en 1969 et contre le Vietnam en 1979.
Dès les débuts du Parti et de l’armée rouge, en décembre 1929 à la Conférence de Gutian (Fujian), la primauté du politique sur le militaire est affirmée en termes forts, par le commissaire politique de la Quatrième branche de l’Armée rouge[7], Mao Zedong. Selon lui, les « affaires militaires ne sont qu’un moyen d’accomplir des objectifs politiques[8] », ajoutant que l’armée ne devait pas seulement combattre mais aussi participer au travail de propagande, de levée et d’organisation des masses en forces révolutionnaires[9]. L’APL est donc à la fois un outil et un acteur politique aux ordres du Parti.
Par la suite, l’APL joue à plein son rôle de serviteur du Parti. C’est lors de la « Révolution culturelle » (1966 – 1969) qu’elle obtient un statut particulier. Ayant été écarté du pouvoir après la catastrophe du « Grand bond en avant » (1958-1960, 40 millions de morts), Mao Zedong est parvenu à mobiliser la jeunesse chinoise pour éliminer ses opposants. Cependant, la situation dégénère rapidement. Craignant de voir le pays retomber dans la guerre civile, Mao doit faire appel à l’armée pour rétablir l’ordre[10]. L’APL réprime dans le sang la jeunesse des Gardes rouges, sauvant le Parti de sa propre destruction et acquérant un poids politique sans précédent. Ainsi, en 1970, les cadres militaires occupent l’essentiel des places au sein du Bureau politique, l’un des plus hauts organes de décision du Parti.
Dès lors, dans les années 1980-90, tout le travail de Deng Xiaoping a été de réduire au maximum l’autorité politique des officiers de l’APL et de ramener cette dernière dans le giron du Parti. L’armée de Terre sauve à nouveau le Parti et le régime en 1989, lors des événements de Tian An Men, où les chars d’assauts brisent le mouvement étudiants et anéantissent tout espoir de libéralisation.
Le poids de la lutte anti-corruption sur la structure militaire chinoise
L’ouverture économique du pays dans les années 90 et l’autonomisation de l’APL ont permis à de nombreux hauts gradés de s’enrichir massivement en utilisant les usines et les fermes militaires pour faire du profit. Ces mêmes officiers se sont bâtis un puissant réseau de relations et ont commencé à monnayer les postes et les avancements au sein de l’armée[11]. Plusieurs dirigeants politiques ont tenté, sans succès, d’enrayer le phénomène, l’armée semblant à chaque fois trop puissante et vitale pour être inquiétée.
C’est dans ce contexte que débute la campagne anti-corruption, dite « des tigres et des mouches », lancée en 2012 par le Président Xi Jinping. Officiellement, il s’agit de mettre un terme au caractère endémique et généralisé de la corruption. La campagne rencontre au départ un vif succès au sein de la population, en s’attaquant à des catégories sociales qui, jusque-là, vivaient dans l’impunité. Elle s’est progressivement étendue à toutes les couches de la société (universitaires, journalistes, entrepreneurs) et un grand nombre de cadres et d’officiers ont été limogés, publiquement critiqués, voire emprisonnés pour certains d’entre eux.
En s’en prenant publiquement à des officiers à la retraite, dont les généraux Xu Caihou et Gu Junshou, qui jouissaient d’un réseau et de richesses considérables, Xi Jinping a rompu une règle tacite au sein du Parti et a fait passer un message fort : « nul n’est à l’abri ». Le président chinois n’est pas seul dans sa campagne. Il a au sein de l’APL les contacts qu’il s’est construit lorsqu’il était gouverneur dans le Fujian (sud de la Chine) et qu’il a placés à des postes clés. Il peut également compter sur le soutien des autres fils de « princes rouges[12] » qui se veulent être les garants de la « pureté du système, au nom d’un idéal nationaliste[13]».
Derrière le discours se cache en réalité une lutte politique féroce entre hauts dirigeants dont le résultat a finalement été annoncé en octobre, lors du XIXème Congrès du Parti : Xi Jinping l’emporte et règne en maître.
Bilan de la réforme : le politique avant le militaire
La grande réforme militaire lancée par le président Xi en 2015, a aussi été l’occasion pour lui d’imposer ses contacts à la tête de la commission militaire et de réaffirmer l’autorité du Parti sur les militaires. Cela répond à trois objectifs : premièrement, l’APL sert le Parti et non la République populaire ; deuxièmement, nul n’est à l’abri de la campagne anti-corruption ; troisièmement, anéantir les factions rivales et assurer la seule autorité du président Xi sur les troupes[14].
Le commandement de l’APL a été entièrement réorganisé, de façon à ce que la prise de décision soit centralisée et qu’il y ait une meilleure coordination entre les services de l’État et les différentes entités de l’armée. Il s’agit, au fond, de recentrer les forces armées sur leurs missions premières et respectives, en mettant définitivement un terme aux actions financières et économiques menées par certaines branches de l’APL (élevage, location immobilière, services médicaux etc.)[15]. En théorie, les forces terrestres évoluent désormais sur un pied d’égalité avec les forces navales et aériennes, mais dans les faits l’armée de terre garde un poids considérable, tant en nombre d’hommes que d’influence.
Tableau 1: État des forces armées chinoises
Armée | Terre | Marine | Air |
Nombre d’hommes | 1 300 000 | 235 000 | 398 000 |
Tableau 2 : Évolution des effectifs de l’APL
Année | 1949 | 1970 | 1987 | 1990 | 2014 | 2017 |
Effectifs (en millions d’hommes) | 5,5 | 4,4 | 3,24 | 3,12 | 2,11 | 2 |
En parallèle, la réduction progressive des effectifs de l’APL se poursuit, mouvement lancé depuis la mort de Mao Zedong en 1976 par Deng Xiaoping. Composée de 5,5 millions de soldats en 1949, ce nombre a été réduit à 4,4 millions dans les années 70, 3,24 millions en 87, 3,12 millions en 90[16]. En 2014, les forces de l’APL s’élevaient à 2,11 millions d’hommes. L’objectif est désormais de réduire le nombre des troupes en dessous de 2 millions. En ce sens, le président Xi a annoncé en octobre 2017 une réduction supplémentaire de 300 000 hommes, sans pour autant fixer de dates précises.
La modernisation des forces armées et les libertés prises par les officiers de haut rang ont justifié aux yeux des cadres du Parti, la nécessité de resserrer leur contrôle sur les troupes. Cependant, les purges et les réformes ne sont pas sans créer des insatisfactions et des rancœurs au sein de l’état-major chinois[17], qui voit ses privilèges et ses passe-droits se réduire considérablement. En outre, l’objectif de professionnalisation fixé à l’APL se heurte à un problème plus difficile encore à régler. L’APL peine en effet à recruter en son sein des jeunes fraîchement diplômés, car si le patriotisme chinois est facilement mobilisable par les autorités du PCC, servir au sein de l’APL est loin d’être perçu comme un office enviable. Les familles chinoises qui ont pu se permettre de payer des hautes études à leurs enfants préfèrent voir ceux-ci aller dans le commerce ou les professions libérales, plutôt que de les voir commencer une pénible et peu enviable carrière d’officiers.
Arthur Pouzet
Sources :
BONDAZ A. & JULIENNE M., « Moderniser et discipliner, la réforme de l’armée chinoise sous Xi Jinping », in Fondation pour la Recherche Stratégique, note n°05/17, du 24/02/2017, pp. 1-12
GENEVAZ J., « La réforme de l’Armée populaire de libération, au cœur de la rénovation de l’Etat chinois », in Note de recherche stratégique n°29, du 16/08/2016, pp. 1-10
LEYS S., Essais sur la Chine, Ed. Robert Laffont, Paris, 1998
NIQUET V., « Chine : un parti sans fusils ? », in Asialyst, du 04/05/2015
URL: https://asialyst.com/fr/2015/05/04/chine-un-parti-sans-fusils/
ROCH D., « Grandeur et servitudes de l’Armée populaire de libération ? », in Outre-Terre, 2006/2 (n°15), pp. 105-135
URL: https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2006-2-page-105.htm
Notes de bas de page:
[1] Discours de clôture de la Sixième réunion plénière du Comité central du PCC, 6 novembre 1938, cité par Antoine Bondaz& Marc Julienne, « Moderniser et discipliner, la réforme de l’armée chinoise sous Xi Jinping », Fondation pour la Recherche Stratégique, note n°05/17, du 24/02/2017, p. 5
[2] L’armée de l’Air a 398 000 hommes, la Marine 235 000 et la force des fusées 100 000. Juliette Genevaz, « La réforme de l’Armée populaire de libération, au cœur de la rénovation de l’Etat chinois », pp. 1-10
[3] La milice de l’APL est une force hybride, à mi-chemin entre la réserve et la garde nationale. Rarement mobilisée, elle est supposée servir en cas d’invasion du territoire nationale.
[4].Antoine Bondaz & Marc Julienne, « Moderniser et discipliner, la réforme de l’armée chinoise sous Xi Jinping », Fondation pour la Recherche Stratégique, note n°05/17, du 24/02/2017, p. 2
[5] Antoine Bondaz & Marc Julienne, art. cit.., p. 5
[6] Didier Roch, « Grandeur et servitudes de l’Armée populaire de libération ? », Outre-Terre, 2006/2 (n°15), p. 105
[7] Durant la guerre civile, l’armée rouge chinoise était divisée en « Armées de route », qui, si elles obéissaient à une même direction centrale, étaient censées évoluer en quasi-autonomie en ce qui concerne les combats et les approvisionnements.
[8] Antoine Bondaz & Marc Julienne, art. cit., p. 9
[9] Ibid.
[10] Simon Leys, Essais sur la Chine, Ed. Robert Laffont, Paris, 1998, pp. 20-100
[11] Valérie Niquet, « Chine : un parti sans fusils ? », Asialyst, du 04/05/2015
[12] Les « princes rouges » sont les fils et filles des grands dirigeants du Parti, très puissants, influents et liés entre eux. Xi Jinping est le fils de Xi Zhongxun, responsable militaire pendant la guerre civile, Vice-premier ministre, purgé pendant la Révolution culturelle et réhabilité par Deng Xiaoping dans les années 70.
[13] Valérie Niquet, art. cit.
[14].Antoine Bondaz & Marc Julienne, art. cit., p. 8
[15].Antoine Bondaz & Marc Julienne, art. cit., p. 7
[16].Juliette Genevaz, « La réforme de l’Armée populaire de libération, au cœur de la rénovation de l’Etat chinois », Note de recherche stratégique n°29, du 16/08/2016, p. 1
[17].Valérie Niquet, art. cit.
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