Histoire d’une organisation internationale : l’Union latine (1954 – 2012)

Histoire d’une organisation internationale : l’Union latine (1954 – 2012)

A l’heure où le monde s’articule à nouveau autour de grands blocs aux intérêts souvent divergents, regroupés autour des Etats-Unis, de la Russie ou encore de la Chine, la solidarité entre pays de culture et de langue latines pourrait contribuer à instaurer plus d’équilibre et de dialogue entre les continents. C’est ainsi que l’Union latine (UL) déclarait en 2004 que la latinité était indispensable à l’équilibre international. Organisation internationale fondée en 1954,  l’Union latine fonctionna surtout à partir des années 1970 avant de suspendre ses activités en 2012.

Il ne faut pas la confondre avec la Convention monétaire qui portait le même nom et lia la France, la Belgique, la Suisse, l’Italie et la Grèce de 1866 à 1927.

L’idée d’une organisation fondée sur la solidarité entre les pays de culture latine a été conçue en 1939 par le diplomate français Pierre Cabanes. Derrière l’objectif de défense de la culture latine se glissait un autre moteur : la volonté de démontrer à l’Italie qu’il lui était possible de contracter d’autres alliances que celle conclue avec l’Allemagne, sans succès. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que l’idée d’une union des pays latins est relancée par MM. Cabanes et Neves da Fontoura, alors ministre brésilien des Affaires étrangères. En 1948, l’association Union latine est créée. Elle regroupe 26 États, dont la Belgique et la Suisse qui n’adhéreront pas par la suite à l’organisation internationale du même nom. Celle-ci est finalement créée suite à deux congrès : Rio en 1951 et surtout Madrid en 1954. L’UL prend réellement son essor  dans les années 1970 grâce à l’action de M. Philippe Rossillon, haut-fonctionnaire au ministère français des Affaires étrangères. Il relance notamment les États membres afin qu’ils versent les cotisations dues à l’UL. Puis vient le temps fort de la vitalité retrouvée de l’UL : l’exposition « à la découverte du monde latin » organisée en 1984 à Paris. L’UL suspend finalement ses activités en 2012.

Sur quels principes a été fondée l’Union Latine ? Qu’entend-on par « latinité » ? Quelles ont été ses missions et actions, son organisation et les causes de la suspension de ses activités ?

Latinité et transversalité

Plusieurs personnalités se sont penchées sur la définition de ce concept, notamment l’ambassadeur et dernier secrétaire général de l’UL, M. José Luis Dicenta, ou le philosophe Edgar Morin. La latinité se fonde sur l’héritage de la civilisation romaine, dont le berceau est le Latium en Italie, et sa dimension citoyenne. En effet, Rome a accordé la citoyenneté à tous les habitants de l’empire, à l’exception des esclaves, par l’Édit de Caracalla en 212 après JC. Le symbole de la civilisation romaine est le forum où les citoyens débattent et où se forge le droit. Ainsi, le droit est présenté comme le fondement de cette civilisation. A travers la citoyenneté, la latinité est un vecteur de transversalité, d’intégration, et donc de métissage ethnique et culturel. Les Romains avaient intégré de nombreux dieux étrangers dans leur panthéon. En effet, la composition ethnique des États membres de l’UL est très diversifiée. Avec la conversion de Constantin, le christianisme s’est trouvé associé à l’empire et la vocation universaliste de cette religion à la latinité.

Edgar Morin parle des deux visages de la « romanité » : historique d’abord, à travers les conquêtes romaines, et civilisationnel ensuite, par la volonté universaliste et d’intégration de l’empire. Au-delà du strict héritage romain, où l’hellénisme a aussi eu une forte influence, on note trois périodes marquantes pour le monde latin qui ont eu une rôle déterminant dans l’histoire du monde : la Renaissance et l’humanisme, nés en Italie et qui ont permis de redécouvrir l’héritage gréco-romain, les Grandes Découvertes, menées par l’Espagne et le Portugal et la Révolution française. Cette dernière s’est en effet inspirée de la république romaine et a influencé la plupart des révolutions et guerres d’indépendance en Amérique latine.

La latinité c’est aussi la langue : le latin, idiome de l’empire romain, celui des lettrés au Moyen-Âge, et utilisé pour le droit et les sciences jusqu’au XIXème siècle. Les langues néo-latines résultent d’un métissage, d’une évolution du latin qui s’est transformé à partir des parlers populaires et au contact d’autres langues. La dimension transversale des langues néo-latines se vérifie par leur présence dans les aires européenne, africaine, arabe, américaine et asiatique. Comme le souligne Edgar Morin, on peut parler de latinité au pluriel.

Une fois définie la dimension métisse, universaliste et transversale de la latinité, il a fallu traduire ceci dans la nature même de l’organisation censée défendre ce concept.

C’est ainsi que l’UL a très tôt exprimé le souhait de s’opposer à toute forme de monopole et d’impérialisme culturel ou linguistique. M. Rossillon précisait que l’objectif de l’UL était d’établir des échanges culturels entre États à budgets modestes, à contre-courant de la tendance à choisir l’anglais au détriment des autres langues.

L’action linguistique et culturelle était essentielle pour l’UL. Les critères d’adhésion, inscrits dans la Convention de Madrid, reflétaient cet état d’esprit. On trouvait tout d’abord des critères linguistiques : le pays candidat à l’adhésion devait posséder une langue officielle néo-latine, ou du moins une langue néo-latine utilisée dans l’enseignement ou au quotidien comme dans les médias…Ensuite, y ont été inscrits des critères culturels : le candidat devait pouvoir démontrer un héritage direct ou indirect de la Rome antique et sa volonté de le perpétuer, par le biais de l’enseignement du latin par exemple, et d’échanger avec d’autres pays, qu’ils soient ou non néo-latins. Enfin, on peut citer les critères « linguistico-culturels » : il devait exister dans le pays une littérature ou des médias en langue néo-latine.

A ces critères s’ajoutait le respect des droits de l’homme, des principes démocratiques et de la liberté de culte, en conformité à la définition de la latinité donnée par les fondateurs de l’UL. Toutefois, certains n’ont pas respecté ces principes comme l’Espagne franquiste, le Paraguay de Stroessner ou encore la Roumanie de Ceausescu. C’est l’Espagne de Franco qui a imposé, lors du congrès de Madrid, le caractère chrétien de l’UL, malgré l’opposition de certains pays, à l’instar du Mexique, pour lesquels cela ne correspondait pas à une latinité ouverte. Ce profond désaccord sera à l’origine de tensions au sein de l’UL pour plusieurs années et aura pour conséquence l’annulation du 3ème congrès, qui était prévu à Rome en 1956.

L’UL possédait six langues officielles, elles-mêmes langues officielles des pays membres : le catalan, l’espagnol, le français, l’italien, le portugais et le roumain. On retrouvait ces langues dans le logo de l’UL, où le terme « Union Latine » était traduit dans chacune d’elles autour de trois U et trois L stylisés de couleur grise et bordeaux.

Union-latine logo
Logo de l’Union latine

Les langues utilisées par les employés et lors des réunions étaient : l’espagnol, le français, l’italien et le portugais. L’UL eut de nombreux membres latino-américains, ce qui a contribué à faire de l’organisation un des porte-paroles des pays du Sud.

 

L’organisation de l’Union latine et ses activités

 

En tant qu’organisation internationale, l’UL avait une structure propre. Elle comptait 35 États membres et 4 observateurs (1)

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Les pays membres de l’Union latine  (Pierrick Gaslain)

Bien que la Convention de Madrid date de 1954, les pays fondateurs n’ont adhéré formellement à l’Union qu’en 1972, année où la convention a été définitivement ratifiée par les pays en question. Parmi l’ensemble des pays membres, on constate une prépondérance des pays hispanophones et lusophones, représentant respectivement 50% et 22%. Il n’y avait que cinq pays francophones. Le continent le plus représenté était l’Amérique latine avec 15 pays, soit 43%. Il y avait neuf pays européens, sept africains, trois en zone caribéenne et deux en Asie.

L’UL possédait trois organes :

Tout d’abord un Congrès rassemblant tous les États membres et se réunissant tous les deux ans en session ordinaire. Il votait le budget et les grandes orientations, et élisait les états-membres siégeant dans les instances dirigeantes.

Le Conseil Exécutif ensuite, qui était élu pour quatre ans par le Congrès et qui était constitué de douze États membres. Il suivait les activités de l’UL et préparait le budget présenté au Congrès.

Enfin, le Secrétariat Général était nommé pour quatre ans par le Congrès, il appliquait les décisions de celui-ci, ainsi que celles du Conseil Exécutif.

Deux organes auxiliaires dépendaient du Congrès. Il s’agissait de la Commission des adhésions, constituée de dix États membres et qui promouvait l’adhésion à l’UL auprès d’États remplissant les critères, et de la Commission des candidatures composée de neufs États membres qui examinait la validité des candidatures. En 2012, le  Conseil exécutif était composé des pays suivants : l’Andorre, le Brésil, l’Equateur, la France, l’Italie, le Pérou, le Portugal, l’Uruguay et le Venezuela. Enfin, la Roumanie en assurait la présidence, et l’Espagne et le Sénégal conjointement la vice-présidence. Le Conseil possédait également des organes auxiliaires : la Commission des finances et des programmes et la Commission des statuts, dont les membres étaient les mêmes que ceux du Conseil. Elles examinaient les questions transmises par le Conseil. Le siège de l’UL était à Paris depuis 1951, ses locaux bénéficiant de l’inviolabilité en vertu du décret n°89-887 du 12 décembre 1989 relatif au Secrétariat de l’UL et à ses privilèges et immunités sur le territoire français.

L’UL tirait son financement des contributions dues par les membres et du soutien d’institutions publiques ou privées comme l’Université Catholique de Colombie ou encore la société Dante Alighieri.

A côté de cette structure bien définie, l’UL s’est dotée de missions claires. L’action culturelle constituait son l’activité principale. Elle agissait dans le domaine du cinéma, notamment en finançant des films documentaires concernant la culture latine pour le Festival de Biarritz, ou encore en organisant des rétrospectives cinématographiques sur des thèmes bien définis. En 2011 le thème était par exemple les guerres d’indépendance et les révolutions en Amérique latine. L’UL a participé à la restauration de films tels que Siamo donne ou Paris qui dort, en partenariat avec d’autres structures comme les cinémathèques nationales. Elle participait à la diffusion de films dans les pays membres. Elle a également été un mécène du cinéma en Amérique centrale et aux Caraïbes et y organisait séminaires et formations. Enfin, elle délivrait un prix du film à caractère historique, cérémonie organisée à Trieste, afin de valoriser certaines œuvres évoquant les racines culturelles et historiques de l’Amérique latine. A partir de 2002, l’UL a décerné un prix Martin Chambi de la photographie, du nom du célèbre photographe péruvien. Avant la suspension de l’UL en 2012, le thème était « La famille aujourd’hui ». Le lauréat avait obtenu 5000 euros. De plus, le Congrès de décembre 2000 a instauré une journée de la latinité, le 15 mai, afin de commémorer la Convention de Madrid du 15 mai 1954. En ce jour, les membres étaient invités à organiser des évènements et des manifestations aux fins de « promouvoir la conscience de l’identité culturelle commune aux peuples d’origine latine ». D’autres actions culturelles ont été menées, comme la création du site internet Virtuale Museum, créé en partenariat avec l’UE, permettant de découvrir des peintures et sculptures dans le monde latin, ainsi que des expositions temporaires ou permanentes, ou encore le site Mirabilia rendant possible la visite en ligne de villes sud-américaines comme Montevideo.  L’UL organisait enfin régulièrement de nombreux colloques. Ainsi, l’objectif de cette Organisation internationale était clairement le regroupement autour d’une latinité culturelle et non ethnique.

Le budget annuel de l’UL était de 1,7 millions d’euros en 2012, avec des contributions échelonnées en fonction des membres. Ainsi l’Italie fournissait 500 000 euros, contre seulement 5 000 euros pour le Timor Oriental. Alors qu’en 2009 le personnel de l’UL comptait 50 personnes, il n’y en avait plus que 17 en 2012. Ce dernier était réparti en trois directions : culture et communication, promotion et enseignement des langues, et enfin terminologie et industries linguistiques. Fait rare dans les organisations internationales, l’UL consacrait 80% de ses ressources aux actions menées et 20% aux frais de fonctionnement.

L’UL était une organisation internationale avec une réelle volonté de coopération culturelle et intellectuelle entre ses membres, comme le disposait l’article II de la convention de Madrid, et dont le projet s’inscrivait complètement dans la Convention de l’Unesco de 2005 pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Elle portait néanmoins en elle les germes de la discorde.

D’abord, il y avait de fortes disparités économiques entre ses membres qui, outre un fond culturel « latin » commun, avaient dans certains cas bien peu de points de convergence. En effet, par exemple, des pays comme Monaco et le Timor oriental n’ont pas du tout le même niveau de développement ou de richesse et, finalement, ne sont pas confrontés aux mêmes enjeux. De plus, cette organisation était fortement marquée par le poids des pays latino-américains, ce qui a pu donner une impression de déséquilibre aux membres européens dont certains ne se reconnaissaient pas dans le rôle de porte-parole des pays du Sud que l’UL a acquis au fil du temps. Certains membres non-hispanophones et non-lusophones se sont alors progressivement inscrits dans d’autres organisations culturelles et linguistiques, plus centrées sur leurs propres langues et plus actives, telle que l’organisation de la Francophonie. D’un point de vue politique,la cohabitation fut difficile entre des pays atlantistes, comme la France ou l’Italie, et d’autres membres adhérant également à l’Alliance Bolivarienne pour les Amériques (ALBA), comme le Venezuela, Cuba, la Bolivie, l’Equateur et le Nicaragua, frontalement opposés à la politique étasunienne. Enfin, dans une optique d’austérité budgétaire, certains membres ont jugé opportun d’œuvrer pour la suspension des activités de l’UL afin de ne plus payer leurs cotisations, comme ce fut le cas de l’Italie berlusconienne.

Ainsi, après une forte baisse de son activité à la fin de la décennie 2000, et un désamour croissant de certains membres, l’UL envisage sa dissolution dès 2011. C’est ainsi que que le 29 novembre de cette même année, le Conseil a établi plusieurs scénarios, dont l’option H, qui prévoyait l’interruption de toutes les actions entreprises par le Secrétariat Général. C’est cette option qui a été adoptée lors de la session extraordinaire du Congrès à l’Unesco, le 26 janvier 2012. Douze des pays présents ont voté pour la dissolution, sept se sont abstenus et sept ont voté contre, dont six latino-américains : Cuba, l’Equateur, le Guatemala, le Nicaragua, l’Uruguay, le Venezuela, et un européen : la Roumanie. L’UL cesse ses activités le 31 juillet 2012 et tout son personnel est licencié. Seul un secrétariat temporaire très restreint subsiste à la délégation de l’Uruguay à l’Unesco, le secrétariat général ayant été dissout en 2012.

Suite à l’arrêt des activités de l’UL, le Venezuela a proclamé vouloir perpétuer les idéaux de l’UL au sein de la Communauté d’Etats latino-américains et Caraïbes. En 2014, le Sénat français adresse une question écrite au gouvernement, lui demandant quelles sont ses intentions d’actions de promotion de la latinité et les suites à envisager après la suspension des activités de l’UL. Dans la réponse du gouvernement, il est indiqué que la reprise des activités de l’UL dépendra de la volonté des Etats concernés et de la mobilisation des moyens nécessaires. Le gouvernement français précise qu’aucune démarche commune n’a encore été définie. Finalement, l’UL a été victime, du moins en partie, des antagonismes entre pays aux intérêts divergents, qu’elle avait essayé de dépasser. Aujourd’hui, nous sommes à la croisée des chemins entre une réorganisation et une redéfinition complètes de l’organisation qui permettrait de lui redonner vie, ou une dissolution définitive.

Pierrick Gaslain

 

(1) Liste des États membres

Pays Année d’adhésion
Andorre 2004
Angola 1997
Bolivie 1985
Brésil 1972
Cap-Vert 1992
Chili 1990
Colombie 1995
Côte-d’Ivoire 1999
Costa-Rica 1996
Cuba 1988
Equateur 1972
El-Salvador 2006
Espagne 1972
France 1972
Guatemala 1984
Guinée-Bissau 1990
Haïti 1972
Honduras 1972
Italie 1972
Moldavie 1992
Monaco 1984
Mozambique 1994
Nicaragua 1973
Panama 1995
Paraguay 1972
Pérou 1972
Portugal 1972
République Dominicaine 1972
Roumanie 1980
Saint-Marin 1985
Sao-Tomé-Et-Principe 1992
Sénégal 1999
Timor-Oriental 2004
Uruguay 1985
Venezuela 1990

Observateurs : Argentine, Mexique, Saint-Siège, Ordre de Malte.

Sources

MORIN Edgar, La latinité, conférence à Sao Paulo, août 2003

DICENTA José Luis, L’union Latine, son rôle et ses perspectives, conférence à Paris, janvier 2010

GONZALEZ MESA Omar, Les chemins de l’Union Latine : une approche historique, revue Hermès, 2016

Site de l’UL (toujours présent sur le web) : www.unilat.org

SCHNEITER Pierre, Le congrès de l’Union Latine à Madrid, le Monde Diplomatique, juin 1954

Rapport du Sénat n°266, 2ème session ordinaire de 1970-1971

Question écrite du Sénat n°12934, 14ème législature, JO du Sénat du 21/08/2014 et réponse du gouvernement (JO du Sénat du 27/11/2014)

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