La rétrocession de Hong Kong : bras de fer entre Margaret Thatcher et Deng Xiaoping
Après un entretien houleux avec Deng Xiaoping, Margaret Thatcher trébuche devant les caméras en descendant les marches du Palais de l’Assemblée du Peuple à Pékin. Cet épisode de l’automne 1982 est diffusé en boucle sur les télévisions chinoises. La chute de la Dame de Fer devait symboliser la fin de l’Empire britannique et du « Siècle de la Honte ». Deux ans après cet incident, en 1984 Margaret Thatcher s’incline devant les exigences chinoises et accepte la rétrocession de Hong Kong à la Chine, prévue pour 1997.
Pourtant, lorsqu’elle foule pour la première fois le sol chinois en septembre 1982, Margaret Thatcher est une femme dont la position sur la scène internationale a été renforcée par sa victoire face à l’Argentine quelques mois plus tôt lors de la Guerre des Malouines. 1982 est aussi une année à marquer d’une pierre blanche pour la Chine, qui affirme sa volonté de conduire une politique étrangère indépendante à la fois des États-Unis et de leurs alliés, mais aussi de l’U.R.S.S. Avec la question de la rétrocession de Hong Kong, deux puissances se font face : la Grande-Bretagne appartient au Vieux Continent, la Chine aux pays émergents ; la première est capitaliste, la seconde communiste. Si la Chine sort vainqueur de ce duel, c’est essentiellement grâce à l’échec de la stratégie diplomatique de Margaret Thatcher. L’Empire britannique crépusculaire ne fait pas le poids face au ressentiment des années d’humiliation de la Chine.
En 1842 puis en 1860, ce sont les britanniques qui font plier la dynastie des Qing. Dans le cadre des Traités Inégaux faisant suite aux Guerres de l’Opium, l’île de Hong Kong et la péninsule de Kowloon sont cédées à perpétuité à la Couronne britannique. En 1898, la Convention pour l’extension du territoire de Hong Kong concède un bail de 99 ans sur les Nouveaux Territoires (New Territories). L’ensemble de ces îles forme ce qu’on appelle communément Hong Kong (香港). Alors que la date butoir du traité de 1898 est fixée pour 1997, Deng Xiaoping fait savoir en avril 1982 qu’il souhaite s’entretenir avec Margaret Thatcher.
D’une part, les dirigeants communistes ne reconnaissent pas les Traités Inégaux et ce qu’ils prévoient. Ils souhaitent retrouver une souveraineté sur l’ensemble des îles sans considération pour les diverses clauses qui régissent ces territoires. Derrière cet hymne à l’anti-colonialisme, se cache la volonté du Petit Timonier (1) de ne pas perdre la face une nouvelle fois contre les britanniques. L’enjeu est idéologique : il s’agit d’affirmer la supériorité de la République Populaire de Chine par rapport à la faiblesse de la dynastie Qing. Les britanniques, de leur côté, ont conscience que conserver une souveraineté sur Kowloon et l’île de Hong Kong sans les Nouveaux Territoires ne serait pas viable économiquement. Dès lors, ils souhaitent non seulement se maintenir sur Kowloon et l’île de Hong Kong, mais également continuer à administrer les Nouveaux Territoires sur lesquels la Chine n’aurait de souveraineté que le nom. Mais Margaret Thatcher déchante brusquement lorsque Edward Youde – gouverneur de Hong Kong élu en mai 1982 – et Sir Percy Cradock – Ambassadeur du Royaume-Uni à Pékin – l’informent que la Chine exige de recouvrer sa souveraineté pleine et entière sur l’ensemble des îles.
La Dame de Fer contre le Petit Géant
C’est pourquoi, avant de s’envoler pour l’Asie le 22 septembre 1982, Margaret Thatcher change de stratégie. Face à l’intransigeance chinoise, différencier administration et souveraineté semble être une panacée pour résoudre la question hongkongaise. En 1982, conserver une souveraineté sur Hong Kong semble perdu d’avance. Néanmoins, Thatcher compte mettre cette rétrocession sur le compte de la générosité britannique et non sur celui de la pression chinoise. Ainsi faisant, elle disposerait d’un levier pour convaincre les chinois de laisser le Royaume-Uni administrer le territoire. Sans compter que l’efficacité du système capitaliste joue déjà en faveur des britanniques.
En effet, Thatcher semble avoir vu juste quant aux velléités chinoises. Le premier jour des négociations, avant d’entrer dans la salle où Thatcher l’attendait, Zhao Ziyang, Premier Ministre de la RPC, déclare de manière unilatérale devant un parterre de journalistes que la Chine retrouvera sa souveraineté perdue sur Hong Kong. Pour Zhao Ziyang, l’île de Hong Kong, Kowloon et les Nouveaux Territoires sont inséparables. La souveraineté de ces terres revient à la Chine. Il en va de l’intégrité de son territoire. Entre la prospérité de l’île et la question de sa souveraineté, la priorité pour la Chine est évidemment la seconde. Pourtant le gouvernement chinois envisage d’instaurer un système mixte conciliant prospérité économique et contrôle de la part du régime communiste. Il propose d’appliquer à Hong Kong la formule « un pays, deux systèmes », devant faire de Hong Kong une région administrative spéciale (R.A.S) afin qu’elle conserve son système capitaliste. Ce compromis est entériné par la Constitution de la République Populaire de Chine en décembre 1982 et la vision chinoise s’impose ainsi aux Britanniques.
Deng Xiaoping rejoint la table des négociations le troisième jour. Au regard du débarquement militaire dans les îles Malouines par les forces britanniques un peu plus tôt dans l’année et de la proposition de Margaret Thatcher de conserver l’administration du territoire hongkongais, Deng Xiaoping s’emporte et met en avant le discours colonialiste tenu par la délégation britannique. Il rappelle également les blessures profondes que constituent encore les traités inégaux. Les archives diplomatiques britanniques ne le mentionnent pas, mais Deng Xiaoping aurait lancé : « Margaret Thatcher devrait être bombardée pour son obstination». Le Petit Timonier est catégorique : le drapeau britannique doit quitter l’Asie. Sans collaboration du Royaume-Uni pour y parvenir, la Chine déciderait unilatéralement du sort de Hong Kong. Sur ces mots, il quitte la réunion. Faisant fi des discours modérés des diplomates, Margaret Thatcher déclare aux caméras en sortant de son entretien avec la délégation chinoise que « Des traités existent. Pour l’instant nous nous en tenons aux traités ». Pourtant, cette position que la Chine considère comme une résurgence du colonialisme est la raison pour laquelle Deng Xiaoping perdait son calme un peu plus tôt.
Pour Pékin la complète rétrocession des territoires de Hong Kong à la Chine représenterait le gage de la volonté britannique de mettre un point final à l’époque impérialiste. À cela, Thatcher lui rétorque que la Grande-Bretagne promet habituellement l’indépendance à ses anciennes colonies et non le transfert de souveraineté à une nouvelle puissance. En effet depuis 1971, date à laquelle la Chine entre aux Nations-Unies, Hong Kong ne figure plus sur la liste des pays colonisés qui doivent à terme recouvrir leur indépendance. À la demande de la Chine, les Nations Unies reconnaissent alors que l’île doit, pour des raisons historiques, revenir à la Chine.
Une myopie politique fatale
Margaret Thatcher ne réussit pas à prendre le dessus à Pékin. Elle sous-estime considérablement la volonté de la Chine de s’émanciper de toute puissance tutélaire. L’ambition de Thatcher est d’éduquer la Chine à l’économie capitaliste. Ainsi, début 1982, Cradock fait part au Secrétariat d’état aux affaires étrangères de la nécessité d’éduquer les Chinois aux vertus du libre-change, seule condition selon lui pour instaurer à Hong Kong un climat de confiance pour les investisseurs. Pour le cabinet, la Chine sans l’aide du Royaume-Uni galvauderait les bienfaits du capitalisme. La stratégie consiste alors à faire voir à Deng Xiaoping le savoir-faire britannique en matière d’économie, dans le but de l’inciter à laisser la main à la Grande-Bretagne pour administrer le territoire.
La Dame de Fer est d’abord sceptique quant à cette approche. Non parce qu’elle implique de considérer la Chine comme un élève mais parce que pour le Premier Ministre du Royaume-Uni, la Chine est intrinsèquement marxiste. Mais son discours paternaliste se traduit finalement à Pékin dans le dialogue entre Zhao et Thatcher, lorsque celle-ci avance qu’un transfert de souveraineté déstabiliserait la confiance des investisseurs et réduirait à néant le potentiel économique de Hong Kong. Zhao Ziyang lui rétorque alors que les investisseurs seraient rassurés par la coopération sans bornes entre les gouvernements chinois et britanniques, et lui demande de façon rhétorique : « Où pourraient partir les investisseurs en cas d’instabilité ? ». Thatcher, manquant la portée ironique de la question, croit pouvoir saisir l’opportunité d’éduquer son interlocuteur : « à Singapour, aux Philippines et même à New York. »
À la fin du premier tour des négociations, le 26 septembre, Thatcher manifeste sa frustration face à l’ignorance chinoise du système capitaliste. Ne nous y trompons pas, ce n’est pas de bon coeur que Thatcher a rétrocédé Hong Kong à la Chine. Elle était prête à reconnaître au mieux une souveraineté de titre de la Chine, si la Grande-Bretagne conservait l’administration du territoire.
Son projet « d’éducation » de la Chine au capitalisme était voué à l’échec depuis le départ. Ce n’est que plusieurs années plus tard que le gouvernement chinois se révélera favorable à une transition de cette ampleur. Mais il était intolérable pour Thatcher de céder face à une puissance communiste. Malgré le rétablissement des relations diplomatiques entre la Chine et le Royaume-Uni en 1972, la Dame de Fer avait une aversion viscérale pour le système communiste.
La rhétorique de l’entêtement britannique
À l’origine, la colonie de Hong Kong était essentiellement vouée au commerce, mais son système juridique protégeant la propriété et les droits fondamentaux en fit un havre de liberté et de libre-expression. Elle était un refuge pour tous les opposants au régime dominant la Chine après 1949 qui y fondèrent des journaux et enseignèrent dans les écoles. Ainsi, en 1982 Margaret Thatcher ne manque pas de rappeler à son homologue que la Grande-Bretagne ne reçoit aucun revenu de la colonie. En revanche, la puissance de l’Ouest affirme avoir un devoir moral envers Hong Kong.
En outre, la Grande-Bretagne espère manipuler l’image que renvoie la Chine à l’international. En effet, non seulement cette dernière refuse de prendre en considération des traités reconnus par le droit international – ceux signés au XIXème siècle – ce qui fait d’elle un interlocuteur peu fiable, mais surtout elle menace la Grande Bretagne de prendre Hong Kong par la force. À cette tentative d’intimidation Thatcher répond simplement qu’en employant la force la Chine révélerait son vrai visage au reste du monde.
Thatcher avait à l’esprit un autre enjeu : à son retour elle devait faire accepter au Parlement une abrogation du traité par lequel la Grande-Bretagne détenait la souveraineté sur Kowloon et l’île de Hong Kong. Pour que le Parlement britannique accepte de modifier les accords signés en 1842 et 1860, Thatcher devait le convaincre que l’accord conclu avec Pékin était l’unique accord possible. Elle devait donc faire de l’intransigeance chinoise un fait incontestable.
D’autre part, il lui était essentiel de montrer au Parlement que laisser la souveraineté de Hong Kong à la Chine ne représentait pas un danger d’émigration massive de l’île vers l’ancienne métropole. Thatcher souhaitait empêcher cette immigration par une administration britannique de l’île qui aurait garanti le libéralisme du territoire. Selon elle, si la proposition d’administration anglaise se voyait refusée, cela provoquerait une vague de panique qui aboutirait à un grand nombre de départs. Londres et Pékin devaient au moins parvenir à un accord satisfaisant les deux parties pour empêcher l’immigration de la partie des 5,5 millions de Hongkongais qui craignaient le régime communiste.
Les grands oubliés
Malgré tout, le discours anti-colonialiste de la Chine s’inscrit mal dans la réalité puisqu’elle a agit envers les habitants de Hong Kong comme une nouvelle puissance extérieure parlant au nom d’un peuple qu’elle n’avait pas gouverné depuis 140 ans. À Hong Kong, la peur du communisme est omniprésente parmi les habitants les plus âgés, dont beaucoup sont des réfugiés du régime communiste. D’autre part, la génération des babyboomers est habituée à y vivre sous un régime libéral. Qui plus est, la peur de la Chine n’est pas un fait nouveau. Dès 1960, celle-ci menace d’envahir Hong Kong si le Royaume Uni lui octroie une plus grande marge de manoeuvre politique en faisant évoluer son statut vers celui de dominion. Par ailleurs, l’inimitié de certains Hongkongais envers la Chine s’explique par le fait que pendant les années 1970, le gouverneur McLehose avait introduit, suite à des émeutes qui ébranlèrent la stabilité de l’île, et avec l’accord de la Grande-Bretagne, une plus grande libéralisation politique par le biais d’organismes consultatifs afin de tenter de rétablir la communication avec la société. Emily Lau, une journaliste hongkongaise de l’époque accuse Thatcher en 1982 de livrer les Hongkongais à un régime dictatorial. Le Premier Ministre britannique se défendra en affirmant avoir fait tout ce qui était en son pouvoir pour conserver Hong Kong.
Pour acheter la paix, Deng Xiaoping entre la fin mars et début juin 1982 reçoit douze groupes de visiteurs venus de Hong Kong (entrepreneurs, universitaires, journalistes) pour préparer le transfert de souveraineté. Mais cette initiative a peu d’échos favorables dans la société hongkongaise. Finalement, les habitants de Hong Kong n’ont pas eu leur mot à dire dans les négociations sino-britanniques qui ont décidé de leur avenir, ce qui a provoqué une grande frustration parmi des citoyens dont le niveau d’éducation ne cessait de s’élever. Selon l’historien Ian Scott, que ce soit du côté chinois ou britannique, les gouvernements avaient décidé d’imposer leur accord à la population de Hong Kong sans leur laisser la possibilité de l’amender.
La rétrocession de Hong Kong est avant tout une guerre d’image. La Chine essaie de faire passer la Grande-Bretagne pour une puissance coloniale pour la contraindre à quitter définitivement l’Asie. Tandis que de l’autre côté, Margaret Thatcher s’évertue à véhiculer l’image d’une Chine intransigeante, autoritaire et ne jouant pas le jeu de la coopération internationale. Le 26 septembre 1982, le communiqué mettant fin à la première semaine des négociations prévoit que les gouvernements se retrouveront pour de nouvelles discussions. Il omet que pour la Chine ces négociations ne peuvent avoir qu’une seule issue, celle de la rétrocession de Hong Kong à Pékin. En dépit de sa victoire militaire aux Malouines, l’échec que la Grande-Bretagne subit à Pékin confirme son déclin et l’accession progressive de la Chine au statut de grande puissance.
Valentine Messina
(1) Deng Xiaoping est surnommé le Petit Timonier en référence à son prédécesseur, Mao Zedong, le Grand Timonier.
Bibliographie :
To “Educate” Deng Xiaoping in Capitalism: Thatcher’s Visit to China and the Future of Hong Kong in 1982, Chi-kwan Mark, Royal Holloway, University of London
http://www.universalis-edu.com.ezproxy.univ-paris1.fr/encyclopedie/hong-kong/
https://edition.cnn.com/2017/06/18/asia/hong-kong-handover-china-uk-thatcher/index.html
« How Mrs Thatcher Lost Hong Kong: Ten years ago, fired up by her triumph in the Falklands war, Margaret Thatcher flew to Peking for a last-ditch attempt to keep Hong Kong under British rule – only to meet her match in Deng Xiaoping. Two years later she signed the agreement handing the territory to China », ROBERT COTTRELL, 1992
“The Secret Negotiations that sealed Hong Kong’s future”, CNN, James Griffiths, 2017
« HONG KONG », Encyclopædia Universalis, Pierre SIGWALT : docteur de troisième cycle en études sur l’Extrême-Orient et l’Asie-Pacifique, consultant-formateur Chine, journaliste et Jean-Philippe BÉJA : directeur de recherche émérite au CNRS, Centre d’études et de recherches internationales-Sciences Po
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