QUELLE DIPLOMATIE CULTURELLE EUROPÉENNE POUR L’AMÉRIQUE LATINE ?
Depuis 2011, l’Union Européenne dispose d’un organe diplomatique, le Service Européen pour l’Action Extérieure (SEAE). S’il n’est pas sous le feu des projecteurs, cet organe est en passe de s’affirmer, d’où l’importance des orientations politiques qui seront choisies ces prochaines années. Dans cet article, nous nous attacherons à comprendre pourquoi la diplomatie culturelle semble être un domaine stratégique pour l’Union Européenne (UE), spécialement dans ses relations avec l’Amérique latine.
Diplomatie culturelle : de quoi parle-t-on ?
Champ d’action de la politique étrangère, la diplomatie culturelle n’en est certainement pas le plus connu. Elle présente la particularité de se tourner vers les populations d’un pays au travers des États, et non l’inverse comme la plupart des autres politiques extérieures. Il existe deux conceptions de la diplomatie culturelle. La première, défendue par les organisations internationales comme l’UNESCO, est celle qui envisage la culture comme un bien commun à toute l’humanité; il faut donc mettre en place des politiques publiques pour qu’il soit accessible à tous. En somme, elle ne veut pas servir d’instrument d’influence aux États, contrairement à la seconde conception de la diplomatie culturelle. Celle-ci envisage la culture comme vecteur de soft power, un concept développé par Joseph Nye en 19901, parfois traduit en français par « force de persuasion » ou « manière douce ». Il s’agit de pénétrer les consciences d’une autre nation, de leur imposer une image de soi par les productions culturelles diverses qu’on lui présente volontairement. Ce processus vise à convaincre voire persuader l’autre d’adopter ses propres valeurs et idéaux, donc à servir les intérêts de celui qui mène cette politique. Cette conception est notamment défendue par la France, championne incontestée en la matière qui a fait de la culture un axe majeur de sa politique étrangère dès le XIXème siècle. On lui a d’ailleurs souvent reproché d’assumer cette démarche politique, sûrement parce qu’elle froisse la vision d’une culture volontairement embrassée par simple amour de son prochain, ce à quoi on pourrait rétorquer que « tous les moyens sont bons tant qu’ils sont efficaces»2. L’idée est ici que la culture peut servir le commerce. Le bulletin de l’Alliance Française le formalise dès 1884 en montrant que « la langue française donne des habitudes françaises, les habitudes françaises amènent l’achat de produits français. Celui qui sait le français devient le client de la France ». Transposée à l’UE, c’est cette vision de la diplomatie culturelle comme soft power qu’elle adopterait en Amérique latine.
La diplomatie culturelle supplée aux accords économiques, limités par leur impact écologique
L’Histoire nous montre que l’accord économique reste le moyen le plus usité par les pays pour faire le premier pas. C’est d’ailleurs la raison d’être de l’UE, née du concept même de solidarité de fait qui visait à rendre la guerre matériellement impossible en Europe, en vertu d’une dépendance économique entre les pays pour produire le charbon, matériau essentiel à la fabrication d’armes. Mais l’UE se retrouve aujourd’hui confrontée aux limites des accords commerciaux à cause de leur impact écologique. Les accords de Paris qui, soit dit en passant, ont au moins le mérite d’avoir été conclus à défaut d’être respectés, témoignent d’une prise de conscience de l’urgence climatique au niveau européen. L’idée que tout accord ayant un intérêt économique n’est pas forcément à signer s’impose progressivement. Aussi, l’accord de libre-échange entre le Mercosur et l’UE signé en juin 2019 apparaît en total décalage avec cette réalité écologique. Cet accord prévoit de faciliter l’entrée sur le marché européen des produits latino-américains. Conséquence : un éleveur polonais à qui l’on impose des normes strictes en termes d’agriculture biologique et de traçabilité des animaux se retrouverait en compétition directe avec un éleveur sudaméricain ayant recours aux pesticides et aux antibiotiques, au sein d’une Europe qui se veut plus verte. L’incohérence est palpable. Pour sa défense, les discussions avaient été initiées avant ce réveil écologique, dans les années 2000, la difficulté des négociations n’ayant conduit à un accord que 20 ans plus tard. Mais pourquoi alors s’obstiner à conclure un accord dont on sait pertinemment qu’il est hors du temps, d’autant plus que plusieurs pays ont signifié qu’ils ne le ratifieraient pas. Dans une interview au Grand Continent le 17 novembre 2020, Emmanuel Macron souligne cette incohérence en disant que « si on demande des sacrifices mais que derrière on continue à bâtir des accords commerciaux avec des pays du monde, on est des fous »3. Cette limite des accords économiques, la Commission actuelle l’a bien comprise. C’est pour cette raison que la politique du Green Deal est le premier des trois axes de l’agenda politique d’Ursula von der Leyen, aux côtés d’une économie sociale et du digital. Les accords économiques de l’UE avec l’Amérique latine atteignant leurs limites, il s’agit pour l’UE de se tourner vers une nouvelle stratégie qui prend en compte les limites écologiques. La diplomatie culturelle permet justement d’allier intérêts géopolitiques voire économiques et conscience écologique.
La politique culturelle peut enfin exister au sein du SEAE, institution en pleine affirmation
La naissance du SEAE : la politique étrangère comme nouveau moyen d’action de l’UE
S’en tenir à une union économique n’était pas l’idée des pères fondateurs. Schuman avait conscience dès 1950 que si le prisme économique était nécessairement la porte d’entrée à une union entre les pays européens, ce n’était pas une fin en soi. Il nous faudrait continuer à construire au-delà de cette porte avant d’atteindre une « construction d’ensemble »4. Ainsi l’UE évolue-t-elle au fil des années en une union toujours plus politique. Conditionnée par le principe sacro-saint du respect de la souveraineté des États membres, l’union politique résulte d’un équilibre précaire construit par une somme de concessions des États membres, faisant que pour l’heure, cette construction ressemble bien plus à la tour de Pise qu’à la porte de Brandebourg.
La politique étrangère reste longtemps la grande absente, jusqu’à la naissance du tout premier organe diplomatique en décembre 2010: l’EEAS (European External Action Service), en français SEAE (Service Européen pour l’Action Extérieure). La transformation constante de l’UE -d’une union économique à un organe diplomatique- montre qu’elle sait s’adapter aux défis auxquels elle fait face. Cela nous amène à penser que si la diplomatie culturelle apparaît pertinente pour défendre ses intérêts extérieurs, l’UE saura réaliser les aménagements nécessaires pour la mettre en place.
Avec à sa tête un Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, communément appelé Haut représentant, le SEAE a pour mission de promouvoir les valeurs de l’UE telles que prévues par l’article 10A 1. du traité de Lisbonne5. Structuré en cinq zones géographiques, il dispose aussi d’autres services distincts couvrant des thématiques précises telles que l’aide humanitaire, la défense… ainsi qu’un service consacré à la politique étrangère et de sécurité commune (PESC)6. Simple remarque anecdotique ou non, la culture figure en dernier dans la liste des domaines d’action du SEAE sur son site internet, tandis que la sécurité et la défense est le premier domaine affiché et la protection des droits de l’Homme se place en quatrième. Au sein de la zone géographique « Amériques », L’Amérique latine est divisée d’une part entre le Mexique, l’Amérique Centrale et les Caraïbes, et d’autre part l’Amérique du Sud, en plus d’un service parallèle consacré aux affaires régionales sur le continent. Celui-ci vise les relations avec les organisations régionales et locales (Mercosur, CETA, Unasur, CELAC, EU-LAC etc.). Aujourd’hui, le service n’a toujours pas convaincu ni les gouvernements ni le grand public qui, mais comme le dit le proverbe, “il faut laisser du temps au temps”7, et dix ans ne suffisent pas à avoir le recul nécessaire pour juger de l’efficacité d’une institution naissante.
Une institution naissante qui gagne en puissance
Une des clés du rayonnement de l’institution réside dans la personne du Haut représentant. L’UE souffrant toujours d’un déficit de légitimité, il est essentiel de pouvoir associer le Haut représentant à l’action extérieure de l’UE, autrement dit, que le service extérieur soit centré autour d’une gouvernance forte. De peur que le service ne déplaise d’entrée de jeu aux États soucieux de conserver leur pleine souveraineté en matière de politique étrangère, c’est précisément dans l’optique inverse qu’a été nommée la première Haute représentante : la britannique Catherine Ashton. Par la suite, l’Italienne Federica Mogherini, Haute représentante entre 2014 et 2019, a su à l’inverse donner un nouvel élan à cette institution, en axant sa politique sur la médiatisation du service et son action. Un bilan positif pour Thomas Gomart, directeur de l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI), pour qui la cheffe de la diplomatie européenne « est parvenue à ce que l’Union européenne ne parle que d’une seule voix sur de nombreux dossiers internationaux », et qui a «donné un visage à cette fonction »[8].
Enfin, la nomination de l’Espagnol Josep Borrell en décembre 2019 est sûrement la plus porteuse d’espoir quant à la poursuite de ces efforts. En effet, sa longue carrière politique, surtout en tant que ministre des Affaires étrangères espagnol, lui permet d’asseoir sa légitimité comme Haut représentant non seulement auprès des États membres mais aussi à l’étranger. Concernant l’Amérique latine, sa nationalité seule permet d’espérer un meilleur dialogue entre les deux sous-continents. Josep Borrell bénéficie d’un avantage linguistique dont ne disposaient pas ses prédécesseurs, doublée d’une connaissance approfondie de la région, du fait de la relation privilégiée de l’Espagne avec l’Amérique Latine. Bien qu’il nie le fait que sa nationalité le pousse à avoir à cœur cette région9. Le Haut représentant déclarait trois jours après son entrée en fonction lors de sa première apparition devant le Parlement Européen que « l’Amérique latine est en train de brûler » et que l’UE ne peut rester « indifférente »10.
Les évolutions récentes au sein du SEAE laissent à penser que l’UE s’engage vers une politique étrangère de plus grande ampleur qu’auparavant, spécifiquement envers l’Amérique latine. La diplomatie culturelle, en ce qu’elle est une composante importante de la politique étrangère devrait ainsi suivre cette tendance.
La diplomatie culturelle permet un meilleur dialogue avec les pays, à l’heure ou l’interrégionalisme entre l’UE et l’Amérique latine s’essouffle
Ce n’est qu’en 1999 à la suite du premier sommet bi-régional à Rio que la relation entre l’Amérique latine et l’UE s’institutionnalise, dans le but de promouvoir un dialogue interrégional c’est-à-dire entre deux organisations qui s’expriment d’une seule voix pour tous les États membres qu’elles comprennent. D’un côté l’UE, de l’autre diverses organisations régionales telles que le Mercosur, la Communauté d’États latino-américains et caraïbes (CELAC), la Communauté andine (CAN). Pourtant ce modèle a rapidement montré ses limites principalement à cause de la difficulté de chaque organisation régionale à trouver un consensus en son sein. Un diplomate latino américain confie à ce propos que « très souvent nos négociations s’arrêtent, empêchant tout progrès car nous ne sommes pas d’accord à l’intérieur du groupe de pays CELAC »11. Pour l’UE, les exemples ne manquent pas pour souligner ces difficultés institutionnelles, comme la crispation ces dernières semaines autour du refus de la Pologne et de la Hongrie d’entériner le budget européen. On aboutit à la relation telle qu’elle est aujourd’hui : bien en deçà de son potentiel. C’est pour cette raison que depuis les années 2010 quelques voix dont celle d’Angela Merkel s’élèvent en faveur d’un dialogue plus bilatéral12.
C’est là qu’intervient le SEAE : grâce à ses délégations, le service diplomatique est en mesure de dialoguer avec chaque pays individuellement, et non plus avec une organisation régionale dans son entièreté. Avoir d’autres interlocuteurs que les gouvernements en est un avantage indéniable car ceux-ci sont particulièrement instables voire éphémères en Amérique latine. Pour donner un unique exemple mais emblématique, le Pérou a désigné le 17 novembre 2020 Francisco Sagasti comme chef de l’État par intérim, le troisième à occuper cette fonction en à peine plus de sept jours. Au sein de la politique étrangère, la diplomatie culturelle se prête tout particulièrement à ce type de dialogue. Alors que l’accord économique vise la participation du plus de partenaires possible et se limite globalement à des préférences tarifaires, la diplomatie culturelle quant à elle regorge de possibilités.
La diplomatie culturelle mobilise en effet une multiplicité d’acteurs qui peuvent agir dans des domaines variés. Ces acteurs se situent à des niveaux de décision différents (États membres, régions, villes), jouissant d’une autonomie plus ou moins large vis-à-vis du service diplomatique européen. L’acteur régional qu’est la fondation EU-LAC, (fondation pour l’Union Européenne – Amérique latine et Caraïbes) créée en 2010, a pour objectif dans le domaine culturel « d’établir un débat et de maintenir la consultation des partenaires pertinents en ce qui concerne le rôle de la culture » 13.
On voit ici l’importance de la recherche de l’acteur le plus approprié pour chaque politique, qu’il soit supranational, national régional ou local. Des projets impliquant directement la société civile ont ainsi pu naître dans ce cadre, comme le Citizen Initiative Award, décerné à la plateforme CIVICS qui facilite la mise en place de projets en faveur de la qualité de vie en Amérique latine. La plateforme se présente sous forme de carte virtuelle qui référence les projets mis en place et ceux qui nécessitent encore de la main d’œuvre pour être lancés14. On ne dénombre pas moins de 27 centres culturels à La Paz, capitale administrative. Ils s’adressent à des publics parfois ciblés comme les jeunes ou les femmes, et touchent des domaines tout aussi divers comme la musique, le théâtre, le hip hop, le street art, l’audiovisuel,.. L’association Synethésie (Sinestesia Proyecto) vise par exemple à associer les jeunes atteints de troubles de la perception et de troubles auditifs à un travail de production artistique.
Enfin, la diplomatie culturelle peut faire intervenir des acteurs privés, tant des personnes privées comme des artistes, que des multinationales pouvant d’ailleurs être soutenues par l’UE. L’attrait croissant à l’international pour les séries européennes montre le potentiel de l’audiovisuel européen, là où les Etats-Unis semblaient être indétrônables. On peut notamment citer la série française Versailles, pour laquelle le Parlement européen a contribué au financement à hauteur de 500.000€15 en 2017, les séries allemandes Dark et Unorthodox, ou encore espagnoles comme La Casa de Papel, Elite, Las chicas del Cable qui ont une audience à l’étranger, donc aussi en Amérique latine. En jouant sur l’émotionnel, le cinéma est particulièrement capable de transmettre les valeurs d’une culture. C’est dans cette optique que le SEAS a organisé avec la délégation européenne au Nicaragua la 7è édition du festival du cinéma européen (Muestra de Cine Europeo) accessible en ligne en 2020.
L’autre volet de l’action culturelle -après celui de la multiplicité de ses acteurs- est la diversité des domaines dans lesquels elle peut intervenir. La diplomatie culturelle peut s’exprimer dans tous les domaines de la culture, de l’audiovisuel aux langues nationales et régionales en passant par le patrimoine et la littérature, pour n’en citer que quelques-uns. Pour n’illustrer que ce dernier champ d’action, le Spotlight Initiative est un partenariat entre principalement les Nations unies et le SEAE dont le Haut représentant est à la tête. Il vise à éradiquer la violence des femmes et des filles, donnant lieu à des actions telles que la création d’un observatoire national et régional des violences faites aux femmes au Pérou, ou encore une formation de sensibilisation des agents publics aux violences intrafamiliales au Chili.
L’idée n’est pas là de lister toutes les actions culturelles européennes menées aujourd’hui en Amérique latine, mais bien de montrer que la diplomatie culturelle bénéficie d’une infinité de combinaisons qu’il s’agit dès lors pour l’UE d’explorer et d’exploiter. Ainsi, la diplomatie culturelle se prête plus au bilatéralisme que la diplomatie économique présente jusqu’ici en Amérique latine, de par la pluralité d’acteurs qu’elle implique et les vastes champs d’action qu’elle recouvre.
La diplomatie culturelle permet d’ancrer la présence européenne en Amérique latine à long terme face aux autres puissances
L’Amérique latine est un partenaire stratégique majeur car elle regroupe des pays émergents qui jouent un rôle de plus en plus important sur la scène internationale. La présence de l’UE dans cette région est cruciale pour s’affirmer elle-même en tant qu’acteur sur la scène internationale, et par la même occasion contrer les influences des grandes puissances étrangères sur le continent que représentent les États-Unis et la Chine. Josep Borrell a bien compris cet enjeu lorsqu’il déclare que « l’accord UE-Mercosur a un sens géopolitique profond : aider les deux régions à éviter d’être dans une position de subordination dans la confrontation USA-Chine »16.
Nul besoin de rappeler l’effort des États Unis pour imposer leur modèle en Amérique latine, formalisé par la doctrine Monroe et son corollaire prononcé par T. Roosevelt au XXème siècle. Mais c’est plutôt de l’influence chinoise dont il faut s’inquiéter. Quasiment absente du continent jusqu’aux années 2000, la Chine a réussi à s’imposer comme le premier partenaire de l’Amérique latine. Outre l’explosion des échanges commerciaux, la Chine surnommée le « banquier de l’Amérique latine » mène une politique financière de très grande ampleur dans cette région qui croule sous les dettes. La valeur de ses prêts a dépassé celle des financements de la Banque mondiale et de la Banque interaméricaine de développement ce qui soulève de sérieux doutes quant à la soutenabilité de la dette, lorsque l’on voit par exemple que le Venezuela est endetté envers la Chine à hauteur du PIB équatorien, soit d’environ 75 milliards de dollars. Il est indéniable que l’Amérique latine se retrouve financièrement dépendante de Pékin, ce qui n’empêche pas une opinion publique favorable à sa présence sur le continent17. Cependant selon les experts, pas de diplomatie culturelle majeure, le « soft power chinois reste très soft »18.
Un des axes à mobiliser en premier en Amérique latine serait celui de l’accès à l’éducation car elle transforme lentement mais sûrement le regard sur la culture étrangère, ce qui permettrait sur le long terme de contrer l’influence chinoise grandissante. L’UE a d’ailleurs bien compris la menace que la Chine représente pour ses intérêts : en mars 2019, alors qu’elle se référait jusqu’ici à la Chine comme un « partenaire économique », elle y a accolé le terme de « rival systémique ». En France, la francophonie a été et demeure la politique culturelle principale, à travers l’Alliance française. De nombreux témoignages d’élèves ayant passé leur scolarité dans des établissements français à l’étranger témoignent en effet qu’ils y ont intégré les valeurs de la République, non sans réactions de leur entourage : « quand je défends des idées plus féministes ou progressistes, on me dit que c’est parce que j’étais dans un lycée français »19. A l’échelle de l’UE, s’il semble difficile de promouvoir une langue spécifique parmi les 24 langues officielles présentes dans l’Union, un accès facilité aux universités semble en revanche envisageable. De telles politiques sont déjà amorcées par le SEAE qui augmente chaque année le nombre de bourses Erasmus à destination d’étudiants latinoaméricains. Selon le site du service, en 13 ans, 270 bourses ont pu être accordées à des étudiants Nicaraguayens. On peut espérer un renforcement de cette politique, alors que le programme Erasmus a fêté en 2017 ses 30 ans d’existence.
Ainsi, par le biais de son service diplomatique, la diplomatie culturelle apparaît pour l’UE un axe pertinent pour développer ses relations avec l’Amérique latine. La relation économique atteint tout d’abord ses limites, tant sur ce qu’on pourrait appeler le fond de son action (le but est l’augmentation des échanges ayant un impact écologique négatif), que sur la forme quant à sa manière de procéder (interrégionalisme qui s’essouffle). Mais surtout, la diplomatie culturelle peut représenter le futur des relations entre ces deux régions. Elle permet de fait tout un panel d’actions qui mobilisent une multiplicité d’acteurs et offre plusieurs angles d’attaques aux décideurs publics. Au vu du nombre croissant de projets dans ce domaine, l’UE semble progressivement entrevoir le potentiel de la diplomatie culturelle, bien que les initiatives culturelles restent minoritaires par rapport aux autres politiques étrangères. Si, pour justifier la domination de ces autres politiques étrangères au détriment de la diplomatie culturelle, des limites financières peuvent être soulevées, il est grand temps de considérer la diplomatie culturelle comme un réel vecteur des intérêts européens à l’étranger. Celle-ci offrirait à l’UE un double retour sur investissement car elle bénéficierait d’une légitimité accrue non seulement en son propre sein en faisant front commun, mais aussi auprès des Etats tiers, tant l’Amérique latine que les USA ou la Chine. Reste à suivre de près l’évolution d’une diplomatie culturelle européenne en pleine construction, particulièrement mise à mal ces derniers mois.
Chloé Daval
NOTES DE BAS DE PAGE
1 Jospeh Nye, Bound to Lead: The Changing Nature of American Power, New York, Basic Books, 1990
2 Citation de Jean-Paul Sartre
3 Interview à retrouver sur https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/11/16/interview-du-president-emmanuel-macron-a-la-revue-le-grand-continent à la minute 30:18
4 «L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble: elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait.» Déclaration Schuman du 9 mai 1950
5 « la démocratie, la primauté du droit, l’universalité et l’indivisibilité des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le respect de la dignité humaine, les principes d’égalité et de solidarité, et le respect des principes de la Charte des Nations unies et du droit international» article 10A 1. du traité de Lisbonne de 2007
6 Pour la liste complète, cf le site de EEAS https://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-homepage/area/foreign-affairs_fr
7 D’après Don Quichotte de Cervantès « me parece muy áspera esta medicina y será bien dar tiempo al tiempo » (« ce remède me paraît fort sévère et il sera bon de donner du temps au temps »).
9 Source : https://es.euronews.com/2019/12/05/josep-borrell-america-latina-esta-incendiada-y-la-ue-no-puede-ser-indiferente « No lo digo porque sea español: Europa tiene que prestar mucha más atención a América Latina » America Latin esta « incendiada : se mezclan conflictos étnicos, sociales y políticos » y Europa « no puede permanecer indiferente ».
10 cf 9
11 Source : Diplomatie et négociations entre l’UE et la Communauté des États latino-américains et caraïbes : du dialogue interrégional au dialogue interculturel (Andrea Parra-Leylavergne) https://www.cairn.info/revue-negociations-2019-2-page-75.htm
12 La chancelière allemande, Angela Merkel ainsi que les ministres espagnols des Affaires européennes et ibéro-américaines de l’administration Zapatero, respectivement Alberto Navarro et Trinidad Jiménez, ont déclaré à de nombreuses reprises qu’il était temps pour l’UE de remplacer les négociations interrégionales par des tractations bilatérales. https://www.cairn.info/revue-politique-europeenne-2013-1-page-106.htm
13 Citation originale : “Furthermore, we entrust senior officials with the task of establishing debate and maintaining consultation with relevant partners on the role of culture and the creative sectors in the bi-regional relationship” https://eulacfoundation.org/en/culture
14 https://civics.cc/en/#!/iniciativas lien de la carte virtuelle
15 Source : https://eacea.ec.europa.eu/sites/eacea-site/files/list_of_selected_projects_for_website_dl2-2017.pdf
16 Citation originale : “The EU-Mercosur agreement has a deep geopolitical significance: help both regions to avoid being placed in a position of subordination in the US-China confrontation.”
17 « L’Union européenne, l’interrégionalisme et les puissances émergentes ; le cas du « partenariat » euro-brésilien » Sebastian Santander https://www.cairn.info/revue-politique-europeenne-2013-1-page-106.htm
18 Shambaugh David, China goes global, the partial power (Oxford University Press 2013)
19 D’après le témoignage d’une étudiante à Sciences Po Paris ayant suivi une scolarité au lycée français au Salvador
Autres sources :
https://ec.europa.eu/commission/sites/beta-political/files/political-guidelines-next-commission_en.pdf programme de la Commission Européenne UvDL
https://eulacfoundation.org/en/mutual-understanding-and-visibility-association EU-LAC CIVICS
https://eeas.europa.eu/regions/latin-america-caribbean/88798/muestra-de-cine-europeo-online-y-gratis-para-todo-el-pa%C3%ADs_en 7è Festival du Cinéma Européen 2020 en partenariat avec le Nicaragua
https://www.spotlightinitiative.org/where-we-work?region=latin-america Spotlight Initiative
https://www.bbc.com/mundo/noticias-america-latina-50574118 Cuáles son los países de América Latina que más dinero le deben a China (y qué implicaciones tiene esa deuda)
https://theconversation.com/la-tranquille-penetration-chinoise-en-amerique-latine-et-cara-bes-102277 La tranquille pénétration chinoise en Amérique latine et Caraïbes
https://www.pewresearch.org/global/database/indicator/24/ enquête d’opinion sur la présence chinoise en Amérique latine
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