Indépendance du Québec : où en sommes-nous après les échecs référendaires ?

Indépendance du Québec : où en sommes-nous après les échecs référendaires ?

Par Clovis DE BRYAS

La question de l’indépendance du Québec sous-tend l’Histoire de la Nation francophone nord-américaine depuis la cession de la province aux Britanniques suite à la défaite française lors de la Guerre de Sept Ans (1756-1763). La mort tragique du marquis de Montcalm le 14 septembre 1759 aux Plaines d’Abraham a personnifié le martyr d’une Nation qui deux-cents ans durant n’a cessé de faire valoir son particularisme alors-même qu’un bloc anglo-saxon l’encercle. À travers les deux derniers siècles, les épisodes de résistance n’ont pas manqué et rappellent à tout indépendantiste résigné que la question de la souveraineté du Québec transcende les époques. La Rébellion des Patriotes[1], la Revanche des Berceaux[2], le refus d’un grand nombre de Français-Canadiens de s’enrôler dans l’armée canadienne lors de la Grande Guerre ou encore la Crise d’Octobre en 1970[3] sont des manifestations politiques et des exemples proéminents du caractère distinct du Québec en Amérique du Nord. La question de l’indépendance a atteint son point culminant à la fin du siècle dernier, alors que deux référendums organisés en 1980 et 1995 ont vu le peuple québécois voter contre la souveraineté. Tandis que le premier dirigé par René Lévesque, figure historique du nationalisme québécois (acteur de premier plan de la Révolution tranquille des années 1960) s’est soldé par une nette victoire du non, le deuxième n’a acté le rejet de la souveraineté que par une très courte majorité, à 50,58% des voix. Vingt-huit ans plus tard, la possibilité d’un tel scénario semble loin : le Parti québécois (PQ), dont le cheval de bataille est l’indépendance, n’a que trois députés sur 125 à l’Assemblée nationale, bien loin des 80 sièges obtenus en 1981. Ce recul du mouvement indépendantiste sur la scène institutionnelle s’accompagne d’un repli tendanciel de telles idées dans l’opinion publique, illustré par des sondages affichant un rejet constant de toute velléité indépendantiste par la population québécoise[4]. Malgré cela, si la question de l’indépendance du Québec semble derrière, les thématiques occupant le champ politique aux niveaux provincial et fédéral portent toutes la question sous-jacente du statut constitutionnel de la province francophone et appellent à une étude holistique de la question. L’analyse suivante est ainsi divisée en deux sections. Il convient dans un premier temps de dresser un état des lieux de la question de l’indépendance d’un point de vue constitutionnel et de souligner l’impasse dans laquelle se trouve le Québec. Dans un second temps, il s’agira de mener une analyse de la tactique politique de la Coalition Avenir Québec (CAQ), au pouvoir au niveau provincial, qui selon l’auteur peut aboutir à une indépendance de fait, tant la province s’est vue reconnaître des prérogatives et un statut à part au sein de l’État canadien. Ainsi, la tactique politique de la CAQ de s’emparer de thématiques qui auparavant étaient celles des partis indépendantistes a abouti, selon l’auteur, à agrandir le niveau d’acceptabilité du discours indépendantiste au Québec et ainsi à replacer la question de l’indépendance sur le devant de la scène. En d’autres termes, l’action politique du gouvernement de François Legault contribue à la radicalisation des plateformes électorales indépendantistes.

 Le Québec au sein de l’État canadien : une impasse constitutionnelle

            L’Histoire récente du Québec est entremêlée avec la destinée personnelle d’un homme : Pierre-Elliott Trudeau. Enfant du pays et Premier ministre du Canada de 1968 à 1984 (excepté lors d’une courte période entre 1979 et 1980), nul n’a fait couler plus d’encre tant sa politique vis-à-vis du Québec est jusqu’à nos jours controversée. L’épisode du rapatriement de la Constitution du Canada marque l’origine de l’impasse constitutionnelle dans laquelle se trouve le Québec. Le Canada, bien que souverain du fait de son statut de dominion conféré par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867, ne pouvait amender sa Constitution sans l’aval du Parlement britannique. De ce fait, Pierre-Elliott Trudeau dépose en 1980 une motion à la Chambre des communes du Canada demandant le rapatriement de la Constitution, qui fut chose faite après que Westminster eut voté la loi sur le Canada de 1982. Cependant, soucieuses du maintien des prérogatives provinciales, le Manitoba, Terre-Neuve et le Québec saisissent la Cour suprême du Canada, parallèlement au processus de rapatriement de la Constitution, faisant valoir que ce dernier ne peut se faire unilatéralement par le gouvernement fédéral. En septembre 1981, sept juges sur neuf de la Cour suprême concluent dans un arrêt désormais célèbre que le projet d’Ottawa, bien que légal, exigerait un « degré substantiel de consentement provincial », excluant ainsi l’hypothèse de la nécessité d’un accord unanime des provinces pour l’amendement de la Constitution. Sommé de trouver un accord avec les gouvernements provinciaux, Ottawa organise en novembre 1981 une conférence constitutionnelle dite « de la dernière chance », lors de laquelle les gouvernements provinciaux trouvent un accord à l’insu du Québec. C’est la fameuse « Nuit des longs couteaux », lors de laquelle le Québec se serait fait trahir par les neuf autres provinces du Canada, épisode appelé en anglais « kitchen accord », les négociations entre délégations provinciales ayant débuté dans une cuisine. L’accord prévoit ainsi l’introduction d’une charte des droits et libertés[5] (voulue par Pierre-Elliott Trudeau) et n’accorde pas de droit de véto aux provinces pour toute modification constitutionnelle. Cependant, l’accord prévoit pour les provinces une clause dérogatoire, leur permettant de soustraire certaines de leurs dispositions législatives aux exigences constitutionnelles. C’est ainsi qu’est adoptée la Constitution du Canada, en dépit de l’opposition du Québec. Malgré d’ultérieures tentatives de réconciliation orchestrées par le Premier ministre Brian Mulroney, notamment avec les accords échoués de Lac Meech en 1987 et de Charlottetown en 1992, le Québec ne ratifia jamais la Constitution canadienne. Les échecs concomitants de l’adhésion de la province francophone à la Constitution et des référendums pour qu’elle parvienne à la souveraineté expliquent l’impasse constitutionnelle perdurant jusqu’à nos jours. La partition entre Québec et Canada n’a pour autant cessé d’irriguer les débats sur le champ politique fédéral afin de résoudre ce casse-tête constitutionnel. Cette résurgence constante de la question québécoise s’illustre par de nombreux exemples, comme la motion déposée par le Premier ministre du Canada Stephen Harper à la Chambre des communes du Parlement canadien en novembre 2006, qui dispose que « les Québécoises et les Québécois forment une nation au sein d’un Canada uni ». À ces considérations juridiques, qui témoignent du rôle singulier du Québec dans la politique canadienne, s’ajoutent un décalage marqué entre les cultures politiques anglo-saxonnes et françaises. Cette dichotomie, qui prend forme à travers de nombreux sujets, s’est par ailleurs intensifiée lors des dernières années et fait planer la question du statut du Québec au sein du continent nord-américain. 

La Reine du Royaume-Uni Élisabeth II et le Premier ministre du Canada Pierre-Elliott Trudeau signent la Loi de 1982 sur le Canada, réalisant ainsi le rapatriement de la Constitution du Canada. / Source : Wikipedia

La tactique de la CAQ : vers une indépendance de fait ? 

            Au niveau fédéral, le Bloc québécois, parti indépendantiste ne présentant des candidats qu’au Québec, est revenu sur le devant de la scène en envoyant 32 députés à la Chambre des communes en septembre 2021. Ce résultat fait de lui le deuxième parti d’opposition et assure sur le plan fédéral une constante présence des problématiques liées au sort du Québec. Cependant, les rapports de force quant à la question de l’indépendance de la province francophone s’analysent au niveau provincial, et de manière classique concernent l’antagonisme entre fédéral et provincial. 

Au niveau provincial, la dernière élection d’octobre 2022 a confirmé la popularité de François Legault, la CAQ obtenant 90 sièges sur 125, permettant au Premier ministre sortant de gouverner aisément pour quatre ans de plus en s’appuyant sur sa majorité absolue. Cette montée en puissance de la CAQ lors des dix dernières années a métamorphosé le champ politique, jusque-là caractérisé par le duopole PQ/Parti libéral du Québec (PLQ). Ainsi, la CAQ de François Legault, ancien péquiste[6], a ramené les thématiques nationalistes au centre de l’échiquier politique, contribuant de ce fait à l’enhardissement des discours indépendantistes, aboutissant à l’élargissement de la célèbre fenêtre d’Overton[7]. Cet agrandissement du champ des possibles dans les discours et pratiques politiques s’est traduit par l’abolition du serment obligatoire au monarque du Royaume-Uni par les députés québécois en décembre 2022, condition jusque-là obligatoire pour siéger à l’Assemblée nationale, au visa de l’article 128 de la Loi constitutionnelle de 1867. Loin d’être anecdotique, le passage de l’assermentation du roi au peuple québécois est un symbole fort et marque une avancée, tant le projet de loi pour mettre fin à ce serment déposé par le parti Québec solidaire lors du dernier mandat était resté lettre morte. Réclamée par les trois députés du PQ et largement médiatisée, cette abolition a été déposée par le ministre québécois des Institutions démocratiques, Jean-François Roberge, alors même que la CAQ envisage officiellement l’avenir du Québec au sein du Canada, pays dont le chef de l’État est pourtant le monarque britannique. 

 En outre, les thématiques majeures dont s’est emparé le gouvernement de François Legault témoignent d’une normalisation de discours relevant auparavant du narratif indépendantiste. Dans un premier temps, la question de l’immigration est omniprésente dans le débat public québécois et s’est par exemple récemment illustrée autour du débat sur le Chemin de Roxham, voie de passage de migrants provenant des États-Unis. Cette question, qui semble existentielle pour le gouvernement Legault, en témoigne sa lettre récente au Premier ministre Justin Trudeau[8], n’est pas sans lien avec les projets de sociétés distincts portés par le gouvernement fédéral et celui du Québec. Alors que le premier affiche sa volonté de faire du Canada le premier pays « post-national »[9], le second exprime régulièrement son refus d’une immigration trop élevée, invoquant le déclin du français au Québec ainsi que la protection des valeurs universalistes portées par la province[10].

         Le Premier ministre du Canada, Justin Trudeau, et le Premier ministre du Québec François Legault / Source : LaPresse.ca

En effet, les valeurs défendues par François Legault sont à rebours de celles portées par Justin Trudeau, et illustrent une rupture entre le Québec et le reste du Canada. La laïcité en est le parfait exemple, tant la conception québécoise concernant la place du religieux est proche de celle qui existe en France, s’inscrivant en faux des sociétés anglo-saxonnes par essence plus libérales ou individualistes. Adoptée le 16 juin 2019 par l’Assemblée nationale, la loi sur la laïcité de l’État, dite loi 21, a cristallisé toutes les attentions. La loi 21 interdit notamment le port de signes religieux chez les fonctionnaires en position d’autorité et a valu au Premier ministre québécois de nombreuses critiques présentant la laïcité comme un cheval de Troie d’un racisme propre à la province francophone. Les débats autour de la laïcité ont par ailleurs resurgi lors de la nomination par Justin Trudeau d’Amira Elghawaby en tant que « représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie », qui avait déclaré en relation à la loi 21 que « la majorité des Québécois sont guidés par un sentiment antimusulman », dans une chronique[11] ou publié sur un réseau social « avoir « envie de vomir » quand on rappelle que les canadien-français ont été victimes de l’impérialisme britannique »[12]. La prise de fonction d’Amira Elghawaby a été suivie par une motion de l’Assemblée nationale réclamant sa révocation[13]. Cette thématique semble creuser l’écart existant déjà entre le fédéral et le provincial, cette nomination étant perçue comme un affront par Québec. La loi portée par la CAQ a par ailleurs inscrit dans le marbre pour la première fois la laïcité de l’État québécois, marquant un événement singulier en Amérique du Nord. 

            La défense du français fait de même partie des thématiques qui, bien que plus classiques au Québec, permettent aux groupes d’opposition de s’enhardir quant aux idées qu’ils introduisent dans le champ public. La loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, dite loi 96 a fait couler beaucoup d’encre en ce qu’elle renforce la Charte de la langue française (appelée loi 101). De manière plus importante cependant, la loi 96 modifie unilatéralement la Loi constitutionnelle de 1867 en y inscrivant la reconnaissance de la nation québécoise et le statut du français comme seule langue officielle du Québec, en ayant recours à la clause dérogatoire issue des négociations lors du processus de rapatriement de la Constitution.

            La CAQ fait en somme sienne des thématiques éminemment liées au statut même du Québec et permettant d’ouvrir la voie à une normalisation des débats sur le statut de la province sur le champ public, marginalisés ces dernières années et nécessaires en raison de l’impasse constitutionnelle dans lequel se trouve actuellement le Québec. Ainsi, François Legault semble fonder sa stratégie sur l’idée de s’affranchir petit-à-petit de la tutelle d’Ottawa pour parvenir à une indépendance de fait, alors que la voie électorale vers l’indépendance semble barrée. Répondant à une question de Paul Saint-Pierre Plamondon, chef du PQ, François Legault déclara : « j’ai déjà milité avec cette stratégie-là puis je me suis rendu compte, après deux défaites référendaires, qu’il y a peut-être d’autres moyens qui sont plus efficaces pour faire des gains »[14], acceptant quelques instants plus tard que l’indépendance était une option qui était toujours valable. De surcroît, alors que le dérèglement climatique nécessite d’être pris en compte de manière urgente, le Québec, opposé à l’implantation de gazoducs sur son territoire[15], ne semble pas vouloir partager la trajectoire du Canada, qui demeure un des chefs de file dans la production mondiale de pétrole et de gaz. Malgré une vive résistance du pouvoir central canadien à tout projet d’affranchissement de sa tutelle, il n’est peut-être pas fantaisiste d’envisager une émancipation progressive du Québec vis-à-vis d’Ottawa. En toute hypothèse, il n’est pas farfelu de penser qu’en cas d’indépendance de la province francophone, la France se réjouirait de la naissance d’une Nation cousine[16].

Clovis DE BRYAS

Notes

[1] La Rébellion des Patriotes désigne les soulèvements des rebelles canadiens-français au Bas-Canada contre la Couronne britannique en 1837 et 1838.

[2] La revanche des berceaux désigne le mouvement favorisant des familles prolifiques, qui contribua à contrer la domination anglaise après la conquête britannique de la Nouvelle-France.

[3] La crise d’Octobre fait référence à une suite d’événements s’étant produits au Québec, à l’automne 1970, culminant, en octobre 1970, avec les enlèvements du délégué commercial britannique James Cross et du ministre du gouvernement québécois Pierre Laporte, qui sera ensuite assassiné. Le premier ministre fédéral, Pierre Elliott Trudeau, décide alors de déployer les Forces armées canadiennes et impose la Loi sur les mesures de guerre, une première en temps de paix dans l’histoire canadienne.

[4] https://lactualite.com/politique/souverainete-les-electeurs-de-la-caq-et-de-qs-sont-divises/

[5] Cette charte a été largement dénoncée au Québec comme instaurant une vision multiculturelle du Canada (prônée jusqu’à nos jours par Justin Trudeau), à l’encontre du narratif jusque-là primant des deux peuples fondateurs français et anglais d’un Canada biculturel. 

[6] Les péquistes sont les adeptes du Parti québécois.

[7]L’idée centrale de la fenêtre d’Overton (forgée Joseph P. Overton, alors vice-président des lobbyistes du Mackinac Center for Public Policy) est que les idées jugées « acceptables » par le plus grand nombre au sein d’une société particulière constituent un ensemble, une « fenêtre », qui peut évoluer au cours du temps. Voir https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/02/16/la-fenetre-d-overton-ou-le-champ-de-l-acceptable-en-politique_6113836_3232.html

[8] https://www.journaldequebec.com/2023/02/20/une-lettre-envoyee-a-justin-trudeau

[9] https://www.theguardian.com/world/2017/jan/04/the-canada-experiment-is-this-the-worlds-first-postnational-country

[10] https://www.cbc.ca/news/canada/montreal/francois-legault-immigration-1.6590770

[11] https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2023-02-06/lutte-contre-l-islamophobie/200-personnes-reclament-l-abolition-du-poste-d-amira-elghawaby.php

[12] https://montrealgazette.com/news/quebec/quebec-activists-lawyers-express-support-for-embattled-amira-elghawaby

[13] https://www.lesoleil.com/2023/01/31/lassemblee-nationale-denonce-les-propos-inacceptables-delghawaby-e8620ff8ab57147f06012298d96f78e2

[14] https://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/assemblee-nationale/43-1/journal-debats/20230201/341639.html#_Toc126587600

[15] https://www.cbc.ca/news/canada/montreal/quebec-legault-kenney-pipelines-1.5101793

[16] Jacques Chirac avait décidé, en cas de la victoire du « oui » lors du référendum de 1995, de directement reconnaître l’indépendance du Québec, faisant de la France le premier pays à faire de la sorte : https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2019-09-28/en-1995-jacques-chirac-avait-choisi-le-quebec.

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