Fiche de lecture : Arnaud Leveau, Géopolitique de la Corée du Sud, une puissance paradoxale

Fiche de lecture : Arnaud Leveau, Géopolitique de la Corée du Sud, une puissance paradoxale

Arnaud Leveau, Géopolitique de la Corée du Sud, une puissance paradoxale, Paris, Éditions Argos, 2014, 204 p. ISBN 978-2-36614-012-5

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Contexte et auteur

Arnaud Leveau est Docteur en science politique et l’ancien directeur adjoint de l’Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine. Ses recherches portent notamment sur la géopolitique de la péninsule coréenne et les questions de sécurité en Asie Orientale. L’ouvrage reprend sa thèse sur les relations entre la Corée du Sud et les pays d’Asie du Sud-Est qu’il a soutenue en juin 2012 et qu’il a complétée avec les événements récents.

La péninsule coréenne n’a pas vraiment représenté une priorité stratégique pour les Alliés durant la Seconde Guerre mondiale. Dans la seconde moitié du XXe siècle, le développement économique national et le règlement de la question nord-coréenne ont constitué des objectifs primordiaux. Aujourd’hui, la Corée du Sud est membre du G20 et constitue la quinzième puissance économique mondiale. Le « pays du matin frais » se présente comme un pilier de la sécurité en Asie et veut s’affirmer comme un membre actif de la communauté internationale, bien qu’il reste une puissance moyenne émergente encore méconnue. L’auteur pointe ainsi que « l’affirmation de sa nouvelle puissance couplée à la crainte d’être une fois de plus abandonnée par la communauté internationale en cas de nouveau conflit régional est au cœur du paradoxe coréen contemporain » (p.14).

 

Thèse de l’auteur

Arnaud Leveau s’interroge sur la réalité de la puissance moyenne de la Corée du Sud. En effet, comment expliquer le décalage entre son poids économique croissant et sa puissance géopolitique, qui reste encore limitée ? Il explique l’origine de la notion de puissance moyenne à partir de la théorie sur la « transition de puissance » du politologue américain A.F.K. Organski et souligne que « le terme de puissance moyenne est généralement utilisé pour décrire des États qui ne jouissent pas d’un statut de grande puissance, mais qui détiennent une influence relative sur la scène internationale » (p.23). Il présente à la fois les fondements de la puissance sud-coréenne, mais également ses limites liées au contexte régional. L’enjeu est d’étudier la légitimité de la Corée du Sud à s’affirmer comme une puissance moyenne.

Après avoir réfléchi sur quelques éléments de mesure de la puissance comme les ressources naturelles et le softpower, il rappelle que la faculté de cohésion nationale reste forte en Corée du Sud, tandis qu’elle tend souvent à s’amoindrir en Occident. En effet, la politique sud-coréenne est tournée vers la puissance. Les atouts stratégiques de la Corée du Sud sont nombreux.

Tout d’abord, Séoul s’est doté d’une économie moderne et d’une industrie performante. Sa puissance économique s’appuie sur de nombreux chaebols (ou grands conglomérats) présents dans divers secteurs tels que la construction navale, automobile, acier, pétrochimie, électronique… Par exemple, Samsung, Daewoo, Hyundai ou LG jouissent aujourd’hui d’une visibilité mondiale. Aussi la Corée du Sud investit beaucoup dans la recherche-développement, contrairement aux pays européens par exemple. Du point de vue militaire, Séoul détient les ressources nécessaires pour contribuer au maintien de la paix et s’appuie sur une politique d’armement ambitieuse et le développement d’une industrie de défense.

Séoul jouit également du succès de la vague culturelle coréenne (hallyu) avec notamment le succès de la K-pop (le chanteur Psy en est l’exemple le plus visible) en Asie mais aussi en Europe et aux États-Unis. Le cinéma, les bandes dessinées et les jeux vidéo sont également des secteurs culturels dynamiques en Corée du Sud qui fascinent ses voisins. Le projet d’exporter la langue coréenne est par ailleurs un succès en Asie. Il ne faut pas oublier le rôle des forces religieuses dans l’influence coréenne : on trouve en Corée du Sud de nombreux chrétiens (30% de la population) et surtout un nombre important de missionnaires (le deuxième contingent au monde après les États-Unis).

Enfin, l’accueil de grands événements internationaux comme les Jeux Olympiques de Séoul en 1988 – suite au tournant de 1987, l’élection du président Roh Tae-woo et l’orientation vers une politique d’ouverture – puis la Coupe du monde de football en 2002, et prochainement les JO d’hiver à Pyeongchang en 2018, contribue au rayonnement de la Corée du Sud.

Cette ouverture du pays implique des changements de politique intérieure. Autrefois pays d’émigration, la Corée du Sud, qui comptait plus d’un million d’émigrés pendant la décennie 1975-1985, est devenue aujourd’hui un pays d’immigration, et gérer la diversité s’inscrit dans les nouveaux défis coréens.

Malgré l’existence de ces nombreux atouts, c’est l’environnement régional de la Corée du Sud qui explique les limites de son rayonnement politique et stratégique. En effet, cette volonté de puissance coréenne demeure un enjeu de rivalité entre les grandes puissances du Pacifique, notamment la Chine et les États-Unis. La Corée du Nord joue également un rôle essentiel dans toutes ces rivalités géopolitiques. L’auteur rapporte que « la Corée est souvent décrite par un vieux proverbe coréen comme “une crevette nageant entre des baleinesˮ » (p.17).

La relation avec les États-Unis est incontournable, car bien que les débuts aient été difficiles, cet allié apporte la sécurité nécessaire à la Corée du Sud face à la menace nucléaire que constitue le régime de Pyongyang. Soutien traditionnel depuis la guerre de Corée (1950-1953), Washington est le meilleur allié de Séoul sur le plan militaire, nucléaire, économique ou politique. L’actuelle présidente Park Geun-hye, élue en 2013, fille du dictateur Park Chung-hee (1962-1979) voit en les Etats-Unis la matrice de la politique étrangère sud-coréenne. Cette position se distingue de la « politique du rayon de soleil », initiée par le président Kim Dae-jung (1998-2003) et poursuivie par Roh Moo-hyun (2003-2008), l’équivalent coréen de l’Ostpolitik menée par Willy Brandt à partir de 1969.

Il analyse ensuite la montée en puissance de la Chine qui constitue pour la Corée du Sud à la fois une opportunité et une contrainte. L’intérêt chinois est non seulement économique mais aussi intellectuel. En effet, deux millions de Coréens résident en Chine, et cette puissance constitue un partenaire économique essentiel et d’importance croissante. Par ailleurs, les chinois constituent la première population étudiante étrangère en Corée du Sud, avec près de 60 000 étudiants. Cependant, la position chinoise concernant le programme nucléaire nord-coréen, sa volonté de maintenir le statu quo d’une part et, d’autre part, la situation inconfortable de la Corée du Sud, en prise simultanément avec la Chine et les États-Unis, nuisent au développement des relations avec Pékin. Comme le précise l’auteur, « les changements de politiques et l’inconstance de la stratégie sud-coréenne dans sa relation avec la Chine font que cette dernière ne confère pas encore à la Corée du Sud le rôle de balancier de pouvoirs que le pays souhaiterait jouer en Asie du Sud » (p.84).

La Russie et le Japon constituent deux acteurs qui limitent également la volonté sud-coréenne de puissance. L’importance de la Russie réside dans l’existence de ses projets énergétiques dans la région, comme le projet de gazoduc intercoréen. Car la Corée du Sud dépend à 96,4% de l’extérieur pour son approvisionnement énergétique, étant comme le Japon, dépourvue de ressources naturelles. Quant au Japon, à la fois partenaire économique et ancien colonisateur, la Corée du Sud reste pour le moment ferme à son égard suite à des incidents répétés, mais elle sait qu’elle sera sans doute contrainte de s’en rapprocher, notamment en termes sécuritaires.

Enfin, le régime nord-coréen influe beaucoup sur la situation de Séoul. L’expression « paix impossible, guerre improbable » de R. Aron semble caractériser aussi bien la Guerre froide que l’actuelle situation coréenne. En effet, même si le territoire nord-coréen est riche en terres rares, une éventuelle réunification absorberait les ressources sud-coréennes pour trente ans, limitant alors le rayonnement extérieur sud-coréen. Un regain de tensions dans les relations inter-coréennes a mené à un retour en arrière et à l’actualisation du débat sur le programme nucléaire en Corée du Sud, les grandes puissances se révélant incapables de résoudre la question du programme nucléaire nord-coréen.

Après l’élection de Lee Myung-bak en 2008, la Corée du Sud s’est lancée dans une stratégie nommée Global Korea pour développer une diplomatie de réseau et ainsi déplacer l’alliance avec les États-Unis du niveau régional à un niveau global ; cela lui permet de mener une politique d’investissement en Afrique par exemple. Elle cherche à éviter l’isolement face aux grandes puissances d’Asie du Nord ainsi que les États-Unis, et s’est réorientée depuis quelques années vers l’Asie du Sud-Est (Vietnam, Indonésie et Philippines). Dans la seconde partie de l’étude, l’auteur rappelle ainsi que l’intérêt pour l’Asie du Sud-Est a longtemps été limité, mais qu’aujourd’hui, les Sud-Coréens cherchent un équilibre entre l’ouverture au monde et la redécouverte de leurs propres traditions et de leur particularisme. Pour A. Leveau, le pays est « une puissance moyenne traditionnelle n’ayant pas encore acquis le statut de puissance régionale » (p. 180) et qu’en ce sens la Corée du Sud constitue une « puissance atypique ».

 

Avis

L’ouvrage a le mérite d’être riche et très actuel, alimenté par de nombreuses cartes et encadrés qui rendent la lecture dynamique. Cependant, on regrette les nombreuses répétitions – on retrouve parfois des phrases parfaitement similaires au sein de différentes parties – qui révèlent une organisation relativement maladroite, mais ont l’avantage d’aider à mémoriser, au fil de la lecture, la quantité d’informations. Aussi l’introduction est-elle paradoxale. Certes, elle pose les bases du propos sur la puissance en géopolitique et contribue à l’étude de la notion de puissance moyenne, qui constitue un cas d’étude original. Toutefois, l’explosion de problématiques rend l’annonce du discours diffuse. Par ailleurs, l’ouvrage ne fait pas tant référence à la Corée d’avant 1950, ce qui aurait pu compléter la grille de lecture proposée, mais le choix de se focaliser sur la seconde partie du XXe siècle se révèle pertinent quand il s’agit effectivement de s’intéresser aux défis actuels de la péninsule coréenne. Enfin, il est à préciser qu’Arnaud Leveau rédige régulièrement d’utiles articles sur la géopolitique de l’Asie de l’Est qui sont disponibles gratuitement en ligne à l’adresse suivante : http://ens-lyon.academia.edu/ArnaudLeveau pour actualiser le propos.

Léo Rivaud 

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