Netanyahou et le Grand Mufti : la Shoah revisitée

Netanyahou et le Grand Mufti : la Shoah revisitée

Dans le panthéon des plus grands criminels de l’Histoire, Haj Amin al-Hussein, grand Mufti de Jérusalem de 1921 à 1937, vient de faire cette semaine, une entrée remarquée. En effet, lundi 21 octobre 2015, devant le Congrès mondial sioniste, le Premier ministre israélien, B. Netanyahou, a déclaré : “Hitler ne voulait pas exterminer les Juifs, il voulait seulement les expulser. Mais le grand mufti de Jérusalem, Haj Amin Al-Husseini [dirigeant politico-religieux palestinien de 1922 à 1937], a rencontré Hitler [le 28 novembre 1941] et lui a déclaré : ‘Si vous les expulsez tous, ils vont tous venir ici [en Palestine]’. ‘Alors, que dois-je faire d’eux ?’, aurait demandé Hitler. ‘Brûlez-les’, aurait répondu le mufti’.”

Les médias israéliens et internationaux sont rapidement venus corriger les propos du Premier ministre de l’État hébreu en précisant le rôle effectif joué par le Mufti dans l’extermination des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale. En effet, une brève rencontre entre Hitler et le Mufti a bien eu lieu le 28 novembre 1941 au cours de laquelle ce dernier aurait affiché clairement son soutien au régime et à l’effort de guerre nazis dans la perspective de décolonisation de la Palestine. Ainsi comme le résume parfaitement Dominique Vidal dans le Monde Diplomatique, « le mufti a pris fait et cause pour le nazisme, au point d’approuver le judéocide. Ce faisant, il est allé bien plus loin que la logique, certes simpliste, selon laquelle « l’ennemi (allemand) de mon ennemi (britannique) est mon ami ». Si le rapprochement revendiqué avec l’Allemagne nazie semble ne souffrir aucune contestation, faire du Mufti l’instigateur de la “Solution finale” relève de la simple distorsion de l’histoire. Courrier International revient sur ce « dérapage » de Netanyahou en reprenant les principaux arguments avancés par les journalistes et éditorialistes israéliens. Tous les historiens consultés, sans nier son antisémitisme latent, insistent sur la réelle marginalité du Grand Mufti. Ce dernier souffrait alors d’un véritable déficit de représentativité tant politique que religieuse, son hégémonie étant alors largement critiquée par la population arabe. Ainsi, malgré ses nombreux appels à rejoindre les troupes de l’Axe, seulement 6400 soldats arabes vinrent grossir l’armée allemande. Ce chiffre relativement faible, en comparaison des milliers d’engagés palestiniens dans l’armée britannique, vient confirmer l’isolement d’Amin al-Hussein au sein de la population du mandat de Palestine, malgré son titre de Mufti. Dans un article publié dans le quotidien britannique The Guardian, l’historien israélien « postsioniste » Tom Segev décrit ainsi la vision historique de Netanyahou comme un véritable « conte de fées », délié de toute rigueur scientifique.

La rencontre entre Hitler et le Grand Mufti de Jérusalem le 28 novembre 1941
La rencontre entre Adolphe Hitler et le Grand Mufti de Jérusalem le 28 novembre 1941

En Europe, avant cette intervention, le nom de Haj Amin al-Hussein ne revenait que très épisodiquement. Pourtant en Israël son nom est fréquemment évoqué pour servir des idées politiques. En effet, cette figure de la Palestine mandataire a largement été mobilisée et « reconstruite » par la droite israélienne pour en faire un ennemi idéal, champion désigné d’un nationalisme palestinien violent. Dominique Vidal affirme qu’en s’alliant avec le régime nazi, le Mufti a « ainsi porté un tort considérable à la cause du peuple palestinien, comme en témoigne l’exploitation effrénée par la propagande pro-israélienne de cet épisode de sa vie. ». Un article publié en 2011 par le Monde Diplomatique revenait déjà sur l’idéologie sous-jacente à l’utilisation politique du parcours personnel du Mufti. En effet, ce dernier « permettait de présenter les Palestiniens comme coresponsables du génocide hitlérien et, à ce titre, de justifier qu’un « État juif » soit érigé sur le territoire de leur patrie. Ainsi, de nombreuses personnalités du Yishouv avaient exigé qu’il soit traduit en justice devant le Tribunal de Nuremberg aux côtés des principaux dirigeants nazis. Les récents propos de Netanyahou doivent donc être replacés dans cette perspective. Ce « dérapage » révisionniste, alors qu’Israël doit faire face à un soulèvement massif de la Cisjordanie, sert lui aussi des desseins politiques. Désigner un Palestinien comme responsable indirect de la Shoah revient à installer dans les mentalités collectives un parallèle direct avec les attentats au couteau commis ces derniers jours par des Palestiniens. De ce fait, il légitime la répression d’Israël qui ne combat pas un mouvement d’indépendance mais bien une véritable destruction programmée et systématique du peuple juif. D’ailleurs, les principaux leaders palestiniens n’ont pas tardé à réagir à l’image de Saeb Erekat, chef des négociateurs avec Israël : « C’est un jour triste dans l’histoire quand le chef du gouvernement israélien hait à tel point son voisin qu’il en est réduit à absoudre Adolf Hitler, le plus célèbre des criminels de guerre de l’histoire, du meurtre de 6 millions de Juifs durant l’Holocauste”.

Caricature d'Amos Biderman parue dans le journal Ha'aretz
Caricature d’Amos Biderman parue dans le journal Ha’aretz

Enfin, sur un ton plus humoristique, les réseaux sociaux se sont rapidement emparé du sujet en raillant les accusations portées par Netanyahou via le hashtag #TheMuftiDidIt ou l’utilisation de comptes parodiques. Ainsi, l’extinction des dinosaures ou le naufrage du Titanic n’auraient désormais qu’un seul et unique responsable : le Mufti de Jérusalem…

Capture d'écran Twitter
Capture d’écran Twitter
Capture d'écran Twitter
Capture d’écran Twitter

Thomas Gagnière

ClasseInternationale

Sur un sujet similaire

Tour d’horizon de la situation au détroit de Malacca au prisme de l’accélération du projet des Nouvelles Routes de la Soie

Tour d’horizon de la situation au détroit de Malacca au prisme de l’accélération du projet des Nouvelles Routes de la Soie

L’affaire des biens mal acquis – Une histoire sans fin

L’affaire des biens mal acquis – Une histoire sans fin

LE SABOTAGE DE NORD STREAM

LE SABOTAGE DE NORD STREAM

La Sarre : le plus français des Länder ?

La Sarre : le plus français des Länder ?

No Comment

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *