Iran : une école de la nature, une école de la vie

Je vais vous raconter l’histoire d’un homme et de son rêve : celui de recréer une connexion profonde entre les enfants et la nature afin qu’ils soient des êtres en harmonie avec le monde, en harmonie avec eux-mêmes.

« L’éducation dans le vrai sens de ce mot consiste à comprendre l’enfant tel qu’il est, sans lui imposer l’image de ce que nous pensons qu’il devrait être. »
Krishnamurti

 

Cet homme extraordinaire s’appelle Hossein Vahabzadeh. Écologiste de renom, et professeur à l’université, durant plus de 40 ans il enseigne à ses étudiants l’écologie et les sciences de l’environnement.

Fort de son expérience, il réalise qu’il enseigne l’écologie à des étudiants qui n’ont, pour la plupart, qu’une relation théorique avec la nature. Or pour lui, la question essentielle est de savoir comment naît l’amour de la nature chez un être humain et comment se crée cette connexion originelle avec elle. C’est ce qui l’amène à se tourner vers les enfants. En effet, entre l’âge de 5 et 10 ans un enfant développe de multiples facettes de sa personnalité et durant cette période le contact avec la nature semble primordial.

Cependant, il réalise que ce problème est largement négligé par le système éducatif iranien, les écoles conventionnelles considérant ce sujet comme secondaire.

Au sein des familles, le constat n’est pas meilleur: d’une part les enfants des villes ou même des petits villages, sont le plus souvent ultra connectés et passent davantage de temps devant leurs ordinateurs et autres tablettes que dehors. D’autre part, plus que par le passé, les parents ont tendance à surprotéger leurs enfants et à planifier leurs journées.

Selon Vahabzadeh, deux phénomènes principaux seraient à l’origine de ce contrôle croissant : premièrement, la forte régulation du taux de fécondité depuis les années 70 (5 enfants par femme à 1,89 aujourd’hui, quasiment le même niveau qu’en France) permettrait un plus haut niveau d’investissement et de contrôle des parents sur leurs enfants. De plus, pour les familles moyennes et aisées, l’éducation des enfants est devenue un élément primordial régulant la vie quotidienne. En effet, la frange modernisée et urbaine, qui s’oppose à l’islamisation du système éducatif, tente de s’impliquer face à cette école fortement instrumentalisée par l’institution politique. Ces familles tentent de minimiser les effets de l’école en prenant activement en charge l’éducation de leurs enfants au prix d’un conflit indirect avec le système scolaire. Le développement de différentes formes d’éducation non-formelle (cours de musique, de langues étrangères, de dessin…) témoigne de cette volonté (1).

Deuxièmement, un phénomène progressif de déprise rurale depuis les années 1950 a eu pour conséquence la multiplication par 8 de la population des villes. Ce phénomène a indirectement entraîné un fort sentiment d’insécurité des familles vivant en milieu urbain; d’où une plus grande surveillance des enfants. Ces derniers se retrouvent moins souvent livrés à eux-mêmes, passent moins de temps hors-cadre ou dans la nature.

Conscient de cette situation, le professeur Vahabzadeh décide en 2013 de laisser de côté sa carrière universitaire pour se consacrer entièrement aux enfants de son pays.

Et c’est en 2014, après avoir obtenu, non sans mal, un certificat d’autorisation du ministère de l’environnement, que l’écologiste fonde dans la ville de Mashhad, la première école de la nature (madresse tabiat) d’Iran. C’est cette école hors du commun que je suis allée découvrir à l’automne 2016.

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Les enfants jouent devant l’enseigne de leur école: « Kavikonj, madrese tabiat »

Kavikonj c’est le nom donné à cette école de la nature, inspiré du mot « konjkav» qui signifie « curieux» en persan.

Ici, une centaine d’enfants, filles et garçons de 5 à 14 ans profitent chaque mois de ce havre de nature.

L’école est ouverte aux filles jusqu’à l’âge de 14 ans et aux garçons jusqu’à l’âge de 12 ans. La mixité au sein de Kavikonj n’a pas posé de problème par rapport à la réglementation iranienne car l’école de la nature n’accepte pas les garçons au-delà de 12 ans (le code civil iranien fixant l’âge de la majorité à 15 ans pour les garçons).

La majorité des enfants de Kavikonj est parallèlement scolarisée en école conventionnelle et vient après les cours ou seulement les mercredis après-midi. Les familles qui y scolarisent leurs enfants sont pour la plupart de classe moyenne et supérieure. Chaque jour, une contribution financière est demandée aux parents, selon leurs moyens, entre 20 000 et 40 000 Toumans (=5 à 10 euros).

L’école voulant être accessible à tous, a mis en place des systèmes d’aide pour les familles les plus défavorisées (tarifs spécifiques, facilitations de paiement, accompagnement à l’école par le biais d’étudiants bénévoles). Par exemple, durant plusieurs mois, des étudiants bénévoles du groupe de l’Imam Ali sont allés chercher deux enfants d’un des quartiers les plus pauvres de Mashhad pour les amener à Kavikonj.

L’intérêt premier de cette école est de maintenir le lien fondamental entre les enfants et la nature au sein même d’une grande ville et de leur permettre d’expérimenter un mode de vie rural. Aujourd’hui, un enfant habitant en ville est confronté à un problème majeur, qui n’est d’ailleurs pas spécifiquement iranien: il ne fait plus le lien entre un produit brut issu de la nature et un produit commercialisé. Il ne fait plus la relation entre la pomme qu’il mange et l’arbre dont elle provient. Et selon Hossein Vahabzadeh c’est en permettant aux enfants d’évoluer librement dans la nature, de planter et de récolter eux-même leurs fruits et légumes, qu’ils intégreront ce lien essentiel.

Donc à Kavikonj pas question d’enseignement théorique. Le mot d’ordre c’est l’apprentissage spontané : les enfants grimpent aux arbres, se perdent dans leurs feuillages, s’occupent des animaux de la ferme, construisent des cabanes, cherchent des insectes… ils touchent et sentent pour comprendre et apprendre. Le principe est simple mais essentiel: laisser les enfants s’exprimer, jouer, découvrir, toucher, s’organiser, se disputer même..librement. Le mélange des âges permet aux enfants de rentrer dans une logique de coopération et non d’affrontement ou de compétition : les plus petits observent les plus grands, les plus grands apprennent à prendre soin des plus petits. Des “facilitateurs » adultes sont là pour les accompagner au besoin mais en aucun cas ils ne jouent un rôle de professeur ou d’instructeur. En aucun cas ils n’imposent leur volonté aux enfants.

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Les enfants réalisent et construisent en toute autonomie des cabanes dans les arbres.

Le concept d’école de la nature a quatre grands objectifs:

D’une part, sensibiliser les parents : leur faire comprendre l’importance de ce lien avec la nature, les inciter à consacrer autant d’énergie et de temps à le favoriser qu’ils n’en consacrent aux autres activités de leurs enfants.

Deuxièmement réveiller et sensibiliser le système éducatif iranien: inciter les écoles à consacrer une place à la découverte de la nature dans leurs programmes. Les villes disposent généralement de nombreux espaces non exploités (terrains de campus universitaires, parcs, espaces verts) qui pourraient faire l’objet de dons pour la création d’écoles de la nature.

En décembre 2016, le professeur Vahabzadeh est parvenu à convaincre le département des ressources nationales -qui possède les forêts et terres publiques iraniennes-  de léguer aux écoles de la nature certaines parcelles de terres laissées pour compte. Selon l’écologiste, ce sont les mentalités qui doivent évoluer, c’est le concept d’école de la nature qui doit être compris par les autorités pour que celles-ci deviennent des alliés de leur projet.

Mettre à disposition des espaces naturels pour les enfants est essentiel afin qu’ils puissent s’unir à la nature, se considérer comme faisant partie d’elle. Pour cela il faut laisser la nature reprendre ses droits sur certaines zones urbaines.

D’autre part, le professeur Vahabzadeh s’attache à apporter un peu de nature aux enfants qui ne peuvent s’y rendre. Avec l’aide de son équipe pédagogique, il propose donc des « journées découvertes » dans les écoles conventionnelles où les enfants peuvent explorer et découvrir comme s’ils étaient dans la nature puisque « le concept d’école de la nature doit trouver sa place même au sein du système éducationnel classique ».

Troisièmement, la connexion avec la nature n’a pas seulement pour but de faire naître en l’enfant l’amour de celle-ci mais bien de former leur être de manière globale, de permettre la réalisation de  leurs potentiels. Il est primordial pour l’enfant de renouer avec des aptitudes que l’homme a acquises au cours de millions d’années au contact de la nature: sauter, attraper, tenir, cueillir, déterrer, nettoyer, faire du feu etc. Toutes ces activités essentielles à la survie et qui participent de notre être. La capacité à résoudre les problèmes de la vie, à se relever d’une épreuve, la créativité, prennent directement racine dans cette relation intime avec la nature.

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Quatrièmement, agir directement pour la protection de l’environnement en faisant naître des générations d’enfants concernés par l’état de la planète.

En effet, la déconnexion grandissante des nouvelles générations avec la nature a de graves conséquences sur celle-ci. Peter Kahn, psychologue américain, parle ”d’amnésie environnementale générationnelle » (2) : « Les enfants dans les grandes villes grandissent en n’ayant jamais vu les étoiles. » dit-il. Aujourd’hui la plupart des enfants naissent dans un environnement bien loin de la nature vierge. Leur perception de la nature est celle dans laquelle ils sont nés. En grandissant, ils jugent les dommages causés à la nature en fonction de leur représentation initiale de celle-ci. Chaque génération manquant de point de comparaison pour juger, la dégradation environnementale nous est invisible et donc la situation empire. Cette déconnexion prend donc ses racines dans l’enfance et se poursuit à l’âge adulte avec des comportements non éco-responsables.

Ainsi, l’intérêt de l’école de la nature n’est pas d’apporter un enseignement théorique aux enfants. Le professeur Vahabzadeh nous dit : « plutôt que de parler aux enfants des effets néfastes de la pollution environnementale, il faut faire naître en eux la curiosité, la passion de la nature et alors tout le reste suivra. Ainsi, d’enfants passionnés ils deviendront peut être de grands écologistes, biologistes, ou tout simplement des êtres humains impliqués pour la préservation de l’environnement et de la planète. »

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Sur les bancs d’une salle de classe, imaginée au milieu des arbres, les enfants improvisent un cours de langue.

Aujourd’hui une trentaine de villes en Iran ont suivi l’exemple de Kavikonj à Mashhad et ont fondé des écoles de la nature: de Tabriz à Qeshm en passant par Téhéran et Shiraz, des centaines d’enfants expérimentent cette éducation alternative. La ville d’Ispahan a même spécialisé une de ses trois écoles de la nature pour les enfants autistes.

Au départ, les écoles de la nature n’avaient pas de statut légal. C’est à force de détermination et de travail que le professeur Vahabzadeh et son équipe sont parvenus à mettre de leur côté les départements de l’éducation, de l’hygiène et de la protection sociale -qui étaient au départ très peu favorables au concept d’école de la nature- et à acquérir le statut d’école privée.

La ville de Mashhad étant pionnière, elle est désormais le centre de référence pour toutes les écoles du pays. Kavikonj propose ainsi des formations pratiques visant à former les nouveaux participants au projet: communication avec les enfants, formation de comités citoyens pour aider les écoles, recherche de sponsors, etc.

Toutes ces écoles de la nature s’inscrivent dans une même démarche de permaculture humaine: on invite les enfants à prendre soin de la nature et donc de l’humain. En replaçant l’enfant dans un environnement naturel, il peut dès lors réintégrer sa juste place au sein de la nature et comprendre la nécessité de prendre soin de toutes les formes de vie que la terre abrite, sans notion d’ « utilité ». C’est ainsi qu’il peut prendre conscience de sa responsabilité à l’échelle individuelle et mesurer les impacts potentiels de ses actions sur le monde vivant.

La notion de coopération est primordiale et l’observation des écosystèmes naturels participe à sa compréhension profonde par les enfants.

De la même manière, une grande attention est portée aux enfants de manière non-interventionniste: on les laisse avoir conscience de…, observer, vivre et évoluer librement, ce qui est rare dans les institutions classiques actuelles.

La matinée passée avec les enfants de Kavikonj me donne beaucoup d’espoir car j’ai vu des enfants éveillés, sensibles et forts à la fois. Des enfants que je me suis imaginée grands et cela m’a donné confiance en l’avenir. Je me rends compte que l’intérêt de cette école va bien au-delà du simple fait d’enseigner aux enfants l’art de vivre dans la nature. Elle n’a pas pour but de leur faire apprendre une technique ou une profession particulière. L’école de la nature permet à l’enfant une compréhension totale de lui-même en tant qu’élément du grand Tout. Éveiller en eux l’intelligence c’est leur permettre de percevoir l’essentiel: ce qui est. Selon le professeur Vahabzadeh, c’est par une telle éducation que l’on permettra aux enfants d’être des humains créateurs, capables, possédant une intelligence qui ne soit pas formée à une direction, caste ou religion particulière mais qui soit totale.

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« Pour parvenir à la paix réelle dans le monde, il nous faudra commencer par les enfants. » Gandhi.

(1) Monadi Morteza, thèse. 1997. Attitude des parents iraniens face à l’école. Etude de la représentation et de la relation éducative.

(2) Kahn, P.H. 2002. Children’s affiliations with nature: structure, development, and the problem of environmental generational amnesia.

Rox Khorasani*


* Etudiante franco-iranienne intéressée par les formes d’éducation alternatives et la permaculture, elle nous livre là le fruit d’un terrain réalisé au mois d’octobre dernier auprès des enfants qui fréquentent cette école.

 

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