La Hongrie de Viktor Orban, nouvel épisode

La Hongrie de Viktor Orban, nouvel épisode

 

Mardi 4 avril à Budapest, par 123 voix pour, 38 voix contre et 38 abstentions, les députés de l’Assemblée nationale ou Diète hongroise ont adopté le texte de loi interdisant aux universités non européennes de délivrer des diplômes aux étudiants hongrois et internationaux sans accord bilatéral entre la Hongrie et leur pays d’origine. Les licences délivrées par les instituts d’enseignement étrangers ne disposant pas de campus dans leur pays d’origine ne seraient plus reconnues.

Certains jugent que la cible de cette mesure est l’université d’Europe centrale (CEU), fondée en 1991 et subventionnée par le milliardaire américain d’origine hongroise George Soros. De statut privé, l’université a accueilli 14 000 étudiants internationaux depuis sa création. Elle fonctionne grâce à la dotation de 550 millions d’euros de la Fondation Soros.

Depuis plusieurs mois, le Premier ministre de Hongrie Viktor Orban s’attaque indirectement à George Soros. La Fondation du milliardaire finance de nombreuses organisations non gouvernementales de défense des libertés ou de protection des demandeurs d’asile, comme l’Open Society Foundations (OSF). Pour le Premier ministre hongrois, il s’agit d’ « activistes payés par des organisations internationales » pour « faire venir des centaines de milliers de migrants en Europe ». Après les ONG, Orban s’attaque donc à l’université Soros, qui serait son « bras armé en Europe » pour promouvoir un agenda « libéral » tout en récupérant les fonds européens.

C’est dans cette optique qu’Orban a présenté mardi 28 mars ce projet de loi, qui risque d’entraîner la fermeture de cette université. La loi annulerait l’accord entre l’Etat de New York et la Hongrie, accord qui permettait jusqu’ici de délivrer des diplômes reconnus par les deux parties.

Dimanche 9 avril, plusieurs dizaines de milliers de personnes (entre 60 et 80 000) se sont rassemblées pour manifester contre cette loi devant le Várkert Bazár (Várbazár) avant de traverser le pont des Chaînes (Széchenyi Lánchíd) jusqu’au Parlement (Országház) à Budapest. A l’issue de la marche, beaucoup de manifestants sont restés devant le Parlement, reprenant des slogans tels que « More (C)EU, Less Orban », « Orban doesn’t like the CEU. I’m a student, do I like you too ? » ou encore « Ne signe pas, János ! » , demandant au président hongrois János Áder de ne pas valider l’amendement. Un veto de sa part pourrait bloquer le projet de loi.

Photographies des manifestations du dimanche 9 avril, Chloé Desmarets

Une pétition intitulée « Sauvons l’université d’Europe centrale » a recueilli près de 45 000 signatures en moins d’une semaine. Plus de neuf cents universitaires du monde entier, dont dix-huit Prix Nobel, ont apposé leur signature au bas de la pétition pour le retrait  de la loi. Le département d’Etat américain, la Commission européenne et plusieurs responsables européens ont exprimé leur crainte quant à l’application de cette nouvelle mesure du premier ministre hongrois. Face à cette mobilisation pour le maintien de la CEU, certains soutiennent la nouvelle loi de Viktor Orban, montrant une fois de plus les divisions au sein du pays. Les médias progouvernementaux ont critiqué le rassemblement : « Chahut ennuyeux, hystérie libérale » selon 888.hu ou bien « Nous avons assisté à une parade de stars gaucho-libérales dont certaines ont donné des gages à Soros lorsqu’une loi analogue se préparait en 2004. Une manif’ maigrichonne réunissant à peine quelques milliers de Hongrois et d’étrangers se proclamant peuple » selon PestiSrácok.hu.

Toutefois, les manifestations contre cette « loi CEU » n’ont rien changé. Lundi 10 avril, le président hongrois János Áder a validé l’amendement. L’incertitude a plané jusqu’à ce que sa décision soit rendue publique : beaucoup espéraient que le président Áder allait prendre en compte la colère des manifestants face à ce qu’ils dénoncent comme une « attaque contre la liberté d’apprendre, d’enseigner et contre la démocratie », (Hulala). L’historienne Eszter Balazs déclarait dimanche devant le Parlement « Si Áder signe malgré l’ampleur de la manifestation, alors on pourra considérer qu’on est bel et bien entré dans l’autocratie ». Dans son communiqué rendu public par l’agence de presse d’Etat MTI, János Áder dit toutefois que le texte de loi « n’enfreint pas la liberté d’étudier ou d’enseigner », liberté reconnue par la Constitution hongroise.

Dans un communiqué de presse, l’université d’Europe centrale a déclaré vouloir engager des poursuites juridiques contre cette loi « discriminatoire » : « Cette législation constitue une agression politique préméditée contre une institution libre qui fait fièrement partie de la vie hongroise depuis un quart de siècle. […] Nous allons nous y opposer avec tous les moyens juridiques possibles ». L’université devrait quitter Budapest l’an prochain si les mesures nécessaires n’ont pas été mises en place d’ici six mois, comme le dit le journal progouvernement 888.hu : “Les manifestants ont hurlé comme si la CEU allait disparaître demain, alors qu’elle a six mois pour se mettre aux normes”. Vilnius, Vienne et d’autres villes européennes ont déjà proposé d’accueillir l’établissement.

Lisa Verriere

 

Sources :

Hulala, « La ‘loi CEU’ validée par le Président de la République de Hongrie », le 11 avril 2017. URL : https://hu-lala.org/loi-ceu-validee-president-de-republique-de-hongrie/

Courrier International, « Hongrie. A Budapest, l’université Soros en sursis », Joël Le Pavous, le 5 avril 2017. URL : http://www.courrierinternational.com/article/hongrie-budapest-luniversite-soros-en-sursis

Courrier International, « Hongrie. À Budapest, la rue défend “l’université Soros” contre Orbán », le 10 avril 2017. URL : http://www.courrierinternational.com/article/hongrie-budapest-la-rue-defend-luniversite-soros-contre-orban

Magyar Nemzet, “Kormányellenesbe fordult a CEU-tüntetés”, le 10 avril 2017, URL : https://mno.hu/belfold/ader-targyalt-a-ceu-vezetoivel-2394002

Libération, « Hongrie : la loi ‘discriminatoire’ contre l’université Soros promulguée », le 11 avril 2017. URL : http://www.liberation.fr/direct/element/hongrie-la-loi-discriminatoire-contre-luniversite-soros-promulguee_61525/

Le Monde, « Hongrie : le président promulgue une loi menaçant ‘l’université Soros’ », le 10 avril 2017. URL : http://www.lemonde.fr/europe/article/2017/04/10/hongrie-le-president-promulgue-une-loi-menacant-l-universite-soros_5109111_3214.html

Le Monde, « Le gouvernement hongrois s’en prend à ‘l’université Soros’ », Blaise Gauquelin, le 30 mars 2017. URL : http://www.lemonde.fr/europe/article/2017/03/30/le-gouvernement-hongrois-s-en-prend-a-l-universite-soros_5103012_3214.html

ClasseInternationale

Sur un sujet similaire

L’échec de la réforme économique des chaebols coréens de 1997 : stratégies de résistance et d’adaptation des géants sud-coréens

L’échec de la réforme économique des chaebols coréens de 1997 : stratégies de résistance et d’adaptation des géants sud-coréens

Hollywood, the epitome of the United States’ global power

Hollywood, the epitome of the United States’ global power

L’échiquier africain

L’échiquier africain

La Tunisie de Kaïs Saïed : les ressorts d’un autoritarisme nouveau

La Tunisie de Kaïs Saïed : les ressorts d’un autoritarisme nouveau

1 Comment

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *