Vie et mort d’un État, retour sur la disparition pacifique de la Tchécoslovaquie (IV)

Vie et mort d’un État, retour sur la disparition pacifique de la Tchécoslovaquie (IV)

Classe Internationale a décidé de se pencher sur un épisode pacifique de dissolution étatique, celui de la Tchécoslovaquie. Après avoir abordé les trajectoires historiques des peuples Tchèco-Slovaques, les inégalités politiques et économiques de l’état commun et les défis posés par la sortie du communisme ; il faut maintenant revenir sur l’aspect politique de la séparation.

 Le 1er janvier 1993 a vu la disparition de la Tchécoslovaquie au profit de la République tchèque et de la Slovaquie. Elle vécut 74 ans. Contrairement à la Yougoslavie, elle disparut sans violence en dépit d’une opinion publique divisée. D’après les sondages d’époque, seulement 36 % des Slovaques et 37 % des Tchèques souhaitaient l’indépendance, toutefois 80 % de la population considéraient une séparation « inévitable ». Le cas de la Tchécoslovaquie se distingue enfin par son mode de dissolution : les citoyens tchécoslovaques ne furent pas invités à se prononcer sur la fin de leur propre État. Le Parlement la décida.

Deux ans et demi plus tôt pourtant, l’heure était à l’euphorie. Les premières élections libres depuis 1946 étaient organisées et les nouveaux députés, élus pour une législature expresse de deux ans, avaient une double mission : démarrer une transition vers une économie capitaliste et repenser le projet politique tchécoslovaque. Le processus de réforme constitutionnelle s’avère pourtant compliqué. Les politiciens tchèques et slovaques ne peuvent s’entendre sur la question et inscrivent le futur du pays en pointillés. La réforme économique n’est pas en reste car sa vitesse et sa radicalité suscite tant l’admiration que la controverse. C’est précisément l’attitude des politiciens face à ces questions qui va être analysée.

Une révision constitutionnelle poussive

 Les attentes suscitées par la chute du communisme sont grandes, il s’agit de réformer la Fédération pour la rendre viable. Celle-ci se base sur une Constitution votée en 1960 puis amendée en 1968 après le Printemps de Prague. Celle-ci instaurait un fédéralisme qui fut vidée de sa substance par le Parti Communiste [1]. À la chute de ce dernier, la solution fédérale se trouva décrédibilisée alors même qu’elle ne fut jamais correctement appliquée.

Pourtant, le cadre fédéral s’applique toujours et une révision constitutionnelle ne peut se faire sans lui. Le « vote séparé » s’applique et une majorité renforcée des 3/5ème doit être atteinte pour permettre une révision. Une logique de consensus est indispensable car 30 députés peuvent constituer une minorité de blocage [2]. C’est un test grandeur nature quant à la capacité du pays à se réformer et la « Guerre du trait d’union » [3] est symbolique des difficultés à venir.

Une approche « des petits pas » est finalement considérée. Le nouveau Président Václav joue un rôle conciliateur et organise une dizaine de sommets entre août et novembre 1990. Un pré-accord est finalement trouvé le 13 novembre mais suscite la déception, les compétences transférées à l’État fédéral sont limitées [4]. Surtout, les débats politiques « houleux » que ces sommets ont suscité poussent au pessimisme [5]. « Il apparaît clair que les dynamiques induites par le changement de relation entre autorités fédérales et Républiques produiront de nouveaux désaccords » [6].

L’essor de la question nationale slovaque joue un rôle déstabilisateur qui souffle le chaud et le froid dans les négociations. Une partie de l’opposition slovaque appelle de manière sporadique au vote d’une « déclaration de souveraineté nationale ». Entrée en vigueur, elle établirait une primauté des lois slovaques sur celles fédérales. Ces déclarations polarisent le débat et poussent à la prise de position. La classe politique fédérale et tchèque s’indigne, le gouvernement slovaque se trouve lui-même déstabilisé par cette injonction à plus d’autonomie.

Ces déclarations de souveraineté sont un « levier politique » qui fait pression sur les acteurs de la réforme. C’est en outre une bonne manière de tester l’état de l’opposition sur un sujet clivant, quitte à susciter des représailles. Le 19 juin 1991, l’Assemblée Fédérale vote une « loi référendaire » qui oblige les Républiques à tenir un référendum avant de pouvoir se retirer de la fédération. Celle-ci freine l’élan des nationalistes car elle rend obligatoire une consultation populaire avant tout vote de sécession. L’opinion publique étant à cette époque contre une séparation, la loi référendaire coupe l’herbe sous le pied de ceux qui souhaiteraient instrumentaliser la question.

Ceci n’empêche pas l’ancien Premier Ministre Mečiar et 34 autres politiciens slovaques de signer « l’initiative pour une Slovaquie souveraine » le 12 septembre 1991 [7]. La menace d’un vote est encore une fois agitée par une partie de la classe politique slovaque. Le Premier Ministre Tchèque répond et appelle à la fin des politiques redistributives à destination de l’autre République. Le Conseil National Tchèque, lui, déclare inconstitutionnelle toute déclaration de souveraineté alors que le président Havel appelle à la tenue d’un référendum sur la question. Cette proposition est refusée par les partis politiques slovaques de Vladimír Mečiar et du Premier Ministre Čarnogurský, toutes les voies législatives n’ont pas -encore- été épuisées. [8]

Ces derniers font référence à la solution du « traité d’État » qui est promue par le Premier Ministre Čarnogurský. Celle-ci souhaite mettre en place une confédération basée sur la signature d’un « traité d’État » entre deux Républiques indépendantes [9]. La Tchéco-slovaquie serait ainsi le résultat d’une union entre deux États. Ceci consoliderait la légitimité de la République slovaque en prônant une « confédéralisation par le bas » alors que les Tchèques privilégient une approche « par le haut » basée sur une dévolution de compétences.

Initialement rejeté par les Tchèques, un accord de principe quant à la signature d’un traité d’État est finalement accepté le 17 juin 1991. Des mois de négociation aboutissent à la signature de « l’accord de Milovy » le 9 février 1992. Celui-ci accorde à la fédération une compétence exclusive quant à la défense nationale et la politique extérieure. En outre, les deux Républiques jouiraient d’une représentation égale au sein des institutions fédérales comme du droit de faire sécession après référendum populaire [10].

Le présidium du parlement slovaque rejette pourtant l’accord par une voix, les critiques se concentrant sur les trop nombreuses concessions faites par le Premier Ministre Čarnogurský [11]. À y voir de plus près pourtant, une ratification au préalable par l’Assemblée Fédérale et l’absence de personnalité juridique internationale accordé aux Républiques ne semblent pas en contradiction avec le maintien d’un État commun  [12]. Ce refus et la perspective de nouvelles élections parlementaires précipitent alors la fin des négociations.

Le traité d’État agit ici comme un symbole. Symbole de désunion, les politiciens n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur la question. Le feuilleton constitutionnel n’a pas touché à sa fin alors que les élections parlementaires de juin 1992 approchent ; le pays s’enfonce dans une crise institutionnelle.

Transition économique et controverses

 Contrairement à la révision constitutionnelle, les réformes économiques sont plus rapides à mettre en place. À la suite des élections de juin 1990, un consensus aboutit au vote de plusieurs lois mettant en place une logique de marché. Le « scénario pour la réforme économique » consiste tout d’abord en une libéralisation des prix et des salaires, par la convertibilité de la Couronne tchécoslovaque et enfin par l’ouverture aux marchés. Elle démarre le 1er janvier 1991 [13] par l’arrêt du contrôle des prix et du taux de change. Pour aider à juguler l’inflation, une politique monétaire restrictive et une politique fiscale prudente accompagnent la réforme.

Vaclav Klaus, Ministre des finances de l’époque, résumait l’esprit de cette réforme : « Nous avons eu en tête deux pré-conditions indispensables au succès d’une transformation économique : la stabilité macroéconomique et la création graduelle d’une infrastructure visant le fonctionnement d’une logique de marché » [14].

La rapidité et la radicalité de la réforme suscite tant l’admiration que la controverse, mais fallait-il faire différemment ? Le consensus initial disparaît quand les premiers effets se font sentir car les deux Républiques ne sont pas affectées de la même façon. En 1991, l’économie tchèque se contracte à hauteur de 11,6 % contre 14,5 % en Slovaquie. Le chômage, lui, est plus fort en Slovaquie. En 1993, Il touche 14,7 % de la population pour seulement 3,8 % en République Tchèque [15].

Ceci s’explique notamment par les différences structurelles entre les deux économies [16]. La République Tchèque comprend des PMEs compétitives tournées vers les marchés européens quand l’économie slovaque se concentre sur l’industrie lourde, l’armement et les exportations vers le bloc de l’Est [17]. La transition affecte logiquement plus la Slovaquie et ses électeurs souhaitent un ralentissement des réformes. Les politiciens slovaques entrent dans la danse et souhaitent la prise en compte des intérêts de leur République dans la réforme.

Le processus de privatisation des entreprises par l’émission de coupons est par exemple critiqué. Initialement créé dans le but de donner la possibilité aux citoyens de détenir des titres d’entreprises, elle vise aussi à développer un capitalisme sociétal et permettre une meilleure circulation de l’information. L’État, inexpérimenté, pouvait-il privatiser un si grand nombre d’entreprises et demeurer efficace [18] ? Initialement en deux phases, la seconde ne fut réalisée qu’en République Tchèque, la Slovaquie optant pour d’autres méthodes après l’indépendance.

Une vraie tension existe entre les deux Républiques. Les politiciens slovaques, qui voient leur territoire plus durement touché par la transition, souhaitent le maintien de l’État dans l’économie. Ils souhaitent la continuité des aides étatiques (tchèques) afin de minimiser l’impact des réformes et une logique induite par la privatisation par coupon entre en conflit avec l’idée d’une économie dirigiste.

De même, certaines décisions politiques fédérales mettent à mal la cohésion du pays. Le moratoire sur la vente d’armes à l’étranger, décidé en janvier 1990, en est un exemple [19]. Basé sur des motifs moraux, il déstabilise une industrie dont les usines sont implantées à 60 % en Slovaquie. Les exportations passent de 600 millions en 1987 à 50 millions de dollars en 1991 [20] et touchent durement l’économie slovaque.

Logiquement, les politiciens critiquent le manque de prise en compte des intérêts slovaques dans la politique fédérale. Elle suscite la défiance car la production d’arme ne disparaît pas pour autant. Pire, des fuites dans la presse attestent de projets ou de ventes d’armes à l’étranger ; il y a opposition directe entre politique fédérale et politique slovaque [21].

La transition économique et ses enjeux déstabilisent la relation entre les deux nations du pays. Son impact et son instrumentalisation politique font apparaître l’image de deux Républiques ne partageant plus les mêmes intérêts. Blocage constitutionnel et opposition quant à la réforme économique sont les deux faces d’une même pièce [22]. La question nationale slovaque se combine avec celle de la transition économique pour questionner la viabilité du pays.

Élections parlementaires et blocage politique

 Mais revenons tout d’abord sur l’échec de « l’accord de Milovy ». Entraînant l’arrêt des négociations, celui-ci lance la campagne des élections parlementaires de juin 1992. Vladimír Mečiar axe sa campagne sur la promesse d’une autonomie accrue de la Slovaquie. Il promet l’adoption d’une déclaration de souveraineté et d’une constitution, un ralentissement des réformes économiques mais aussi un siège à l’Assemblée Générale de l’ONU [23]. Il n’appelle pourtant jamais à l’indépendance de la République, lui préférant la reconnaissance d’un statut souverain. Malgré l’ambivalence de son programme, celui-ci gagne l’élection avec 33 % des votes.

Du côté tchèque, c’est le libéral Vaclav Klaus et son programme axé sur la continuité des réformes qui l’emporte avec 33,90 % des voix [24]. Un clivage clair est donc apparu, le pays se divise entre droite tchèque libérale et fédéraliste et gauche national-populiste slovaque. Malgré l’absence de majorité absolue, ces deux partis peuvent bloquer toute réforme constitutionnelle par le vote différencié. Le blocage de l’Assemblée Fédérale est inéluctable selon le politiste Jiri Pehe [25].

Le mois de juin voit Klaus et Mečiar se rencontrer plusieurs fois pour discuter le futur du pays. Dès le 9 juin, Mečiar rappelle sa position qui fut une promesse de campagne ; une solution politique confédérale basée sur deux États souverains. C’est l’opposition totale avec la partie tchèque qui qualifie cette promesse de « blague ». [26]

Au sommet de Bratislava du 19-20 juin, toujours dans l’impossibilité de trouver un compromis, ces derniers publient une déclaration appelant à la dissolution de l’État : « L’ODS (parti de Klaus) ne considère pas une confédération basée sur deux Républiques souveraines comme celle d’un État commun mais comme celle d’une union entre deux États distincts. L’ODS préfère à la confédération la solution de deux États indépendants » [27]. La date du 30 septembre 1992 est prise pour résoudre définitivement la question.

Le choix d’un nouveau président de la Fédération est quant à lui un autre sujet de discorde. Avant les élections, le président sortant Havel avait prévenu de manière humoristique un risque de blocage, « avec le système actuel (…) même Winston Churchill croisé avec Jésus Christ ne pourrait être élu » [28]. Le 3 juillet signe l’échec de sa réélection. Le HZDZ, parti de Mečiar, a refusé de voter en sa faveur. Pire, il n’a pas proposé d’autre candidat.

Havel déclare : « Je ne viens pas suggérer le fait qu’il existe une corrélation entre victoire de Vaclav Havel et continuité de la fédération (…) cependant quelque soit mon interprétation, c’est celle-ci qui sera retenue par les concitoyens » [29]. Trois nouveaux votes ont lieu mais aucun d’eux n’obtient la majorité des 3/5ème. L’Assemblée Fédérale est bloquée et incapable de se mettre d’accord sur une personnalité symbolisant l’État commun.

Le 17 juillet 1992, le Conseil National Slovaque met ses menaces à exécution et vote sa déclaration de souveraineté. Vaclav Havel, ouvertement contre une dissolution du pays, démissionne dans la foulée et déclare : « je ne souhaite ni porter la responsabilité d’événements auxquels je ne peux avoir d’influence, ni être un frein à l’évolution historique ou être un simple fonctionnaire attendant l’heure de la retraite » [30].

Le divorce est alors quasiment acté. Lors du sommet de Bratislava le 22-23 juillet 1992, Mečiar et Klaus se rencontrent pour s’entendre sur ses modalités. Klaus pousse un règlement « expresse » de la question afin d’éviter toute incertitude et chaos économique. Il est alors décidé que le 30 septembre 1992 serait la date butoir quant au dépôt d’un texte constitutionnel portant sur la dissolution de la fédération.

Il est intéressant de constater que Mečiar a tenté de s’opposer à une séparation. Inquiet quant aux conséquences d’une séparation totale qui signerait la fin de l’aide financière tchèque, il proposa un nouveau projet de confédération tchéco-slovaque en août 1992 [31]. Celle-ci est rejeté par Vaclav Klaus qui fait preuve d’intransigeance car un divorce est préférée à une confédération dysfonctionnelle par essence. Klaus a le dernier mot et pousse une séparation finale en refusant toute tentative de conciliation. Le « pari confédéral » de Mečiar est perdu, l’État tchécoslovaque termine son existence le 31 décembre 1992.

Une dissolution instrumentalisée par l’élite politique ?

 Selon Katharina Mathernova [32], la clé du divorce vient de la combinaison de deux facteurs : des aspirations politiques divergentes associées à des faiblesses institutionnelles héritées du communisme. L’échelon fédéral reste clé dans l’adoption de textes législatifs mais la négociation politique a basculé vers les Républiques. Le « vote différencié », garde-fou visant à préserver l’égalité entre les Républiques, s’est avéré contre-productif. Certes, la transition économique a démarré mais la révision constitutionnelle est mort-née.

De plus, le dualisme de la Fédération est un « jeu politique à somme nulle car tout ce qui est concédé à l’une des parties ne peut l’être qu’au détriment de l’autre » [33]. À ceci, s’ajoute le fait que les deux Républiques ne sont pas égales en termes démographiques, économiques et géographiques. Les logiques du « Junior Partner » [34] slovaque et de l’opposition centre-périphérie [35] s’appliquent ici. Elles ouvrent la porte à une instrumentalisation des questions économiques ou constitutionnelles du pays.

L’attitude de Vladimír Mečiar durant la période 1990-1993 est ambivalente car elle s’appuie sur des revendications politiques contradictoires. Le terme « indépendance » n’est jamais employé mais la thématique est exploitée afin de gagner en popularité. Rappelons que l’irruption de la question slovaque dans le débat politique au printemps 1991 intervient en pleine crise politique slovaque et c’est à cet instant précis que Mečiar lance son propre parti politique. Ceci lui permet de « surfer » sur la vague.

Le nationalisme slovaque entre dans le cadre de la compétition électorale qui implique une escalade de mots et de revendications. Celui qui se rapproche le plus d’une rhétorique indépendantiste obtient un avantage dans les suffrages. Après la première révision constitutionnelle de 1990, Mečiar tint des propos révélateurs : « La barre était mise à 200, puis révisée à 250, puis nous marchandions jusqu’à 50 et nous obtenions 220 » [36].

Cette attitude a cependant des limites qui se révèlent après les élections de juin 1992. Un an et demi de négociations infructueuses font changer la ligne politique du Forum Civique de Vaclav Klaus. Mečiar avait-il pensé que son homologue tchèque entrerait dans son jeu ? Le Premier ministre slovaque déclara dans un entretien au journal Le Monde daté du 7 juillet 1992 : « Les Slovaques veulent empêcher la désintégration immédiate de l’Etat. Nous proposons la transformation de la fédération en confédération ; les Tchèques proposent soit une fédération, soit deux Etats… Ce qui m’a surpris, c’était l’agressivité de son entourage qui, dès la première rencontre à Brno, a décrété la désintégration de l’État au bout de quarante minutes de discussions, ils ne se rendent pas compte de ce qu’ils font ! Nous ne voulons pas l’indépendance, on nous y pousse ! » [37]

Mečiar a perdu son pari, celui de l’instrumentalisation de la question slovaque aux fins d’obtenir le pouvoir. En outre, son projet politique présentait des incohérences, que souligne le livre publié par l’ambassadeur américain en poste à l’époque: « Cette rhétorique, explique-t-il, n’était pas accompagnée d’une vraie compréhension des nuances et implications des termes utilisés. Quand le HZDZ (parti politique de Mečiar) proposa cette idée de confédération, elle n’était qu’une solution à mi-chemin entre fédération et indépendance dont les caractéristiques correspondaient à une relation entre États souverains. Les Slovaques désiraient une combinaison de choses qui ne pouvaient subsister -sa propre défense ou une adhésion à des organisations internationales- avec le maintien d’une structure fédérale » [38].

Le chercheur Paal Siguurd Hilde émet quant à lui l’hypothèse d’une responsabilité imputable non pas au nationalisme slovaque mais à sa variante tchèque. Vaclav Klaus aurait poussé la fin de l’État commun car il n’offrait plus les conditions nécessaires à la réalisation des intérêts tchèques. Le blocage total de l’assemblée fédérale signifiait la fin des réformes économiques, de nouvelles difficultés vis-à-vis des Slovaques et des obstacles supplémentaires à l’intégration dans l’Union Européenne. Faire cavalier seul était plus efficace que rester dans un État commun. Le nationalisme slovaque, lui, faisait figure de bouc-émissaire tout trouvé [39]. Le point de non-retour était donc atteint : « La Slovaquie peut obtenir son indépendance mais sans une caution politique tchèque » [40]. La désintégration de l’État tchécoslovaque est ainsi une double échec. Même en l’absence d’un consensus national, des institutions politiques robustes auraient créé les conditions d’un accord. Et face à un système institutionnel déficient, un vaste consensus national aurait pu surmonter les désaccords politiques. L’ex-Tchécoslovaquie a cumulé la faiblesse institutionnelle et les divisions.

La question slovaque est donc symbolique de problématiques politiques et nationales restées irrésolues depuis 1918 [41]. La fin de la guerre froide a entraîné une recomposition de la géopolitique centrale-européenne, le vide sécuritaire a créé une fenêtre d’opportunité pour ceux qui souhaitaient mettre la question à l’agenda politique. La transition post-communiste tchécoslovaque s’est ainsi heurtée à des défis constitutionnels et politiques. Une partie de la responsabilité est à imputer à la classe dirigeante malgré le déni réciproque des Tchèques et des Slovaques.

« Je le répète encore une nouvelle fois, je suis absolument désolé de ce qui est en train de se passer » déclara Klaus quand le porte parole du Premier ministre slovaque déclarait « M. Mečiar était de ceux qui voulaient sauver la fédération, mais au sein d’un partenariat qui fonctionne, non entre un fort et un faible » [42].

Quid du peuple et d’un référendum sur la question ?

 Le parlement bloqué, le président Havel chercha des solutions, notamment par la tenue d’un référendum. Il fut une figure morale mais ses pouvoirs de président était cependant faibles, il ne pouvait convoquer lui-même un référendum et ses appels restèrent lettre morte. Pourtant, la loi référendaire de juillet 1991 créait un cadre. Sous réserve d’avoir obtenu un accord par l’Assemblée Fédérale, le président tchécoslovaque avait compétence pour organiser un référendum si des élections parlementaires n’étaient pas prévues dans les cinq mois suivant. En d’autres termes, l’option référendaire était tributaire du vote différencié. Les nationalistes slovaques avaient-ils intérêt à prendre ce risque alors que les sondages martelaient l’hostilité de l’opinion publique sur cette question ?

Havel a tenté de passer outre en proposant une modification de la loi de juillet 1991 [43]. Elle aurait permis la tenue d’un référendum d’initiative populaire [44]. Avec 2 500 000 signatures récoltées, le succès fut au rendez-vous mais les élections approchant, l’Assemblée Fédérale refusa cette initiative le 21 janvier 1992. Après les élections, Mečiar et Klaus tombèrent d’accord pour convoquer une consultation populaire. Elle fut encore refusée le 16 juillet 1992 par l’Assemblée Fédérale car la séparation paraissait actée. Plus tard, Havel rappela le caractère injustifié d’une telle initiative. La séparation étant déjà un fait accompli, pourquoi prolonger l’état d’incertitude pesant sur le climat de cette époque [45] ?

En outre, quand bien même un référendum aurait été possible, rien n’aurait garantit un renouvellement de la classe politique. Cette dernière a brillamment retardé la mise en place d’un référendum qui aurait montré ses faiblesses. L’opinion publique avait, entre temps, évolué. En octobre 1992, 80 % des Slovaques et des Tchèques considéraint une séparation inévitable [46]. Le peuple tchécoslovaque acceptait donc sans enthousiasme, et avec inquiétude une séparation décidée « en haut ».

[1] Voir le 2nd article : « L’occasion manquée du Printemps de Prague ? »

[2] Voir le 3ème article : « Un cadre constitutionnel inadapté et vecteur de blocage ? »

[3] Ibid 3ème article

[4] « Les auteurs citent la Défense, le commerce extérieur, la Banque Centrale, la levée des impôts, la politique douanière et la réforme des prix resteraient dans le giron fédéral. (…) L’accord sur la division des pouvoirs semble avoir réduit les pouvoirs de la fédération à un « petit plus que le minimum ». Toute nouvelle tentative de fragilisation de celle-ci pourrait précipiter une dissolution »

Tiré de : OBRMAN Jan, PEHE Jiri, « Difficult PowerSharing Talks », Radio Free Europe, Report on Eastern Europe, 7 décembre 1990, pp. 5-9

[5] « Petr Pithart a confirmé que le principal désaccord tenait dans les désaccords entre autorités fédérales et politiciens slovaques. Il ajouta que la délégation tchèque avait joué le rôle de médiateur : « Ce fut nous qui maintinrent le contact entre les deux parties et nous avons pris garde à ce que la communication ne soit pas rompue »

Tiré de : Jan Obrman et Jiri Pehe, « Difficult PowerSharing Talks », Radio Free Europe, Report on Eastern Europe, 7 décembre 1990, pp. 5-9

[6] Ibid

[7] PEHE Jiri, « Bid for Slovak sovereignty causes political upheaval », Radio Free Europe, Report on Eastern Europe, 1 Octobre 1991, pp. 10-14

[8] Ibid

[9] MATHERNOVA Katarina. « Czecho ? Slovakia: Constitutional Disappointments », American University International Law, Review 7, no. 3 (1992): 471-501.

[10] EAST Roger & PONTIN Jolyon, Revolution and change in Central and Eastern Europe, London, Pinter Pub Ltd, 1996, p.99

[11] Vladimír Mečiar déclara à la presse : « Čarnogurský a sacrifié les intérêts basiques de la République slovaque ».

Tiré de : YOUNG Robert, The Break-up of Czechoslovakia, Kingston, Institute of Intergovernmental Relations – Queen’s University, 1994, p. 15

[12] MATHERNOVA Katarina, « Czecho ? Slovakia: Constitutional Disappointments », American University International Law Review 7, no. 3 (1992): 471-501

[13] PEHE Jiri, « The Agenda for 1991 », Radio Free Europe, Report on Eastern Europe, 7 décembre 1990, pp. 11-16

[14] New York University Seminar, Economic transition in the Czech Republic and Hungary – Twenty years later , New York, 2012: New York University

[15] KOYAME-MARSH Rita, « The complexities of economic transition, lessons front the Czech Republic and Slovakia », International Journal of Business and Social Science, Vol. 2, No. 19 (2011): p. 5 [en ligne] <http://ijbssnet.com/journals/Vol_2_No_19_Special_Issue_October_2011/8.pdf> Consulté le 2 mai 2017

[16] Voir le 2nd article : « Le défi des inégalités politiques »

[17] SIKULOVA Ivana, FRANK Karol, « The Slovak experience with transition to market economy », Bratislava, Institute of Economic Research SAS, 2013, p. 21 [en ligne]

<http://ekonom.sav.sk/uploads/journals/229_wp_49_sikulova_frank_experience_with_transition.pdf> Consulté le 2 mai 2017

[18] La privatisation, scindée en 2, voit la première vague concerner près de 6000 grandes entreprises publiques.

[19] WHITNEY Craig, « Upheaval in the East : Czechoslovakia, Prague arms trade to end, foreign minister says », New York Times, 25 janvier 1990 [en ligne].

<http://www.nytimes.com/1990/01/25/world/upheaval-east-czechoslovakia-prague-arms-trade-end-foreign-minister-says.html?pagewanted=all>, Consulté le 02 mai 2017

[20] TAGLIABUE John, « Czechoslovakia find profit and pain in arms sales », 19 février 1992 [en ligne].

< http://www.nytimes.com/1992/02/19/world/czechoslovaks-find-profit-and-pain-in-arms-sales.html>, Consulté le 02 mai 2017

[21] KRAUS Michael, « The end of Czecholovakia : International forces and factors » in KRAUS Michael & STANGER Allison, Irreconciliable differences, Lanham, Rowman & Littlefield Publishers, 2000, p. 208

[22] Cité dans : HILDE SIGURD Paal, « Slovak Nationalism and the Break-up of Czechoslovakia », Europe-Asia Studies, Vol. 51, No.4, 1999,p. 656 [en ligne] <http://fbemoodle.emu.edu.tr/pluginfile.php/44354/mod_resource/content/1/Hilde_slovaknationalism.pdf> Consulté le 15 mars 2017

[23] BUGAJSKI Janusz, Ethnic Politics in Eastern Europe : a guide to nationality policies, organizations and parties, London, Routledge, 1994, p. 332

[24] Voir Jiri Pehe, « Czechoslovakia’s political balance sheet, 1990 to 1992 », Radio Free Europe, Report on Eastern Europe, 4 juin 1992, pp. 24-31 pour un tableau complet des résultats des votes et du nombre de sièges gagnés par les différentes formations.

[25] Ibid Pehe, « Czechoslovakia’s political balance sheet, 1990 to 1992 »

[26] Jiri Pehe, « Czechoslovakia, towards dissolution », Radio Free Europe, Report on Eastern Europe, 30 novembre 1992, pp. 84-88

[27] RYCHLIK Jan, « The possibilities for Czech-Slovak Compromise, 1989-1992 » in KRAUS Michael & STANGER Allison, Irreconciliable differences, Lanham, Rowman & Littlefield Publishers, 2000, p. 62

[28] SCHMIDT, William, «  Havel’s future on line in parliamentary elections », New York Times, 6 juin 1992, [en ligne].

<www.nytimes.com/1992/06/06/world/havel-s-future-on-line-in-parliamentary-elections.html> Consulté le 11 mai 2017

[29] « Czech president Havel falls to win re-election », New York Times News Service, 4 juillet 1992, [en ligne].

<http://articles.baltimoresun.com/1992-07-04/news/1992186049_1_havel-czechs-and-slovaks-czechoslovakia> Consulté le 11 mai 2017

[30] « 3-30 juillet 1992 Tchécoslovaquie. Démission du président Václav Havel et accord sur le principe d’une partition », Encyclopaedia Universalis, [en ligne]. <http://www.universalis.fr/evenement/3-30-juillet-1992-demission-du-president-vaclav-havel-et-accord-sur-le-principe-d-une-partition/> Consulté le 11 mai 2017

[31] Jiri Pehe, « Czechoslovakia, towards dissolution », Radio Free Europe, Report on Eastern Europe, 30 novembre 1992, p.86

[32] MATHERNOVA Katarina. « Czecho ? Slovakia: Constitutional Disappointments », American University International Law, Review 7, no. 3 (1992): 471-501.

[33] RUPNIK Jacques. Un bilan du divorce tchéco-slovaque [Transition démocratique et construction d’États-nations]. In: Critique internationale, vol. 2. 1999. La formation de l’Europe. pp. 91-115

[34] Ibid Rupnik

[35] Voir le 2nd article : « Stéréotypes et « représentations » de l’autre en Tchécoslovaquie »

[36] STEIN, Eric, Czecho/Slovakia: Ethnic Conflict, Constitutional Fissure, Negotiated Breakup, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 2000, p.7I

[37] YOUNG Robert, The Break-up of Czechoslovakia, Kingston, Institute of Intergovernmental Relations – Queen’s University, 1994, p.35

[38] HACKER Paul, Slovakia on the road to Independence, An American Diplomat’s Eyewitness Account, University Park, The Pennsylvania State University Press, 2010, p. 72

[39] HILDE SIGURD Paal, « Slovak Nationalism and the Break-up of Czechoslovakia », Europe-Asia Studies, Vol. 51, No.4, 1999,p. 653 [en ligne] <http://fbemoodle.emu.edu.tr/pluginfile.php/44354/mod_resource/content/1/Hilde_slovaknationalism.pdf> Consulté le 15 mars 2017

[40] YOUNG Robert, The Break-up of Czechoslovakia, Kingston, Institute of Intergovernmental Relations – Queen’s University, 1994, p. 36

[41] MATHERNOVA Katarina. « Czecho ? Slovakia: Constitutional Disappointments », « American University International Law Review 7, no. 3 (1992): 471-501

[42] KAMM Henry, « At Fork in Road, Czechoslovaks Fret », New York Times, 9 octobre 1992 [en ligne]. <http://www.nytimes.com/1992/10/09/world/at-fork-in-road-czechoslovaks-fret.html>

[43] MATHERNOVA Katarina. « Czecho ? Slovakia: Constitutional Disappointments », « American University International Law Review 7, no. 3 (1992), p. 496

[44] Pour cela, il fallait avoir obtenu 500 000 signatures en République Tchèque ou 250 000 en Slovaquie.

[45] YOUNG Robert, The Break-up of Czechoslovakia, Kingston, Institute of Intergovernmental Relations – Queen’s University, 1994, p. 37

[46]  Ibid, même page

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