Fin de crise politique en Macédoine ?

Fin de crise politique en Macédoine ?

Le 1er juin 2017 et six mois après les dernières élections législatives, l’Assemblée de Macédoine a finalement investi un nouveau gouvernement, basé sur la coalition formée par les sociaux-démocrates (l’Union Sociale-Démocrate de Macédoine ou SDSM) et les deux principaux partis défendant la minorité albanaise : l’Alliance pour les Albanais (AA), et surtout l’Union Démocratique pour l’Intégration (DUI). Cet événement semble marquer la fin d’une longue et intense crise politique dans laquelle se trouvait embourbé le pays depuis deux ans.

Social Democratic Union of Macedonia with Albanian parties have elected new President of the Parliament Talat Dzaferi
Talat Xhaferi, le jour de son investiture en tant que président de l’Assemblée de Macédoine  (commons.wikimedia.org/wiki/File:Inauguration_of_Talat_Xhaferi.jpg)

Une longue crise politique

Celle-ci débute à l’hiver 2015 lorsque des informations révélant le jeu trouble du gouvernement nationaliste du VMRO-DPNE (Organisation Révolutionnaire Macédonienne Intérieure – Parti Démocratique Pour l’Unité Nationale Macédonienne) sont dévoilées : elles ont été transmises par des agents des services de renseignement à l’opposition qui a révélé l’affaire. Celle-ci couvre notamment des cas de corruptions, la manipulation d’élections et la mise sur écoute illégale de 20 000 citoyens. Les nationalistes, et notamment l’homme fort du pays, le Premier ministre Nikola Gruevski, sont durement touchés par ces scandales, au point que des manifestations massives – jusqu’à une centaine de milliers de manifestants le 17 mai 2015, selon l’opposition, dans ce pays de deux millions d’habitants . Commence dès lors un blocage politique, du fait de l’obstination des nationalistes qui ne tiennent pas à céder un pouvoir qu’ils occupent alors depuis 10 ans. Les États-Unis et l’Union européenne – la Macédoine est candidate à l’adhésion à l’UE et à l’OTAN – font alors pression sur les autorités du pays, et parviennent à obtenir la signature des accords dits de Prizno. Signés par les nationalistes au pouvoir et les sociaux-démocrates qui forment le premier parti d’opposition, ils prévoient la démission du premier ministre Gruevski – remplacé par le numéro deux du parti, Emil Dimitriev – et la tenue d’élections anticipées.

Malgré ces accords, les élections – initialement prévues pour juin 2016 – sont reportées, l’opposition considérant que les conditions n’étaient pas réunies pour permettre qu’elles se déroulent dans de bonnes conditions. Elles ont finalement lieu en décembre 2016, non sans que la crise politique connaisse de nouveaux soubresauts. Ce fut notamment le cas lorsque le président, issu du parti nationaliste, ordonne l’amnistie pour cinquante personnalités, visés par l’enquête du procureur spécial désigné suite aux affaires. Parmi ceux-ci, le premier ministre Gruevski…

Un blocage sur fond de tensions ethniques

La situation n’est pas débloquée pour autant, puisque le résultat des élections est très serré : ni les nationalistes du VMRO-DPMNE ni les sociaux-démocrates du SDSM n’obtiennent la majorité absolue, avec respectivement 51 sièges et 49 sièges sur 120 à l’Assemblée. Le président Gjorge Ivanov charge toutefois le VRMO de former un gouvernement et donc de trouver une majorité, mais celui-ci ne parvient pas à sceller d’accord avec d’autres partis, et s’en montre donc incapable. De leur côté, les sociaux-démocrates s’allient à deux partis, le AA et surtout le DUI, ce qui permet à la coalition de totaliser 67 sièges, suffisant donc pour assurer le vote de la confiance au Parlement. Le président Gjorge Ivanov refuse toutefois de confier la formation d’un gouvernement aux sociaux-démocrates car, selon lui « la Constitution et ma conscience m’interdisent de confier la charge de former un gouvernement à une personne ou à un parti dont le programme prône l’atteinte à la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance de la Macédoine ». En effet, le AA et le DUI sont en fait deux partis représentant la minorité albanaise de Macédoine qui forment plus d’un quart de la population (et dont une partie sont des Kosovars ayant fui la guerre du Kosovo). L’accord négocié avec les sociaux-démocrates revendiquait, avant qu’il ne soit modifié, l’officialisation de l’albanais comme deuxième langue officielle du pays, provoquant l’hostilité des nationalistes et de leurs soutiens, dans un pays où les tensions interethniques sont latentes, et où le gouvernement joue régulièrement sur les peurs de « séparatisme ». En effet, l’ethnie albanaise est majoritaire dans la partie Nord-Ouest, et les nationalistes assoient leur pouvoir en insistant sur les craintes d’un hypothétique rapprochement des Albanais du Kosovo – largement majoritaires dans leur pays – et ceux de Macédoine.

En 2001, ces tensions ont dégénéré en conflit ouvert entre le pouvoir central et les forces de l’Armée de Libération Nationale (UÇK-M) issue de la minorité albanaise, faisant au moins 150 morts. Il s’est alors essentiellement agit d’attaques de l’UÇK-M contre des policiers et des soldats, sans finalement dégénérer en guerre civile. Le conflit ne s’achève qu’avec les accords-cadre d’Ohrid, marquant une reconnaissance accrue de la minorité albanaise et un début de décentralisation – faisant craindre aux nationalistes une autonomie accrue du Nord-Ouest, à majorité Albanaise. Ce sont d’ailleurs sur ces accords, partiellement appliqués, que les partis albanais macédoniens basent leur revendications.

Le gouvernement nationaliste a d’ailleurs accusé de jouer de ces tensions dès lors que la crise politique a éclaté, puisqu’en avril 2015 des affrontements à Kumanovo – Nord du pays – entre la police et un groupe armé se revendiquant de l’Armée de Libération Nationale ont fait dix-huit morts. Mais nombreux sont ceux à soupçonner une opération false flag du gouvernement (lui attribuant donc la responsabilité), lequel aurait ainsi cherché à détourner la colère de la population vers la minorité albanaise.

La sortie de crise

Le blocage se poursuit donc malgré les élections, à tel point que l’Assemblée décide fin avril 2017 de se réunir afin d’élire le président de l’Assemblée, sans l’accord du président, contrairement aux usages. Mais une fois de plus, les tensions ethniques se greffent à la crise politique : alors que la majorité des voix vont à Talat Xhaferi, membre du parti albanais DUI, des manifestants nationalistes envahissent le Parlement et s’en prennent à leurs adversaires politiques. Zoran Zaev, leader des sociaux-démocrates, est alors forcé à quitter l’assemblée, la tête en sang, sous la protection de ses collègues. Les affrontements font au total soixante-dix-sept blessés et le gouvernement est à nouveau critiqué, accusé d’avoir laissé les militants nationalistes toute latitude pour agir.

L’Union européenne, tout en déplorant les violences, salue l’élection d’un nouveau président de l’Assemblée, qui apparaît comme un début de sortie de crise. Chaque parti continue toutefois mobilise ses forces, en multipliant les manifestations tout au long du mois de mai. A la fin du mois, sous la pression de l’opposition, des États-Unis et de l’Union européenne, le président Gjorge Ivanov est néanmoins contraint d’accepter de confier la formation d’un gouvernement à son adversaire social-démocrate Zoran Zaev, permettant à la Macédoine de se doter d’un gouvernement le 1er juin 2017 6 mois après les élections de décembre 2016.

Ce nouveau gouvernement marque donc le retour aux affaires des sociaux-démocrates après dix ans d’absence, et pourrait bien permettre de faire avancer deux dossiers majeurs. D’une part celui de la cohabitation de l’ethnie majoritaire et des Albanais, puisque huit des vingt-cinq nouveaux ministres proviennent de cette dernière et militent activement pour les droits des Albanais.

D’autre part sur celui des adhésions à l’OTAN et à l’UE. En effet, le principal obstacle a toujours été le veto grec, motivé par le nom même de la Macédoine – ce qui explique que le pays soit officiellement nommé « Ancienne République Yougoslave de Macédoine » (ARYM) par la plupart des organisations internationales. Les autorités grecques considèrent d’une part la Macédoine illégitime à revendiquer l’héritage culturel correspondant à ce nom – notamment la Macédoine antique de Philippe II et d’Alexandre le Grand – et surtout, d’autre part, estiment que ce nom exprime une volonté irrédentiste en sous-entendant des revendications territoriales sur la Macédoine grecque. Les autorités grecques ont ainsi toujours milité pour des noms tels que “Macédoine du Nord” ou “Nouvelle Macédoine”. Or, le pouvoir nationaliste a fondé son action internationale sur une fin de non-recevoir des demandes grecques, là où les sociaux-démocrates semblent être bien plus souples.

 

L’ARYM semble ainsi se trouver à un tournant de sa courte histoire, caractérisée par la sortie de la longue crise politique, le retour de la stabilité, le réveil d’un pays longtemps en retrait de la scène internationale – et européenne –, et le début d’une approche plus ouverte sur la question de la cohabitation avec les minorités. Reste à savoir si le nouveau pouvoir aura la volonté et sera en mesure de mettre en adéquation ses intentions annoncées et sa politique.

Arthur Bennet

Sources :

 

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