Suite à la chute du bloc soviétique, les années 1990 furent synonymes de période noire pour la toute jeune Fédération de Russie. Avec un produit intérieur brut (PIB) tombant lentement en désuétude au cours de la décennie, jusqu’à atteindre une division par deux en 1999, la situation du pays relevait d’une sortie de guerre, alors même que la transition politique s’opéra sans violences. Pire encore, la récession économique n’était pas la seule source de crise au sein d’un territoire façonné sur le modèle des institutions communistes tout au long du XXe siècle. Ce malaise s’expliquait également par une quête identitaire, où les tentatives de transition démocratique rimaient avec un sentiment de perdition de la part du peuple russe. Vladimir Poutine comprit très vite ces ressentiments populaires, et n’a cessé depuis d’orienter sa politique autour de cette problématique. Lorsque Boris Eltsine démissionne en 1999, Poutine est élu pour la première fois le 31 décembre de la même année, arborant une figure d’homme providentiel. Personne, cependant, n’aurait pu prévoir qu’il serait encore en capacité d’être réélu dix huit ans plus tard.
Dix huit ans de pouvoir consécutif
Par ses volontés interventionnistes en Tchétchénie, sur lesquelles Poutine a construit son gouvernement et sa politique, il est d’emblée crédité d’une très grande confiance populaire. Après sa présidence par intérim de 1999 à 2000, il remporte des élections présidentielles entachées d’accusations de corruption, le 26 mars 2000 jusqu’au 14 mars 2004, date à laquelle il est à nouveau élu jusqu’en 2008. Ne pouvant se représenter après deux mandats consécutifs, il soutient officiellement Dmitri Medvedev en 2008, qui s’est soigneusement appliqué à prolonger les axes politiques et économiques poutiniens. Le 4 mars 2012, l’ex-président brigue son troisième mandat. La pratique du pouvoir de Poutine s’articule sur une propagande exacerbée, la mise au pas de la sphère médiatique, et un appui oligarchique profond. Mais par-dessus tout, un seul et même discours dégage inlassablement une thématique simple : la Russie doit retrouver sa force d’antan. C’est ce que révèlent les enquêtes d’opinions, car sa popularité atteint des sommets au moment de la guerre de Tchétchénie de 2000 à 2009, ainsi que du conflit à l’est de l’Ukraine de 2014 à nos jour. La succession de ces événements rappelle à quel point la longévité du président est surprenante.
Un scrutin sans beaucoup de suspens
Toute une génération est étrangère à une Russie détachée de l’emprise poutinienne. Il existe ainsi un réel fossé entre une partie de la population active, entièrement dévouée à la cause du parti « Russie Unie », et de jeunes gens désireux de vivre une politique alternative et novatrice. Pourtant, en ce 18 mars 2018, après des sondages le décrivant comme éligible dès le premier tour, tant le fossé était creusé avec ses adversaires, il est préféré aux huit autres candidats avec 76% des voix, correspondant à la confiance de 56 millions de russes. Il est nécessaire de mesurer à quel point l’opposition fut très bien muselée. Effectivement, son unique opposant de poids, Alexeï Navalny, a vu sa candidature refusée par la Commission électorale sous couvert de condamnations pénales, qu’il réfute en bloc. Ses partisans avaient appelé quant à eux au boycott lors de multiples manifestations, car la seule source d’inquiétude de Poutine était liée à l’abstention, qui avait grimpé jusqu’à 52% lors des dernières élections législatives de 2016. Le 28 janvier, place Pouchkine à Moscou, Navalny est arrêté par la police alors qu’il tente de rejoindre les manifestants, démontrant une absence totale de compromis.
Une emprise presque totale
Vladimir Poutine continue aujourd’hui encore, par sa communication et ses actions politiques, de construire une image d’homme fort et garant du salut russe. Nombre de produits dérivés foisonnent dans les vitrines de boutiques souvenirs russes, alors que ce dernier n’hésite pas à s’afficher en pleine partie de chasse, de pêche ou de combat de karaté. Un groupe de cinq cents artistes et intellectuels baptisé « SET », crée chaque jour des œuvres, des bijoux et des produits en tout genre à son effigie depuis 2013. Coût du service selon le journal indépendant Novaïa Gazeta : 20 000 000 de roubles, soit 300 000 euros que le Kremlin injecterait dans la société tous les mois. Pour la journée des forces du Ministère de l’intérieur (la journée du milicien), la députée Anna Kuvychko a publié le 10 novembre une chanson intitulé « tonton vova, on est avec toi », où des enfants en uniforme scandent des paroles au sujet de gloire à la patrie, de culte en l’honneur de Poutine, et de reconquêtes territoriales. Toutes les strates de la population sont touchées, puisqu’un rappeur, Timati, compare l’ancien membre du KGB à un super-héro dans son titre « best friend Poutine ». Tous ces ingrédients réunis sont un simple miroir, les trois quarts de la population souhaitaient sa réélection. En réalité, la seule préoccupation de Poutine concernait un fort taux de participation, véritable signe d’une adhésion populaire cohérente. Outre des accusations de fraudes électorales émergeant aux quatre coins du pays, le succès a été au rendez-vous ce dimanche où le taux a avoisiné les 67%. Le candidat communiste Pavel Groudinine, symbole du mécontentement populaire, a obtenu la deuxième place avec 11,8% des voix. Il est suivi par l’ultranationaliste Vladimir Jirinovski et la libérale Ksenia Sobtchak, ayant obtenu respectivement 6% et 1,6% des voix. Un tel écart, déjà pressenti dans les sondages, explique que Poutine fut plus enclin à multiplier les initiatives visant à favoriser un vote de masse, grâce à l’ouverture de bureaux de vote en Sibérie ou à travers 145 pays du globe, plutôt qu’à mener une véritable campagne présidentielle. Son mandat prendra fin en 2024, et il ne pourra pas se présenter lorsque celui-ci s’achèvera, à moins qu’il fasse changer la Constitution, ou qu’il trouve un remplaçant pour la durée d’un mandat, à l’image de la présidence de Medvedev.
Une élection aux enjeux multiples
En cette période charnière sur le plan économique et diplomatique, les actions de Vladimir Poutine détermineront la place de la Russie sur l’échiquier mondial. Une nouvelle Guerre froide se dessine en toile de fond, bien plus complexe que la précédente car non bipolaire, et dont l’affaire d’empoisonnement de l’ex-espion russe Sergueï Skripal au Royaume-Uni ne représente qu’un infime reflet. Après une annonce émanant de Theresa May à propos de l’expulsion de vingt-trois ambassadeurs russes du territoire britannique, un communiqué fustigeant la responsabilité russe dans l’affaire est sorti ce jeudi 15 mars. Fait exceptionnel, il s’agit là d’un communiqué commun impliquant la parole américaine, française, allemande et anglaise, ce qui laisse présager des difficultés diplomatiques futures.
Malgré tout, une chose est certaine, seul un dirigeant dans la Russie moderne dépassera la longévité du pouvoir de Poutine en 2024, Joseph Staline.
[ EDIT – 30/03/2018] La crise diplomatique s’envenime avec l’Occident
Une mesure est prise le 23 mars par les Etats-Unis et quatorze pays de L’union Européenne, dont la France, prévoyant de se joindre à l’initiative britannique dans le processus d’expulsion de diplomates russe. Suite à l’affaire Skripal, c’est donc une trentaine d’entre eux qui serait exclue de l’UE, tandis que la Maison Blanche envisage d’en renvoyer soixante, pour un total de 140 expulsions. Jeudi 29 mars, le Kremlin riposte, expulse 60 diplomates américains de son territoire et ferme le consulat des Etats-Unis à Saint-Pétersbourg. Des sanctions visant les autres pays européens qui ont pris part à ces sanctions, dont la France, doivent suivre. La crise diplomatique constitue un risque sérieux pour la sécurité collective européenne.
Eddie Berliocchi
BIBLIOGRAPHIE
- Mandraud Isabelle, Election en Russie : “Vladimir Poutine obtient son plébicite”, Le Monde, 19 mars 2018
- Mandraud Isabelle, “Election présidentielle en Russie: participation à la hausse, selon la commission électorale”, Le Monde, 18 mars 2018
- Dorman Veronika, “Russie : des élections de routine, mais des préoccupations pour Poutine”, Libération, 19 mars 2018
- Toulet Alexis, “Présidentielle en Russie : le marketing électoral de Vladimir Poutine”, Agoravox, 12 mars 2018
- Mandrau Isabelle, “La campagne permanente de Vladimir Poutine”, Le Monde, 12 décembre 2018
- Gyldén Axel, “Election présidentielle en Russie: Poutine et les figurants”, L’Express, 12 novembre 2017
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