Dans son livre Effondrement paru en 2005, Jared Diamond analysait les facteurs qui ont pu conduire à l’effondrement de civilisations prospères dans l’histoire, et mettait notamment en avant le facteur du changement environnemental. Il invitait également à réfléchir sur les conséquences du changement climatique et à la manière dont réagissent nos sociétés.
On peut lire de plus en plus d’articles liant des conflits récents aux changements environnementaux, qui vont parfois jusqu’à exprimer une causalité presque directe entre le changement climatique et la survenue d’un conflit. Quel est l’état de la recherche scientifique sur le sujet ?
Les corrélations entre les changements environnementaux et les conflits [1] sont un champ de recherche récent, débutant dans les années 1980. Si les résultats sont discutés et nuancés, les conclusions de ces recherches tendent à déconstruire la croyance selon laquelle le changement climatique serait source de conflits.
Tout d’abord, les recherches récentes ont observé que le changement climatique peut effectivement aggraver le risque de conflits et que ce lien se consolide en même temps que les effets du changement climatique se font davantage ressentir. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas parce que changement climatique est directement la cause de guerres, mais parce qu’il a un impact sur les facteurs de risque. Par exemple, quand les ressources se raréfient, ce qu’entraîne parfois le réchauffement climatique, la lutte pour l’accaparement des ressources peut être plus conflictuelle. Le conflit au Soudan (2007) a ainsi été analysé comme étant directement lié à la concurrence pour l’obtention de ressources naturelles. En effet, la désertification, conséquence visible du changement climatique, a causé des problèmes de subsistance de certaines populations qui ont dû migrer pour trouver d’autres terres, provoquant des tensions voire des conflits.
De même dans les régions arides et semi arides d’Afrique de l’Est, une corrélation entre conflictualité et climat a été observée en raison des précipitations. En cas de précipitations largement supérieures à la moyenne, on observe que les tensions communautaires augmentent dans les années qui suivent. Au contraire, en cas de faible pluie, les années suivantes sont marquées par un amoindrissement des conflits. Ces constats ne sont néanmoins valides qu’à l’échelle interne d’un pays, et les raisons expliquant cette relation n’ont pas encore été établies. On observe donc empiriquement un lien possible entre changement climatique et conflits, mais il ne s’agit pas d’une causalité directe. De fait, les variations climatiques augmentent le risque de guerre civile car la plupart des facteurs qui accroissent le risque de violences y sont sensibles. C’est notamment le cas de la réallocation des ressources.
D’un autre côté, les réponses apportées au changement climatique peuvent aussi avoir un impact sur le risque de conflits. Elles entraînent, en effet, une réallocation des ressources qui peut engendrer des tensions, en aggravant par exemple les inégalités d’accès à ces ressources. Cela a plus de chances de survenir dans les zones où les institutions sont peu efficientes.
Il semble ainsi que tout ce qui provoque un changement dans l’allocation des ressources soit un facteur qui peut mener à un conflit : autant le changement climatique lui-même que les solutions qui y sont apportées. Mais il ne s’agit que d’une relation faible, et qui peut jouer dans l’autre sens : on a en effet des cas où le changement climatique a pu encourager les parties prenantes à coopérer. Ainsi, dans certaines circonstances, des désastres climatiques peuvent fournir l’occasion de négocier une paix dans les situations conflictuelles et d’améliorer les institutions de gouvernance. Une recherche [2] menée sur des États de 1948 et 2008 montre que la coopération transfrontalière sur l’eau, particulièrement sur la gestion conjointe et le contrôle des crues, peut former une base pour une coopération de plus long terme sur des sujets plus conflictuels. L’exemple le plus célèbre est celui de la gestion de l’Arctique – région cruciale dans le changement climatique -, qui se fait sur la base d’un mode coopératif avec le Conseil de l’Arctique.
De fait, les causes d’un conflit sont enchevêtrées et il est difficile d’isoler un facteur particulier. En conséquence, mesurer l’impact des changements environnementaux sur les conflits est une tâche ardue, et les études sur le sujet sont rarement d’accord entre elles. Ainsi, François Gemenne, spécialiste de la géopolitique de l’environnement et président du think-tank Ecosphere, conclut qu’un monde plus chaud sera un monde plus violent [3]. Au contraire Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la Recherche Stratégique, observe qu’historiquement ce sont les mondes plus froids qui ont été plus violents. Les effets du changement climatique sont visibles depuis près de trente ans, or il estime que depuis cette période, la tendance au conflit est à la baisse.
D’une manière générale, les études concluent plutôt que ce sont principalement les facteurs sociaux, économiques, politiques et géographiques qui influencent la probabilité de conflits, davantage que le changement climatique lui-même. Dès lors, le changement climatique, lorsqu’il a un impact sur la conflictualité, n’est pas déterminant dans le déclenchement de guerres. Il en va ainsi dans le cas du conflit syrien : d’après les études sur le sujet, la sécheresse qu’a subi le pays entre 2007 et 2011 a provoqué un exode rural et une raréfaction des ressources. Cela a participé au déclenchement en 2011 des manifestations qui dénonçaient – entre autres – une mauvaise gestion des ressources agricoles par Bachar Al-Assad. Pour autant, peut-on en conclure que sans cette sècheresse, le conflit qui sévit actuellement n’aurait pas eu lieu ? Bien sûr que non. Dans un monde où les facteurs de conflit s’imbriquent les uns dans les autres et s’influencent mutuellement, il ne faut pas céder à la tentation de les séparer. Par ailleurs, quand on compare avec les pays voisins, on observe que d’autres pays ayant été victimes d’une sécheresse similaire n’ont pas connu un tel conflit. Pour avoir plus d’informations sur ce sujet, vous pouvez vous référer à notre article Syrie, un conflit climatique ?.
De même, alors que le changement climatique est souvent considéré comme ayant été une cause significative – voire principale – du conflit au Darfour en 2003, les spécialistes [4] ne sont pas unanimes et pointent d’autres facteurs tels que l’héritage d’un passé violent, la manipulation de divisions ethniques par les élites à Khartoum, l’insuffisance des services publics, l’affaiblissement des mécanismes traditionnels de résolution des conflits… Les pratiques du gouvernement ont été des déterminants au moins aussi importants que les variations du climat. Ils notent que des changements climatiques similaires dans les pays voisins n’ont pas eu le même impact et que dans le passé les habitants du Darfour ont été capables de s’adapter aux variations du climat par des moyens qui évitaient la violence généralisée.
Le schéma ci-dessus [5] montre à la fois que le lien entre changement climatique et conflit est complexe et ténu, et que le poids des autres facteurs de terrain – ne dépendant pas du climat -, est très important.
Les experts s’accordent pour dire que dans les circonstances où les autres facteurs à risque sont extrêmement bas – par exemple où les revenus par tête sont élevés, où les Etats sont efficaces et légitimes, etc. -, l’impact du changement climatique sur les conflits est négligeable. La probabilité que le changement climatique entraîne ou favorise la survenue d’un conflit dans le futur va en effet principalement dépendre de la manière dont vont être gérées les ressources naturelles, notamment par les pouvoirs politiques. Ce sujet, d’une importance qui s’accroît chaque jour, risque d’être de plus en plus abordé dans les années à venir. Mais bien qu’il y ait une abondante littérature sur les impacts physiques du changement climatique, le phénomène a en revanche beaucoup moins été étudié en sciences sociales, si bien que les recherches sur les impacts sociaux du changement climatiques sont finalement peu connues. [6]
Les conflits ne peuvent donc être attribuables qu’aux seuls dommages écologiques. C’est pourquoi selon François Gemenne, il ne faut pas chercher les liens de causalité entre les deux, mais identifier les vulnérabilités, les risques.
Elisa GUIZOUARN
[1] On parle ici de conflits armés : ils sont définis par le GIEC comme les conflits qui impliquent plus de 25 morts par an liés à des combats. Cette définition inclut des conflits interétatiques, intraétatiques, communautaires, et le génocide.
[2] Wolf et al., 2003; Wolf, 2007; De Stefano et al., 2010
[3] France Culture émission Du Grain à moudre de H. Gardette : Le réchauffement climatique est-il une chance pour la paix ?, 22/09/2016 avec pour intervenants : B. Tertrais et F. Gemenne.
[5]http://www.defense.gouv.fr/content/download/312122/4208401/file/EPS2013-Les%20conséquences%20du%20dérèglement%20climatique%20pour%20le%20ministère%20de%20la%20défense.pdf
[6] François Gemenne, Jon Barnett, W. Neil Adger, Geoffrey D. Dabelko, “Climate and Security: Evidence Emerging, Risks and A new Agenda”, Climatic Change, n °123, Springer, 2014, p. 1-9.
Sources :
Diamond Collapse, How Societies Choose to Fail or Succeed, 2005
Rapport du GIEC (intergovernmental Panel on Climate Change) 2014 : Partie A Global and sectoral aspects – chapitre 12 Human security sous la coordination de W. Neil Adger et Juan M. Pulhin
Observatoire des Grands Lacs en Afrique note n°8 2013 : Les changements climatiques dans la région des grands lacs par A. Taithe
Rapport Conséquences du dérèglement climatique pour le ministère de la Défense par B. Alex, A. Coldefy, H. Kempf, juin 2014
France Culture émission Du Grain à moudre de H. Gardette : Le réchauffement climatique est-il une chance pour la paix ?, 22/09/2016 avec pour intervenants : B. Tertrais et F. Gemenne
http://www.irinnews.org/fr/report/83134/afrique-le-changement-climatique-et-les-conflits
http://www.irinnews.org/fr/actualités/2007/07/02/le-changement-climatique-pas-seule-cause-du-conflit-du-darfour
Crédit photo: https://www.flickr.com/photos/johnspooner/3420624777
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